I. Importance du polymorphisme

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Le polymorphisme génétique et son maintien
Introduction :
La diversité phénotypique est une des propriétés générales des populations naturelles.
Dans celles-ci, les individus présentent pour la plupart des caractères très différents. Une part
de cette variabilité résulte de différences entre génotypes, d’où une diversité génétique sousjacente.
Or, elle est, à l’heure actuelle, source de préoccupation car on constate un phénomène
d’érosion de la biodiversité suite à l’activité humaine. Dans les populations naturelles, cette
variabilité génétique se manifeste par le polymorphisme génétique, c’est à dire le nombre de
loci polymorphes (loci présentant de multiples allèles différents).
On peut alors se demander pourquoi le polymorphisme, et donc cette diversité, revêt une
telle importance.
Pour répondre à ce problème, on va donc essayer, dans un premier temps, d’expliquer
l’importance évolutive du polymorphisme, puis d’étudier comment il peut être maintenu.
I. Importance du polymorphisme
1. Mesure du polymorphisme
Pour mesurer le polymorphisme, on peut utiliser deux méthodes : celles employant les
allozymes et celles utilisant les fragments de restriction.
 Le polymorphisme des allozymes
Ces enzymes se différencient par leur mobilité électrophorètique et elles correspondent à
des allèles différents à un même locus. La variabilité des allozymes dans une population est
donc un indicateur de la variabilité génétique. On a trouvé une importante diversité parmi les
allozymes dans presque toutes les populations naturelles.
Le polymorphisme des allozymes est largement répandu chez les organismes supérieurs.
Mais bien que le polymorphisme génétique soit largement répandu, il n’est pas universel.
Par exemple, deux sous-espèces de guépard (Acinomynx jubatus) sont pratiquement
monomorphes.
Apparemment, la population de guépard, dont l’aire de répartition était mondiale à une
certaine époque, a subi au moins deux diminutions importantes du nombre des individus ce
qui a provoqué la perte d’une grande part de leur variabilité génétique (O’Brien et al. 1987).
Document 9: Exemple de gel montrant un polymorphisme d’alllozymes
Le polymorphisme des fragments de restriction de l’ADN
La source fondamentale de la variabilité génétique se situe au niveau des séquences d’ADN.
On peut révéler les polymorphismes des séquences d’ADN à des sites précis de la séquence
de nucléotides (sites de restrictions).
Les polymorphismes qu’entraînent la présence ou l’absence d’un site de restriction, sont
reconnaissables parce que la longueur des fragments de restriction est modifiée. Ces
polymorphismes des fragments de restrictions sont en fait, des polymorphismes de la
longueur des fragments de restrictions (RFLP). Ces RFLP sont répartis à travers le génome
et sont répandus chez presque tous les organismes. Les RFLP ont une grande importance en
génétique humaine comme marqueurs génétiques pour cartographier le génome et comme
marqueurs génétiques de maladie. On peut donc estimer le degré de polymorphisme au niveau
nucléotidiques à partir de données sur les sites de restrictions.

Utilisation du logiciel ANAGENE pour montrer le polymorphisme des fragments de
restriction
De même, pour comparer des gènes différents et des populations différentes, il est
nécessaire d’avoir une mesure quantitative et pratique de la variabilité génétique. On peut
quantifier la variabilité génétique en utilisant le concept de fréquence allélique.
Dans un groupe d’individu, la fréquence allélique d’un allèle donné est simplement la
proportion au locus considéré de tous les allèles de ce type. Pour un gène considéré
comprenant 2 allèles A et a, cette fréquence dans un échantillon est donc égale :
Chaque homozygote
porte 2 copies de cet allèle
chacun porte
deux allèles à ce locus
f(A) = [ 2*n(AA) + n(Aa)] / 2*N = [n(AA) + 0.5 n(Aa)] / N
chaque hétérozygote
porte une copie
D’où f(A)= f(AA) + 0.5 f(Aa)
où n (AA) = nombre de génotypes homozygotes pour cet allèle,
n (Aa) = le nombre de génotypes hétérozygotes comportant ces allèles
N = nombre d’individus totaux
f (AA) = fréquence du génotype AA
Cette estimation de la fréquence allélique est proche de la vraie valeur de la fréquence dans
la population si l’échantillon est suffisamment grand.
Le concept de fréquence allélique sous-tend l’idée de polymorphisme.
Maintenant, que nous avons vu comment on peut estimer le polymorphisme dans les
populations, nous allons essayer de comprendre quel avantage il peut y avoir à être
polymorphes ?
2. Rôle du polymorphisme dans un environnement changeant
L’environnement, dans lequel vivent les populations naturelles, n’est pas stable au cours du
temps (notion de stochasticité environnementale). De nombreux facteurs fluctuent comme la
température, la luminosité, les ressources alimentaires ou encore les relations interspécifiques.
