Il faut bien distinguer entre la logique comme discipline qui produit

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Cours 10 du 21 novembre 2005; Stengers.
Question d’un élève : …1 philo et science chez Deleuze ?
Stengers : ok. Comme ça c’est un gros truc, vous aviez aussi une question ?
Question d’un élève : je crois qu’à la dernière leçon, vous aviez dit que le propre de la
philosophie analytique est de produire des propositions consensuelles, et j’aurai voulu savoir
ce que vous entendiez par là.
Stengers : aha. Aimez-vous la philosophie analytique ?
Elève : ben euh, bon, je ne sais pas ce que vous entendez par philosophie analytique, mais ce
que, je pensais pe à Saul Kripke, je ne sais pas, ce sont des propositions de logique
extrêmement pointues, je ne comprends même pas la question qui est traitée. Donc en quel
sens s’agit-il de propositions consensuelles ?
Stengers : donc faut bien distinguer entre la logique comme discipline, qui produit des
propositions aussi pointues que l’on veut, et la philosophie. Et c’est dans l’entre-deux, enfin
dans le passage de l’un à l’autre que se situe la mise en question, voir même l’accusation –
après je reviendrai sur les fonctions et les concepts – que se produit l’accusation de Deleuze.
Donc, tant qu’on a des propositions logiques en tant que logique extrêmement pointue et
qu’on est dans le calcul logique, …2 ou autre, il y a pas de problème, c’est de la logique. Si on
est dans la logique, on fait de la logique, et la logique peut être une pratique en elle-même.
C’est plutôt une branche des mathématiques. Il y a un endroit d’ailleurs où Deleuze a dit le
point dans l’histoire de la pensée, au sens où elle n’est pas pensée logique mais pensée d’autre
chose, où la logique était à son aise, c’était la théologie.
Pourquoi, parce que là elle est problème de théologie dans la mesure où ils mettent en
scène Dieu, peuvent mettre en scène on pourrait dire des expériences de pensée qui ont la
radicalité du type de pouvoir qu’on prête à Dieu. La question de la grâce, et toute une série
d’autres questions mettant en scène la toute puissance du créateur, sont des questions qui en
fait – et c’est une des dimensions de la philosophie scolastique – peuvent entraîner des
aventures de type logico-philosophique. En théologie, et en théologie médiéval notamment,
lorsque la question de la connaissance et celle de la création peuvent être mises en
communication directe, c’est un des points où vous pouvez trouver, selon Deleuze, et je
trouve que c’est assez bien trouvé, une mise en problème logique, non consensuelle, mais liée
justement.
Tandis qu’ailleurs, quand je disais consensuelle, et donc pour ceux que la philosophie
du moyen âge intéresse, qu’ils ne s’étonnent pas de trouver là un mariage entre la logique et la
pensée, mais qu’ils voient bien que c’est le propre de la théologie.
En ce qui concerne la philosophie analytique non théologique, j’ai donné un exemple
de proposition consensuelle, un peu commun : je vois là cette table, je vois là une pierre grise
(grise de préférence), ce n’est qu’une des modalités du consensus. On peut aussi faire
consensus avec des expériences de pensée. Et l’expérience de pensée en philosophie
analytique est tout à fait singulière de ce point de vue là, ça n’a pas grand chose à voir avec
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l’expérience de pensée en physique. Quoique les deux portent le même terme, la même
signification.
Il me semble qu’en philosophie analytique, ce qu’on appelle une expérience de pensée
soit la chambre chinoise d’Husserl ou tant d’autres expériences de pensées célèbres, sont là
pour fabriquer une situation radicalement discursive. L’ensemble des questions qui sont
posables sont déterminées par la description de la situation. Dans la chambre d’Husserl, nous
ne savons pas ce qui a amené cet humain dans cette chambre. Nous ne savons pas ce qu’il
cherche, nous ne savons rien que, et c’est tout ce que nous avons à savoir, la définition de
cette situation. Elle est donc absolument et littéralement discursive. Elle a quelque chose de
théologique de ce point de vue là. Et c’est en cela qu’elle fait consensus, c’est à dire qu’elle
rassemble, que d’abord elle rassemble sur un mode bien déterminé avant de pouvoir engager
la discussion à propos de ce qui d’abord a rassemblé.
Elève : mais en même temps, peut-être qu’un philosophe analytique ne serait pas tout à fait en
désaccord, dans ce sens que justement il dirait que le propre de la philosophie est de traiter de
problèmes discursifs.
Stengers :Ben oui ! C’est exactement, et j’en reviens alors à ce que Deleuze conteste, l’un des
premiers énoncé à propos des concepts dans « Qu’est ce que la philosophie ? », c’est bien
bizarre, c’est un concept n’est pas discursif. C’est à dire que bien évidemment, la philosophie
selon Deleuze est le concept, travaille avec le langage. Les philosophes, qu’est ce qu’ils font ?
