Première partie Conceptions du monde et connaissance. 123 Chapitre 1 Le paradigme occidental battu en brèche par la science elle-même. Vers une nouvelle alliance, une nouvelle représentation de l’univers. I- 1- La science positiviste : un monde métaphysique, une connaissance hors de la vie. Classiquement la connaissance du monde vrai dans les sciences positivistes se caractérise par la recherche de l’essence et de la transcendance. Il y a nécessité de dépasser les apparences et la diversité pour définir des lois générales et universelles, des vérités ultimes qui régissent le monde éternel et conservatif afin de rechercher un ordre pré-établi et d’envisager des causes dans un passé déjà là comme chez les précurseurs de la science moderne (Descartes, Leibniz) ou d’envisager les causes comme ce qui permet de prévoir (Laplace). Pour cela, la science doit discriminer dans la nature ce qui est supposé correspondre à une réalité objective et ce qui est réputé illusoire parce que lié à notre propre subjectivité. « La science doit être comme capable de découvrir la vérité globale de la nature », (Prigogine, Stengers, 1986, 81) ce qui en constitue l’essence (idem, 75). Pour établir les lois qui gouvernent la nature, la science a dû éliminer le temps comme variable et le réduire à un temps « trajectoire, celui de nos montres, extérieur à l’organisme et à toute chose naturelle’ »(…). « La diversité qualitative des changements est réduite à l’écoulement homogène et éternel d’un temps unique, mesure mais aussi raison de tout processus» (Prigogine, Stengers, 1986,106) La connaissance correspondante découpe le réel compliqué en éléments simples afin de chercher derrière l’apparence les éléments constitutifs qui permettront d’expliquer ce réel et d’agir sur lui. La science classique a la conviction que le microcosme est simple (Prigogine, Stengers, 1986, 39). Le tout ne peut se connaître que par la connaissance des éléments simples qui le constitue et grâce à la démarche analytique réductionniste qui en permet la distinction. Il faut avec le déterminisme Laplacien, résumé le plus abouti de la science classique, exclure de l’univers la possibilité « de niveaux d’organisation qualitativement différents », concevoir que «chaque niveau y est réductible sans reste à celui, ultime, des particules en mouvement » et « refuser aux parties de l’univers la moindre autonomie à l’égard du tout » (K Pomian, 1990, 14). La science repose sur l’idée que l’homme peut connaître objectivement la nature et qu’il y a coïncidence entre son intelligence et le réel. Ainsi, « La physique1 met la nature en demeure de se 1 Modèle paradigmatique de la science positiviste du XIX et d’une grosse première moitié du XXè. 124 montrer comme un complexe calculable et prédictible de forces que l’expérimentation est commise à interroger, afin que l’on sache si la nature ainsi mise en demeure répond à l’appel ». «Le noyau de la logique classique identitaire (Aristote) a armé la vision d’un monde cohérent entièrement accessible à la pensée » et participée à une « conception du monde qui se fonde sur deux postulats rationalisateurs : coïncidence entre l’intelligibilité logico- mathématique et les structures de la rationalité objective et principe de raison suffisante qui donne à tout ce qui est une raison d’exister » (Morin, 1991, 226). Elle est fondée sur la croyance en une intelligence, un esprit et une connaissance qui eux sont libérés du déterminisme. Le dieu du déterminisme est celui d’une intelligence posée comme un idéal que l’histoire va contribuer à atteindre. L’intelligence humaine, tout comme le dieu régulateur de la raison pure de Kant, doit tendre à s’approcher de la vérité et à réaliser ce qui, dans l’homme, est proprement humain et dont procède de sa supériorité sur les animaux. (K Pomian,1991, 15). La science rationnelle est pour A Comte, l’aboutissement du développement de la connaissance. L’esprit humain et donc la connaissance relèvent ainsi « d’une finalité immanente, leur état présent étant à chaque fois induit par la visée d’un état postérieur, voir d’un état final hors d’atteinte ». « Identifié à l’intelligence, le sujet connaissant est extérieur à l’objet et même à l’univers, parce qu’il participe de l’esprit humain, du royaume des fins» (K Pomian,1991, 15-16). L’intelligence et le royaume de la raison peuvent voir le jour, supplanter Dieu et déterminer la visée de la science afin de libérer l’homme du déterminisme que pourtant elle étudie et qui a cours dans la nature. Dans la plus pure tradition dualiste, l’esprit garde sa dimension de chose pensante séparée du matériel, sa propriété principale, l’intelligence, détermine la visée idéelle, la connaissance devient le moyen de réaliser, dans un développement jamais terminé, l’avènement de l’homme à la place de Dieu et signe la possibilité d’un humanisme. Même dans ses développements les plus matérialistes comme dans l’étude du fonctionnement du Système Nerveux pour expliquer l’esprit (mind)2 et le développement des capacités cognitives, l’intelligence en tant que conscience se place en extériorité et présuppose ce qu’elle étudie (cf. le débat JP Changeux, P Ricœur, 1998), se pose comme non déterminée si ce n’est non déterministe. En présupposant une intelligence capable de s’auto étudier de l’extérieur, elle continue de poursuivre l’idéal d’une connaissance et d’une intelligence qui se prend pour Dieu, en contradiction avec le théorème de l’incomplétude et d’indécidabilité logique de Gödel et la logique de Tarski3. Même la neurophilosophie, jusque dans ses développements connexionnistes, qui défend une idéologie naturaliste liée à un matérialisme réductionniste et appartient au mouvement du positivisme logique (B Andrieu, 1998), bien qu’elle s’en défende, est sur la visée d’une intelligence comme aboutissement ultime4. Et non pas l’esprit au sens immatériel de l’âme. K Gödel : th de l’incomplétude et indécidabilité logique les systèmes formalisés complexes ne peuvent trouver en eux-mêmes la preuve de leur validité ; A Tarski: un système sémantique ne peut s’expliquer totalement lui-même. 4 Même si cette intelligence est une émergence due à la complexité du système, à son organisation hiérarchique émergente des interactions entre les composants, au rôle du bruit, même si elle est posée comme une fin, de fait, c’est bien elle qui apparaît en bout de chaîne, donnant à l’homme un pouvoir et donc des devoirs pour guider et s’occuper du monde. 3 3 125 Pourtant, L’intelligence scientifique ne peut comprendre la durée, le temps durée5 propre au déroulement de la vie vers la mort, un temps ayant une valeur, un sens, voire une essence. Elle le ramène à une succession d’états instantanés reliés par une loi déterministe . Or « le temps est invention ou il n’est rien du tout », (Bergson, 1959, 784) « la vie progresse et dure » (idem, 538). Le « temps durée » est le temps interne qui pourrait pour les êtres vivants se rapprocher de l’âge biologique. Pour l’organisme considéré de son point de vue et de ses constituants, il est donc ce qui fait sens tout en rapprochant d’un équilibre ultime qui présente à la fois du déterminisme et de l’incertitude en fonction des manières dont les partitions de la vie seront jouées par le sujet. « Le changement pur, la durée réelle, est chose spirituelle, ou imprégnée de spiritualité. L’intuition est ce qui atteint l’esprit, la durée, le changement pur » (Bergson p 1274, cité par Prigogine, Stengers, 1986, 154-155). L’intelligence, du fait de son mode de pensée analytique ne peut rien saisir de cette progression sauf à immobiliser et découper. En se coupant du « temps durée », elle se sépare de l’homme et le situe en dehors de la nature. Par son mode de conscience analytique, séquentiel et linéaire du sujet spectateur, la théorie devient un contenant pour les faits. L’en dedans est une fiction qui est pensée de l’extérieur, de l’en dehors. L’unité de l’expérience est le produit d’une unification. L’unité est unification, assemblage synthétique, et résulte d’une synthèse organisée. La totalité et l’unité de l’expérience sont le résultat d’une construction intellectuelle, d’une approche quantitative du réel. La science classique et le mode de pensée technologique qui la caractérise cherchent l’unité dans la multiplicité pour produire du général, construisent une unité qui est une unification. La science reconstruit un monde à partir de constructions de l’esprit sur ce monde dans lequel il vit. Le questionnement sur la connaissance du monde vrai est finalement une prise de position ontologique à la fois sur le réel, sur la nature et sur l’intelligence, mais aussi sur la place de l’homme, ce qu’il est. La recherche d’une explication ultime, d’une essence derrière l’apparence ne peut déboucher que sur 3 explications : l’existence d’un Dieu organisateur, une matière ou une substance organisée traversée par des « forces », des « énergies », des « informations » explicatrices des transformations, un esprit de connaissance capable de connaître le monde matériel ou au contraire origine du monde et constructeur d’une représentation de celui-ci seule connaissable. Cette connaissance trouve son origine et permet de résoudre l’angoisse cartésienne qui traverse toutes les philosophies occidentales à la recherche de fondements : soit notre connaissance possède un fondement fixe et stable, un point d’où elle part, où elle s’établit et repose soit c’est l’obscurité, le chaos. Ce fondement est soit intérieur, dans l’esprit, soit extérieur dans le monde qui l’entoure. Soit il existe un Soi unique, indépendant, cohérent à partir duquel nous appréhendons le monde, soit le réel est donné, objectif et le sujet se le représente. Soit il faut chercher ce Soi, soit il faut comprendre comment l’homme se représente le monde objectif et étudier ce monde objectif. Ainsi la pensée 5 Distinction proposée par J Ardoino lors d’une conférence non publiée à propos du temps scolaire et du difficile sens du temps espace de l’emploi du temps. 126 occidentale oscille continuellement entre matérialisme et idéalisme, à la recherche continuelle d’un fondement au- delà du monde phénoménal. La science tente de résoudre cette question du monde en imposant l’idée « d’un homomorphisme parfait entre langage formalisé, logique mathématique d’une part, et, d’autre part, la nature, l’univers. Ainsi s’affirme une absolutisation onto-logique : la logique déductive/ identitaire correspond à la vraie réalité, à l’essence même du réel, elle en est l’expression et le révélateur » (E Morin, 1991, 178). Avec le déterminisme dont les controverses « permettent de mettre en évidence les failles et les soubassements même du système des savoirs » (K Pomian, 1991, 58) et sa rupture avec le temps, « elle dessine une fracture entre les philosophies à aspiration scientifique, en général déterministes, et les philosophies du temps, parfois fascinées par le destin » (idem, 54). Même quand elle tente de résoudre cette question, grâce à la conceptualisation de trois mondes (Popper) - le monde 1 physique, le monde 2 psychique et le monde 3, produit des deux autres, « susceptible de générer sa propre autonomie partielle » (G Lerbet, 1995, 52) grâce à « une pleine conscience du moi » (Poppers, cité par G Lerbet, 1995) -, il s’agit bien toujours de chercher la vérité d’une réalité, de poursuivre une réalité accessible mais objective et construite, vérité et réalité produites par une conscience objective et indépendante. « La vérité de la réalité est celle de l’esprit humain, démiurgique, qui peut espérer grandir en conscience absolue. » (G Lerbet, 1995, 53). Ce troisième monde n’est pas une interface agissante mais bien un moyen de penser les deux autres à partir d’un homme et de sa conscience posée sui généris. Les sciences se sont ainsi fermées sur elles-mêmes. « Depuis Descartes, nous pensons contre nature, assurés que notre mission est de la dominer, la maîtriser, la conquérir », en accord en cela avec « Le christianisme qui est la religion d’un homme dont la mort surnaturelle échappe au destin commun des créatures vivantes » et avec « l’humanisme qui est la philosophie d’un homme dont la vie surnaturelle échappe à ce destin : il est sujet dans un monde d’objets, souverain dans un monde de sujets » (E Morin, 1973, 20). La science produit une « vision mécaniste, matérialiste, déterministe » qui « satisfait en fait des aspirations religieuses : besoin de certitude, volonté d’inscrire dans le monde lui-même la perfection et l’harmonie perdues avec l’expulsion de Dieu » (Morin, 1991, 226). Le monde est expliqué soit par les choses elles-mêmes en opposition aux apparences, soit par l’esprit immatériel de l’homme à l’intelligence non-déterministe mis à la place de dieu. Le monde est celui de la matière ou celui de l’esprit. Sa connaissance porte sur l’au- delà de la nature, sur l’au- delà du monde tel qu’il nous est donné. Elle est possible grâce à un esprit souverain qui ne prend pour vrai que ce qu’il est capable de raisonner indépendamment du temps, du vécu, du ressenti, au- delà des apparences, au- delà de l’homme et de son monde, en dehors de ce monde et face à lui. La connaissance est obligatoirement en extériorité et en face des choses étudiées. Le monde de la science positiviste en détrônant Dieu pour l’homme est un monde métaphysique dont la connaissance laisse l’homme face à lui-même, du fait de la rupture entre l’être et l’avoir, à la recherche continuelle de son être, démiurge perdu face à la nature, sans réponse quant au soi, au Soi, qu’il doit inventer et assumer, responsable de la nature. C’est un monde méta physique au 127 sens étymologique premier : méta ta phusika, ce qui vient après la physique, après la constitution naturelle, « ce qui suit les questions de physique »6 mais aussi ce qui fait naître (phusis : action de faire naître), croître (phusis est une hormone de croissance) et devenir (en latin,.racine futurus : destiné à être) (Grand Robert, TIV, 1410). La science imagine un monde qui ferait naître celui dans lequel nous vivons, qui serait en deçà et au-delà du monde phénoménologique de notre vécu, un monde où méta n’a pas qu’une valeur temporelle mais prend une valeur intellectuelle comme ce qui dépasse, transcende la physique, mais aussi le physique compris comme le corporel subjectif. Une autre connaissance réintégrant le temps et prenant le parti du tout indissociable, réintégrant l’homme auto- consistant comme constructeur de la connaissance, et posant la question du monde comme totalité émergente s’est pourtant nourrie de cette science et en a ébranlé le paradigme. 2- Un univers d’énergie producteur de formes. La quête sans fin des constituants ultimes de la matière, la recherche de « l'identité parfaite et la non-contradiction absolue (...) qui réduirait donc toute chose à un élément unique, somme toute, à l'Un métaphysique... » ( B Nicolescu, 1985, 212) a dû être relativisée. La théorie quantique montre que nous ne pouvons décomposer le monde en ses plus petites unités existantes (F Capra, 1985) et signe la fin de l’objet Galiléen (Prigogine, Stengers, 1979, 300). Elle aboutit, à la suite du travail de L De Broglie sur les quanta7 montrant que les ondes de lumière ont à la fois des propriétés de particules et d’ondes et que les particules de la matière ont aussi des propriétés des ondes, à une représentation dans laquelle toute matière a un aspect d’onde. Les particules subatomiques ne sont pas des grains de matière solide mais des quanta, des paquets d'énergie en perpétuelle transformation. La matière nous apparaît comme stable et solide alors qu'en fait les particules forment des systèmes dynamiques qui subissent perpétuellement des transformations ou transmutations avec des phénomènes de création et d’annihilation, et ce flux dynamique est créateur d'énergie. La matière est en fait constituée d'espace vide traversé par quelques particules. La mécanique quantique en constatant la dualité onde- particule8, doit raisonner à l’aide de modèles probabilistes car il est impossible de savoir exactement où se trouvent les objets matériels solides. Ces modèles, finalement, ne représentent pas les probabilités des phénomènes, mais plutôt les probabilités d’interconnexion (F Capra, 1985, 70). La matière nous apparaît ainsi comme un réseau serré de relations complexes entre les diverses parties d’un tout. Avec la relativité, comme la masse est une forme de l’énergie, les particules doivent être considérées comme un modèle dynamique, un processus mettant en jeu l’énergie qui se manifeste ellemême comme masse (idem, 79), « comme des schèmes dynamiques mettant en jeu une certaine quantité d’énergie pouvant être redistribuée lorsque de nouveaux schèmes sont formés » (ibidem, 222), Il est possible de concevoir la création et la destruction de particules matérielles au sein d’une Titre du livre d’Aristote traitant de la métaphysique. les atomes absorbent et émettent de la lumière en « paquets», ou quanta 8 l’image de la particule et celle de l’onde étant 2 descriptions d’une même réalité (Niels Bohr) 2 aspects de la matière se transformant eux-mêmes l’un en l’autre indéfiniment 6 7 128 seule et même énergie et même que cette énergie puisse créer de l’antimatière. Ainsi même la matière est ici processus. L’univers entier apparaît comme un réseau dynamique de structures énergétiques interdépendantes. La relativité générale introduit la notion de champ quantique en tant