Certaines de ces modifications sont périodiques donc les êtres vivants y sont généralement
habitués. Il existe cependant des facteurs apériodiques qui sont aléatoires à l’échelle de la
micro-évolution ; c’est le cas notamment de bon nombre de changements dus à l’homme.
Pour que les organismes puissent y faire face, ils doivent s’adapter. Or, si dans une
population donnée, tous les individus présentent le même génotype et que le milieu change
soudainement, la population est vouée à l’extinction. Par contre, si certains individus ont des
allèles autres qui présentent un avantage dans certaines conditions environnementales, ils
seront sélectionnés (survie meilleure, taux de reproduction plus importante) et la population
pourra ainsi se maintenir.
Illustrons ceci par un exemple célèbre : celui du mélanisme industriel chez la Phalène du
bouleau (Biston betularia).
Document 6: Camouflage des deux morphes de la Phalène du bouleau (Biston betularia)
sur un tronc couvert de lichens
En Europe du nord, cette espèce de papillon présente une coloration crème clair, mouchetée
de marron. Lorsque pendant la journée, ce papillon de nuit se pose sur une branche, sa couleur
le camoufle à la vue de certains prédateurs (= cryptisme). Ceci est vrai, si cette branche est de
couleur claire, ce qui est généralement dû à sa couverture de lichens.
Au cours de la révolution industrielle, en Grande Bretagne, la pollution par la fumée a
localement tué les lichens, ce qui a noirci les troncs sur lesquels se posaient les phalènes. On a
constaté après coup que dans les collections datant de cette époque (vers 1830) une forme
mélanique de ce papillon, bien camouflée dans les branches sombres, est devenue de plus en
plus abondante. Au cours du 19ème siècle, l’importance de la forme mélanique a augmenté
dans les régions industrielles, au point que cette forme est devenue la plus fréquente.
Cet accroissement de fréquence a été presque certainement dû à la sélection naturelle. En
effet, les observations de Kettlewell, au 20ème siècle, ont montré que les oiseaux mangent les
papillons mal camouflés. D’ailleurs, si on relâche dans une région industrielle un mélange de
2 formes de papillons, ce sont les individus mélaniques qu’on a le plus de chances de
recapturer, vivants, plus tard. Au contraire, si c’est dans une région non industrielle qu’on
effectue la même expérience, la plupart des papillons recapturés sont clairs.
A noter ici que dans la plupart des cas de mélanisme industriel, le motif de coloration noire
est déterminé par un seul allèle dominant.
Comme le montre cet exemple, la sélection naturelle va faire fluctuer les fréquences
alléliques en fonction des avantages que procurent tels ou tels allèles. Le polymorphisme
génétique est donc très important dans un environnement changeant.
De même, il existe une relation positive entre le polymorphisme génétique et le degré
d’hétérozygotie. En effet, plus la proportion de gènes polymorphes est élevée dans une
population, plus nombreux sont les gènes que l’on peut retrouver sous la forme hétérozygote
chez un individu quelconque. Or, l’hétérozygotie revêt une grande importance pour les
populations naturelles car elle est souvent associée à la vigueur hybride appelée aussi
l’hétérosis.
3. Rôle de la vigueur hybride
L’hétérozygotie correspond au nombre de loci hétérozygotes qui existent dans une
population donnée. Ainsi, il permet, tout comme le polymorphisme, de quantifier la diversité
génétique d’une population.
Exemple de croisement entre deux individus de race pure :
Individu A de
génotype AA
Individu B de
génotype aa
Individu C hybride de génotype Aa
L’individu C dans un environnement donné a une viabilité plus grande.
Tout d’abord, il présente deux allèles différents donc il (ou plutôt ses descendants) pourra
faire face aux variations environnementales plus facilement que ces parents. Il sera ainsi
sélectionné (taux de survie et taux de reproduction plus important).
De plus, l’hétérozygotie permet de camoufler et d’empêcher l’expression d’allèles délétères
récessifs. Ainsi, si l’allèle a induit un disfonctionnement, l’individu B de race pure sera donc
malade alors que l’individu C (si on considère l’allèle A dominant) ne le sera pas. C’est ce
que l’on observe dans le cas de l’anémie falciforme. Cet exemple sera traité plus en détail
dans la dernière partie.
Par contre, l’individu C pourra transmettre la maladie à sa descendance comme le montre le
tableau de croisement ci-dessous.
Allèles des parents
HbβA
HbβS
HbβA
HbβA/HbβA
HbβS/ HbβA
HbβS
HbβS/ HbβA
HbβS/ HbβS
Remarque : HbβA : l’allèle normal ; HbβS : l’allèle mutant.