Ils écrivent, parfois ils parlent mais on peut dire que l’écriture est un des vecteurs de la
philosophie, un des points de la philosophie, lire et écrire. Par contre, c’est pourtant pas
discursif. Ca a l’air paradoxal, mais tout ce qui en passe par le langage n’est pas néanmoins
discursif, au sens où discursif ça veut non seulement dire que l’on en passe par le langage ou
l’écriture, mais que c’est ce qu’admet le langage qui fait loi, qui fait règle.
Le discursif fait allusion à l’idéal d’une langue commune, d’une langue où on sait ce
que l’on dit. Une langue où entre le dire et le vouloir-dire, la conséquence n’est jamais
transparente mais elle dans une approximation dont l’idéal serait la transparence. Le
philosophe écrivant à la Deleuze dirait « mais comment est ce que je sais ce que je veux dire,
tant que je ne l’ai pas dit ou écris. Tant que l’écriture et le travail de l’écriture ne me l’a pas
fait reproduire. », et là on est dans un rapport qui n’a de sens qu’avec le langage, et
néanmoins, je veux dire que ça cesse d’être discursif au sens d’un énoncé que l’on peut
comprendre à partir de sa signification.
Donc un concept c’est justement quelque chose qui nous désigne comme être, fabriqué
par le langage et par l ‘écriture. Mais l’aventure des concepts porte à l’une de ces limites,
l’aventure d’une fabrication dont le langage ne dit pas ce qu’elle est.
Ca peut avoir l’air mystique mais quand vous écrirez un texte qui vous tient un peu à
cœur, vous saurez quelque chose de ce à quoi on ne peut faire qu’allusion.
Lorsque vous écrirez un texte où vous saurez que c’est le trajet même du texte qui vous a
rendu capable de produire une idée ou une manière de voir, de penser quelque chose qui ne
préexistait pas, que vous saurez que ça n’a rien de psychologique, au sens « j’y ai simplement
pensé maintenant », quand vous saurez que c’est le travail de l’écriture auquel vous êtes
redevable de cette production, alors vous saurez qu’écrire n’est pas une activité discursive.
Aussi curieusement et aussi peu mystiquement que ce soit, et je dirai que le propre de
ce que Deleuze fabrique avec les concepts et aussi avec les fonctions et de ce que j’essaie de
faire avec les pratiques, c’est justement d’aller aussi proche que possible d’une zone qu’on
dirait mystique au sens où tout ce qui échappe à la discursivité serait de l’ordre de la mystique
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ou de l’ineffable. NON, il ne s’agit justement pas de mystique, dans la pratique. Parce que la
question est justement l’ensemble des dispositifs pratiques qui rendent capable de certaines
aventures.
De certaines aventures qui d’une manière ou d’une autre se solderont souvent par du
langage, quoique dans les pratiques artistiques, ça ne se solde pas forcément par du langage
du tout. Mais de rendre compte aux de certaines pratiques, de certaines aventure au sens où
ces aventures impliquent toute (et c’est leur trait commun ), elles impliquent toutes un double
aspect. Un double aspect que je vais dire tout de suite: une manière très concrète et assez
décontenançante d’envisager un énoncé qui est d’ailleurs le titre du bouquin de Nathan “Nous
ne sommes pas seul au monde”, c’est à dire qu’une pratique ce n’est pas la production d’un
individu, d’un humain. Les pratiques ne sont pas humaines, ce qui ne signifie pas q’elles sont
inhumaines, mais elles traduisent le couplage de ce que nous appelons un humain avec
quelque chose d’autre, y compris avec l’écriture. Nous ne produisons pas de l’écriture comme
un arbre produit de la sèvre, quoi que nous en savons très peu sur que c’est la production de
sèvre par un arbre. Peut-être que c’est beaucoup plus mystérieux que ça, mais je prend le
terme de l’opposition au sens où certains ont dit parfois que la pensée était au cerveau comme
une sécretion était à la glande.
Non. Nous ne produisons pas. La pratique exhibe le fait que nous ne produisons pas de
la pensée – ou quoi que ce soit qui soit de l’ordre de la pratique – comme une glande produit
une sécretion.
Il y a là un couplage, il y a là quelque chose que Deleuze d’ailleurs appelle, dans d’autre cas,
parce qu’ils sont plus fluides, un agencement, quelque chose qui ne désigne pas la personne
au sens où elle serait proprement humaine, l’humain en tant qu’humain. Il s’agit – et c’est
pour ça que j’aime le terme – du “praticien” en tant que praticien et c’est toujours telle ou
telle pratique.
Elève : cela se rapproche du [socus] de Deleuze, ou ?
Stengers : ça peut. Tout est rapprochable, mais il faudrait que vous payiez plus pour que les
autres comprennent ce qu’est socus et que je comprenne ce à quoi vous faites allusion avec le
terme.