qu’entité « productrice » et considère la matière et l’espace comme des parties inséparables et interdépendantes d’un ensemble singulier, les objets matériels n’étant pas des entités distinctes, indissociables de leur environnement (F Capra, 1985). Le champ quantique réunit le champ électrique et le champ magnétique en un seul et peut donner naissance à une infinité de formes. C’est une entité physique fondamentale, un milieu continu, présent partout dans lequel les 2 aspects du réel phénoménologique, onde et particule se transforment eux- mêmes l’un l’autre indéfiniment, dans lequel les particules sont simplement des condensations locales de ce champ, des concentrations d’énergie (F Capra, 1985, 76-80). Le champ n’a plus la moindre base mécanique et pourtant, il est le siège de processus complexes et il possède à la fois énergie et mouvement. Il peut entrer en relation avec la matière et même échanger avec elle de l’énergie et du mouvement. Cependant, le champ reste indépendant de la matière et ne doit certainement pas être considéré comme un simple état de la matière, c’est plutôt un état de l’espace9. Ce que nous appelons chose est ainsi une configuration locale d’un champ d’énergie non séparable de l’univers dans son ensemble. Ne peut-on pas dire, à la limite, que tout objet est en définitive un champ d’énergie localisé, ou même… une sorte de fonction d’onde ? Pour Einstein, nous pouvons considérer que la matière est constituée des régions de l’espace dans lesquelles le champ est extrêmement dense. Les particules sont des manifestations de la réalité sous-jacente des champs. Comme les champs ne sont rien d’autre que des états de l’espace, ou du vide, il faut finalement conclure que le vide lui-même est en fluctuation. Il est une énergie perpétuellement en mouvement d’où apparaissent et où retournent les quanta. Une particule et son antiparticule peuvent acquérir une existence virtuelle en un point de l’espace-temps et y disparaître à nouveau. L’univers est imaginé comme un tout unifié producteur de formes, présentant une existence virtuelle sous-jacente, les champs, existence se manifestant en fonction de l’observateur et de ses instruments de mesure sous forme d’onde ou de particule, réalité inexistante, inatteignable, inaccessible hors de ses manifestations, réalité comme un champ énergétique constitué et constituant de différents champs. En deçà de ce qui apparaît et qui dépend de l’observateur, existe une potentialité non réelle, dont les processus de l’apparaître produisent les formes ayant une existence pour l’observateur, processus intégrant l’observateur dans cet apparaître. 3- Un univers produit et producteur, le vide producteur ; un univers à n dimensions ! a- Un univers dynamique, une ontologie du processus. Non seulement « La physique aujourd’hui ne nie plus le temps », mais ce dernier est multiple devenant une variable dépendante de l’observateur participant à la définition de l’espace et une 9 issu du site philosophie et spiritualité- thème :physique matière et conscience, leçon 96. 129 dimension du monde phénoménologique. « Elle reconnaît le temps irréversible des évolutions vers l’équilibre, le temps rythmé des structures dont la pulsion se nourrit du monde qui les traverse, le temps bifurquant des évolutions par instabilité et amplification des fluctuations et même ce temps microscopique, (…) qui manifeste l’indétermination des évolutions physiques microscopiques » (Prigogine, Stengers, 1979, 366). Avec la relativité restreinte, Le Temps apparaît comme une 4è dimension, comme une quatrième coordonnée devant être déterminée relativement à l’observateur. Il y a relativité des caractéristiques spatiales -la position d’un corps ne peut être définie que par rapport à un autre corps- et relativité temporelle -le temps dépend du déplacement de l’observateur-. Deux événements simultanés dans un système de référence, ne le sont plus dans un autre système de référence. Deux observateurs n’allant pas à la même vitesse ne vont pas placer les événements temporellement de la même façon10. (F Capra, 1985) La théorie générale de la relativité abolit totalement les notions d’espace et de temps absolu. Ces mesures dépendent l’une de l’autre. Avec la prise en compte de la gravitation, la structure de l’espace-temps dépend de la répartition de la matière dans l’univers : La gravité incurve l’espacetemps quadri dimensionnel et pas seulement l’espace tridimensionnel ; « L’espace se courbe à différents degrés et le temps s’écoule à différentes vitesses dans les différentes parties de l’univers » (idem, 182). Ainsi « les distorsions causées par la courbure affectent non seulement les relations spatiales, mais aussi les intervalles temporels »(idem, 181). Matière et espace sont des structures inséparables d’un ensemble singulier : le spatio-temporel. L’univers est espace-temps-matière, le champ est l’espace courbe (F Capra, 1985, 212) producteur de formes phénoménologiques. « La distinction entre matière et espace vide a du être abandonnée lorsqu’il devint évident que des particules virtuelles peuvent spontanément procéder du vide et y disparaître à nouveau sans qu’aucun nucléon ou autre particule de forte interaction ne soit présent ». Le vide physique n’est pas un pur néant, il contient la possibilité de toutes les particules. De plus, les formes qu’il engendre ne sont pas elles-mêmes des entités physiques indépendantes, mais sont des manifestations spatio-temporelles du vide fondamental sous-jacent. Le vide est un champ unifié omniprésent d’où émerge les particules qui structurent à plus haute échelle l’univers manifesté (idem, 211- 219). Comme « suivant la théorie quantique, la matière ne cesse d’être en mouvement; que la matière présente un incessant mouvement de danse et de vibration dont les rythmes sont déterminés par les structures moléculaires, atomiques et nucléaires » (F Capra, 1981), l’espace, donc le vide, est en perpétuel mouvement, traversé de fluctuations. Avec la physique quantique, L'univers est une totalité inter- reliée dans les moindres de ses éléments11, et cette totalité s'oppose à la description du monde en entités séparées et indépendantes. Elle conçoit l’univers comme une entité globale, inséparable au niveau fondamental, comme un tout interagissant et interdépendant, comme un tout dynamique organisé par le principe d’auto- consistance 10 Pour des vitesses proches de celles de la lumière, les séquences temporelles sont différentes selon les observateurs. Non seulement il n’y a pas de temps absolu, mais il n’y a pas non plus de séparation objective entre le passé et le futur. Le temps est déployé de telle sorte que passé et futur sont figurés à la fois (Olivier Costa de Beauregard, 1980). 11 cf expérience d'Alain Aspect en 1982 (confirmée par celle de Nicolas Gisin en 1997 sur une distance de dix kilomètres entre les deux particules, et non plus 12 mètres) a montré que deux particules qui sont entrés en interaction à un moment donné gardent chacune des informations sur l'autre même si elles se trouvent éloignées l'une de l'autre par des très grandes distances 130 de l’univers. L’univers devient mouvement, devient mobilité et, « c’est la transition (qui) fait donc toute la réalité du mouvement et du changement : elle en est l'essence» (C Pernot., EU 2005, art Bergson). L’univers devient « un jaillissement ininterrompu de nouveautés » (Bergson, 1959). «Toute la physique contemporaine (…) bascule en fait vers une ontologie du processus, une ontologie de l’action pure sans objet, où l’objet est le résultat de l’action et non pas son origine » (S Dinner 2005, 88) (…) au sein d’une doctrine de l’émergence où« l’information est le concept clef de toute la physique des processus »(idem). b- Des conceptions dynamiques d’un univers holiste à n dimensions. Les évolutions de la physique ont conduit certains auteurs à élaborer un modèle moniste de l’univers au réel inaccessible. Dans la philosophie du bootstrap, toute chose est connectée avec tout le reste, et rien n’y est fondamental, « l’univers est un tissu dynamique d’événements interdépendants », « toutes les propriétés d’une quelconque partie de ce tissu résultent des propriétés des autres parties et c’est la cohérence globale de leurs relations mutuelles qui détermine la structure de tout le tissu » (F Capra, 1980). Bien plus, Il n'y a pas de moi isolé indépendant. Il faut «Dépasser le modèle de l’hologramme qui est un enregistrement statique, dépendant du mouvement des champs dont il est le produit » pour concevoir l’univers comme un holomouvement (D Bohm, 1980)- n'importe quel événement, objet ou entité, observable et descriptible, quel qu'il soit, est abs-trait, d'un flux uni, indéfinissable et inconnu, le holomouvement. Cet holomouvement est de l’ordre impliqué. C'est un espace multidimensionnel où le temps ne s'écoule plus : il y a instantanéité de tous les événements, il n'y a ni passé, ni présent, ni futur. Il n'y a plus de causalité mais information pure et synchronicité. L’holomouvemnt se manifeste sous la forme d’un hologramme. Il est producteur de l’ordre explicite, manifeste, déployé, l’univers tel qu'il nous apparaît. L’ordre implicite est sous tendu par un ordre super implicite, fondement du monde dont il assure la cohérence, univers auto-organisé dans lequel la conscience et la matière sont indissociables. Cette réflexion ontologique est développée aussi par B Nicolescu avec les différents niveaux de réalité et par S Lupasco avec les trois matières issues d’une matière source régie par le principe d’antagonisme producteur du tiers inclus. Un niveau de réalité peut-être considéré comme un plan d’actualisation, une potentialisation de deux contraires mais ce plan d’actualisation, état T n’est pas observable en physique. Cet état T peut s’actualiser dans deux directions (ex en physique quantique en onde ou en particule) en un deuxième niveau de réalité. Ce deuxième niveau est observable parce qu’il est prisonnier d’un phénomène non contradictoire à un autre niveau, par exemple de la non-contradiction posée du côté du réel et de la conscience de ce réel qui traverse le paradigme classique de la science. Ce qui s’échappe d’un niveau comme invisible, donc contradictoire, se manifeste comme non contradictoire à un autre niveau. Le système psychique humain ne peut découvrir que quelques niveaux de réalité mais il y en a sans doute plusieurs et l’on peut imaginer que, comme pour le modèle de Bohm, l’homme concevra de 131 plus en plus de niveau au fur et à mesure du développement de sa connaissance sans jamais atteindre de niveau ultime. S Lupasco fait sienne les avancées de la mécanique quantique et de la relativité, notamment la non-séparabilité, le vide plein d’énergie comme producteur, la dualité du « réel » et l’impossibilité de le connaître. Il pose le principe de contradiction comme fondamental permettant dans un sens l’actualisation tout en maintenant la potentialisation12 « N'importe quel objet (événement, phénomène) pourvu qu'il ne soit pas un état (auquel cas, la logique dynamique du contradictoire est inutile) mais un dynamisme, suppose un dynamisme antagoniste tel que l'actualisation du premier implique la potentialisation du second » (D Temple, 1998). L’état intermédiaire entre E et son contraire comprend une dynamique actualisante conjointe à une dynamique antagoniste se potentialisant. Cet état intermédiaire, ou tiers inclus, n’est pas atteignable, mais il est à la source de toute chose tout comme le champ quantique ou le vide et c’est la rencontre entre le tiers inclus et le monde qui entraîne à la fois actualisation à un autre niveau et potentialisation, les 2 étant cependant présents. La nature peut ainsi s’interpréter à partir d’une relation entre 3 pôles dont l’un est ce qui est en soi contradiction (D Temple,1998). La dialectique quantique donne « naissance à une troisième matière, la matière que nous pourrions désigner sous le nom de matière T, qui serait peut-être comme une matière-source, comme une matière-mère, sorte de creuset phénoménal quantique d'où jaillerait les deux matières divergentes, physique et biologique... et où ces dernières retourneraient rythmiquement et dialectiquement, pour se dérouler à nouveau. Ainsi, toute manifestation, tout système comporte un triple aspect macrophysique, biologique et quantique (microphysique ou psychique, B Nicolescu, 1998). En effet Pour Lupasco, la matière micro- physique et la matière neuro- psychique constituent la 3è matière énergie (G Lerbet, 1998). Le Psychisme est un vide quantique plein d’énergie qu’il appelle l’affectivité qui s’actualise à un deuxième niveau dans la rencontre du monde de la non-contradiction en émotions tout en potentialisation son opposé (ainsi le soi se potentialise en angoisse). Il y a bien une triple organisation de la matière- énergie : la matière dite inanimée, dominée par l'entropie, et celle de la matière dite vivante, dominée par la néguentropie et, résultant de leur équilibre contradictoire, celle de l’esprit (D Temple, 2004), ou du psychisme (G Lerbet et B Nicolescu, 1998), ou du corps pourraient argumenter les Stoïciens. « La tridialectique lupascienne est une vision de l'unité du monde, de sa non-séparabilité » (B Nicolescu, 1998). La logique du contradictoire de Lupasco est un savoir de l'être, une ontologie, qui prétend, après d'autres grandes philosophies, réconcilier science et philosophie et proposer une vision moniste de l’univers.( Chabal M, 1998). Les évolutions de la science débouchent sur des conceptions philosophiques du monde. Elles conduisent à penser l’univers comme un système de processus dépendant de multiples niveaux dont le dernier est inaccessible, voir qui présente toujours un autre niveau au- delà de lui-même, un vide potentialisateur. Mais ce vide n’est pas le contraire du plein mais bien ce qui est à la source de l’apparaître, un vide dont la non- existence ne peut qu’être supputée, un vide en tant que Et nous verrons que ces notions de potentialisation et d’actualisation sont un des fondements de la pensée chinoise (cf chap 2, chap 9, chap 12). 12 132 représentation, symbolisation, conceptualisation d’une « réalité » dont la connaissance a besoin pour comprendre le monde et continuer à produire des connaissances. Mais, elles conduisent aussi à penser ce vide comme un système trialectique de principes opposés unis par un 3è principe de non contradiction unifiant, système qui se nourrit de lui-même et porte en lui sa propre dynamique. Si la mécanique quantique et la relativité ont bousculé nos représentations du monde, il n’en demeure pas moins qu’une scissure se fait jour dans les représentations possibles de l’univers, scissure qui dépend sans doute des positions de chacun par rapport aux thêmata (G Holton, 1981), du paradigme dans lequel il se situe, d’autant que Bohr lui-même au début du siècle fait référence à l’existence de principes opposés en lien possible avec le yin et le yang (cité par B Nicolescu, 1985) et que Bohm et surtout Capra ne font pas mystère de leur intérêt pour les paradigmes « de l’orient ». Cette scission possible dépend aussi sans doute de la croyance si ce n’est en une conscience universelle au moins en une conscience- processus qui dépasse l’homme tout en intégrant sa conscience et tout en pouvant être modifié par elle. Cette scission ne recouvre pas celle entre transcendance et immanence mais plutôt celle entre trancendantal (JL Petit, A Berthoz, 2006) comme une conscience constructiviste, comme dynamisme et immanence. Elle dépend sans doute aussi d’un rapport à Dieu : soit le rejet de dieu par un pur matérialisme, soit un dieu fondement premier, causa sui auquel s’adjoint la recherche d’une conscience universelle ou d’un fondement ultime organisateur, soit un « dieu divin », le « dernier dieu » (M Heidegger cité par F Dastur, 2004) ou un dieu extrême (Husserl cité par F Dastur, 2004 p 250, 251), comme « la finitude la plus intime de l’être », comme « une dimension de l’être » (Heidegger cité par ibidem, p252) comme une propre effectuation de conscience (Husserl cité par ibidem p 246), soit finalement dieu comme une non-question et la recherche de processus créateurs de l’être et de l’univers comme accès à une idée de dieu et à l’être de dieu13. 4- La connaissance et l’univers : une unité selon l’homme. a- Une unité liée à l’observateur , à sa conscience et à son point de vue intérieur. Avec la relativité restreinte, « les coordonnées de l’espace et du temps ne sont que les éléments utilisés par un observateur pour décrire son environnement » (F Capra, 1985, 171.) Avec la relativité générale « la durée de désintégration d’une étoile, comme d’un autre laps de temps, est relative et dépend du système de référence de l’observateur » (idem). Si on se plaçait à la surface de l’étoile, l’horloge ralentirait au fur et à mesure de la courbure et donc prendrait un temps infini. Par contre du point de vue de l’étoile le temps se déroule normalement et sa disparition survient après une période déterminée. D’un point de vue sur terre, cette durée peut se mesurer et est alors calculable par comme si finalement l’important était de se poser la question de dieu ou d’une conscience, de poursuivre un chemin en direction de cette idée ou de ce potentiel créateur, chemin qui devient lui-même créateur si ce n’est de l’univers au moins de l’homme et partant du monde dans lequel il vit. C’est peut-être une des solutions de mise en situation qu’a trouvée l’homme pour se transformer. 