Tableau de croisement entre deux individus hétérozygotes (HbβS/ HbβA)
¼ des individus ainsi obtenus sont homozygotes (HbβA/HbβA) pour cet allèle ; ils ont une
hémoglobine normale. La moitié des individus sont hétérozygotes comme leurs parents et ¼
sont homozygotes (HbβS/ HbβS) : ils sont donc profondément anémiés.
Nous avons montré ici l’importante de la diversité génétique et donc du polymorphisme
dans l’adaptation des populations au milieu. Mais pour maintenir le polymorphisme génétique
dans une population il faut que les fréquences alléliques restent approximativement constantes
au cours du temps ; c’est pourquoi nous allons nous intéresser aux différentes forces
évolutives qui peuvent influer sur ces fréquences.
II. Polymorphisme et les forces évolutives
1. Loi d’Hardy-Weinberg
Afin d’estimer les variations des fréquences alléliques et par-là même les fréquences
génotypiques, nous utilisons des modèles mathématiques. Un modèle de prédiction des
fréquences génotypiques utilisé en génétique des populations est celui d’Hardy-Weinberg.
Ce modèle sous-tend plusieurs hypothèses :
a. L’organisme considéré est diploïde.
b. La reproduction est sexuée.
c. Les générations sont non chevauchantes. Cela correspond à un cycle de reproduction
très simple dans lequel les individus de chaque génération meurent avant la naissance des
membres de la génération suivante (ex : plante annuelle). En plus, les générations sont séparés
dans le temps (génération discrète).
d. Les croisements se font au hasard (panmixie).
e. La taille des populations est très grande.
f. Les migrations sont négligeables.
g. On peut ignorer les mutations.
h. La sélection naturelle n’a pas d’effet sur ces populations naturelles.
Prenons un exemple : on va considérer un locus à deux allèles A et a, de fréquences
alléliques égales respectivement à p = f(A) et q = f(a) (où p+q = 1). Deux individus de la
génération n vont se croiser au hasard d’où l’union au hasard des gamètes (Hypothèse d), à la
génération suivante n+1, on aura :
Gamètes des parents
A (p)
a (q)
A (p)
AA (p2)
Aa (pq)
a (q)
Aa (pq)
aa (q2)
f(AA)n+1 = p2 ; f(Aa) n+1 = 2pq et f(aa) n+1 = q2
Les fréquences alléliques à la génération suivante seront donc égales à :
p n+1 = f(AA) + 0.5* f(Aa) = p2 + 0.5*2pq = p2 + pq = p[p+q] = p
p n+1 = p
q n+1 = f(aa) + 0.5* f(Aa) = q2 + 0.5*2pq = q2 + pq = q[p+q] = q
q n+1 = q
Les fréquences alléliques à la nouvelle génération sont donc exactement les mêmes qu’à la
génération précédente. Lorsque les croisements se font au hasard, les fréquences alléliques
restent donc constantes. A toutes les générations, par conséquent, les fréquences génotypiques
sont : p2, 2pq et q2 pour AA, Aa et aa respectivement, et ces fréquences constituent ce qui est
souvent appelé l’équilibre d’Hardy-Weinberg.
La constance des fréquences alléliques (et de ce fait, celle de la composition génotypique de
la population) est la conséquence la plus importante de la loi d’Hardy-Weinberg. Cette
constance implique, en absence de forces évolutives particulières qui modifieraient les
fréquences alléliques, la conservation de la variabilité génétique telle qu’elle est et donc du
polymorphisme.
Document 10 : Exercice pour tester l’hypothèse de panmixie
C’est un modèle donc une simplification de la réalité. Une telle population n’existe pas, ceci
permet simplement de faire des prédictions.
Nous allons voir maintenant les facteurs qui peuvent modifier cet équilibre, en commençant
par la consanguinité et de la dérive.
2. Rôle de la consanguinité et de la dérive
Il existe plusieurs modes de reproduction ; dans le cadre du modèle d’Hardy-Weinberg, on a
considéré une reproduction sexuée avec des croisements panmictiques (Hypothèse b et d). On
va s’intéresser à un autre mode de fécondation : l’autofécondation (= autocroisement).
Dans le cas d’autofécondation, les fréquences alléliques vont évoluer ainsi :
Génotype considéré
Fréquence
génotypique à la
génération (n)
Génotype obtenu à
la génération (n+1)
Fréquence
génotypique à la
génération (n+1)
AA
Aa
aa
F(AA)n
F(Aa)n
F(aa)n
AA
¼ AA, ½ Aa, ¼
aa
aa
F(AA)n+1
F(Aa)n+1
F(aa)n+1
F(AA)n+1 = F(AA)n + ¼ F(Aa)n+1
F(Aa)n+1 = ½ F(Aa)n+1
F(aa)n+1 = F(aa)n + ¼ F(Aa)n+1
Remarque : p est toujours égale à la fréquence de l’allèle A et q de a.