Elève : je ne vais pas me lancer dans le débat.
Autre élève : …3de la discursivité que Deleuze évacue au profit de la digressivité, il me
semble, est ce que vous pouvez expliquer ce à quoi il veut en venir quand il dit que la
philosophie n’est pas discursive, qu’elle est plutôt digressive ? Parce qu’il me semble qu’il
garde un peu ces deux termes en opposition.
Stengers :Il lui arrive de les mettre en opposition mais ça ne vaut pas comme une opposition,
parce qu’il y a très peu d’opposition. Et à ce moment-là il a dit disgressive au sens où
justement qu’est ce que c’est une disgression. Et à propos, ça devient parfois pour certains
auteurs des notes en bas de page qui n’en finissent pas, c’est-à-dire c’est l’événement qui fait
faire un zig zag. Parfois ça devient trop difficile à refabriquer dans un text,e parce que l’on ne
peut pas faire trop de zig zag dans un texte. Le texte il s’est produit en zig zag, et après il faut
essayer de retrouver quelque chose qui se rapproche plus de la discursivité, simplement parce
que on négocie toujours avec un lecteurn et on ne peut pas lui demander, le zig zag ne peut
pas être commandé par le texte, il doit être suscité par le texte, donc c’est tout un travail
d’apprivoisement avec sa propre production de texte. Si on dit « le zig zag, c’est la
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Ndrt :inaudible
3
philosophie, je vais faire zig zaguer les lecteurs », on vient de changer de sens. On vient de
changer de sens du zig zag parce qu’il devient impérieux, à prendre ou à laisser. Non, il faut
espérer et en appeler à la capacité propre du lecteur à zig zaguer, à faire ses propres
digressions, mais tout texte de philosophie est né dans la digression, c’est-à-dire dans le zig
zag qui caractérise pour Deleuze le balais de sorcière. Et pourquoi ? Justement, parce que un
concept suscite ou rencontre, ou se trouve, ou produit souvent une proximité qui est de l’ordre
de l’événement avec d’autres concepts. Alors que la discursivité est plutôt d’ordre linéaire. Le
trajet conceptuel rencontre et suscite à la fois une proximité, et ça c’est un terme très
deleuzien, qui rend perceptible quelque chose qui ne préexistait pas. Et ça peut être un
presque rien, ce quelque chose qui ne préexiste pas. Ca peut être une liaison qu’on a en fait
déjà rencontrée, mais qui est renouvelé d’être suscité là.
Une des choses que Deleuze a dit et redit et re-redit dans « Mille plateaux », pour vous dire
que ce n’est pas un appel à « zigzaguons joyeusement », et ça c’est exactement l’une des
obligations peut-être, sur laquelle il insiste pour tous les travaux qui sont de l’ordre de la
création en tant que tel, c’est sobriété. Ca zig zague peut être drôlement, mais pas d’ivresse du
zig zag.
C’est sa grande et célèbre scène qu’il reprend je crois à Henri Miller, le trip (le trip, au
sens psychédélique, mais à l’eau pure) c’est à dire ne pas en rajouter une tension entre le zig
zag et la sobriété. C’est normal, et cela être non pas maîtrisé, mais apprivoisé.
La figure du zig zag était très intéressante, très importante chez Deleuze, mais je crois que le
propre des concepts (mais je vais pas vous donner toute la description conceptuelle que l’on
trouve dans « Qu’est ce que la philosophie ? »), mais toute la complexité de cette discussion
vient de ce que tout à la fois on peut dire d’un concept qu’il a des composantes internes qui
sont des concepts, mais aussi qu’il est en voisinage externe avec d’autres concepts. Et que la
dimension de ce qui lui est intérieur et de ce qui lui est extérieur n’est pas une identité, comme
en pourrait dire un vivant. Le vivant a on pourrait dire une espèce de milieu interne, et un
milieu externe, plus d’autre milieux d’ailleurs.
Mais ici la question n’est pas là, selon le trajet par où on le rencontre, ce qui était
composante intérieure peut devenir composante extérieure. Et c’est là qu’on a affaire à une
disgression. C’est à dire que ce qui était composante intérieure se connecte pour son propre
compte avec d’autres concepts. Et donc c’est vrai, et c’est en cela que le travail conceptuel
n’est pas discursif et qu’il a quelque chose à voir aussi avec le travail d’apprivoisement.
Qu’est-ce que ce « approchez avec prudence » ? et la question de la prudence, de la
prudence nécessaire, est l’un des maîtres mot de « Mille plateaux », et aussi de « Qu’est ce
que la philosophie ? ». Il parle de moyen dangereux, on peut délirer avec les concepts, et
Deleuze a vu plus qu’à son tour des étudiants se mettre à délirer avec les concepts, c’est-à-dire
se laisser emporter par cette puissance au lieu de négocier avec elle.
