gradation des peines par le temps d`emprisonnement.

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Le temps pénal de la prison, selon Michel Foucault, Surveiller et punir, pp. 234-235
Cette « évidence » de la prison dont nous nous détachons si mal se fonde d'abord sur la forme simple
de la « privation de liberté ». Comment la prison ne serait-elle pas la peine par excellence dans une
société où la liberté est un bien qui appartient à tous de la même façon et auquel chacun est attaché par
un sentiment « universel et constant "? Sa perte a donc le même prix pour tous; mieux que l'amende
elle est le châtiment « égalitaire ». Clarté en quelque sorte juridique de la prison. De plus elle permet
de quantifier exactement la peine selon la variable du temps. Il y a une forme-salaire de la prison qui
constitue, dans les sociétés industrielles, son « évidence » économique. Et lui permet d'apparaître
comme une réparation. En prélevant le temps du condamné, la prison semble traduire concrètement
l'idée que l'infraction a lésé, au-delà de la victime, la société tout entière. Évidence économico-morale
d'une pénalité qui monnaie les châtiments en jours, en mois, en années et qui établit des équivalences
quantitatives délits-durée. De là l'expression si fréquente, si conforme au fonctionnement des punitions,
bien que contraire à la théorie stricte du droit pénal, qu'on est en prison pour « payer sa dette ». La
prison est « naturelle » comme est « naturel » dans notre société l'usage du temps pour mesurer les
échanges.
(…)
3. Mais la prison excède la simple privation de liberté d'une manière plus importante. Elle tend à
devenir un instrument de modulation de la peine : un appareil qui, à travers l'exécution de la sentence
dont il est chargé, serait en droit d'en reprendre, au moins en partie, le principe. Bien sûr, ce « droit »,
l'institution carcérale ne l'a pas reçu au XIXe siècle ni même encore au XXe, sauf sous une forme
fragmentaire (par le biais des libérations conditionnelles, des semi-libertés, de l'organisation des
centrales de réforme). Mais il faut noter qu'il a été réclamé très tôt par les responsables de
l'administration pénitentiaire, comme la condition même d'un bon fonctionnement de la prison, et de
son efficacité dans cette tâche d'amendement que la justice elle-même lui confie. Ainsi pour la durée
du châtiment : elle permet de quantifier exactement les peines, de les graduer selon les circonstances,
et de donner au châtiment légal la forme plus ou moins explicite d'un salaire; mais elle risque d'être
sans valeur corrective, si elle est fixée une fois pour toutes, au niveau du jugement. La longueur de la
peine ne doit pas mesurer la « valeur d'échange » de l'infraction; elle doit s'ajuster à la transformation
« utile » du détenu au cours de sa condamnation. Non pas un temps-mesure, mais un temps finalisé.
Plutôt que la forme du salaire, la forme de l'opération. « De même que le médecin prudent cesse sa
médication ou la continue selon que le malade est ou n'est pas arrivé hypothèses, l'expiation devraitelle cesser en présence de l'amendement complet du condamné; car dans ce cas, toute détention est
devenue inutile, et partant aussi inhumaine envers l'amendé que vainement onéreuse pour l'État. » La
juste durée de la peine doit donc varier non pas seulement avec l'acte et ses circonstances, mais avec la
peine elle-même telle qu'elle se déroule concrètement.
Texte donné à titre de comparaison avec le système pénal de la Chine impériale, où
- la forme « simple » de punition n’est pas la privation de liberté, mais l’éloignement du lieu de
vie
- la quantification des peines se fait non par la durée d’emprisonnement, mais par la mesure de
la distance, et par la nature du lieu d’exil ; la peine se « monnaie » en nombre de li, et en
éloignement de la civilisation
- la modulation de la peine concrète, dans un souci de proportionnalité avec le crime, tire parti
de la nature des lieux : zones marécageuses et malariennes, régions frontières, peuplées de
soldats Tatars, etc.
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