13 133 une fonction. Cette dernière mesure n’est possible qu’en se plaçant à l’extérieur. Si l’observateur est avec son horloge dans le lieu étudié, l’horloge ralentit aussi et il n’est plus possible de mesurer cette distorsion. « Une position en survol est plus que jamais exclue (E Prigogine, I Stengers, 1979, 372). Même les sciences physiques ne peuvent s’intéresser qu’à des classes de phénomènes. L’univers in toto n’est pas un objet d’étude pour aucune des sciences qui s’occupent de certaines classes de phénomènes. Et elles ne peuvent pas faire autrement car cela supposerait de délimiter le système étudié par rapport à son environnement. Or, pour l’univers, aucun environnement n’existe. Ainsi le concept de conditions initiales est vide, de même, aucune loi ne peut être formulée pour un tel système, pour autant qu’une loi soit un énoncé conditionnel. La science dans ses regroupements et organisations ne peut jamais aboutir à un ordre englobant l’univers entier (S Amsterdamski, 1991, 236). L’observateur fait toujours quelque part partie du système étudié, ne serait ce que parce que c’est lui qui détermine le référentiel à partir duquel il étudie cet univers, référentiel sur lequel les autres doivent être en accord pour avoir une compréhension commune. Dans les sciences physiques, c’est bien notre connaissance qui construit les éléments de la matière, qui en découvre14, (en invente ?) continuellement sans savoir finalement lesquels sont fondamentaux. C’est même la situation de recherche avec sa technologie qui définit les objets de recherche et les fait exister aux yeux de l’observateur, qui fait d’apparences grâce à des mesures et, à l’aide de calculs, des objets qu’elle nomme et définit. C’est l’observateur, donc l’homme qui crée leur existence grâce aux savoirs qu’il a accumulés, qui se construit une fiction qu’il cherche à vérifier, qui explicite les phénomènes par une « analyse intentionnelle » (M Merleau- Ponty, 1945, 71). La nouvelle objectivité nécessite de faire des choix pour l’observateur. Il doit se situer dans un système de référence et choisir un langage alors même qu’aucun langage ne peut épuiser la réalité du système. « Toute propriété macroscopique est inséparable de « l’éclairage » que nous choisissons de projeter sur la réalité, celle-ci est trop riche, ses reliefs trop complexes pour qu’un seul projecteur puisse l’éclairer dans sa totalité ». (I Prigogine, I Stengers, 1979, 313) La Richesse du réel déborde chaque langage, chaque structure logique, chaque éclairage conceptuel…Son étude, sa connaissance dépendent de la position de l’observateur et des moyens d’étude qu’il utilise (I Prigogine, I Stengers, 1979). Le chercheur ne construit jamais que des idéalisations qu’il considère comme inadéquates mais qui l’aident à avancer dans la connaissance et la compréhension de l’univers, de l’infiniment grand comme de l’infiniment petit. Un Double rôle est désormais assigné au scientifique. Il continue d’être spectateur15, mais il affirme aussitôt qu’il s’agit d’idéalisations inadéquates, sachant que « tout modèle théorique présuppose le choix de la question » (Prigogine, Stengers, 1979, 372) La cohérence de l’univers dépend de la position de l’observateur, sa connaissance est une 14 "Nous avons pourtant découvert des centaines de hadrons et aussi quelques leptons et bosons électrofaibles qui n'existent pas "naturellement" dans notre univers. C'est nous qui les avons tirés du néant, en bâtissant nos accélérateurs et d'autres appareils expérimentaux. Nous sommes, dans ce sens aussi, participants à une réalité qui nous englobe, nous, nos particules et notre univers." ( B Nicolescu, 1985) 15 « Même dans les théories dynamiques puisque l’observateur fait référence aux notions de points dans l’espace des phases et de trajectoires (donc de son point de vue extérieur) » (Prigogine, Stengers , 1979) 134 construction qui ne trouve son unité que parce que l’homme la construit et imagine des solutions explicatives, construit des images, propose des symboles dont aucun ne peut rendre compte des positions de chacun ni d’un réel inatteignable. La modélisation générale de l’univers, même si elle prouve sa pertinence dans le système de connaissance considéré ne peut-être qu’une extrapolation d’un point de vue intérieur. L’évolution de sciences physiques implique une nouvelle alliance : - Entre l’homme et la nature puisque l’homme ne peut s’en extraire, la définit en la connaissant et la connaît en la définissant, - Entre les sciences formelles et empirico formelles et les sciences humaines et sociales, ces dernières permettant notamment de comprendre les fonctionnements des chercheurs, - Entre connaissance scientifique, philosophique et commune afin de comprendre comment elles interagissent au sein d’un paradigme pour produire des représentations de l’univers et du monde. -Elle implique une nouvelle alliance de l’homme avec lui-même réintégrant la réflexion sur lui-même, la réflexion sur la réflexion puisqu’elle participe à la construction d’une fiction explicative et à la représentation d’un monde, la conscience de cette réflexion sur elle-même et de ses résultats (M Merleau Ponty, 1945, 75) comme condition à la compréhension16, à la fois objective et subjective d’un réel en élaboration. C’est la réflexion que « nous devons considérer comme une opération créatrice qui participe elle- même à la facticité de l’irréfléchi » ( M Merleau-Ponty, 1945, 74). C’est la construction du point de vue ontologique que nous devons prendre en considération dans l’élaboration des connaissances scientifiques. En effet, le chercheur doit se prononcer sur 3 questions essentielles : celle des constituants de la matière, le constituant fondamental est-il une substance, un processus ou un événement, celle de L’espace-temps :espace comme réceptacle, comme substance fondamentale, comme système de relations entre objets, temps comme cadre de changement, système de relations entre les changements, comme substance, et celle de la causalité : problème de l’action par contact ou action à distance (S Dinner, 2005). b- Une unité dynamique dépendante des conceptions de la conscience. La physique quantique remet aussi en question les principes de la logique énoncés par Aristote : A est A (axiome d’identité), A n’est pas non A (axiome de non contradiction), et il n’existe pas de troisième terme qui soit à la fois A et non A (axiome du tiers exclu) alors qu’en physique quantique : A est A et non A (axiome du tiers inclus), mais par ailleurs, A n’est ni A ni non A. L'état T (T comme tiers inclus) est un troisième terme qui peut se manifester à la fois sous l'apparence de A et de non A, mais qui n'est ni A ni non A (D Temple, 1998). Une particule est à la fois onde et corpuscule, mais elle n'est ni corpuscule ni onde. L’état T implique l'intégration du contradictoire, ce qui se rapproche des conceptions orientales qui au-delà du chiffre deux réintègre le chiffre trois, et rejoint la paradoxalité de Bateson (1990) et les jeux paradoxaux étudiés par P Parlebas (1981) ! Comme, le sujet connaissant est impliqué lui-même dans la logique qu'il formule, «La logique 16 En référence à W Dilthey (1947, p 50), « nous expliquons la nature, nous comprenons la vie psychique », le comprendre suppose la prise en compte du sujet comprenant alors que l’explication en suppose l’abstraction. 135 dynamique du contradictoire se présente (...) comme la logique même de l'expérience, en même temps que comme l'expérience même de la logique». L'expérience est ici l'expérience du sujet, (B Nicolescu, 1998) sujet qui n’est pas lui- même connaissable car cela supposerait de tout pouvoir connaître malgré la contradiction et surtout l’affectivité cette matière source inatteignable. En correspondance avec un univers producteur de formes, à partir d’un vide intégrant la contradiction, la logique comme la matière se divise en trois : « la logique d’homogénéité, la seule que nous connaissions, la logique d’hétérogénéité : « La trame du monde, s’il existe, et chose étonnante, afin qu’il existe, est faite de rêves »17 - et la logique de l’âme, logique du contradictoire, équilibre dans la conscience entre l’homogénéisation de l’état de veille, et l’hétérogénéisation, maîtresse du rêve » (E Antébi, 1971). Elle propose de considérer la connaissance comme partie constituante d’une conscience, d’une affectivité, d’un psychique qui serait elle-même un des termes de la contradiction originaire de l’univers. La cohérence de l’univers dépend de la conscience de l’homme, soit parce qu’il la construit et participe ainsi à cette construction, soit parce que en la développant il participe à une des dimensions du vide potentialisateur. Dans la logique d’interdépendance de l’univers, ce dernier n’existerait pas sans la conscience en tant qu’élément dynamique, pourvoyeur d’activité dans l’univers. La conscience, dans le modèle de Bohm, serait un constituant de l’univers implié, la conscience de l’homme construit de l’ordre explicite. Elle est une actualisation d’une affectivité en tant que vide plein d’énergie régie par le principe de contradiction chez Lupasco. Même dans ce cas, la représentation de l’unité dépend bien de l’homme, puisque l’actualisation vers un 2è niveau, réel pour notre expérience, non contradictoire est consubstantielle, contingente à la rencontre avec le monde phénoménologique de notre expérience quotidienne. Si c’est bien la conscience qui construit la cohérence de la matière au sens classique, c’est bien une conceptualisation issue de cette conscience qui permet de proposer des modèles intégrant la matière énergie, source de l’actualisation de cette conscience. C’est bien même cette conscience qui invente dieu, et le monde et les fait être que parce qu’ils ont du sens pour moi (D Dastur, 2004, 246). Que l’homme soit extérieur à l’univers et l’étudie en extériorité ou qu’il se considère comme une actualisation d’une matière affectivité et du coup se conçoive comme intérieur à l’univers, c’est toujours la conscience avec ses différentes définitions18, soit qui fait l’unité soit qui y participe. c- L’univers comme un monde phénoménologique. Au delà des conceptions, symbolisations qui apparaissent et dont il sera toujours impossible d’être assuré de la réalité, dont nous ne pourrons jamais être sûr qu’il ne s’agit pas de constructions subjectives, même si elles permettent de prédire des résultats ou d’expliquer des effets, il est intéressant de constater cette tendance de l’homme à se situer par rapport à des thémata et en particulier sur l’opposition holistique/ analytique et à chercher systématiquement un système cohérent d’explication lui permettant de se situer et de comprendre, comme si l’homme était guidé par la recherche d’une harmonisation et d’une cohérence spirituelle, comme si sa conscience éprouvait le 17 18 ce qui correspond à l’intuition des surréalistes continue l’article mais aussi à la méditation des mystiques rajoutons nous. Sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement. 136 besoin d’exister soit comme source d’explication et de construction d’un modèle du réel donc de l’univers, soit comme partie constitutive d’un univers, comme entité virtuelle d’un vide potentialisateur, principe de construction du monde. On assiste ainsi à l’émergence d’une conception de l’univers et de la connaissance qui dépendent de l’homme et de sa conscience de deux façons : -Un homme et une conscience constructrice de l’univers par un détour matériel et producteur lié à un point de vue sur l’univers le monde, l’homme et sa conscience -Un homme et une conscience comme intégrant l’univers et le construisant par leur spiritualité du fait de différents niveaux de réalité et de l’existence d’un principe non matériel général qui, dans la contradiction et la paradoxalité grâce à un principe matériel, permet l’émergence d’un niveau de réalité, d’une bande passante, celle de notre monde phénoménologique, qui lui est accessible à l’homme. Ce principe non matériel prend le nom de dieu, de conscience, d’affectivité, de psychisme ou de t’chi (ou ki, Qi, notion d’énergie dans les pensées orientales19) en fonction du paradigme organisateur du monde phénoménologique et d’une prise de position ontologique de l’homme. L’univers est conçu comme un monde phénoménologique et il est conceptualisé à partir de ce monde englobant l’univers et englobé par lui. La connaissance phénoménologique de ce monde dépend bien de l’homme et de son monde dont l’univers fait partie. On peut d’ailleurs déjà repérer deux prises de positions quand- à ce monde : D’une part, il est conçu à l’image de l’homme, de son fonctionnement corporel ou au contraire l’homme est conçu comme issu et correspondant au fonctionnement de l’univers, d’autre part, homme et monde sont régis par des principes au sein d’un système de processus commun qui reste définitivement in –appréhendable et inconnaissable. II- Sciences de la complexité et auto-organisation : la totalité de l’univers. .La recherche en sciences physiques, rejointe par les sciences de la nature et de la vie, par la biologie et l’écologie, a été amenée à s’interroger sur comment notre monde, l’univers, l’organisation de la matière, mais aussi la vie ont-ils pu naître, sur comment cet univers a-t-il pu s’organiser20.Tant au regard du fonctionnement probabiliste de la matière et de l’impossibilité de prédire à partir des fluctuations des particules, qu’au regard des régularités présentes dans la nature et de la capacité de la matière à s’organiser, notamment des fluides à produire des formes de mouvements organisés (cf. expérience de Rayleigh, Bénard) mais aussi des champs à produire potentiellement des organisations de particules à l’infini, elle a été conduite à changer d’échelle pour étudier le réel à un niveau macroscopique, à changer de méthode pour l’analyser grâce à une approche globale holistique utilisant des modélisations simplificatrices et des simulations. Elle a du changer de regard afin de découpler la 19 Cf chapitre 2, chap 9 et chapitre 12 Même si cette organisation est produite par notre perception, est une construction phénoménologique, il n’empêche que ce qui est produit comme connaissance sur cette organisation fonctionne puisque cela permet d’agir. Nous devons bien alors la considérer comme valide si ce n’est pour vrai et nous pouvons dès lors l’étudier comme si elle était réelle. 20 137 relation cause, effet et la proportionnalité causale, élaborer des fictions pour ensuite les étudier et en vérifier la valeur explicative. Elle a cherché à comprendre comment à partir d’un désordre initial, d’un chaos primordial et d’une unité de la matière avait pu émerger l’univers et la vie, comment un ordre apparent avait pu naître à partir de «quelque chose» d’inorganisé. Les sciences de la complexité et les théories dynamiques sont nées et des concepts comme l’ordre par le bruit, le hasard organisationnel (H Atlan, 1972), la complémentarité ordre- désordre, l’antagonisme créateur entropie- néguentropie, l’auto-organisation et l’émergence ont été formalisés. 1- De la matière à l’homme : auto- organisation, hasard et bruit C’est de l’immense soupe macro-biotique originelle (E Morin, 1977) que serait apparu le carbone, puis ses différents composés, puis les cellules vivantes, les êtres poly- cellulaires, les organismes, les sociétés. Grâce aux tourbillons organisateurs de la soupe protobiotique primordiale apparaîtrait une organisation productrice de soi notamment du fait de la présence d’entités duplicatrices et d’entités catalytiques (cf. Prigogine, Stengers, 1979, chap 5) qui renforcent encore les réactions et déclenchent les reconstitutions des entités réactives instables. C’est ainsi des rencontres multiples, des chocs entre particules, rencontres et chocs non prévisibles dus aux hasards des mouvements, aux fluctuations, que ce seraient agglomérés des particules, regroupements eux-mêmes instables, mais avec conservation de certains. C’est de ses regroupements et des interactions entre ses regroupements, interactions dues au bruit en tant qu’actions aléatoires non programmées source de différenciation, que seraient nées de nouvelles organisations et que progressivement sur ce modèle se serait organisé l’univers et aurait émergé la vie. À partir de conditions aléatoires conditionnant les lois, de rencontres aléatoires produisant des effets nécessaires, il y aurait auto- organisation de systèmes de plus en plus complexes s’intégrant les uns aux autres et se transformant rétroactivement les uns les autres. Ces capacités d’auto- organisation au sens fort (H Atlan, 2003) sont possibles grâce à 3 facteurs fondamentaux : la complexité, la redondance et la fiabilité auxquels se rajoute le facteur bruit. Il faut un niveau critique suffisant de complexité, c’est-à-dire d’éléments inter- agissants, pour que le système ne subisse pas « l’érosion dégénérative des systèmes physiques ordinaires mais puisse accroître et maintenir son organisation en se nourrissant d’une part de l’ordre extérieur assimilable, mais d’autre part aussi d’une énergie à bon marché constituée par les fluctuations aléatoires des contraintes de leur environnement » (H Atlan 1996). Il faut aussi « la disponibilité dans le système d’un nombre suffisant d’éléments non spécifiés qui s’expriment dans une redondance initiale »(J Paillard, 1986, 115) la fiabilité, c’est- à - dire l’existence de règles de fonctionnements simples et sûres, ou indéréglables, réglant les interactions entre les éléments est nécessaire, de même que l’intervention d’actions aléatoires non prévues exercées par l’environnement de manière à «perturber » le fonctionnement du système. C’est ainsi le « bruit » qui va devenir « source de différenciation donc d’hétérogénéité et par suite d’information dans un système initialement redondant qui accroît ainsi sa propre organisation » (J Paillard, 1986, 115). 