Balais de sorcière, d’accord, mais même un balais de sorcière on apprend à le conduire.
Donc je crois que « Mille plateaux » est aussi quelque part un texte on pourrait dire d’après
coup, après coup de « l »Anti-Œdipe », qui n’avait pas pris beaucoup de précaution. Et de ce
qu’a pu produire de « l’Anti-Œdipe », d’enthousiasme délirant, d’identification entre la
pensée et le délire. Mais le délire, c’est là où le concept prend le dessus, et c’est quelque chose
que l’on retrouve, je voulais vous le dire beaucoup plus tard, mais que l’on retrouve dans
toutes les pensées dites primitives où on sait cultiver et accueillir des êtres, ou des invisibles,
eh ben c’est qu’il s’agit d’apprendre à les accueillir et à les nourrir parce que sinon ils vous
dévorent. Et ne pas se faire dévorer par les concepts qu’on est en train de produire est une des
questions du métier, en quoi c’est une pratique.
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Bon, donc le concept ne se réfère à rien, en fait. Mais son mode d’existence réfère à
l’efficace du mouvement de pensée qu’il suscite et qui le suscite. Le concept et le penseur se
co-créent.
C’est ce qui se dit souvent dans « Qu’est-ce que la philosophie ? », autopositionnement du
concept. Il s’auto-produit au sens où on ne peut pas dire « eh bien, sa production reflète ou
traduit un état de chose. Tandis que la fonction, au sens scientifique du terme, se réfère à un
état de chose.
Donc je viens là à la différence entre concept et science.
La fonction, elle se réfère à un état de chose, et pourtant les sciences sont decrites par Deleuze
et Guattari comme elles aussi créations. Il faut en conclure que tant l’état de chose que la
fonction sont créés, sont co-créés.
Il n’y a pas d’abord, et c’est bien la différence avec ce que j’appelais les fonctions, les
états de chose consensuelles : il n’y a pas d’abord un état de chose consensuelle qui s’exprime
par une fonction. On en trouve, et pas seulement, vous savez, en logique, je me souviens que
quand je travaillais chez Prigogine, mon rôle comme fou du roi ou philosophe maison ou tout
ce que vous voulez, était parfois de prendre en main, après que Prigogine les ait reçu
aimablement pendant dix minutes, des écologistes, des historiens, enfin des généralistes de
toutes sortes se rendaient chez lui comme on se rend à la Mecque, pour lui présenter leurs
idées. Et après que Prigogine ait rapidement vu que ça ne l’intéressait absolument pas, c’était
à moi de passer au moins deux heures pour leur valoir leur voyage, et essayer – et c’est là que
j’ai appris ce qui sera l’un des thèmes de ce cours, que j’ai appris disons par une certaine
diplomatie (parce que ça je lierai à la guerre) mais un certain tact, comment aimablement faire
exister le fait que la ressemblance était fausse. Et qu’est ce qui était le cas le plus typique ?
C’était un historien par exemple qui expliquerait que l’état en un instant donné de la ville est
fonction de et puis suivait un nombre de variables tatatattataat avec des petits points indéfinis,
virgule t, virgule le temps. Eh bien on peut dire que là on a quelque chose qui est de l’allure
d’une fonction, mais une fonction sans articulation. Les variables sont en nombre indéfini, il
n’y a aucune garantie que ces variables qui sont nommées là sont indépendantes, elles sont
quelconques, ce sont des variables purement descriptives, alors qu’une vraie fonction, enfin
une fonction qui vaut la peine et qui va se référer de manière non triviale à un état de chose
qui lui non plus n’est pas consensuel, une fonction au sens fort de ce terme, articule des
variables. Et prend le risque de désigner ces variables comme celles qui sont nécessaires pour
définir l’état de choses, et en plus qui sont indépendantes. Puisque la fonction aura pour
fonctionnement de dériver les valeurs des variables dépendantes des valeurs des variables
indépendantes.
Donc ca veut dire qu’une fonction ce n’est pas simplement qu’une description,
formalisée vaguement au sens d’allure mathématique. Et ça veut dire que l’état de choses
n’est effectivement pas quelque chose que l’on rencontre comme ça dans le vaste monde. Il y
a co-création de la fonction et de l’état de chose au sens où cet état de chose, sa définition, la
possibilité de le définir est un événement, est une réussite. Les astronomes peuvent définir
l’état de chose qui correspond au système solaire. C'est-à-dire que la fonction, quelles sont les
variables indépendantes et comment sont elles articulées pour produire d’autres aspects de la
description, est bien définie. Par contre, et c’est quelque chose que je vous ai dit, nous avons
beau penser en bon matérialiste que dans la boite crânienne il y a des neurones avec des
synapses en folie et des hormones – pu isque nous sommes passés du cerveau sec, électrique
au cerveau humide plein d’hormones qui eux, comme disait …4je crois, alors que les synapses
sont d’un adresseur à un destinataire, même s’il y en a beaucoup, c’est toujours d’un point à
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Ndrt :inaudible
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un autre, mais les hormones c’est un message adressé a tout ‘whom it may concerne’, c’est
une grande vague d’hormones qui atteint tout ceux qui peuvent en faire quelque chose. Donc
c’est humide au sens où c’est une diffusion.
