USESPACE L’espace partagé du soin en temps d’urgence Gasquet-Blanchard Clélia Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) UMR 6590 ESO-RENNES [email protected] Géographie Mots clés : urgence sanitaire, partages de l’espace du soin, temporalités opposées, logiques d’affrontements, investissement des lieux A travers une réflexion mettant en regard deux terrains de recherche – l’un effectué dans le cadre de la thèse entre 2005 et 2007 dans des villages et petites villes du Gabon et de la République du Congo qui ont connus des épidémies de fièvre hémorragique à virus Ebola (FHVE), l’autre, celui d’une recherche menée actuellement, dans trois services de néonatologie parisiens et de la région Nord-Pas-de-Calais recevant des nouveau-nés grands prématurés et leur parents, effectué en 2013 - nous souhaitons présenter le développement d’une approche originale mettant en perspective les similitudes des logiques et pratiques des usagers (soignants, soignés, accompagnants) de ces lieux du soin et les interactions spécifiques (tissage de liens, de relations, d’affrontements, etc.) bien plus larges que celles du seul soin que nous avons pu observer au sein d’un espace partagé dans le contexte très spécifique de l’urgence sanitaire. Cette dernière est ici entendue selon les entrées respectives de nos deux terrain, celle de la gestion d’une épidémie et de la prise en charge hyper sécurisée de malades de la fièvre hémorragique à virus Ebola au sein des cellules d’isolement au domicile des malades ou dans les hôpitaux de provinces en Afrique Centrale, et celle des soins relevant de l’urgence vitale prodigués à des enfants grands prématurés dans les chambres des services de réanimation des unités de néonatologie, en vue de les amenés à un lien autonomisé (hors du soin médical) avec leur mère. Au sein de l’analyse de ces deux terrains, on s’interroge alors sur les manières qu’ont les acteurs d’occuper et d’investir l’espace. On observe dans ces espaces trois types de processus révélant des interactions particulières entre soignants et soignés : - Des temporalités opposées entre les soignants (temporalité de l’urgence du soin vital) et les patients et a fortiori leurs proches (relevant de l’attente difficile de l’évolution positive ou négative de la maladie, d’un mieux, d’une sortie de la quarantaine, du service de réanimation pour être admit en néonatologie en vue de s’acheminer, selon les progrès de l’enfant, vers la sortie, de la découverte de son enfant et du lent tissage du lien avec un tout petit enfant etc.). Les lieux sont alors tantôt partagés tantôt pratiqués comme espace d’affrontement en raison de logiques temporelles qui s’opposent et qui relèvent d’un quotidien perturbé et envahit par la situation de l’urgence (arrivée massive d’équipes soignantes internationales habillées de la tête aux pieds dans un village, un quartier, une maison d’Afrique Centrale, incompréhension des parents devant des nouvelles qui viennent et varient au/de jour le/en jour). - D’un investissement des lieux particuliers, par les familles qui s’installent au cœur de l’espace dévolu au soin, traditionnellement le lieu des interactions entre patients et soignants. Pourtant dans les deux cas de figures le patient apparait si spécial et unique (qu’il s’agisse du grand prématuré ou du malade d’Ebola) que l’investissement de la famille à son chevet est donc particulièrement important (même s’il faut souligner que le phénomène est plus récent concernant Ebola). Dans le cas du service de néonatologie, la chambre du tout petit enfant peut être organisée pour que les parents, et particulièrement la mère, s’installent au chevet de son enfant autant qu’elle le souhaite. Concernant les malades de FHVE, l’isolement à domicile induit, de fait, par l’isolement de la maisonnée et la mise en quarantaine des membres de la famille, une présence forte de l’entourage immédiat du malade. Dans un cas comme dans l’autre, le soignant se trouve donc en contact très fréquent avec les proches du patient dès qu’un acte de soin doit être effectué. Les interactions (questions, demandes, observations, conseils, etc.) toutes aussi fréquentes, se situent au cœur des temporalités décrites ciavant. Par ailleurs, cette situation d’investissement des lieux par les proches est également induite par un contexte particulier qui pousse à un partage des tâches entre soignants et parents à effectuer auprès du patient. - Enfin, on observe une dimension affective très forte dans ces espaces du soin, pour les patients et leurs accompagnants, on l’imagine aisément, mais également pour les soignants. L’intensité des éprouvés mobilisés par ces situations dans ces espaces est témoignée par des éléments matériels et immatériels symboliquement très fort attestant d’interactions profondes entre soignants et soignés pendant et après l’évènement sanitaire. Il n’est pas anodin que chaque service de néonatologie dispose d’un panneau de photos de quelques enfants qui sont passés dans le service et qui ont été envoyées par les familles aux équipes pour les remercier d’avoir pris soins et sauvé la vie de leurs nouveau-nés. Dans les villages qui ont connus des cas de FHVE, les habitants et particulièrement les survivants et les familles des victimes se souviennent très précisément des soignants qui se sont occupés d’eux et des lieux où leur parents ont été malades, comme inversement les soignants étant intervenus sur ce type d’épidémies se souviennent très exactement du nom des malades qu’ils ont rencontrés. La gestion de l’urgence sanitaire et particulièrement si celle-ci aboutit souvent ou régulièrement au décès et donc à des situations affectives intenses, notamment de deuil, induit des pratiques soignantes tantôt compréhensives, tantôt défensives. Bien que les espaces du soin apparaissent parfois dans les cas de ces deux terrains comme lieu d’affrontement de culture, de dialogue impossible de temporalités opposées, il n’en reste pas moins que l’espace ou se déroule l’expérience intense de la fin de vie ou de la survie apparait au final et surtout comme lieu du partage intense.