138 Du désordre initial émergerait un ordre grâce aux capacités d’auto- organisation des systèmes qui aboutissent aux systèmes les plus auto- organisés qui soient, les systèmes vivants qui en retour participent à l’auto- organisation des systèmes qui les englobent grâce à la fois à l’énergie qu’ils peuvent produire et au bruit qu’ils peuvent introduire dans le système. L’auto- organisation permet ainsi l’émergence de divers niveaux d’organisation possibles. La complexification de l’univers depuis le big- band, grâce aux champs quantiques, depuis les particules, les atomes, les molécules jusqu’à l’apparition de la vie est due à la matière qui se réorganise, à partir des mêmes éléments de départ à un niveau supérieur, à l’émergence de nouveaux niveaux d’organisation (cf. H Reeves 1981) doués de nouvelles propriétés et porteur de nouvelles informations. Chaque système exhibe en effet au niveau global des propriétés nouvelles non présentes au départ dans les éléments qui les composent (G Glergue, 1997), propriétés rétroactives car « le produit ultime rétroagit en transformant ce qui le produit », émergence qui « peut contribuer rétroactivement à produire et reproduire ce qui la produit » (E Morin, 1977). Un niveau d’organisation constitue un système, il est « un tout qui prend forme en même temps que ses éléments se transforment » (idem, 115) L’idée d’émergence est inséparable de la morphogenèse (réalité topologiquement, structurellement, qualitativement nouvelle dans l’espace et dans le temps) systémique, c’est- à- dire la création d’une forme nouvelle qui constitue un tout. Les éléments sont d’abord transformés en parties d’un tout. « Tout ce qui forme transforme » (E Morin, 1977, 115). Ainsi l’homme est issu de la matière grâce aux capacités d’auto- organisation des systèmes qui se sont progressivement constitués et qui rétroagissent les uns sur les autres, cette rétroaction étant une condition du maintien des organisations existantes et de l’organisation de nouveaux systèmes. Ainsi le monde est auto-co-éco-socio- ré-organisé (E Morin, 1991) tout comme l’homme et chacun des différents systèmes qui constitue le monde dans une boucle à la fois circulaire et récursive, c’est- à -dire que chacun des systèmes est auto- organisé en lui-même et grâce aux interactions des autres systèmes qui l’englobent ou avec qui il est en interaction, chacun étant à son tour organisé par lui grâce au bruit. Il est auto- organisé c’est- à- dire qu’il possède en lui les moyens et la dynamique de son organisation. Il est co-organisé par l’interaction avec ses voisins, au sein d’un système écologique qui en dépend mais aussi rétroagit sur lui toute en s’auto- organisant, dans un système social et culturel dépendant des différents systèmes qui le constitue, dont l’homme et l’écosystème, mais qui s’autonomise et rétroagit sur les autres systèmes, chaque forme étant ré- organisé dans un mouvement interactif d’équilibre entre les tendances entropiques conduisant à l’équilibre thermique et à la mort, les tendances néguentropiques permettant de produire de l’organisation grâce à l’intervention de ce que nous nommons, peut-être par défaut de connaissance, du hasard et du bruit. 2- Entropie, néguentropie, matière et esprit : la filiation et la cohérence constructrice de l’univers et du vivant. 139 Mais si le bruit est nécessaire, il peut produire 2 effets contraires : augmenter le désordre par accumulation d’erreurs dans la structure de ses constituants et dans la dynamique de son fonctionnement ou accroître l’organisation du système. Ce dernier peut conduire au désordre indispensable à une future organisation ou à l’ordre nécessaire à la vie. Mais un ordre fini est guidé par l’entropie et conduit systématiquement à la mort une fois que toutes les possibilités d’organisation ont été épuisées par perte de redondance. Il faut donc que la mort puisse être l’occasion de ré-augmenter la redondance par fourniture de matière et d’énergie -c’est ce qui se passe dans la décomposition de la matière- et que le désordre existe. La relation ordre et désordre est circulaire et permet l’organisation Il faut aussi un principe opposé à celui de l’entropie, celui de la néguentropie ou quantité d’information utile pour organiser et décrire un système, qui permette la création d’organisation. L’univers est ainsi un processus en perpétuelle construction déconstruction « qui s’émiette et se morcelle dans le mouvement même où il se constitue » (E Morin, 1997, 63). Il devrait courir vers l’entropie c’est- à- dire la mort thermique mais, il perdure du fait de l’énergie libérée liée à ses fluctuations aléatoires. Il ne peut se maintenir voir s’étendre, comme on le considère actuellement, que si les échanges avec l’environnement apportent du bruit et du hasard et donc de l’information organisatrice. Il est constitué de l’anthroposphère comprenant la Trinité psychosphère/ sociosphère/ noosphère, chacune de ces instances étant en même temps éco-système des 2 autres, anthroposphère qui est immergée et englobée dans la Nature (biosphère) et le cosmos (E Morin, 1991, 122- 123). Tout système auto- organisant émerge de la dialectique ordre- désordre et de la dialogique entropie, néguentropie, la tendance entropique destructrice mais nourrissante pour ce qui l’entoure, étant compensée par la tendance néguentropique informationnelle compensant par de l’organisation la tendance entropique. Il s’agit bien d’une dialogique car les deux doivent jouer en même temps de manière complémentaire dans une boucle de récursivité, et pas seulement dialectiquement, qui voudrait que les deux soient antagonistes, que des deux sorte un troisième terme. L’entropie est nécessaire car elle dissipe de l’énergie en allant vers la mort thermique mais elle remet aussi dans le circuit de la matière, la néguentropie fournit l’information nécessaire à l’organisation et permet la réorganisation. Ils sont bien antagonistes du point de vue de l’organisation puisque « La vie est un « combat » entre entropie qui conduit à la mort du fait de la probabilité physique liée à l’entropie et la néguentropie qui contre l’entropie par ses possibilités réorganisatrices, rendant l’improbable probable » (E Morin, 1991, 296). Dans une vision statique ces deux termes sont bien deux lectures d’une même grandeur et la néguentropie est seulement l’inverse de l’entropie. Mais dans les systèmes à boucle récursive productrice de soi comme le sont les systèmes auto- organisant, l’entropie est désorganisatrice alors que la néguentropie est organisatrice, L’organisation néguentropique joue à contre courant de l’entropie en suivant et nourrissant ce courant même. Ces deux termes se nourrissent l’un l’autre : c’est parce que les gènes permettent la régénération des protéines et sont néguentropiques que l’entropie qui désorganise et dégénère les protéines peut continuer, mais c’est parce qu’il y a des protéines qui sont détruites (avec aussi échanges d’énergie pour aller vers la stabilité) que les gènes peuvent exister. C’est cette boucle qui est productrice de soi. Mais, si on vieillit à lutter contre le 140 vieillissement, l’entropie finit par gagner au niveau de ce système individuel mais pas au niveau d’un méta-système qui intègrerait l’espèce (E Morin, 1977). Classiquement, L’entropie est liée à la matière et à la thermodynamique, la néguentropie à l’information et à la cybernétique, l’une à la particule, l’autre à l’onde.Cependant, cette information ne peut être considérée comme un élément physique comme dans l’information Shanonnienne sinon elle ne peut que dégénérée avec l’entropie. Si L’information s’enracine dans la physique et est une 3e dimension au- delà de la masse et de l’énergie, c’est un concept relationnel qui n’a de sens que dans l’organisation, qui n’existe que dans les êtres physiques qui ont la qualité d’êtres vivants, et ne développe ses potentialités que dans la communication entre êtres sociaux ayant l’aptitude cérébrale à échanger des infos, et qui participe ainsi à la sphère de l’organisation néguentropique (E Morin, 1977). L’information construit de la communication au sein d’un système et participe à l’organisation. Elle est communication reliante organisatrice à dimension néguentropique et, le vivant, en tant que système computationnel, est indispensable à la néguentropie donc à l’auto- organisation. « L’organisation lie, transforme, produit, maintient. Elle lie, transforme les éléments en un système, produit et maintient ce système. » L’organisation est une morphogenèse ; elle est ce qui transforme la transformation en forme ; autrement dit elle forme la forme en se formant elle-même ; elle se produit d’elle- même en produisant le système. Elle est morphostatique, elle maintient la permanence du système au niveau structural (règles organisationnelles) et générateur (production de la forme et de l’être phénoménal) mais aussi au niveau phénoménal, où le tout maintient la constance de ses formes et de ses qualités (elle lutte à la fois contre l’entropie et recrée continuellement de l’organisation au fur et à mesure qu’il y a désorganisation et entropie). (E Morin, 1977). L’organisation est le visage intériorisé du système, c’est un principe créateur de mouvement et du réel phénoménologique, c’est-à-dire du système qui est le visage extériorisé de l’organisation. Celui-ci fait le lien entre les différents niveaux d’organisation phénoménaux grâce à la dialogique entropienéguentropie et participe à l’hyper-complexité du monde, à cette « formidable complexité où entropie/ néguentropie, désorganisation/ réorganisation, dégénérescence/ régénération, vie mort sont (…) intimement, gordiennement, liées et mêlés » (idem, 298). Dans cette complexité, l’esprit s’enracine dans la matière et présente une forte dimension néguentropique, il devient à son tour producteur de formes et donc participant de l’autoorganisation du monde phénoménologique qu’il concourt à construire, tout en étant dépendant de la matière, mais aussi du monde phénoménal émergent. Il s’en autonomise en tant que niveau d’organisation tout en rétro agissant sur ce qui participe à son organisation. Il y a filiation de la matière à la vie, de la matière aux systèmes physiques vivants par l’intermédiaire de l’information, de la matière à l’esprit, mais aussi enrichissement et développement des niveaux d’organisation et de la complexité grâce au vivant computant, à la machine computante générative d’information et participant à la fonction néguentropique. Le vivant devient constructeur du monde phénoménologique jusque dans ses développements ultimes dans la culture comme complexe génératif matriciel qui perpétue la néguentropie, la complexité, au même titre que la matière, dans une boucle récursive et 141 dialogique. Ainsi la connaissance, en tant qu’information néguentropique, est auto-organisatrice d’un monde auto-organisé et auto-organisant qui n’existerait pas sans le vivant et ne serait pas aussi complexe. La cohérence du monde phénoménologique, et donc de l’univers en tant que monde englobant, dépend du vivant et plus particulièrement de l’esprit de l’homme qui participe à sa complexité et au développement de sa complexité grâce à la connaissance. Mais par contre, le cosmos comme la biosphère ne sont pas complètement intégrés dans cette boucle dans le sens où ils ne semblent pas devenir plus complexe en eux-mêmes comme l’est le monde phénoménologique. Ils restent des entités nourricières régies par le chaos, le hasard et le bruit mais ne semblent pas affectés par l’anthroposphère ou en tout cas E Morin laisse cette possibilité en sous entendus. Par contre l’évolution du cosmos et de la biosphère comme monde phénoménologique est concomitante avec l’évolution de la connaissance et participe du coup de la boucle transformatrice. Le développement d’une connaissance de la connaissance devient une étape supplémentaire dans l’expansion de ce monde et dans son évolution vers une hyper-complexité dépendante de l’homme, lui-même construction et organisation phénoménologique. Mais le monde autre que phénoménologique si tant est qu’il existe demeure à jamais inconnaissable et inatteignable. 3- Une connaissance dialogique, récursive et « holo grammatique-scopique- nomique », infinie. La connaissance impose la réintégration de l’observateur, à la fois parce qu’il ne peut plus être extérieur, à la fois parce que c’est lui, en tant que forme connaissante et organisante qui participe à la construction et à l’organisation des formes phénoménologiques qu’il étudie et connaît21, parce que c’est lui qui transforme un désordre pur en ordre informationnel pour l’esprit et enfin parce que, en voulant connaître il transforme l’objet en sujet. L’information, la redondance et le bruit dépendent bien de l’angle d’observation et du savoir de l’observateur, l’entropie est une mesure de notre ignorance sur l’objet étudié et le savoir un ordonnancement du monde participant à la néguentropie. « Dès lors, il ne s’agit plus de chercher le « reflet » du réel dans l’esprit de l’observateur, ni le « reflet » de l’esprit dans le réel : l’organisation de la connaissance est peut-être une traduction, mais non pas le « reflet » de l’organisation physique » (E Morin, 1977, 353). L’observateur donne une existence à l’objet en fonction de quoi celui-ci, devenu sujet, va se définir et agir donc transformer non seulement la situation à étudier mais aussi l’observateur. Lorsque ceux à qui a à faire le chercheur qui étudie ce qu’I Stengers (1995, 165) définit comme fiction 22, sont Tout système relève à la fois de la physis relevée objectivement par la subjectivité de différents observateurs et de l’esprit de l’observateur, et c’est lui qui finalement définit les systèmes, sous-syst, surpa syst, éco syst et métasystéme. E Morin, 1977 ; P139. 22 Derrière la notion de fiction il y a l’idée que tout chercheur qui travaille en situation, qui étudie du réel, qui étudie des situations complexes, par exemple les problèmes écologiques, construit et vérifie des scénari, des fictions pour lesquels il s’agit de modéliser les possibles et de construire des moyens de vérification. 21 142 « susceptibles de s’intéresser aux questions qui lui sont posées, c’est-à-dire d’interpréter de leur propre point de vue le sens du dispositif qui les interroge, c’est- à- dire encore de se mettre à exister sur un mode qui intègre activement la question », lorsque « les conditions de productions de connaissance de l’un, sont inévitablement, des conditions de production d’existence pour l’autre » (I Stengers, 1995, 165) alors la connaissance dépend et de l’un et de l’autre. Il est alors nécessaire d’inventer, au-delà de la question éthique, et un nouveau paradigme esthétique afin d’intégrer cette production d’existence (F Guattari, cité par I Stengers, 1995, 167) et un mode de connaissance relevant de la puissance de sentir : « puissance d’être affecté par le monde sur un mode qui n’est pas celui de l’interaction subie, mais d’une double création de sens, de soi et du monde » (I Stengers, 1995, 167). La connaissance impose de chercher un méta point de vue réintégrant le sujet de connaissance et la connaissance de ce sujet puisqu’il est producteur- organisateur du monde qu’il étudie et de mettre en œuvre une méthode de connaissance de la complexité faisant sienne les principes qui organisent le monde, objet et sujet de connaissance. Elle nécessite un « nouveau développement théorique et épistémologique » dans lequel « l’observateur s’observe lui-même observant les systèmes » et s’efforce « de connaître sa connaissance ». « Il s’agit de la recherche de l’articulation (…) entre l’organisation de la connaissance et la connaissance de l’organisation » (idem, 144). Elle doit intégrer le principe dialogique comme association complexe (complémentaire / concurrente/ antagoniste) d’instances nécessaires ensemble à l’existence, au fonctionnement et au développement de phénomènes, de systèmes organisés. Elle doit intégrer le principe récursif - ce « processus où les effets ou produits sont en même temps causateurs et producteurs dans le processus lui- même, et où les états finaux sont nécessaires à la génération des états initiaux »-, le principe holo, hologrammatique -le tout est inscrit/ engrammé dans la partie qui est inscrite dans le tout-, holonomique -le tout gouverne les parties qui le gouvernent-, holoscopique qui opère la représentation globale d’un phénomène ou d’une situation (E Morin, 1986, 100 - 107). Comme il y a correspondance et traduction possible entre le jeu physique : désordre/ interactions/ ordre/ organisation (physique) et le jeu psychique : bruit/ information/ redondance/ organisation (psychique) du coup le progrès de la connaissance est en même temps la découverte de ses limites, le progrès de la connaissance est en même temps le progrès de l’ignorance. (Idem, 354) De plus, la connaissance étant constructrice du monde phénoménologique et participante à l’évolution de l’univers, non seulement nous ne pouvons pas savoir quelle est la nature de la réalité perçue dont notre représentation offre une traduction (E Morin, 1977, 108) mais, plus on connaît et plus le monde change, plus on connaît et moins on connaît23. La connaissance est une quête sans fin et apparaît comme une approche spiralaire d’un creux qui se découvre toujours plus loin, plus profond. 