Bon, nous savons tout ça, nous ne savons pas à quel état de chose ça … corresponde.
Nous ne pouvons pas traiter le cerveau comme un état de chose parce que nous ne savons pas
quelles sont les variables pertinentes et comment ces variables s’articulent..
L’état de chose n’est pas une vision, « je vois des neurones ». Non non, tu vois tout ce que tu
veux, mais il ne s’agit justement pas de dire que tout le monde sait que et comme il n’y a rien
d’autre dans la boite crânienne que des neurones et des hormones et tout ça, eh bien cela doit
pouvoir quelque part être décrit par une fonction, qui serait fonction de tout cela. NON ! La
création scientifique est aussi loin que possible du « doit pouvoir », et c’est là un des vrais
pièges de ce qu’on pourrait appeler la pauvre philosophie, la philosophie à quatre sous, la
philosophie pour café du commerce, la philo pour opinion, et les laides noces de la
philosophie et de l’opinion – mais qui ne sont pas le propre du philosophe hein, qui sont le
propre plutôt de l’opinion en tant que savante, l’opinion savante.
Je vous ai déjà parlé de l’effet placebo à propos du test clinique, un des points où
l’effet placebo joue et a un pouvoir, je vous l’ai dit c’est dans la collaboration assez infâme
entre médecins et théologiens, enquêteurs théologiques, autour d’un miracle, disons à
Lourdes. Pourquoi ? Parce que il s’agit véritablement de l’incarnation de deux responsables
rivaux. Est-ce que ce à quoi nous avons à faire pourrait être réduit à un effet placebo ? Et dans
ce cas là ça tombe dans la poche de la nature, ça doit pouvoir, même si on y comprend rien,
s’expliquer en terme de fonctionnement chimico physico hormonaux ou immunitaire etc, c’est
le « diot pouvoir » qui règne, ou bien est ce que vraiment on est face à l’ inexplicable, et à ce
moment-là le médecin dira « ça je ne comprend pas » et du coup le théologien dira « ah ben
c’est donc un miracle ». Bien pauvre miracle puisque c’est le reste. Donc si Dieu veut agir sur
nous directement, reconnaît le théologien, il doit bien prendre soin à ce que ça ne puisse pas
s’expliquer selon les « doit pouvoir » de la nature. Ainsi il sera reconnu comme surnature. Et
l’opposition naturelle-surnaturelle est totalement, ne fait pas du tout intervenir les états de
chose de la science, mais le « doit pouvoir » d’une représentation scientificarde du monde.
Et quand je dis scientificarde c’est que justement dans ce « doit pouvoir » se perd exactement
ce qui fait de la science une création. Et le surnaturel c’est le reste, quand on considère qu’on
a donné au « doit pouvoir » naturel toute l’amplitude qu’il pouvait, et s’il y a un reste, eh bien
ce noble statut de reste inexplicable sera confié à la surnature. Donc quand on dit « je ne crois
pas au surnaturel », on n’a strictement rien dit, on est dans l’opinion. Et ça il faut que vous
vous en rendiez compte parce que quand je parle d’invisible etc, je ne dis pas « ce sont des
êtres surnaturels », je parle de pratique, et donc les termes nature et surnature ne me
conviennent pas.