Comme on peut le voir ici, à chaque fécondation le nombre d’hétérozygotes diminue de
moitié à chaque génération d’où une perte de la diversité génétique, qui peut se traduire à long
terme par la fixation d’un des allèles, c’est à dire la perte de l’autre allèle ( (F(AA) =1 et F(aa)
=0)).
L’autofécondation est un cas extrême de fécondation, elle ne se retrouve que chez certaines
espèces. On va donc voir maintenant un type de croisement proche, où les organismes se
croisent avec des individus apparentés : la consanguinité.
On peut ainsi définir un coefficient de consanguinité qui représente la diminution des
hétérozygotes dans une population consanguine.
Ainsi, le coefficient de consanguinité F est égal à :
F=[H0 – Hi] / H0
où H0 est l’hétérozygotie attendue si les croisements sont panmictiques (H0 = 2pq)
Hi est l’hétérozygotie observée dans la population donnée,
F*H0 = H0 – Hi donc Hi = -F* H0 + H0
Hi = H0 *(1-F)
Hi = 2pq *(1-F)
Hi = 2pq – 2*pqF
Résultat
si panmixie
Remarque : si F=1, Hi = 0 donc il n’y a plus d’hétérozygotes dans la population.
De même, on a :
F(AA) = p2 +pqF et F(aa) = q2 +pqF
Ce que l’on remarque ici c’est qu’à chaque génération, une part des hétérozygotes (2pqF)
est perdue. Au bout d’un certain temps, les allèles vont se fixer d’où perte de la diversité
génétique. Le temps mis pour cela va dépendre du degré de consanguinité des individus ; dans
le cas de l’autofécondation, c’est relativement rapide.
Un facteur a tendance à accentuer ce phénomène : la dérive génétique. Cela correspond à la
fluctuation aléatoire des fréquences alléliques qui intervient dans toutes les populations de
tailles finies et donc surtout les petites populations (Hypothèse e).
A noter que ce facteur ne conduit pas à l’adaptation des populations car ces fluctuations se
font au hasard. Elle accentue même la perte de diversité car le nombre d’allèles diminue.
Document 3: Fluctuations des fréquences alléliques au cours du temps dans une petite (a) et
dans une grande population (b)
En plus, les gènes tendent à provenir tous d’un même gène ancestral ; c’est le phénomène
de coalescence.
La dérive génétique est un facteur très important dans le cas de goulot d’étranglement, où
l’effectif de la population se voit diminuer. Exemple : des éléphants de mer boréaux. De
même, quand une population conquiert un nouvel habitat, l’effectif de celle-ci étant faible au
départ, cela représente donc des conditions favorables pour la dérive génétique. C’est l’effet
fondateur.
Dans ce paragraphe, nous avons vu un type de reproduction particulier : l’autogamie, mais il
existe d’autres modes de croisement. Dans le cas d’homogamie (croisement entre individus
qui se ressemblent, exemple : plante dont la durée de floraison est courte par rapport à la
période totale de floraison), on observe aussi une diminution de l’hétérozygotie pour ce locus.
En ce qui concerne l’hétérogamie (croisement entre individus phénotypiquement différents,
exemple : plante brévistylée et longistylée), cela engendre un phénomène fréquencedépendance. En effet, les nouveaux allèles à ce locus sont avantagés, ils vont donc augmenter
en fréquence. Dans ce cas, le taux d’hétérozygotie va donc être supérieur à la valeur 2pq.
De même, nous avons constaté que la consanguinité et la dérive induisent une diminution de
la diversité génétique et donc du polymorphisme mais il existe d’autres facteurs qui entrent en
jeu et qui vont modifier ces fréquences alléliques tels que les mutations et la migration.
3. Rôle de la migration et de la mutation
Dans l’équilibre d’Hardy-Weinberg, on considérait des populations isolées (hypothèse f) et
non soumises aux mutations (hypothèse g). On peut donc se demander quels impacts ces deux
forces évolutives ont sur le polymorphisme.
Les mutations peuvent être définies comme la création de nouveaux variants génétiques par
modifications héritables du matériel génétique. Le mot mutation est utilisé ici dans son sens le
plus large pour exprimer tout changement génétique, dont les anomalies chromosomiques
visibles (les inversions, les translocations et la polyploïdie). Stebbins (1976) a d’ailleurs
montré le rôle très important joué par la polyploïdie dans l’origine de nouvelles espèces chez
les plantes supérieures.