23 Et on retrouve ici le principe de contradiction de Lupasco comme principe constructeur ! 143 4- Systèmes dynamiques et connaissance: équilibre, attracteurs et réorganisation. .24. Tous système phénoménal, et partant toute organisation, se caractérise par une part organisée, expression d’un ordre existant tant au plan structural que fonctionnel, et une part organisante, qui relève de la capacité du système à modifier l’ordre existant ou à engendrer et accroître l’état d’organisation du système (J Paillard, 1977). Cette double caractéristique, organisé- organisant renvoie au dialogue de l’ordre et du désordre, du déterminisme et du hasard. Tout système auto-organisant présente une partie organisée déterminée, mais il présente suffisamment les caractéristiques d’un système complexe pour pouvoir produire de l’ordre à partir des fluctuations aléatoires qui peuvent affecter les informations à l’intérieur des différents réseaux le constituant et les interactions entre ses différents éléments. Le dialogue de cette part organisée pouvant être désorganisée et de la part organisante pouvant produire de l’ordre est la condition de l’adaptation et des transformations et ceci qu’il s’agisse du contrôle de l’organisé par l’ordre produit à partir du désordre, qu’il s’agisse de déstructurer l’ordre pour aller vers le désordre ou de produire de l’organisation à partir du désordre. Si l’ordre est nécessaire, l’ordre seul conduit à la mort. À l’inverse le désordre sans organisation ne produit pas de vie. Entre le cristal totalement organisé et la fumée totalement désorganisée (Atlan, 1979) se situent les systèmes complexes, les possibilités de transformation et la vie. Entre d’un côté l’ordre et de l’autre l’aléatoire, sur le fil du rasoir, en équilibre instable 25« il se passe les choses les plus importantes de la vie, là où s’opèrent les transitions de phase qui changent la nature du réel, lorsque l’eau et le feu se rencontrent, lorsque les situations bifurquent » (G Clergue, 1998, 119). Entre les 2 se situent les théories du chaos qui étudient les évolutions de ces systèmes et les dialogues de l’ordre et du désordre et s’interrogent sur le rôle de certains événements aléatoires, sur le rôle de l’inattendu ou du hasard, sur le rôle du bruit dans les systèmes de transmission de l’information pour produire de l’organisation et faire bifurquer le système vers de nouveaux états stationnaires provisoires. Ces théories du chaos cherchent à modéliser ces possibilités de transformations, à construire des équations permettant d’en rendre compte, à produire des formes permettant de les signifier. 26 Ainsi tout système évolutif est un système dynamique chaotique, ni erratique comme la fumée présentant trop de degrés de liberté, ni convergent donc totalement prévisible, mais présentant un apparent désordre avec des régularités cachées qui correspondent à une forme d’organisation implicite. Il peut être étudié au niveau macroscopique en laissant de côté l’étude microscopique et sa logique causale déterministe, et en s’interrogeant sur le principe de construction d’ordre à partir des fluctuations (Prigogine I, Stengers I; 1979) et sur les attracteurs qui font bifurquer le système vers un nouvel état stable passager. Merci à D Delignières, professeur à Montpellier dont les écrits m’ont grandement aidé à comprendre. Un peu comme si la fonction d’équilibration était quelque chose de fondamental à la vie, mais une équilibration pouvant basculer à tout moment et passant par les phases de déséquilibre ou désordre pour revenir à des phases d’équilibre ou d’ordre passager. Ne retrouve –t-on pas d’ailleurs ici la notion d’équilibration proposée par Piaget, entre l’assimilation et l’accommodation ? 26 Et les géométries fractales avec les équations correspondantes sont une modélisation mathématique de ces théories du chaos. 24 25 144 L’approche dynamique qui étudie ces systèmes est ainsi résolument globale, tentant de résumer à un niveau macroscopique le comportement, et recherchant à déterminer les lois qui le gouvernent. Sans réfuter l'existence de processus plus microscopiques, sous-tendant le comportement global, cette approche suggère que ces niveaux inférieurs ne prennent de sens que coordonnés dans l'ensemble du système (D Delignières, 2002)27. Les systèmes dynamiques peuvent être caractérisé comme des systèmes oscillant entre différentes positions d’équilibre et présentant des caractéristiques d’organisation dans laquelle les éléments suivent des trajectoires particulières plus ou moins aléatoires. Ces éléments peuvent être attirés au cours de leur trajectoire par des points particuliers, ou attracteurs, qui vont faire bifurquer celles-ci et produire des transitions de phase, véritable changement qualitatif brusque du comportement du modèle, sous l'influence de l'évolution, au-delà d'une valeur critique, d'un de ses paramètres. Dans le cadre des structures dissipatives, l’ensemble des fluctuations de trajectoires pourrait être à même d’engendrer des stationnarités temporaires, des états de non-équilibre provisoirement maintenus qui seraient renforcés par l’accumulation et la répétition des mêmes états et conduire ainsi à une nouvelle organisation, à un nouvel ordre. Ces systèmes sont ainsi fortement non linéaires. Il n’y a pas de proportionnalité entre les causes et les conséquences28. Il y a d’autant moins de proportionnalité que le système est un système qui se boucle sur lui-même, l’auto- récursivité et le bouclage étant une des caractéristiques de ces systèmes. Telle une géométrie fractale à 4 dimensions au moins, le système se replie sur lui-même, sa trajectoire repassant par des mêmes points dans une logique d’expansion : un effet x à un temps t donnant un effet amplifié voire un autre effet à un temps t+1 qui lui-même donnera tel effet au temps t+n, un effet devenant la cause de l’effet suivant dans une boucle de récursivité continuelle. Ils ont un fonctionnement chaotique, les mêmes cause ne produisant pas systématiquement les mêmes effets. Le comportement du système est ainsi ni totalement aléatoire ni complètement déterminé. L’évolution d’un système résulte à la fois du hasard et de la nécessité : du hasard conçu comme des séries causales indépendantes non prévisibles et de la nécessité comme l’expression de la contrainte qui limite le nombre des états d’expression d’un système simultanément exprimables (Danchin, 1990). Le hasard, c’est ainsi ce qui va faire bifurquer le système dans une direction plutôt que dans une autre mais qui ne peut être expliqué qu’après coup, même si, à partir de la multiplication des exemples, il peut devenir possible de faire apparaître des régularités explicatives pouvant être prédictives dans certaines limites. Il va s’agir de chercher les régularités pour comprendre ces hasards. Dans une logique causale, nous serions conduit à considérer une multi causalité probabiliste, à chercher les séries indépendantes qui font apparaître un événement entraînant la bifurcation du système vers une autre trajectoire, vers une autre organisation ; à étudier quel est le système des contraintes pouvant être entendu comme les caractéristiques de la structure et les différents états possibles du système qui mettent en place les conditions pour que le système puisse bifurquer si Texte donné par D Delignières à l’auteur pour une production qui n’a pas (encore ?) abouti. Cette approche pourrait d’ailleurs très bien être un modèle paradigmatique pour étudier les situations motrices et comprendre l’émergence du comportement moteur. Nous y reviendrons dans la 3è partie. 28 Effet papillon de K Lorentz en météorologie : un battement d’ailes de papillon dans le golfe du Mexique pouvant donner une tornade au texas. 27 145 certains hasards se présentent. Quelles sont les variables produisant des effets entraînant des résultats, quels sont les hasards à prendre en considération. Il y a ainsi « le fortuit et le nécessaire qui se rencontrent côte à côte, et l’imprévisible qui voisine avec le prévisible » (D Ruelle, 1990, 161). Le système des causes ou plus exactement des effets produisant des variations ou des motifs est ainsi circulaire voire spiralaire pour reprendre une idée de Lemoigne (1991) à propos de la pensée systémique. Avec les théories dynamiques, la connaissance passe par une modélisation des systèmes, véritable mise en correspondance entre un réel phénoménologique et un univers mathématique construit par l’observateur, à même de simplifier le système et de pouvoir l’étudier pour chercher à comprendre son évolution. Cette modélisation devient hypothèse. L’univers apparaît comme résultant du hasard, le monde phénoménologique l’intégrant comme une modélisation du chercheur observateur. L’auto- organisation est une perpétuelle ré- organisation en équilibre entre 2 états, pouvant bifurquer à tout moment sous l’effet d’attracteurs, de bruits, le certain n’est jamais sûr et l’imprévu toujours possible. Notre monde aurait pu être autre et la vie demeure un équilibre, ou plutôt un processus continuel d’équilibration dont les termes ne nous sont pas connus, sont inconnaissables autrement qu’après coup. Il nous faut perdre l’espoir de tout cerner, de tout appréhender29, de tout comprendre donc de tout posséder. Nous nous trouvons devant une incertitude immense, celle de ne pas pouvoir prédire et de devoir nous contenter de possibles, de devoir accepter de ne pas comprendre et de n’être jamais sûr ni du résultat ni de ce qui a pu le permettre. Omniscience comme l’omnipotence ne sont plus possibles, la connaissance est sans fin. Elle est elle- même un système dynamique hypothétique pouvant être considéré comme faisant partie du système monde en tant que modèle dynamique. À ce titre, elle doit pouvoir être réintégrée comme variable dans la connaissance du monde et fait partie du monde phénoménologique. Elle ne peut plus être considérée comme extérieure même quand il s’agit de ne cerner qu’une infime partie du monde. 5- La totalité hologrammatique du monde, le monde comme une émergence et une boucle spiralaire. Ainsi notre monde est issu dans une boucle de récursivité d’une unité primordiale qui par auto-organisation et grâce à des principes dialogiques se complexifie en niveaux d’organisation qui eux-mêmes crée du nouveau, intègre et transforme les systèmes qui les constituent. Chaque système est ainsi organisé par le précédent et organisant de ceux qui le constituent et des suivants qui l’intègrent dans une boucle spiralaire continuelle, agissante, rétro- agissante et récursivement agissante sur le principe d’une transformation mutuelle continuelle. Il dépend du précédent, s’appuie sur lui : le nouveau ne peut s’inscrire que du déjà connu, du déjà organisé. 29Ètymologiquement appréhender c’est prendre par devers soi et comprendre c’est prendre avec. 146 De la matière « bouillonnante », à l’organisation cosmologique, aux plantes et à l’éco-système, des « machines » vivantes computationnelles, à l’homme cogitant, du cerveau à l’esprit, du biologique au sociétal et à la culture, de l’adaptation à la noospshère, il y a continuelle récursivité de l’un à l’autre et donc de l’un à l’ensemble. Il y a réorganisation dans une logique de dépendance de l’un par rapport à l’autre mais aussi d’autonomisation par rapport au système précédent, notamment pour les derniers niveaux d’organisation, au sein d’une organisation spiralaire à double hélice sur le modèle de l’ADN permettant codage et échange d’informations en tout point et à tout moment (cf les tomes de la méthode, E Morin.) Le monde est ainsi considéré comme une totalité hologrammatique, chaque partie est partie de l’image du tout et contient le tout comme le tout est aussi la partie, construite par organisation et grâce à des principes organisationnels dialogiques. De plus, comme l’environnement de chaque partie de l’univers, c’est une autre partie de l’univers, l’univers en totalité n’a pas d’environnement. L’univers ne peut se maintenir ou s’étendre que si on conçoit qu’il existe un apport intérieur auto-producteur d’un autre nature que la matière et qui pourrait être lié à la vie et à une énergie psychique partie prenante et qu’il existe ainsi 2 principes dialogiques auto- organisant, un principe matériel et un principe spirituel. Une autre solution serait de réussir à modéliser le monde comme un système dynamique d’espace de variables, dont l’observateur et sa connaissance du monde, en interactions chaotiques entraînant des trajectoires de ce monde. Une dernière solution non exclusive des précédentes serait de considérer qu’il se replie sur lui-même à l’infini tel un mille feuille30, tel un fractale à n dimensions, que l’univers se boucle sur l’infiniment petit comme l’infiniment petit sur l’infiniment grand, la particule étant le tout et le tout la particule. Chacun devient alors l’environnement de l’autre, chaque « partie » étant à tout moment en contact avec le tout et susceptible de créer du bruit et d’échanger de l’information31. « Comme tout système physique est un dasein, un être là, dépendant de son environnement et soumis au temps ».(Morin E, 1977, 136), comme l’organisation est productrice de formes phénoménales elles-mêmes organisatrices du monde, ce monde est issu de notre construction phénoménologique de la matière comme des différents niveaux d’organisation des formes phénoménales, dont l’esprit, et de principes de connaissance. La forme phénoménologique est auto-éco-ré-organisée et participe en rétroaction à l’auto-organisation de l’univers. Chaque partie et le tout sont un, sont le tout et le un d’un monde phénoménologique en construction à partir d’un déjà là de notre expérience comme de notre connaissance, le seul que nous puissions connaître, émergent de cette boucle spiralaire et intégrant, à la fois l’histoire des différents systèmes le constituant, dont l’espèce et chacun, à la fois un futur phénoménologique en construction grâce à un esprit s’autonomisant et autonomisant. 30 Image reprise de I Prigogine, I Stengers, 1979, 1986, pp334- 343. Un système est ainsi toujours englobé et englobant dans une circularité qui s’auto- nourrit et réintègre l’espace- temps d’un temps sans sens. Avec l’organisation en double hélice proposée par E Morin apparaît ainsi la possibilité d’une substance ou plus exactement d’une information qui réapparaît à des moments dépassant la mémoire humaine, comme par ex dans la synchronicité ou la réincarnation du dalaï Lama qui pourraient être considérés comme un système d’ informations qui se réorganise et fait mémoire pour certains. 31 147 Nous participons donc à la morphogenèse du monde, dont l’univers, monde phénoménologique dynamique synthèse organisationnelle de principes dialogiques, monde hologrammatique, récursif, spiralaire et émergent. Ainsi, ce que nous appelons « le réel ne se trouve pas seulement tapi dans les profondeurs de l’ « être » : il jaillit aussi à la surface de l’étant, dans la phénoménalité des émergences ».