Je vous l’avais dit, c’est la même chose qui est arrivé avec les magnétisés au 19eme
siècle. Je vous ai déjà parlé des magnétisés ? Pour ceux que ça intéresse, Bertrand Meheust, ça
peut être une lecture pour l’examen, a écrit Aux empêcheurs de penser deux gros tomes (un
seul suffirait) sur l’histoire du magnétisme. Le magnétisme que l’on pratique encore dans les
campagnes a été quelque chose qui a beaucoup intéressé les philosophes, Hegel en parle je
crois. Il semble que l’on puisse relire Schopenhauer en sachant qu’il pense magnétisme, donc
le monde comme volonté et représentation. Donc c’est un grand problème et un problème qui,
comment dirais-je ,ben le magnétisme a été assassiné, par l’hypnose notamment, qui a voulu
se dire naturelle. Eh bien le magnétisme a été démembré sur le mode que je viens de vous
dire, entre surnaturel et naturel. Et là on voit à quel point le milieu où nous vivons peut être
malsain, parce que les magnétiseurs, pour prouver qu’il y avait là quelque chose d’important,
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n’ont rien trouver de mieux que de mettre le magnétisme sous le signe des faits qui rappellent
les miracles, qui rappellent le surnaturel. Il y a là quelque chose que vous ne pourrez pas
expliquer. C’est un peu comme la parapsychologie aujourd’hui. Et donc ils ont suscité le type
de mise en scène polémique qui les a démembré, puisque ce que je vous ai dit c’est que le
médecin et le théologien c’est une mise en scène polémique, « Dieu, pourras-tu te
défendre ? ». Eh bien là, c’est un peu ce qui est arrivé, c'est-à-dire mise en scène de manière à
pouvoir prétendre à la preuve, les phénomènes, les productions magnétiques se sont heurtés –
il y a aussi un livre mais celui-là ce n’est pas pour l’examen parce que c’est plutôt
anecdotique, sur un voyant qui s’appelle Alexis Didier. Alexis Didier il a passé sa vie à voir, à
deviner la réponse à des questions idiotes du genre « qu’est ce qu’il y a sur la cheminée de la
maison de campagne de ce monsieur ? ». Dans les disciplines bouddhistes ou autre, voir des
choses fait partie d’un trajet spirituel. Ici c’était devenu une fin en soi et une fin voulant faire
preuve, c’est à dire se produisant comme une performance, comme pure performance. Et ben
Alexis Didier a pu convaincre certains, mais ces certains étaient incapables d’en convaincre
d’autres puisque chacun de ceux qui étaient convaincus se faisaient accusés d’avoir été
convaincu par ceux qui restaient sceptiques. Autant vider l’océan avec une petite cuillère, et
encore un océan que ne cesse de recharger des fleuves.
Dans ce cas là donc Meheust montre que effectivement pour échapper, pour renvoyer à la
nature ce que produisaient les magnétisés, on en est venu a attribuer aux magnétisés des
comportements hypersensoriels, qui en faisaient – c’est une belle expression – des
« lupinambules ». Nambule, ça vient de somnambule, qui était l’ancien nom pour les
magnétisés, le somnambulisme magnétique. Si certain d’entre vous on lu Joseph Balsameau
d’Alexandre Dumas, il savent ça – mais personne n’a lu Joseph Balsameau, c’est bien
dommage, je vous le conseille. Nambule comme somnambule et lupine comme Harsène
Lupin, c’est à dire capable de tous les prodiges. Donc, elles étaient naturelles, ça doit pouvoir
s’expliquer comme un corps humain, sauf exceptionnel, lupinambule. Sauf que quand le
voyant en question avait quitté la scène, cassé, brisé, souvent mort prématurément, désespéré,
tout le bazar, eh bien on oubliait complètement les facultés exceptionnelles qu’on avait dû lui
attribuer pour le faire taire. Ca devra pouvoir un jour s’expliquer mais c’est de l’ordre de la
nature.
Vous voyez donc que c’est là des situations polémiques, où on reconnaît qu’il s’agit
pas science, mais d’activité policière, police de la pensée, maintien de l’ordre de la cité. On ne
va tout de même pas faire intervenir Dieu pour un oui ou pour un non hein. Il faut les
miracles, il faut leur donner la rareté. Donc police de la cité pourquoi ? Parce que l’on
n’apprend rien. Parce que le fait que dans le couple ‘magnétisé magnétiseur’ quelque chose de
l’ordre d’une hyperesthésie puisse se produire, n’a absolument pas été enregistré à titre de
‘bon problème’ par la psychologie ou par la physiologie ou par la neurophysiologie ou quoi
que ce soit. Dès qu’il disparaisse, ce que l’on a dû invoquer pour les faire taire, disparaît avec
eux. Donc c’était pour vous dire que « cela doit pouvoir s’expliquer par » est la phrase antiscientifique par excellence.
Et c’est en cela que le rapport entre fonction et état de chose est une création.
« Ici, cela s’explique ». Et la fonction n’est pas non plus discursive, elle est la manière dont
l’état de chose s’explique. S’explique lui-même. Justement, en tant qu’il est création, ce n’est
pas simplement un discours humain SUR un état de chose. Non non, c’est l’événement d’une
production d’un état de chose capable de s’expliquer.
C’est pour ça que l’on peut comprendre que sous le coup de cet événement, Galilée ait pu dire
que la nature s’explique en termes mathématiques. Ce n’était pas simplement du Platon,
c’était me semble-t-il du Platon réactivé par l’événement, l’état de chose que constitue une
bille qui roule , ou un état, un moment de la bille qui roule, l’état de chose qu’il y a là
s’explique mathématiquement. Donc là non plus ce n’est pas discursif. Bien évidemment, la
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fonction peut être dite, en langage mathématique. Mais celui qui la dit, n’est pas un humain.