Mais dans pratiquement toutes les populations naturelles, on pense que la part essentielle de
variabilité génétique consiste en modifications de l’ADN. Ainsi, on peut regrouper plusieurs
types de mutations : le remplacement d’une paire de nucléotides dont font partie les
mutations génératrices d’allozymes, la délétion et la duplication des séquences, la
transposition de séquences d’ADN. Les mutations issues des éléments transposables
constituent une importante source de variabilité génétique. Ainsi, les mutations ont tendance à
augmenter la diversité génétique contrairement à la consanguinité et à la dérive.
Comme les taux de mutations spontanées sont assez faibles (de l’ordre de 10-4 à 10-6
mutations par gène par génération, avant réparation), les modifications des fréquences
alléliques par mutations récurrentes (pression de mutation) sont très faibles sur une période
de quelques générations. En revanche, les effets cumulés des mutations peuvent être
significatifs sur de longues périodes.
Une mutation qui apparaît au sein d’une population peut, bien sûr, être délétère pour celui
qui la porte, mais elle peut permettre aussi une nouvelle adaptation. Ainsi, les individus ayant
l’allèle muté pourront par exemple conquérir de nouveaux habitats. C’est ce qui s’observe
dans certains cas de spéciation sympatrique, qui se définit comme l’émergence de nouvelles
espèces à l’intérieur de l’aire de répartition des populations mères. La spéciation sympatrique
survient en une seule génération si un changement génétique établit un mécanisme
d’isolement entre les mutants et la population mère.
Prenons l’exemple l’Onagre à grandes fleurs, Œnothera grandiflora, une espèce diploïde à 14
chromosomes. Au début du siècle, de Vries remarqua qu’un variant était apparu parmi ses
Onagres et, l’examen au microscope révéla qu’il s’agissait d’un tétraploïde à 28 chromosomes
(cas d’autopolyploïdie : doublement du nombre de chromosomes chez une espèce, qui passe
ainsi à l’état de tétraploïde). Cet individu ne pouvait se croiser avec les Onagres diploïdes, il
nomma cette nouvelle espèce Œnothera gigas.
Etant donné que les mutations sont sources de diversité alors que la consanguinité et la
dérive induisent une diminution de celle-ci, on peut donc émettre l’hypothèse que le
polymorphisme sera maintenu si un équilibre s’établit entre les mutations et la dérive.
Une autre des hypothèses de l’équilibre d’Hardy-Weinberg, précise que les populations sont
isolées ; il n’y a donc pas de migrations (hypothèse f). Cette hypothèse est souvent invalidée
du fait de la rupture d’isolement, qui indique une fusion, sous l’effet des migrations, des
sous-populations auparavant isolées. Cette fusion des populations va avoir tendance à
diminuer la fréquence des génotypes homozygotes, phénomène connu sous le nom de
principe de Wahlund.
On a tendance à considérer l’environnement comme homogène, or il y a des zones
favorables à la population et d’autres non (matrice). C’est le concept de métapopulation.
Dans ce concept, on considère le milieu comme un ensemble de parcelles qui peuvent être ou
non colonisées. Il existe ainsi des migrations d’individus entre parcelles et donc entre souspopulations.
Les migrations forment une sorte de ciment génétique qui maintient les populations
ensembles et impose une limite à la dérive génétique. Pour comprendre l’effet
d’homogénéisation des migrations, il est utile de les étudier via des modèles simples de
structuration des populations.
Dans le modèle archipel, une grande population est divisée en de multiples souspopulations éparpillées géographiquement comme les îles d’un archipel. Les poissons dans les
lacs d’eau douce sont des exemples de population à structure d’archipel. Chaque souspopulation est supposée suffisamment grande pour qu’on néglige la dérive génétique.
On considère deux allèles A et a dont les moyennes des fréquences alléliques entre souspopulation sont égales à p* et q* respectivement. On suppose que les migrants sont
représentatifs des sous-populations ; ce qui signifie que parmi les migrants les fréquences
alléliques de A et a sont égales à p* et q*. Le taux de migration est mesuré par un nombre m
qui est égal à la probabilité qu’un allèle choisi au hasard dans une sous-population provienne
d’un migrant.
Considérons un allèle choisi au hasard dans une sous-population à la génération t. Cet allèle
peut provenir de cette même sous-population à la génération t-1 (avec la probabilité 1-m) ;
dans ce cas c’est un allèle A avec la probabilité p t-1, où p t-1 représente la fréquence de l’allèle
A dans la sous-population en question à la génération t-1. Autrement, l’allèle peut provenir
d’un migrant à la génération t-1 (avec la probabilité m) ; dans ce cas, c’est un allèle A avec la
probabilité p*.
