Roger Chazal, Atelier Romantisme, Congrès SAES Dijon 17 mai 2013 L’appellation « Usher » et les statuts Romantiques de la croyance C’est Edgar Poe qui a donné sa visibilité littéraire à l’appellation « Usher ». Mais c’est Walter Scott, quelque quarante ans plus tôt, qui lui a donné sa crédibilité textuelle sur le mode de la collecte folklorique pratiquée par lui-même. Et c’est, dans le terme U/usher, la dualité nomverbe (dénominatif), qui a posé, des siècles plus tôt encore, les conditions de ce qui sera tenu ici pour sa lisibilité : une appellation nominale de profession et de personne, et une appellation conceptuelle de processus. Crédibilité, processus. La chanson narrative populaire, le récit fantastique, même et surtout explicateur, même dans un cadre de roman nouveau, novel, ne font pas que manifester la croyance, ils la représentent. Ils la représentent, par leur poétique, comme seuil, porte de savoir. Le corpus romantique «Usher » est ici proposé dans l’hypothèse qu’il peut montrer et éclairer cela. L’appellation anglaise « Usher » est franco-normande et française d’origine, « Ussier », et « Uissier », dont un sens médiéval fut d’ailleurs nautique : les navires « huissiers » où les chevaux embarquaient par un « huis », seuil ou port latéral 1. Le corpus est marqué par la poésie du passage et de ses rites, contraintes et techniques. Il l’est aussi par la dualité nom-verbe (verbe dénominatif) : le substantif français et, par emprunt, anglais désignaient des personnes (voire des choses) en leurs fonctions ; le français ne disposait pas d’un verbe pour le concept d’ « huissier », l’anglais adapte l’emprunt à son génie propre en faisant du concept un processus verbal. L’inverse s’est joué plus tard pour « parking », devenu lieu en F, resté processus en E sa langue donneuse. Une perspective théorique non négligeable sur l’appellation « Usher » est celle, langagière historique, des créolisations de concepts, qu’elles soient définitives ou réversibles. Les langues en situation de coexistence se passent et repassent les concepts avec joie. Mais il convient ici de distinguer entre créoles et pidgins, respectivement langues de contact vernaculaires et non vernaculaires ; et aussi entre patois et jargons, langues-, disons, -dhimmis trop heureuses de leur statut concédé subalterne (la dhimmitude ou la mort), et avec le même critère de distinction sous-catégorielle : les patois sont langues maternelles, ô combien, les jargons ne le sont pas, ou alors l’heure est grave. Il a été Grandsaignes d’Hauterive, R., Dictionnaire d’Ancien Français. Moyen Age et Renaissance, Larousse, 1947, p.576 : “UISSIER II, n.m. (XIIe-XIIIe s.). Vaisseau à porte latérale pour le transport des chevaux.” 1 1 écrit de Chaucer, qui était bilingue, qu’il aurait pu écrire « les Contes de Canterbury en français ». La spéculation est amusante, mais il est bien certain que les langues françaises et anglaises, depuis si longtemps en coexistence rapprochée, jouent à une sorte de jeu de tennis-barbe où il n’est point sûr que le premier qui rira n’aura pas une tapette. Le premier texte du corpus chante à air perdu : c’est sous forme récitée que Walter Scott fit collecte de cette ballade, publiée en 1802 dans le Livre II (« Romantic Ballads ») de son recueil Minstrelsy of the Scottish Border, sous dédicace au Duc de Buccleugh. Le texte poursuit comme il commence, par ce que le cinéma nommera bien plus tard « stock shots », des prises de vue réutilisables pour d’autres montages et puisées dans un « stock » d’apparence passe-partout. Et le public marche, le public y croit, nous y croyons et pour cause, cela n’a-t-il pas été collecté, et collecté sur place, in situ ? C’est du document humain. « D’ailleurs », « ça rime », entendons, à l’anglaise, ça allitère, « wealthy » avec « wife », et le tout avec le « well » du toponyme « le Puits de l’Huissier ». Au Puits de l’Huissier donc, était une Dame, une Dame riche, riche aussi de trois fils qu’elle envoya commercer sur mer ; la mer les lui prit, la Dame jeta donc une malédiction sur les flots ; les flots ne connaîtraient plus le repos tant qu’ils ne lui auraient pas rendu ses fils ; et donc ses fils revinrent, c’était un donnant donnant, ils devaient repartir au chant du coq (disons « au chant du donc »), et ainsi fut fait, mais bon, qu’importe, elle fit mettre toute la maison sur son trente-et-un pour les accueillir dignement. Et il dut être un temps où « ça se chantait ». Les statuts Romantiques de la croyance reçoivent cela comme le petit lait de l’enfance nourrie au « donc » maternel. La chanson narrative populaire chante par vocation tout de bon. Son incantation est à sa place. Elle met et donne tout de plain pied, les mots et les choses y vont « de plain pied », écrivait Michel Foucault du régime du savoir, c'est-à-dire aussi des statuts de la croyance, sous le régime renaissant de la ressemblance (est vrai ce qui est ressemblant ; c’est le portrait tout craché d’une mère que de jeter un sort sur les flots qui lui ont pris ses fils) repris pour certains domaines par le régime cartésien-newtonien qui l’évacua ; voire, sous le régime de « la figure de l’homme » qui lui-même évacua le précédent à partir de l’époque qui nous concerne , dans le champ réservé, marqué, note le même Foucault, par « l’enroulement des choses sur elles-mêmes », le champ propre aux lettres et aux arts modernes, lesquels, au fond, ne chantent pas tellement à air perdu. Le plus remarquable reste que tout cela se fait par appellation à la fois 2 commercialement rationnelle et opaque : « Usher », c’est tout simplement « L’Huissier », et le « Puits de L’Huissier », le puits construit par, ou situé près de la demeure de, un certain Monsieur qui était huissier ou qui s’appelait L’Huissier sans l’être, et fichez-nous la paix. C’est comme ça, et circulez, ya rien à voir. Ou pire, attention, si vous continuez, vous allez figurer sur la base de données susceptible de s’examiner mécaniquement (en jargon technique repris actuellement par la presse, « data-mine »2). Chez le Walter Scott de 1800 collecteur et éditeur de textes oraux, « Usher » est premier élément d’un toponyme, « Usher’s Well », luimême dernier élément d’un anthroponyme anonymant et allitérant « The Wife of Usher’s Well » : il y a rétention du nom , comme de celui de ses fils morts en mer ; thématiquement pour nous, le toponyme est huissier d’un patronyme qui jamais n’arrive mais « toujours » revient, le retour balladin des morts en vivants-morts, morts vivants, institution celtique aujourd’hui bien référencée ; et statut littéraire Préromantique et Romantique Premier de la croyance : les morts reviennent, à leur façon, laquelle relève du connaissable bien que capricieux : cette « Dame » anonyme du « Puits de l’Huissier » est sœur de ces multiples « Dames » de la toponymie française, c'est-à-dire romano-germano-celtique, où « Le Bois de la Dame » est au choix, ou bien le Bois de la Fée, laquelle est par définition toujours là in situ comme le sont les Destinées, mais choisit de « revenir », entendons, de se laisser voir, quand « ça lui chante » ; ou bien le Bois dont est propriétaire en personne la Seigneurie, dont le seigneur se trouve être une Dame. Les « usher » Brontéens de 1847 sont, d’abord un « ushered me to bed » de l’explicit du ch. 2, puis un « usher in » du ch. 22. Dans les deux cas, le verbe dénominatif est porteur d’un concept de transit. Ici, disons, ichnographique (le concept a l’avantage d’évoquer le très préRomantique Horace Walpole 3 se démarquant vigoureusement des Français Racine et Voltaire, pas de détail). Là, transit météorologique : disons, un temps qui/qu’/en « huissière » un autre, le temps qui change et persiste, et signe. Et de signer « Ellis Bell », alias « Emily Brontë », fille de l’allitératif mais disgracieux « Patrick Prunty », appellation qui sentait trop l’Irlande ; d’où l’alias Brontë, alias de l’alias Bronté, titre sicilien de noblesse très peu sicilienne mais aussi expéditive qu’une omertà, du Nelson impérial et impérieux (« my country right or wrong », « I can’t see the signs ») tel que le publiait la biographie signée Southey. 2 Time 2013-05-10, dossier à la une « Homeland And Insecurity », et p.20a « Federal agents could now datamine vast stores of information about individuals without making a reviewable record of their actions.” 3 Préface au Château d’Otrante. 3 Le même verbe dénominatif est là dans la biographie précoce de Walter Scott lorsqu’il s’agit d’évoquer la toute première entrée en classe de Walter l’enfant précoce. « The latch lifts with a click, and the new-comer is ushered in. Instantly all is silence, and the intense gaze of the silent imps and the strangeness of the whole scene appal the little stranger, as holding fast by his friendly conductor with one hand, and stuffing the thumb of the other into his mouth, he advances with sinking heart towards the master of the place.”4 L’entrée en scène de l’enfant, enfant précoce ou non, topos Romantique s’il en est, de solennité et de silence soudains, dit une conscience topique du vécu de la Loi en ciel de traîne, « trailing