(E Morin,1977, 136) dont la connaissance fait partie. III- Sciences morphologiques : la forme comme l’essence du réel. 1- L’étude des formes et les conceptions de la notion de forme : entre physicalisme et spiritualisme. Les sciences morphologiques, en particulier en médecine, s’intéressent à la forme, à l’apparence, étudient la configuration et la structure externe d’un organe, plus largement d’un être vivant et cherchent à expliciter les relations entre forme et fonction. Elles s’élargissent à la morphogenèse c’est-à-dire à l’étude des lois qui déterminent la forme, la structure des tissus, des organes et organismes (G Robert T4, p 1655). Elles oscillent ainsi entre une forme considérée comme la projection d’une structure matérielle, une forme sous-tendue par une structure en tant qu’organisation (F Courrière, EU), ou une forme émergente de la dialectique structure fonction. Les sciences, physiques dans leur révolution morphologique, ont évolué d’une conception de la forme atomiste et matérialiste, résultante du jeu combiné des forces dans laquelle la forme n’a pas d’existence en elle-même à la conception de formes caractérisées par une autonomie essentielle et une intelligibilité spécifique. Les théories contemporaines de la morphogenèse s’interrogent sur l’émergence des formes, cherchent à élaborer des modèles scientifiques capables de rendre compte de l’apparition des structures, de leur transformation et de leur disparition, voire espèrent trouver des lois mathématiques permettant de rendre compte de la production des formes. Elles font provenir l’émergence des formes, non de l’intervention d’une multitude d’agents, mais de l’apparition dans un milieu d’une situation globale d’instabilité (MC Maurel, 2005), vont faire appel aux théories dynamiques pour comprendre les processus d’engendrement des formes, replacer la nature au centre des investigations et rendre un rôle central à l’explication géométrique et aux notions qualitatives au détriment des explications mécaniques et quantitatives (P Engel, 2005). Étudier la forme c’est aussi se poser la question de comment un objet de l’expérience est ce qu’il est pour nous, de comment sa forme se construit ou est construite, de ce qui le délimite et le sépare de l’environnement dans lequel il est immergé et des qualités de cet objet, mais aussi de comment il est devenu ou devient ce que j’en perçois. Est ce que c’est un donné, est ce que c’est un construit et existe-t-il des lois de perception et, ou de construction permettant d’expliquer la forme et les formes de l’environnement, y compris de notre corps, que nous considérons comme réelles dans notre vie de tous les jours ? Y a t- il autre chose derrière le visible qualitatif, y a t- il une objectivité physique et des principes organisateurs des formes? Les seules forces, les seuls champs (magnétiques 148 fort et faible, gravitationnels, électriques), permettent-ils d’expliquer les formes dans la nature ? Ce questionnement n’est pas nouveau et date de la distinction d’Aristote entre une ontologie qualitative et une objectivité physique et du rôle dévolu aux entéléchies dans l’organisation des formes. D’un point de vue phénoménologique « elles (les formes ndlr) constituent une interface entre le sujet percevant et le monde extérieur et la question de leur nature n’est pas encore posée » (J Petitot, 2003). Si on les pense « côté sujet », on cherchera à les théoriser comme des constructions psychologiques ». Le cognitivisme va étudier la forme à partir de la transduction d’informations physiques en informations électriques et la construction des représentations au sein du système nerveux central. La phénoménologie Husserlienne va, dans le même ordre d’idée, essayer de dépsychologiser l’apparaître et définir l’idée d’une structure abstraite (Le Noème) permettant à la conscience d’être intentionnelle et de faire correspondre à chaque acte de jugement, de prise de position du sujet32, son type d’objet (J Petitot, 2003). « Si on les pense « côté objet », on cherchera au contraire à les théoriser comme des structures qualitatives émergeant de l’intériorité substantielle de la matière » (idem). Dans ce dernier cas, Il faut des formes substantielles, qui, « au- delà du physique, sont des principes intelligibles d’individuation informant une matéria prima. Les formes ne sont pas que des apparences mais possèdent une réalité ontologique. « Elles régulent une intériorité substantielle extra spatio-temporelle » (idem). La question reste posée de comment la forme fait sens pour le sujet. - Soit la forme est un donné régi par des lois physiques. Mais si la nature (natura naturans) est productrice de formes, cette production n’est pas mécaniquement explicable, car « on ne voit pas comment la mécanique pourrait être à même de déboucher sur une géométrie morphologique ».L’organisation morphologique, la « finalité interne objective » (Kant cité par J Petitot, 2003) est non objectivable et la forme revient au sujet qui en fait une « finalité subjective formelle ». - Soit la forme provient de la façon dont le langage et la perception les découpent dans la réalité et n’est que subjective et relative. La matière des corps n’est que matière seconde spatiotemporelle, les seules substances sont des unités intelligibles (monade de Leibniz par ex-) et la substance n’est que sémantique. - Soit les formes sont plus que des phénomènes, plus que des représentations à objectiver en objets d’expérience et sont des présences traductibles en symboles. Il y aurait un fondement organisateur, un principe entéléchique sémiotique qui se donne à voir dans l’apparaître, en même temps que la forme elle-même. La monstration équivaut à une auto- interprétation (Goethe in J Petitot, 2003). « La visibilité de l’apparaître exprime le principe entéléchique interne de formation des formes ». Derrière cet apparaître existe une structure non matérielle mais gouvernée par des 32 Husserl distingue l'intentionnalité d'acte, qui est celle de nos jugements et de nos prises de position volontaires, la seule dont la Critique de la Raison Pure ait parlé, et l'intentionnalité opérante {fungierende Intentionalität), cellequi fait l'unité naturelle et antéprédicative du monde et de notre vie, qui paraît dans nos désirs, nos évaluations, notre paysage, plus clairement que dans la connaissance objective, et qui fournit le texte dont nos connaissances cherchent à être la traduction en langage exact. (In Merleau- Ponty, 1945). Nous verrons que pour nous, il n’y a pas lieu de distinguer intentionnalité d’acte et intentionnalité opérante car nos jugements et nos prises de position sont opérantes. 149 dynamismes que justement la modélisation de la structure permet de mettre à jour, qui conduit la transformation de la forme et l’explique. Il apparaît bien difficile de dépasser cette opposition entre la forme comme un apparaître dont la réalité est seconde ou la forme comme une réalité dont l’apparence n’est pas réelle, et la forme comme une manifestation d’une réalité à connaître pour comprendre les formes. D’un côté la forme est explicable physiquement et objectivement et pourtant elle présente une dynamique qui la dépasse et rend incertaine la forme finale elle-même. De l’autre la forme ne se manifeste que parce qu’il y a un sujet qui la perçoit et oriente son intention et son attention dessus et la conçoit à l’aide des systèmes sémiotiques dont il dispose ou parce qu’il existe un principe ontologique qui manifeste la forme à la conscience. La forme est étranglée entre l’alternative physicaliste objective évoluant vers un naturalisme voir un vitalisme théologique et l’alternative psychologisante évoluant vers une spiritualisation de la nature régie par des principes ontologiques. 2- Sciences morphodynamiques et fractales. a- La recherche de lois expliquant les formes. Les sciences morphologiques, avec la théorie des structures dissipatives d’I Prigogine et la théorie des catastrophes de R Thom, étudient comment apparaissent, se transforment et disparaissent des formes. Leurs conditions d’apparition sont mathématiquement déterminables pourvu qu’on utilise des outils mathématiques de la théorie des systèmes dynamiques. Le chercheur cherche à rendre compte du comportement du système, à un niveau macroscopique, par des variables collectives appelées encore paramètres d'ordre, « indépendamment du substrat ou du type de forces » (JM Cornu, 2005). Le paramètre d'ordre, construit par le chercheur, vise à "capturer", dans une mesure unique, le comportement, c'est-à-dire la coordination des différents éléments constitutifs du système.On considère alors que l'étude doit porter sur la dynamique (c'est-àdire l'évolution) du paramètre d'ordre, plutôt que sur les composantes du système (D Delignières, 2002, doc interne). Le paramètre d'ordre définit donc un niveau d'analyse, macroscopique, possédant sa propre pertinence et ses propres lois. Si le comportement manifesté dans une forme émerge d’une toile de fond chaotique en tant que constituant essentiel du fonctionnement du système, il est possible de l’étudier grâce à la définition de ce paramètre d’ordre et d’expliquer la production des formes manifestées à nous dans la nature. Il s’agit de déterminer les lois qui gouvernent la structure productrice de formes, de trouver des équations simples pour construire des formes complexes (J Gleick, 1989, 290) grâce à l’étude des attracteurs et de leurs bassins caractéristiques d’un état d’équilibre et de la frontière qui marque la bascule d’un bassin à un autre, d’une forme à une autre. Étudier la forme, c’est se poser la question du bassin attracteur et de sa frontière, c’est- à- dire d’une part des propriétés qualitatives du système comme en phénoménologie, d’autre part de ses limites d’espaces qui la définissent, la clôturent par rapport à son environnement33. 33 Définition des limites qui intègre nécessairement celles de l’observateur. 150 Dans le premier cas, avec la théorie des catastrophes, il s’agit de produire une structure géométrique qui permette de rendre compte des discontinuités du fonctionnement du système (JM Cornu, 2005). « La forme se trouve phénoménologiquement décrite comme un ensemble de discontinuités relatives sur un espace substrat » (J Petitot, 2003). L’apport spécifique de la théorie des catastrophes est de montrer que, dans certaines limites, toutes les formes sont engendrées par un petit nombre de types universels qui constituent une sorte d’alphabet morphogénétique. Ainsi, le résultat fondamental de R Thom, dans ce qu’on appelle la théorie restreinte, est, de montrer qu’il existe 7 catastrophes élémentaires possibles pour l’évolution d’un système soumis à 4 paramètres externes, quels que soient le nombre et la nature des variables internes au système, celles qui définissent son état en tant que système physique concret (cité par A Fagot- Largeault, in D Andler &co 2002, p 1123). Dans le deuxième cas, il s’agit de trouver comment il est possible de construire ces frontières, s’il existe des règles simples qui permettent de reconstituer ces frontières. Ces frontières, selon l’échelle considérée, n’apparaissent plus comme des limites précises, mais comme des fractales qu’il est possible de construire « par itération de systèmes de fonctions » (M Barnsley, cité par J Gleick, 1989, 296). La définition d’un ensemble de règles à itérer au hasard est ainsi l’expression d’une certaine information globale sur une forme, information que l’itération de ces règles restituerait indépendamment de l’échelle. Il y a juste un ensemble de règles simples qui, en quelque sorte, contiennent la forme finale. Ainsi la forme finale de l’objet ne dépend pas du hasard mais de ces règles simples et comme tout objet pour Mandelbrot, renferme un ordre fractal caché, il serait possible de connaître les règles géométriques qui président à la construction des formes dans la nature. L’ensemble de Mandelbrot, le plus fractal des fractals, peut-être étudié à partir d’itérations simples (J Gleick, 1989, 281). Il apparaît comme l’exemple paradigmatique de production de formes complexes, dans lequel plus on agrandit, plus chaque composant, tout en demeurant semblable au tout n’est jamais identique, se manifeste dans les formes de l’ensemble, laisse apparaître de nouvelles formes plus « petites » qui apparaissent inévitablement être un univers en soi différent et complet, chacune « s’acquittant d’un mandat aux clauses infinies » (idem 287). De là à penser que l’ensemble de Mandelbrot « exista dès que la nature commença à s’organiser à l’aide de simples lois physiques, répétées identiquement à elles-mêmes avec une patience infinie » (idem, 301), il n’y a qu’un pas que les sciences morphologiques cherchent à franchir pour déterminer ce qui gouverne les formes. Il y a recherche d’une universalité qui gouvernerait les formes de la nature. Elles rejoignent en cela, nous semble-t-il, les préoccupations sous-jacentes à la définition d’une divine proportion, à la découverte du nombre phi chez Léonard de Vinci, ou à la recherche de déterminations géométriques des formes chez D’Arcy Thompson (1994) par des contraintes spatiales et des jeux de forces physiques, préoccupations cherchant un sens sous l’apparent, un ordre constitutif de la nature, préoccupations qui en disent sans aucun doute autant sur la nature que sur l’homme. Elles demeurent sur le paradigme disjonctif de l’apparaître et de l’être, l’espace géométrique concret se situant, chez R Thom, du côté de l’apparaître et l’espace mathématique correspondant sur le pôle de l’être (A Boutot, 1993, 82). Elles permettent cependant d’envisager au 151 sein du monde objectif physique la possibilité de la phénoménalisation des formes et de dépasser l’approche purement physicaliste en redonnant à la nature une place dans cette production. L’universalité mathématique recherchée n’est pas loin de faire penser à un nouveau « mysticisme pythagoricien » d’un « ordre mathématique fondamental qui engendre d’une certaine manière tous les phénomènes empiriques » (R Sheldrake, 1985). Elle ne résout d’ailleurs en rien l’origine de cet ordre repoussant à plus tard ou à ailleurs la question d’un Dieu ou d’un vitalisme constructeur. Mais une fois encore, ce sont les outils que nous nous donnons qui permettent d’étudier la forme et c’est une modélisation de l’homme qui permet de trouver des règles comme c’est un sujet percevant qui perçoit les formes produites par les modélisations. La question du sens pour le sujet et de la construction de la forme par le sujet, la question de la perception est laissée dans l’ombre tout comme rien ne peut être dit sur ce qui est premier de la forme physique ou de celui qui l’actualise. Comme la photo actualise pour le sujet les points de l’appareil numérique, on peut penser que la forme actualise des points, des éléments grâce à des règles mais il faut aussi se poser la question de ce qui actualise la forme perçue dans le sujet et de ce qui fait que la forme est manifestée, (conçue ?) comme objet connu au sujet. Il faut se poser la question du sujet qui mathématise en tant qu’il est lui-même producteur de la forme et formé lui-même par sa perception de la forme ou par cette forme qui se donne à lui et par le sens qu’il donne à cette « formation »34 et à la forme. Il faut se poser la question de la phénoménalité, du fait que « les choses ont une apparence » (JM Roy et Al, 2002, 2) et de la perception et donc croiser ses apports avec une réflexion phénoménologique. Il reste non seulement « à rapprocher la physique du sens et le cognitivisme qui développent des théories parallèles pour les mêmes phénomènes », « à abolir la scission entre une physique de la matière et une sémantique de la forme »(J Petitot, 2003) mais aussi à intégrer la question de la totalité englobante dans laquelle la forme prend place. Il reste aussi à s’interroger sur les présupposés ontologiques des sciences dynamiques et morphogénétiques et à préciser les conceptions du monde qui transparaissent dans ces sciences de la complexité. b- Une phénophysique et la construction d’un nouveau niveau de réalité. La théorie des catastrophes peut très bien être transposée dans le domaine de la vie et être utilisée pour comprendre la morphogenèse. « Le problème de l’intégration des mécanismes locaux en une structure globale est le problème central de la biologie ; celui de la morphogenèse, à nos yeux, c’est l’objet même de la biologie théorique » (R Thom, 1972, &921, 154). Elle peut permettre, grâce à une approche globale, de comprendre la topologie, de donner une approche géométrique du champ morphogénétique des embryologistes. « René Thom a proposé, dès les années soixante-dix, le vaste programme de recherche d'une morphodynamique visant à comprendre physico- mathématiquement l'origine des formes naturelles et à refonder à partir de là l'ensemble des approches perceptives, 34 Formation au sens le plus pur comme ce qui forme, au sens de morphogénèse en lui. 152 cognitives, sémantiques, phénoménologiques, sémiolinguistiques du concept de forme » (J Petitot, EU, 2003). Il serait ainsi possible d’étudier de la même façon la vie et la matière, la morphogenèse des êtres vivants et celle des masses atmosphériques ou celle des courants, le fonctionnement du système nerveux et celui d’un écosystème. Mais il est nécessaire de croiser les méthodes correspondantes avec les descriptions phénoménologiques sur la façon dont les formes naturelles se manifestent et participent au monde externe tel qu’il nous apparaît. Il s’agit de penser le morphologique, du côté du sujet et aussi du côté du monde35 et de trouver l’interface constitutive de la forme, de penser physiquement la phénoménalisation de la matière comme un processus naturel, de penser « Le niveau de réalité « écologique », qualitatif, structural et dynamique qu’est le niveau morphologique (…) comme un niveau de réalité émergent (J Petitot, 2003). Cet auteur propose « le néologisme de « phénophysique » pour ce concept de niveau morphologique émergent du niveau physique. Un peu comme en biologie, le génotype s’exprime dans le phénotype, la physique au sens physicaliste peut être conçue comme une « génophysique » s’exprimant phénoménologiquement – se phénoménalisant – en une phénophysique » (idem, 2003). Ainsi avec Gibson (1966), il est possible de dire que les discontinuités constitutives de morphologies peuvent être véhiculées par la lumière et constituent une esquisse projetée sur la rétine à même d’être perçue en tant que tel par le sujet. Par exemple les caustiques36, bien que d’origine physique, sont de pures saillances perceptives et sont phénoménologiquement structurantes. Elles présentent un niveau de réalité, non réel mais aussi non totalement idéel qui permet de comprendre la construction des formes et qui peut être étudié mathématiquement en faisant appel à la théorie des catastrophes. « La géométrie des caustiques - le niveau phéno-physique - émerge de la physique (optique ondulatoire) sous-jacente : l'optique « catastrophiste » fournit un exemple fondateur d'optique « écologique » (J Petitot, 2003). L’idée directrice d’une phénophysique morphodynamique est que les morphologies « émergent de « l'intériorité » physique des substrats, et sont véhiculées comme information « écologique » par les médias lumineux, sonores, etc., et sont appréhendées par le système perceptif et cognitif ». « Les discontinuités qualitatives constituent, entre le physique et les représentations symboliques des sujets cognitifs, un intermédiaire formel intrinsèquement significatif. Elles sont