Remarque : comme on néglige la dérive génétique, les mutations et la sélection naturelle, p*
reste constant à toutes les générations. On obtient :
pt = p t-1 (1-m)+p*m
pt –p*= p t-1 (1-m)+p*m-p*
pt –p*= p t-1 (1-m)-p*(1-m)
pt –p*= (p t-1- p*) (1-m)
pt –p*= (p0- p*) (1-m)t
où p0 est la fréquence initiale de l’allèle A dans la sous-population considérée.
Au fil des générations, la fréquence allélique sur les îles devient proche de la moyenne des
fréquences alléliques entre les sous-population (p*).
Document 7 : Evolution des fréquences alléliques au cours du temps dans cinq
sous-populations qui échangent des migrants au taux m=0.1 par génération
Dans ce modèle, le polymorphisme est maintenu, mais il peut y avoir, dans certains cas,
perte de la diversité génétique quand l’homogénéisation tend vers la fixation d’un allèle
(modèle île continent : migration unidirectionnel du continent vers l’île au cours du temps).
Ceci montre l’importance de la structuration génétique sur les populations.
De plus, dans ce modèle, on ne tient pas compte des autres forces évolutives telles que les
mutations, de la dérive.
En fait, dans certaines conditions, en isolant des populations, les effectifs se voient
diminuer. Ceci conduit à un taux de consanguinité important (les croisements entre individus
apparentés augmentent). De plus, la dérive génétique va conduire à la diminution
d’hétérozygotie. Le fait qu’il y ait alors des migrations entre les sous-populations, peut
conduire à un maintien de la diversité génétique. Les migrations tout comme les mutations
peuvent donc, dans certains cas, contrebalancer l’action de la dérive et de la consanguinité.
Nous allons maintenant nous intéresser à une autre force évolutive qu’est la sélection
naturelle, qui joue un rôle important dans la fluctuation des fréquences alléliques.
III. Polymorphisme et sélection naturelle
1. La sélection naturelle
La sélection naturelle est un processus qui sous-tend trois conditions :
- la variation du trait,
- la variation concomitante avec la survie et le succès reproducteur,
- l’héritabilité (c’est à dire l’hérédité des différences).
La sélection naturelle agit sur les phénotypes et non sur les génotypes ; elle agit sur le
phénotype global tel qu’il est, c’est à dire le résultat de l’action de nombreux gènes et d’une
infinité de facteurs environnementaux. La sélection agit donc sur le phénotype mais la
réponse à la sélection se fait au niveau du génotype.
La sélection naturelle est la force directrice de l’évolution ; c’est le processus qui conduit à
une meilleure adaptation des organismes à leur environnement.
Documents 4 et 5 : Etude de la sélection naturelle chez les Pinsons de Darwin
On trouve dans les îles Galápagos, 14 espèces de Pinsons de Darwin, dont beaucoup
diffèrent très visiblement par la taille et la forme du bec. Ces caractères sont liés au choix et à
l’efficacité de l’alimentation.
Les Galápagos connaissent habituellement une saison humide et chaude de janvier à mai et
une saison plus froide et plus sèche pendant le reste de l’année. Or, au cours des premiers
mois de l’année 1977, la pluie n’est pas tombée ; ce qui a entraîné une saison sèche
extrêmement longue. La population de pinsons de Daphne Major est tombée d’environ 1200 à
environ 180 individus. La mortalité n’a pas été répartie uniformément : ce sont les oiseaux de
petites tailles qui ont été le plus atteints. L’explication se trouve dans une modification de
l’alimentation disponible.
Au début de la sécheresse, les divers types de graines étaient disponibles dans les
proportions normales, mais avec la persistance de la sécheresse, ces dernières deviennent de
plus en plus rares. Les pinsons à bec moyen Géospiza fortis (de toutes tailles) consomment
préférentiellement des graines de petites tailles. Mais au cours de cette période, les petites
graines n’étant plus disponibles (il ne restait que les graines plus grosses, non consommées
par les oiseaux), les pinsons de plus grande taille ont donc été favorisés car ils avaient un bec
suffisamment puissant pour ouvrir les grosses graines. La mortalité a donc été plus élevée
parmi les pinsons de petite taille.
Ceci a conduit à une augmentation de la taille moyenne du bec à la génération suivante. A
noter que la tendance inverse a été observée suite à une saison très pluvieuse.
Comme le montre cet exemple, la sélection naturelle va faire fluctuer les fréquences
alléliques en fonction des avantages que procurent tels ou tels allèles pour permettre une
meilleure adaptation aux conditions du milieu. Ainsi, quand la pression de sélection change,
la fréquence des phénotypes change.
On distingue trois modes d’action fondamentalement différents de la sélection naturelle.