Comme l’a dit quelque part Bruno Latour, c’est je crois notamment dans « Politiques de la
nature » et ça a fait hurler, l’humain est ici porte-parole de la chose, appareil phonatoire. C’est
une image mais dont l’utilité est d’être une contre image, par rapport à l’image de la
discursivité, « Nous décrivons et quel rapport peut il bien y avoir avec les choses ?». Non !
L’événement scientifique c’est précisément le moment, l’événement où à cette question
générale, « quel rapport entre le discours et les choses ? », à cette énigme générale, se propose
une mise en rapport particulière : « ici, c’est la chose même qui s’explique ».
Et c’est par rapport à cela que, eh bien à mon avis la dramatisation de « les choses mêmes ne
s’expliquent pas », qui elle est une des maîtresses propositions d’Emmanuel Kant, « les
choses en soi sont muettes », « les choses mêmes, nous n’en savons rien », l’importance qu’il
a donné à ça venait du déferlement nouveau de réalisme, lié à l’expérimentation et qui disait
« la nature parle ! ». Mais l’ensemble de ces querelles sont des contre-coups de l’événement,
qui lui est toujours singulier, ICI, sur un mode sur lequel je reviendrai, on peut dire « Elle a
parlé ». Mais c’est toujours ici. Pour cet état de chose et en tant que création. La nature n’est
pas en train de soliloquer toute seule jusqu’à ce qu’on veuille bien l’entendre. Elle n’est pas
en train de parler dans le vide « écoutez-moi, écoutez-moi » et un jour un scientifique tend
l’oreille et l’entend parler.
Est-ce que ça va un peu pour la différence entre science et philo ? L’important est de
comprendre qu’elles sont créations et que là où on dirait qu’il y a un rapport, c’est une
trahison des deux.
Une trahison de la science parce que l’on est dans le « doit pouvoir s’expliquer », on doit
pouvoir décrire ça comme ça, dans le discursif. Et une trahison de la philo justement parce
que là aussi on est dans le discursif.
La discursivité est la double trahison et de la science et de la philosophie, qui fait que l’une
peut engouffrer l’autre.
Y a-t-il d’autres questions ?
Alors je reviens à « exigence » et « obligation », puisque je vous avais commenté là, c’était
justement des pratiques en tant qu’elles divergent, et j’en reviens aux obligations. J’avais
parlé au tout début du cours de cause, cause dans le sens où cela force à penser, au sens où
justement la pensée n’est pas comme la sécrétion d’une glande. C’est ce que Deleuze appelle
parfois la « mauvaise volonté de la pensée ». La « bonne volonté » c’est « chacun sait que et
donc ». Comme si c’était naturelle, comme si les « et donc » suivaient naturellement, comme
si on pouvait se reposer sur un socle de propositions admissibles, et comme si la
communicabilité, la communication, le fait d’être compris, était un droit ou en tout cas un
idéal légitime. On peut exiger d’être compris, « mais enfin fais attention, comprend moi »,
c’est ce qui arrive souvent avec les profs de math, face à des élèves rétifs, qui se demandent
bien ce qu’ils peuvent leur en vouloir. Si vous êtes en philo, vous avez dû en connaître, quand
je parle de ça en science, ils ont déjà tous passé leur cours de math donc ils se demandent ce
que je leur dis, mais en philo ça doit vous dire quelque chose, le prof de math qui s’énerve en
disant « mais c’est dans l’énoncé ! », et l’élève qui le regarde en se demandant « mais quel
langue il parle ? ? ». Puisque qu’est ce que c’est, « c’est dans l’énoncé » ? Cet énoncé est clos.
Or les math, mathématique vient de communicable, transmissible par excellence. Donc elles
ont deux face, la face où pour le prof de math, tout est dans l’énoncé. Et l’élève qui n’y
comprend rien et qui n’y voit rien à cet énoncé. Ca c’est un bon contre-poison, « ah, vous
voulez du transmissible par excellence ? vous l’aurez, et il sera aussi opaque ! », parce qu’il
est effectivement transmissible, parce qu’il fait effectivement penser l’énoncé, penser et agir-
8
écrire, résoudre le problème, donc c’est une réussite de la transmissibilité et pourtant il faut
avoir fait le saut qui fait que on comprend l’énoncé. Et le saut est tellement radical que une
fois qu’on l’a compris, on ne peut même plus comprendre comment on ne le comprenait pas.
C’est pourquoi certains profs de math un peu plus intelligents que d’autres (ça arrive) se
réunissent autour des erreurs des élèves pour essayer d’activer dans leur imagination toutes les
manières qu’il y a pour un énoncé d’être opaque. Bon, donc effectivement les mathématiques
sont le transmissible par excellence, elles atteignent l’idéal de comprendre la même chose,
etc, mais c’est aussi ce qui dramatise le plus, le fait que le transmissible par excellence ne peut
l’être que moyennant que l’on comprend quelque chose que l’énoncé ne dit pas. Et que le prof
se juge en droit d’exiger, et ça fait des mutilés. Ou des gens qui miment la compréhension et
puis qui se mettent à accepter – le livre de [Stella Baruch] – que oui, comme on est en classe
de math, il peut arriver que six plus un égal huit ! donc ça crée des êtres cassés, pour qui en
math tout est possible. C’est à dire le contraire de ce que les maths veulent honnir.