perceptivement primitives ». (J Petitot, 2003, EU) La phénophysique laisse apparaître un espace, ou plus exactement un nouveau niveau de réalité étudié par une morphodynamique phéno physique située entre le monde matériel étudié par la physique et le monde de l’esprit étudié par les sciences cognitives. Son étude est possible à partir de la mathématisation, en termes de dynamique générale, du niveau morphologique conçu à la fois comme tiers terme et comme niveau autonome ». (J Petitot, 2003). Mais du monde phénoménologique, un monde de l’apparence ! caustique : lieu des intersections des rayons réfléchis (catacaustique) ou réfractés (diacaustique). La caustique est une surface tangente aux rayons d’un faisceau issu d’un même point source et ayant traversé (ou ayant été réfléchis par) un instrument d’optique (miroir, etc.) imparfait (Grd Robert, p 2013) 35 36 153 La morphologie fait le lien entre des processus micro abordée par la physique ou par la biologie notamment génétique et l’approche macro du modèle cybernétique, permet de dépasser « le conflit entre le physicalisme (primat de la physico-chimie des substrats) et le fonctionnalisme structural (primat des schèmes abstraits d’organisation). Ainsi « Ce n’est donc plus l’objectivité logique (symbolique- formelle) qui détient la clef de la structuration qualitative du monde (…), mais un naturalisme élargi de la physique à une morphodynamique générale ». Il s’agit de comprendre « une nature intelligente capable d’engendrer des formes et un devenir des formes » (J Petitot, 2003) grâce à ce nouveau niveau de réalité qu’étudie une analyse morphodynamique, phénophysique ou cognitive, entre matière et sens. 3- Une étude du monde en trois dimensions et une connaissance phénoménale. Derrière le monde en tant que forme, il y aurait 3 niveaux de réalité : celui de la matière étudié par la physique, celui de la représentation étudiée par les sciences cognitives et celui de la forme étudiable par les sciences morphodynamiques. La question est d’étudier comment des formes phénomènes, des structures morphologiques et qualitatives émergent, et comment, explicitées par des formes mentales elles-mêmes émergentes, elles permettent au sujet cognitif d’expérimenter le monde phénoménologique. On a donc Une science de la matière qui part du monde et d’un regard extérieur en le considérant comme un objet- Son modèle causal est celui de la recherche de la structure sous-jacente pour expliquer la fonction Une science sémantique qui part du sujet et essaye d’expliquer la production du monde phénoménal ; Une science morphodynamique qui travaille à comprendre l’émergence des formes matérielles à l’interface des 2 et cherche à mathématiser une structure dynamique objectivable porteuse de discontinuité et donc de sens pour le sujet37. Mais la forme se détache toujours d’un fond qui est lui-même une forme sur un autre fond et ceci à l’infini insaisissable sauf à imaginer de pouvoir le retourner vers l’intérieur. Donc ce fond est un monde que nous ne pourrons jamais englober totalement, il est lui aussi une forme, avec ses bords où les qualités changent, son espace intérieur défini par des qualités ou fonctions. Il est une forme soit construite par raisonnement comme tente de le faire la science et régi par des lois, par des fonctions qualitatives, soit confusément représenté par notre système cognitif, mais aussi senti, vécu, perçu confusément et intimement connu, mais aussi confusément et intimement inconnu. Il nous est 37 dans le domaine des pratiques sportives, comme la forme se confond avec le comportement moteur et se reconstruit à chaque fois , Une science en staps doit poser à la fois le problème des processus et de leur substrat matériel, celui du devenir c’est-à-dire de la transformation des formes et celui du sens pour le sujet. Elle ne peut pas faire l’économie des 3 approches : elle doit s’interroger sur les substrats matériels de la production des comportements, s’interroger du point de vue du sujet sur le sens qu’il donne à ces constructions et aux situations qui ne sont jamais que des formes du point de vue du sujet, formes intégrant le comportement, et interroger l’évolution des comportements en tant que formes dynamiques et interface entre le sous-jacent causal et le sémantique explicatif, mais aussi en tant que donation du phénoménal. 154 corporellement connu parce que, nous en sommes partie prenante, nous-mêmes forme dans ce monde, forme elle aussi construite par raisonnement, confusément représentée, mais aussi sentie, vécue, confusément et intimement perçue et connue mais dans le même temps inconnue. La question de l’unité du monde reste posée pour le sujet de ce monde sauf à considérer que seul le paraître est le réel ou que la manifestation est morphologie et sens à la fois. C’est donc la croyance en une objectivité de la pensée qui unifie le monde plutôt que le fait de le vivre (M Merleau Ponty, 1945, 388). Si les sciences morphodynamiques intègrent l’idée que les choses ont un sens en soi, « que le sens d’une chose s’incarne en lui avec évidence » (idem, 369), qu’elle est « un intérieur qui se révèle au dehors » grâce à un point de vue, elles ne peuvent intégrer que « la chose est le corrélatif de mon corps et plus généralement de mon existence dont mon corps n’est que la structure stabilisée » (Idem 369). Elles sont dans tous les cas un point de vue qui ne peut s’extraire du monde qu’elle habite et qui doit multiplier les points de vue pour mieux le connaître tout en se connaissant. Finalement la forme, et le monde en tant que forme englobante et «situante», tout comme le corps en tant que forme et que point de vue formateur de la forme ne sont-ils pas une émergence d’une circularité entre le niveau objectif matériel physique en tant qu’une forme d’objectivité, le niveau subjectif cognitif en tant que forme objectivante et le niveau morphologique phénoménologique en tant que forme perçue objectivée ? La forme, c’est aussi une limite perméable qui est à la fois définie, séparée, mais qui en même temps unit. C’est une limite, une frontière qui selon la distance et l’échelle devient un fractal infini permettant alors une « reliance », permettant d’intimement connaître la totalité. Ainsi la limite est perméable et construit une nouvelle connaissance de la forme38. Le nouveau niveau de réalité étudié et définit par les sciences morphologiques n’est-il pas alors celui de cette limite fractale aux contours variables telle une peau, l’ensemble de Mandelbrot n’est-il pas cette peau étendant ses variations à l’infini vers l’ineffable ? Et quelle est la limite de la peau?39 L’ensemble de Mandelbrot n’apparaît-il pas comme une cyclicité infinie, une image du vivant toujours recommencé contenant et contenu à la fois ? Ne voit-on pas ici réapparaître un nouveau mythe opposé au mythe diurne et verticalisant de la science, le mythe nocturne de la cyclicité, de la reproduction, de la féminité (G Durand, éd 1992)? La science réintègre ici une dimension imaginaire qu’elle avait voulu abandonner dans sa rationalité triomphante. Ainsi la science encore imprégnée du paradigme occidental voudrait que ce niveau de réalité soit connu par raisonnement, reconstruction ou par représentation, voudrait qu’il faille abandonner cette incarnation de la forme, cette immédiateté donnée, cette peau de profondeur s’extériorisant. Elle propose de mathématiser ce nouveau niveau de réalité, mais ne peut exister sans les 2 autres. Elle est Le peintre n’alterne-t-il pas des moments d’exclusion et de rapprochement pour saisir une forme pour ensuite la regarder de loin, les pointillistes n’avaient-ils pas déjà compris cette limite fractale ? 39 Ne faisons nous pas justement, dans l’amour, par la peau, l’expérience de la totalité et de l’accès au tout et au cosmos, de l’union à l’univers vivant et total, à la recherche de la divine féminité 39 comme l’affirme le prieuré de sion. 38 155 obligée de les reconnaître, de les assumer comme construction du monde mais aussi du niveau qu’elle étudie. Le niveau de réalité émergent ici et la peau fractale étudiée dépendent des autres formes du monde, monde matériel et monde représenté. Cette peau est interface, et l’intérieur et l’extérieur à la fois du monde qui l’englobe mais est aussi d’elle-même. La connaissance se replie ici sur elle-même tout en s’ouvrant sur l’extérieur. Elle est donc nous et le monde, séparation et unité, déjà le monde inenglobable et pas tout à fait lui, tout en étant lui, construisant ce désir inatteignable de connaissance qui est tension toujours renouvelée (R Barbaras, 1999, 134-155). Cette interface, cette morphodynamique interface, par la méthode adoptée,- mais aussi par la position prise où, dans ce cas, elle est un être au monde et du monde, une nouvelle phénoménologie-, est aussi et encore une reconstruction, une connaissance traduite en savoirs. Ces savoirs proposent une nouvelle image du monde sans pouvoir la clore ni le clore, nouvelle image qui confusément dépend de cette peau interface moi- monde. Elle propose un nouveau monde phénoménologique qui s’ajoute aux 2 autres sans que jamais il ne soit possible de savoir lequel est le vrai. Ces mondes présentent à leur tour des frontières infinies, unifiantes et séparantes, tels des mondes fractals constitutifs de notre monde40. Peut-être finalement du point de vue du monde phénoménologique, ce dernier ne peut atteindre que des « phéno », le phénotype pour l’homme en tant qu’organisme, la phénophysique pour le monde physique et une phénopsychique pour les formes de l’esprit, permettant d’étudier la noosphère. Peut-être devons-nous envisager le monde comme un fractal à au moins 3 dimensions correspondant à ces 3 niveaux intermédiaires de réalité se bouclant continuellement l’un sur l’autre, chacun comprenant l’autre, lui-même et le tout, à la fois le même et différent, peut-être ne pouvons-nous connaître que ce niveau de réalité comme celui dans lequel nous vivons, en prise directe. Du coup, la question du sens rencontre celle des sens, sensations, et finalement de l’absence d’essence. La forme n’est plus un surplus du sens ou de la matière, mais devient à la fois l’essence et l’être du réel de notre expérience au monde. « C’est la totalité de l’unité complexe organisée », et organisante d’un point de vue phénoménologique rajouterons-nous, « qui se manifeste phénoménalement en tant que tout dans l’espace et dans le temps » (E Morin, 1977, 123). La connaissance des formes devient intraduisible sauf à être transformée pour une lecture au niveau physique, soit pour une lecture au niveau mental, ce qui en même temps en fait une connaissance objective dé-phénoménalisée, en fait un savoir en tant que forme particulière de la connaissance phénoménale. Replacée au niveau du vécu et de l’expérience humaine de tous les jours dans le monde phénoménal, la forme manifestée de ce vécu, autrement dit le comportement devient, bien plus qu’un étant, une existence à part entière, l’être de soi. le skieur de vitesse, le grimpeur, le véliplanchiste ne vivent-ils pas tous ces mondes séparément et à la fois ? Dans l’action ne font-ils que se projeter ou étendent-ils la frontière pour être un avec le tout et agir dans l’instant ? 40 156 Avec les sciences morphologiques, la science franchit un nouveau pas vers un nouveau paradigme en réintégrant l’homme percevant et l’homme phénoménologique dans la connaissance : des dimensions, poétiques, imaginaires, non rationnelles, intuitives, analogiques, considérées au mieux comme négligeable, au pire comme inexistantes dans une logique rationnelle objective, réapparaissent et nourrissent les sciences de la complexité. Mais elle oublie l’homme qui franchit ce pas, elle oublie sa connaissance de lui- même, la connaissance de son mouvement vers la connaissance et l’intégration de ce comportement dans cette connaissance. En conclusion : 1- Une ouverture vers d’autres conceptions du monde. Dans la logique positiviste, le monde est posé comme entité et peut-être étudié en tant que tel, que ce monde soit le produit d’objets matériels ou d’objets idéaux, le résultat d’une matière, d’un esprit ou d’un Soi, qu’il soit constitué de particules ou d’ondes, manifestation d’une essence ou d’un absolu. Ainsi dans la thermodynamique, la mécanique statistique, la physique quantique, de causaliste, le déterminisme devient statistique, irréversible autant que réversible, global plutôt que local, voire incertain ou même « irrésolu » (K Popper in JL Le Moigne, 1999, 22) mais il ne perd rien de son caractère dogmatique ou métaphysique. Même le chaos devient déterministe (D Ruelle, 1991). Popper qui a tenté d’aller le plus loin finit par postuler une ouverture causale du monde 1 de la physique sur le monde 2 de la psychologie et sur le monde 3 de l’esprit humain et de ses productions (éthique, esthétique, société) et donc par postuler implicitement et au préalable la réalité (ontologique) de ces 3 mondes41. (JL Le Moigne, 1999, 22-23). « Le modélisateur sait qu’elle (la réalité) existe, il sait qu’il dispose de quelques méthodes lui permettant d’apprécier s’il se rapproche (vérificabilité) ou s’éloigne (falsifiabilité) de cette asymptote qu’il n’atteindra peut-être jamais ». Il y a bien un réel derrière l’apparence même lorsque ce réel est en construction, est transformé par l’homme, même quand l’homme par sa connaissance construit le monde, même lorsque ce réel est inatteignable parce que repoussé toujours plus loin par l’évolution de la connaissance qui transforme le monde (E Morin, 1986,1991). Ce réel est alors un perçu, un réel construit par le sujet, un réel dont il est impossible de savoir s’il est réel. « Nul ne pourra jamais s’assurer de l’éventuel ordre de la nature » (JL Le Moigne présentant une pensée du moyen âge, 1999). Ce réel est alors phénoménologique résultant « des données phénoménologiques comme contenus de la conscience et de l’expérience » (JM Roy, J Petitot, B Pachoud, F Varela, 2002, 9) qui participent à la construction de ce monde. Le monde phénoménologique est le seul qui soit connaissable, mais c’est aussi le seul sur lequel il soit possible d’agir. Même la réduction phénoménologique d’Husserl de retour au pur vécu, de retour à l’expérience consciente de notre création du monde, du sens que le monde a pour nous, et ne sont-ils pas tous ces mondes séparément et à la fois ? Dans l’action ne font-ils que se projeter ou étendent-ils la frontière pour être un avec le tout et agir dans l’instant ? 41 157 d’Eveil au monde grâce à une redécouverte du corps reste dans la logique d’un monde entité bien que cette entité soit celle de la conscience et justement parce que cette entité évolutive et inatteignable est celle de la conscience (R Barbaras, 1999) Le monde est alors continuellement en construction et est considéré comme un procès continuel qui procède justement des processus en jeu dans ce monde, monde non-clos dont le but n’est pas donné par avance dans lequel et auquel l’homme participe en tant que système autoorganisant. En tant que système auto-organisant, il participe au système plus vaste, qui l’inclut, du monde co-auto-éco-socio-ré-organisé dans une boucle de récursivité sans fin et dans une dialogique de l’organisé et de l’organisant, de l’entropie et de la néguentropie, à la fois et en même temps construit par et constructeur de ce monde. L’homme est constructeur de ce monde par la connaissance qu’il construit dans une démarche spiralaire incessante parce que nourrie d’elle-même et des transformations de connaissance et du monde qu’elle engendre à la fois directement grâce à la conscience développée mais aussi indirectement par la culture, la société, l’écosystème qu’elle transforme. Il est construit par ce monde puisque ce monde est un déjà là qui structure la connaissance mais aussi le vécu du sujet et son expérience. Pourtant en filigrane, dans les savoirs produits, dans les extrapolations de certains scientifiques, mais aussi dans les méthodes pour étudier le monde phénoménologique tel qu’il apparaît (cf. naturaliser la phénoménologie, 2002), notamment dans les théories dynamiques, émerge une nouvelle conception du monde. Dans cette dernière, qui fait suite à la mécanique quantique et à la relativité générale, le monde n’a pas de réalité en soi, ou si cette réalité existe, elle est duelle et toujours au-delà. L’univers est un système de relations d’un champ quantique pouvant donner naissance à une infinité de formes42 ; même la matière est processus. Le monde est un vide vibrant, potentiellement producteur de formes en tant que manifestation transitoire de ce vide fondamental. L’univers est mouvement, la réalité indépendante est mouvement régi par des principes contradictoires. 