Document 11 : Trois modes de sélection différents
-Quand la sélection favorise les phénotypes à une des extrémités de la distribution, la
sélection est appelée sélection directionnelle (schéma a).
-La sélection qui favorise les phénotypes intermédiaires est la sélection stabilisante
(schéma b).
-La sélection qui favorise simultanément les phénotypes qui se situent aux deux
extrémités de la distribution est une sélection divergente (schéma c).
L’évolution du bec des pinsons de Darwin serait un exemple de sélection directionnelle
puisque les oiseaux aux becs les plus petits sont contre-sélectionnés.
La sélection agit donc sur le phénotype qui est une entité déterminée par de nombreux
gènes, mais pour définir les conséquences de la sélection, il est plus facile d’examiner
comment la sélection modifie les fréquences alléliques d’un seul gène. Pour cela, on utilise le
concept de fitness ou valeur adaptative.
2. La fitness ou valeur adaptative
La fitness (en génétique on emploie le terme de valeur adaptative) est la mesure absolue
ou relative du succès moyen d’un génotype donné en terme de contribution au pool génétique
à la génération suivante. Elle dépend de la survie et la fécondité des organismes :
Fitness = Survie * fécondité
Pour modéliser l’action de sélection sur la fréquence allélique d’un gène, il est plus facile
d’utiliser le modèle simple d’Hardy-Weinberg et d’y introduire la sélection par le biais de
différences dans les valeurs sélectives des génotypes. Pour cela, on suppose que la sélection
agit sur les génotypes et non sur les gamètes.
Pour les valeurs sélectives relatives de AA, Aa, aa, on utilise les symboles conventionnels
ω1, ω2, ω3 respectivement. Si on suppose que les fréquences des allèles A et a sont pt et qt
respectivement à la génération t, il est facile d’obtenir les expressions de pt+1 et qt+1 qui sont
les fréquences alléliques à la génération suivante. Comme les indices sont encombrants à
réécrire tout au long des calculs, on utilisera les symboles p et q pour pt et qt, et les symboles
p’ et q’ pour les pt+1 et qt+1.
En fonction de p et q, les fréquences des génotypes AA, Aa et aa parmi les œufs qui
viennent d’être fécondés à la génération t sont donnés par p2, 2pq et q2 respectivement. Par
définition, les œufs nouvellement fécondés survivent dans les proportions ω1, ω2, ω3 pour les
génotypes AA, Aa, aa ; le rapport des génotypes AA, Aa, aa parmi les adultes est donc :
p2 ω1 ; 2pq ω2 ; q2 ω3.
Récapitulatif :
Génotypes
Fréquences génotypiques
sans sélection
Fitness
Fréquences génotypiques
avec sélection
AA
Aa
aa
p2
2pq
q2
ω1
ω2
ω3
p2 ω1
2pq ω2
q2 ω3
Donc p’ = [p2 ω1 + 0.5*2pq ω2] / [p2 ω1 + 2pq ω2 + q2 ω3]
f(AA)+ 0.5*f(Aa)
Fitness moyenne de la population (W)
Ce qui nous intéresse c’est la variation de la fréquence de l’allèle A au cours du temps et
plus précisément la valeur d’équilibre qui correspond à valeur pour laquelle p’-p=Δp = 0.
Δp = [ pq [p(ω1- ω2)+q(ω2- ω3)] ] / W
Δp = 0 si : pq [p(ω1- ω2)+q(ω2- ω3)] = 0
Donc Δp = 0 si : p= 0 ou q = 0 ou p(ω1- ω2)+q(ω2- ω3)=0
Dans les deux premiers cas, p=0 et q=0, le polymorphisme n’est pas maintenu, dans l’autre
cas, il est maintenu pour une valeur de p égale à : ^p= (ω3- ω2) / (ω1-2*ω2+ ω3)
Ce concept de valeur d’équilibre ^p signifie que : quand la fréquence allélique atteint cette
valeur, elle s’y maintient de génération en génération.
3. Sélection avec équilibre
La sélection naturelle peut agir selon divers mécanismes. Dans le cas le plus simple (gène à
2 allèles, valeurs sélectives constantes) trois résultats sont possibles : (1) A devient fixé, (2) a
devient fixé, (3)il existe un équilibre. On peut déterminer deux cas particuliers : la
surdominance et l’infériorité des hybrides.

La surdominance ou supériorité des hétérozygotes
Il y a la surdominance ou supériorité des hétérozygotes quand l’hétérozygote présente
une valeur sélective supérieure à celle des deux homozygotes (c’est à dire que ω1 < ω2 >ω3).