clouds of glory ». Poe vient là entre deux, entre chien et loup, entre 1800 et 1847, par le conte de « La Chute de la Maison Usher ». Maison porteuse d’un constat narratif / contrat thématique de « fissure ». Maison fissurée, cœur familial faillé (frère-sœur, l’âme-sœur Romantique), conte-fracture. Poe thématise l’appellation titulaire lorsqu’il fait dire au narrateur-visiteur-etami en explicit du 6e paragraphe du texte, « The valet now threw open a door and ushered me into the presence of his master. » Or le narrateur est anonyme. Et la narration joue à cacher la relation exacte entre l’ami (et propriétaire) Roderick Usher et sa sœur dont la présence « anime » le site more Romantico, en personae successives télescopiques : esprit frappeur, cas de « premature burial », vive/morte pour une Réception de Plus-Morts-Que-Vifs, feu d’artifice final d’ enfilade incestueuse : Contagion/Compagne/compagnons de la Fissure. « Le » valet ainsi liminairement défini /huissier/ pour constat de fissure, figure lui-même dans une enfilade « servant » / « valet » / « physician of the family », tous rôles agents de la fonction accueil. Un bilan peut être générique : celui du conte comme vidage purgatif des sens communs par travail sur les noms propres et leurs « propriétés » aux deux sens 5 du terme, scripturalement hypertrophiées. On aura dans cette perspective relevé la présence pregnante du silence dans l’énoncé par lequel le rôle huissier entre en texte : « A valet, of stealthy step, thence conducted me, in silence, through many dark and intricate passages in my progress to the studio of his master. »(H 131) On aura aussi remarqué l’écart manifesté par cette analyse topique avec l’analyse structurale écrite par le regretté et érudit américaniste Claude Richard en 1970, publiée à titre pieusement posthume en 1990. Claude Richard voyait le narrateurvisiteur, dont il code l’anonymat par un « X », « ushérisé » par le maître 4 Life 1834, p.13 Chazal 2011, p.33 : « Il y a maldonne sur le concept de propriété : il ne peut s’agir, dans ce cas précis, de « noms de propriétaires », mais bien de sites manifestant des propriétés formelles et concrètes caractéristiques. » 5 4 des lieux, sous le signe d’une « contamination », figure maîtresse de tout l’œuvre de Poe. Il est remarquable que cette topique du seuil sllencieux et éloquent soit aussi la pierre de touche de l’entrée en scène de la fonction narratrice dans Wuthering Heights, lieu titulairement venté s’il en est, où le visiteurnarrateur arrive dans un exceptionnel silence des vents, à telle enseigne que le vent y est signifié in absentia, tel un vulgaire « absentee landlord », par la seule silhouette penchée des arbres. Le visiteur est surabondamment inscrit en « locataire-maître» en l’autre-lieu (comme l’autre-narratrice y est servante-maîtresse) : un couple est maître du jeu : silence et présence de voix narratrice, « Usher » et « Husher » ; voire un troisième larron, la fonction Silencer, peut-être le vrai jeton jeté sur la table pour deux faux-jetons, « Lockwood » et « Heathcliff » ? De l’absolu littéraire (version anglophone, d’époque) comme présomption de plénitude. « Huissier » n’est pas « Appariteur » [porter, campus policeman ; « appariteur musclé » : strong-arm attendant], bien que les deux termes aient rapport à des faits et dispositifs, voire institutions, d’ « huisserie ». Le trait pertinent qui les distingue semble bien relever du mode de présence de la Loi. Huissier est porte-Loi logiciel ; Appariteur est bras matériel de la Loi du « Camp », qu’il soit Campus Universitaire ou Camp de Rééducation, littéral avoué voire proclamé (régimes officiellement à Parti Unique, exURSS, Chine toujours actuelle, Viêt-Nam depuis 1975, Corée Pyongyang variante exportatrice récente innovante, équilibrant son propre CDR interne par un Camp De Rééducation Mondiale Par Menace Nucléaire, CDRMPMN ), ou inavoué toiletté en Partiversités et Campagnes de Moralisation (nous-mêmes, le « SinnFein » français, « Union Soviétique qui a réussi »). Mais le Romantisme anglophone n’en était pas là, même s’il eut la main lourde en Acadie, en Irlande, et en Arabisme Romantique style Beckford par l’utopie du feu à la place des cœurs. Il y a de l’Appariteur Musclé dans l’Huisserie Romantique, et du Porte-Loi logiciel. Mais les « videurs » expéditifs y restent la Mort et « les Sorts ». La mort est par définition présomption de plénitude, dans toutes ses variantes allant de l’anéantissement au nantissement. Il est vrai que le Camp de Rééducation style jacobin français l’est aussi. 5