2- Une ouverture vers d’autres modes de connaissance. La démarche de connaissance est en extériorité, porte sur du déjà là qu’elle considère comme un objet dont la connaissance est à découvrir. La connaissance est étudiée en tant que telle comme ce qui construit le monde ou comme ce qui l’étudie mais aussi comme ce qui le transforme en le connaissant parce que productrice de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques, de nouvelles découvertes sur la connaissance donc sur le monde. L’homme devient responsable du monde comme de lui-même. Le but ultime est le développement de la connaissance qui devient capable de construire le monde à son profit, construction du monde qui ne peut conduire qu’à de nouvelles connaissances Le sous-titre en Français de l’univers irrésolu est plaidoyer pour l’indéterminisme ; (JL Le Moigne, 1999) Le champ quantique est une entité physique fondamentale, un milieu continu, présent partout dans lequel les 2 aspects du réel phénoménologique, onde et particule se transforment eux- mêmes l’un l’autre indéfiniment, dans lequel les particules sont simplement des condensations locales de ce champ, des concentrations d’énergie (F Capra, 1985). Les particules ne sont pas ici considérées comme des objets indestructibles 42 42 158 donc à un autre monde. Ainsi la connaissance porte un regard en extériorité, elle est constructrice du monde comme d’elle-même dans une linéarité qui va de l’ignorance à la connaissance, de la nature à la culture. Cette connaissance suppose d’éliminer la subjectivité, subjectivité au sens psychologique comme une objectivité affectée, de construire une objectivité exo-référente dans la confrontation aux autres et aux faits objectivés. Elle suppose de prendre en compte le rôle de l’observateur à la fois dans la définition de l’objet mais aussi dans la modification de celui-ci et de réintégrer la position de l’observateur ainsi que sa subjectivité comme limitation de la connaissance. Bien plus, comme l’homme est intégré dans ce monde, non seulement il pense à partir de ce monde, mais au moyen de ce que propose ce monde, notamment à l’aide du langage, dans un espace préconstitué, il le fait à partir son vécu, de son expérience du monde, de son être dans le monde. Tout se passe comme si la connaissance en l’homme reposait sur une pré- connaissance à la fois de la nature, en tant qu’organisation déjà là qu’il reste à découvrir, et de la culture, en tant que moyens pour mais aussi transformation du monde et de l’expérience, en tant que vécu porteur de pré- jugés, (GL Gadamer, 1999). Cette connaissance en extériorité s’élargit à l’intériorité de l’homme, à sa subjectivité et peut envisager de réintégrer celle-ci et ses manifestations comme des objets constructeurs du monde et participant à la connaissance. Elle s’élargit à la subjectivité vécue de la connaissance avec Husserl et les phénoménologues. La méthode de réduction proposée par ce dernier complète ainsi le travail d’objectivation de la science et participe par la recherche de la « compréhension » de l’expérience vécue dans la connaissance à la construction du monde, connaissance qui ne peut que rester en extériorité puisqu’elle est celle d’un sujet qui fait un effort de conscientisation de ce qu’il pense et vit tout en restant assis, « dans un rapport à soi conscient et soutenu » (JF Billeter, 2006, 42) De même elle s’élargit à l’intériorité de la société, aux productions sociales de l’homme, en tant que dimension sociale subjective, et peut envisager à terme avec les modélisations dynamiques de réintégrer ces objets dans une démarche scientifique « objectivante ». Elle peut envisager de transformer la connaissance grâce à une méthodologie de la complexité réintégrant dans la boucle circulaire, récursive et dialogique de la réflexion la dimension de connaissance de soi, et de la culture, de leurs subjectivités et modes de connaissance. Ainsi, à partir d’une connaissance en extériorité qui clôt le système à étudier, l’observe comme un objet, le découpe et le modélise, transparaît un nouveau mode de connaissance qui tente de l’extérieur de réintégrer l’intériorité sociale et personnelle, de réintégrer la phénoménalité du monde et la manière de connaître de l’homme. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit toujours d’étudier un monde à partir d’une conscience posée comme telle, en extériorité, monde dont le sujet est partie prenante et dont il est, par ce fait et par sa conscience, constructeur. Il s’agit par exemple avec la phénoménologie, d’étudier un monde en suspendant la réflexion pour faire apparaître les distorsions d’une subjectivité épistémologique tordant 159 et le monde et la connaissance afin d’atteindre une connaissance pure. Malgré tout, le monde dépend d’une conscience déjà là qui lui donne sens. Il est posé en objet même si cet objet est englobant et englobé, constructeur de la conscience et construit par elle, sujet de la connaissance et objet de celle-ci. Bien qu’il soit une forme, un senti, une perception et un vécu et en cela même l’horizon de la conscience, tout en étant construit par elle, il s’agit toujours d’en chercher l’essence d’un point de vue théorique, extérieur, en venant toujours après les faits (Merleau Ponty, 1945). Même la phénoménologie d’Husserl dont l’objet est de construire une connaissance à l’aide des différentes réductions pour retrouver les différentes intuitions, se place en intériorité par rapport à la conscience qui apparaît ici comme connaissance, mais aussi par là même en intériorité par rapport au monde phénoménologique mais toujours du point de vue d’une conscience qui serait capable d’atteindre la pureté dont elle participe. Il s’agit finalement d’un nouvel idéalisme dans lequel le mode de connaissance demeure en extériorité, la connaissance est la conscience dépouillée de ses oripeaux épistémologiques subjectifs. Ainsi, « les phénoménologues en soulignant « le contexte pragmatique, corporel, «et situé» (rajouté par nous) de l’expérience humaine de manière purement théorique » (F Varela, E Thompson, E Rosch, 1993) s’intègrent finalement dans le paradigme maître d’occident formulé par Descartes et décrit par E Morin (1991). La connaissance manifestée au monde apparaît ici aussi comme subsumée d’un arrière-fond en construction et dont elle participe. La connaissance apparaît encore comme une pré-connaissance de laquelle émerge au monde, des savoirs. Même la construction d’une nouvelle conscience appelée de tous ses vœux par E Morin reste une conscience sur, sauf si elle aboutit comme il l’espère à une nouvelle forme de conscience et donc à une nouvelle connaissance et à un nouveau monde. La question en suspens, même dans la connaissance en complexité développée par E Morin qui demeure sur la logique de la conscience et du cogito, bien que dépendant du computo, c’est encore celle de l’intégration de l’expérience humaine dans ses aspects vécus et réflexifs au sein de la logique du monde, dans ce monde englobé- englobant, senti, perçu comme en intérieur et conçu comme en extériorité. Cet auteur demeure malgré tout sur une démarche théorique sans intégrer la praxis motrice dans la connaissance et ne réintègre que l’expérience phénoménologique du point de vue d’une conscience dans la construction du monde en appelant au développement d’une supra- conscience, sauf à redéfinir la conscience et à ré-envisager la praxis pour la faire émerger. Il demeure sur une réflexion partielle parce que théorique, parce que partant de la conscience, désincarnée parce que non impliquée, décorporéisée parce que non active. La notion de méta praxis, (E Morin, 1977, 386) « ouvre cependant une brèche vers une connaissance en intériorité permettant l’avènement d’une nouvelle conscience, d’une connaissance par corps, « du ciel » en nous. Cet auteur ne réussit pas totalement à sortir du paradigme de Descartes même s’il réintroduit une connaissance liée au computo et à la subjectivité de celui-ci. La brèche supposerait de considérer que cette subjectivité est première, fondamentale et que la connaissance suppose de la libérer, de la laisser agir dans toute sa plénitude, tout en permettant à la conscience de s’intégrer dans cette libération en relâchant toute intention, juste en participante comme témoin 160 nourricier. La recherche d’une connaissance en extériorité de l’intérieur, impossible parce que reposant sur le présupposé de la conscience et s’appuyant sur une théorisation, ouvre de nouvelles perspectives dans la connaissance de la connaissance. Elle ne sort que difficilement du modèle cartésien, même si elle l’élargit. Ce mode de connaissance ne peut être sans doute interrogé, transformé, qu’en posant la question de l’espace de la conscience et de la matérialité de la connaissance, ce que fait pour une part E Morin. Il ne peut l’être qu’en partant d’ailleurs, en renversant la primauté de la conscience et de la pensée assise, en posant la question d’une connaissance intérieure, par corps. 3- Une épistémologie constructiviste faible et une épistémologie constructiviste forte. Avec l’Epistémologie positiviste remise en question par le positivisme logique carnapien (witgenstein), puis par Popper, par le réalisme, et le naturalisme (JL Lemoigne, 1999), la connaissance transforme le monde et aide à le connaître, produit des outils de connaissance et des connaissances qui changent le regard. L’épistémologie est malgré tout constructiviste au sens faible : les transformations de l’homme et ses outils construisent le monde, changent la nature donc ce qu’il y a à connaître. Avec les modèles cybernétiques, les phénoménologues et E Morin, l’homme, la société et la connaissance sont parties constituantes du monde phénoménologique et donc le construisent en se construisant. La connaissance est à la fois scientifique et philosophique et il n’y a plus de clivage net entre connaissances dites objectives et dites subjectives (JL Lemoigne, 1999). Elle est produite par le monde et productrice de ce monde dans une boucle spiralaire sans fin. L’épistémologie devient constructiviste au sens fort grâce à l’évolution de la conscience en parallèle avec la connaissance et grâce à la possible réintégration dans la modélisation de la connaissance des dimensions subjectives et phénoménologiques du monde comme de l’homme. Elle ne prend pourtant pas en considération la connaissance en action et par l’action, ni une connaissance qui partirait du corps ou du mouvement lui-même, ni une connaissance qui serait mouvement sans point fixe. Se pose maintenant à la fois la question d’une épistémologie praxique du corps en tant qu’étude d’une connaissance par corps et d’une épistémologie totale, écologique en tant qu’étude d’une connaissance de l’espace/temps productrice du monde. 4- Une logique commune et des questions en suspens. Il apparaît ainsi que la science, même dans ses développements les plus récents reste sur le même modèle de connaissance alors que la philosophie avec la phénoménologie et qu’E Morin ouvrent une perspective vers un nouveau mode de connaissance en « extériorité intérieure ». C’est toujours bien la recherche d’objectivité qui prime, même si cette objectivité réintègre les subjectivités affectives et épistémologiques comme variable, même si cette connaissance objective apparaît comme inatteignable et toujours en construction, même si elle est partiellement remise en question. C’est toujours un raisonnement analytique qu’il s’agit de mettre en œuvre, même si ce 161 raisonnement est récursif, hologrammatique et dialogique, même si ces différents éléments sont remis ensemble pour construire un nouveau niveau de réalité et si celui-ci est résumé en une modélisation mathématique interface devant permettre de saisir la logique évolutive d’un tout qui ne peut réintégrer le sujet modélisateur. C’est toujours d’une connaissance en extériorité dont il s’agit, même si elle de divise en deux : une connaissance qui étudie un système d’un point de vue totalement extérieur et une qui l’étudie d’un point de vue extérieur intérieur dynamique grâce à des modélisations correspondantes ou à une pensée complexe. Même quand le sujet connaissant est réintégré dans le système grâce à une méthode, il reste dehors en tant qu’objet de connaissance et ne peut être considéré en tant que sujet vivant la connaissance puisque le temps du sujet ne peut-être celui du sujet se regardant objet. C’est toujours la conscience soit qui est la condition de la connaissance, soit qui est unificatrice, soit qui est l’espace de cohérence et de construction et du monde et de la connaissance, de cette entité évolutive et inatteignable qu’est le monde. C’est d’ailleurs peut-être le problème de la conscience comme point de départ qu’il faut poser (cf. Barbaras, 1999) si l’on veut pouvoir connaître et le monde et la connaissance autrement. Cependant il apparaît non seulement une nouvelle conception de la connaissance comme participant à la construction du monde, une nouvelle épistémologie constructiviste faible ou forte, mais aussi une nouvelle conception du monde comme monde constructeur et construit, comme monde phénoménologique en évolution. Dans la droite ligne de G Bachelard (1993) pour qui« la méditation de l’objet par le sujet prend toujours la forme du projet », entre l’objectivité présumée du réalisme ou du positivisme et la subjectivité attribuée à l’idéalisme ou au conventionnalisme, dans la logique des pragmatiques Nord Américains (Dewey, Mead), avec L’hypothèse phénoménologique qui oblige à prendre en compte l’intentionnalité ou la finalité du sujet connaissant- finalité auto- produite par le sujet lui-même-, l’épistémologie constructiviste conduit à repenser la connaissance et les sciences au regard de leurs objectifs, de leurs projets, de leurs rôles, et finalement de leurs fonctions dans le monde et dans la connaissance du monde. Elle invite à repenser la complémentarité des sciences et des différents modes de connaissance et sans doute à envisager de nouvelles classifications scientifiques mais aussi à repenser la complémentarité entre la connaissance commune et la connaissance scientifique, entre empirie et épistémè, entre action et réflexion, ainsi qu’à prendre en considération des métas disciplines permettant la connaissance de la connaissance. Une science ne peut plus se définir par son objet, par ses méthodes, mais doit l’être par son projet et donc, grâce à une réflexion éthique passant par une analyse de ses objectifs et de son rôle au regard de choix pour l’humanité et pour le monde. Non seulement les sciences doivent être pensées en fonction non du parce que, mais du pourquoi, du "à fin de", mais elles doivent même être des outils pour ce « pour quoi ». Leurs sens changent en fonction de ce « pourquoi » et de ce « pour quoi » et les savoirs produits ne deviennent pertinents qu’en fonction de ce sens. 162 Non seulement toute activité humaine peut donner lieu à une approche scientifique et cette approche ne peut être séparée d’une réflexion philosophique, mais encore elle ne peut plus être monodisciplinaire. Toute action de connaissance, doit ainsi faire appel aux différentes sciences et aux savoirs produits par elles au regard de ses objectifs et mettre en œuvre la démarche auto- hétérodidacte préconisée par E Morin (1983). D’ailleurs, au vu de l’objectif dominant des sciences de la matière, de la vie, mais aussi des sciences humaines et sociales ou des sciences de l’ingénierie, objectif de domination de la nature par l’homme dans une optique de progrès quantitatif, il y a lieu de se demander s’il n’y a pas à inventer d’autres modes de connaissance et si ce n’est pas le mode de connaissance en extériorité qui pose problème. Le fonctionnement de la connaissance scientifique devient un modèle systémique spiralé qui est représenté par JL Le Moigne (1999, 99 à 103) par la métaphore du volcan situé au milieu de la mer de l’empirie : Sur les plages du volcan, au nord, les sciences de la matière (chimie, physique, biochimie etc.) nourrissent les sciences de la vie non sans en avoir sécrété au passage les sciences du mouvement (énergétique, physio, mécanique etc.) qui d’ailleurs enrichissent les sciences de la vie (neurologie, biochimie etc.). Les sciences de la vie dans leurs relations aux sciences de la matière nourrissent les sciences de l’ingénierie (noologie, technologie, sciences de l’éducation, sciences de la société). Ces sciences s’enrichissent mutuellement de manière spiralaire. Mais de plus, des mouvements de fond vers le centre du volcan font ressurgir par le cratère une lave « connaissance de la connaissance » nourrie de plus des savoirs qui ont formé les flans du volcan par interaction spiralaire entre les différentes disciplines. Cette connaissance de la connaissance s’apparente à des connaissances spéculatives qui proviennent de l’épistémologie au sens large associant métaphysique et herméneutique, dialectique et logique, topiques et rhétoriques, mathématiques et sciences de la conception. Les composants de la lave épistémologique se transforment ainsi irrésistiblement au fil du développement de la cognition, affectant en retour les disciplines au contact de la mer d’empirie. Mais, ce volcan présente toujours une partie émergée connaissable, presque consciente pourrait-on dire, et une partie inaccessible, inconnaissable, celle qui provient des profondeurs et produit l’éruption mais aussi celle des tourbillons produits par les connaissances. Il est baigné par la mer de l’empirie qui la nourrit sans que soit considérée cette connaissance. C’est encore la surface et l’altitude qui sont connaissance et qui en retour nourrissent la mer d’épistémè !. Les flans du volcan, les plages, le cratère et le tourbillon de lave sont nourris par eux, mais la profondeur et l’action ne sont pas connaissance connaissable. Ici encore se pose la question d’un autre mode de connaissance inaccessible ni par les sciences humaines et sociales, ni par les sciences herméneutiques, qui restent malgré tout sur une connaissance en extériorité impliquée, ni par une épistémologie constructiviste (ou par les sciences morphologiques) qui reste sur une connaissance en extériorité intérieure. 163