Document 2 : Sélection naturelle dans le cas de surdominance (super-dominance)
On constate que pour des valeurs de p égale à 0 et à 1, les équilibres ne sont pas stables,
comme le montre la figure a où les flèches indiquent le sens de l’évolution des fréquences
alléliques. En fait, quand l’allèle A est rare (p =0), il augmente en fréquence ; et quand il est
courant, il diminue d’où le maintien du polymorphisme car au cours du temps les fréquences
tendent vers une valeur d’équilibre ^p. C’est un équilibre stable.
La figure b montre l’évolution de la fitness moyenne de la population W avec la
surdominance ; on remarque que la valeur sélective est maximale quand p = ^p.
Bien que la surdominance puise apparaître comme une force puissante pour maintenir le
polymorphisme dans les populations naturelles, elle n’a été mise en évidence que dans peu de
cas.
Document 8: Mortalité par le paludisme d’individus hétérozygotes HbβS/ HbβA
L’exemple le mieux connu concerne deux allèles qui codent pour la chaîne β de
l’hémoglobine humaine : HbβA l’allèle normal et HbβS l’allèle mutant chez lequel la
substitution d’un acide aminé provoque l’anémie falciforme. Les individus homozygotes
HbβS/ HbβS sont profondément anémiés à cause de leur globule rouge en faucille ; les
individus HbβA/HbβA ont une hémoglobine normale mais sont sensibles à la malaria
(paludisme), provoquée par le protozoaire parasite Plasmodium falciparum ; les hétérozygotes
HbβS/ HbβA sont légèrement anémiés mais ont tendance à être résistants à la malaria du
falciparum. Ceci peut s’expliquer par le fait que les globules rouges infectés par le parasite
prennent une forme en faucille et sont éliminés de la circulation.
La fitness des individus selon le génotype a été évaluée dans les régions d’Afrique où la
malaria est fréquente (ω1=0, ω2=1, ω3=0.85). On a pu calculer la fréquence de l’allèle Hbβs à
l’équilibre ^p=0.13. Cette valeur est assez proche de la fréquence allélique de 0.09 observée
en Afrique Occidentale, mais il existe des variations considérables de la fréquence de cet
allèle parmi les populations locales.
 L’infériorité des hétérozygotes
L’infériorité des hétérozygotes décrit la situation inverse de la surdominance ; elle se
rencontre quand la valeur sélective du génotype hétérozygote est inférieure aux valeurs
sélectives des 2 homozygotes (c’est à dire que ω1 > ω2 <ω3).
On obtient un équilibre pour une valeur de ^p mais il est instable.
Document 1 : Sélection naturelle dans le cas d’infériorité des hétérozygotes
Quand l’allèle A est rare (p=0.1), il a tendance à diminuer en fréquence (jusqu’à ce que
p=0) et quand il est courant (p=0.8), il a tendance à augmenter en fréquence (jusqu’à ce que
p=1).
En résumé, si la fréquence initiale de l’allèle est exactement égale à la valeur à l’équilibre
(^p), la fréquence allélique se maintient alors à cette valeur, le polymorphisme est donc
conservé. Dans tous les autres cas, p va vers 1 ou 0 donc il y a fixation de un allèle.
L’évolution dépend de la fréquence initiale de l’allèle, si elle est supérieure ou inférieure à la
fréquence d’équilibre. Noter que la valeur pour p = ^p correspond au minimum de la valeur
sélective moyenne. Ceci montre que la capacité de la sélection naturelle à accroître la valeur
sélective moyenne est limitée dans de tel cas.
Conclusion :
Comme on a pu le voir au cours de cet exposé, le polymorphisme revêt une grande
importance pour les populations naturelles puisqu’il constitue une réserve génétique qui va
permettre aux organismes de s’adapter à des conditions environnementales variables.
Mais pour maintenir le polymorphisme génétique dans une population, il faut que les
fréquences alléliques restent approximativement constantes au cours du temps. Or, un certain
nombre de facteurs influent sur ces fréquences tels que les types de croisement
(consanguinité) et les différentes forces évolutives (la dérive génétique, la mutation, la
migration et la sélection).
Ainsi, dans toutes les espèces naturelles, la variabilité génétique produite par les mutations
est structurée, maintenue, éliminée ou répartie dans les sous-populations selon un équilibre
subtil entre la sélection naturelle, les migrations et la dérive.
De plus, la variabilité génétique naturelle se révèle favorable à de nombreuses applications,
comme par exemple pour reconstituer l’évolution ancestrale d’une population d’organismes.
D’un point de vue pratique, dans les populations humaines les polymorphismes sont utiles
comme marqueurs génétiques. Par exemple, dans une famille où l’on connaît l’histoire
d’une maladie sur plusieurs générations, on peut ainsi suivre les marqueurs génétiques pour
déterminer les membres de la lignée porteurs du gène nocif et pour effectuer un diagnostic
précoce des individus susceptibles d’être atteints.
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