Bon, donc la cause, telle que je l’avais nommé, ce qui fait penser, ce qui nie la pensée
comme bonne volonté, comme production naturelle, la cause comme ce qui fait penser, on
peut maintenant la, comment dirais-je, du point de vue des pratiques, il y a des causes qui font
penser et qui n’ont pas la stabilité d’une pratique, une pratique ça se transmet, on peut être
forcé à penser par quelque chose sans être praticien. Les pratiques c’est simplement des unités
assez stables pour qu’on puisse le décrire. La cause qui fait penser, eh bien elle est
directement liée à ce que j’ai appelé obligation. « A quoi cette situation en termes pratiques
oblige-t-elle ? ».
C’est donc les obligations qui font diverger, alors que les exigences, l’autre face d’une
pratique, peuvent se dire en terme relativement commun, puisqu’elles s’adressent toujours à
d’autres que les praticiens.
Entre exigence et obligation, il y a une autre différence, et qui est assez contreintuitive. Et celle là je l’ai, en fait c’était un des effets de l’écriture, c’était quand j’ai écrit le
7eme volume de « Cosmopolitiques » que j’ai poursuivi ce zig zag, cette digression, qui a
produit quelque chose auquelle je ne m’attendais pas du tout, du point de vue de la
communication. Et en fait, il est très probable que l’une des expériences que je travaillais
ainsi, c’était rien d’autre que mon rapport avec Prigogine. Parce que j’ai appris qu’est-ce que
c’était que d’être philosophe en contact avec quelqu’un qui se demandait « y a t il une
manière de donner à la flèche du temps, à la différence entre avant et après, un statut
irréductible en physique, irréductible à une approximation ? ». Eh bien là, nous étions en
situation, puisque je travaillais avec lui, telle que je devais apprendre à être philosophe dans la
divergence. Pourquoi ? Parce que – et que s’il y a eu une réussite, c’est qu’il l’a admis. Ne pas
l’admettre, ça aurait été de me demander à moi philosophe, lui le physicien, de reconnaître en
tant que philosophe, que la possibilité pour la physique de donner un sens irréductible à la
différence entre avant et après, était un problème face auquel la philosophie devait rester en
suspens.
C’est à dire que la philosophie reconnaisse qu’elle même a été directement intéressé
par cette question physique. Et parfois quand il était en train de célébrer son enthousiasme –
mais c’était une célébration et pas quelque chose à, une sommation … - il me disait « Et vous
vous rendez compte que s’il n’y avait pas eu tel détail mathématique, cette divergente etc, eh
bien, nous n’existerions pas ! ». Bon, ok, s’il m’avait demandé ça, je partais, c’était la guerre.
C’était la guerre parce qu’il me demandait en tant que philosophe de faire dépendre d’une
démonstration physique quelque chose qui est en fait requis par n’importe quel on pourrait
dire atome de pensée.
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Essayer de penser à quoi que ce soit, indépendamment d’une différence faite ou à faire
entre le passé et le futur, essayer d’ouvrir la bouche pour dire quelque chose à quelqu’un sous
le signe d’une équivalence entre le passé et le futur, vous ne le pourrez tout simplement pas.
Parce que cela nie la production de toute différence, quelle qu’elle soit. Egalité du passé,
l’équivalence du passé et du futur, c’est le pendule. Et effectivement vous pouvez me filmer,
si vous me mettez hors cadre parce que sinon vous me verrez parler à l’envers, mais si vous
regardez simplement mon doigt, vous pourrez après faire passer le film à l’envers et vous ne
pourrez pas distinguer quel est le bon sens du film. Tout se passe comme si je remontais vers
le passé, et du point de vue mathématique, inverser la vitesse et inverser le temps, c’est pareil,
dans ces équations-là, qui sont les équations fondamentales de la physique. Inverser la vitesse
(et ici la vitesse s’inverse d’elle même, c’est pour ça que le pendule est intéressant) et
remonter vers son passé sont strictement équivalent du point de vue mathématique. Pas du
point de vue de la pensée. Si j’ouvre la bouche pour dire « le temps n’existe pas », je compte
que cela va être écouté et que cela fera dans le futur une différence pour celui qui m’écoute.
Donc faire dépendre une différence, sans lequel on ne peut même pas commencer à
penser quoi que ce soit, ou commencer à décrire quoi que ce soit, un rail, une bactérie ou le
soleil, parce que essayer de décrire le soleil sans dire qu’il diffuse de la chaleur, c’est pas
possible. Donc faire dépendre ceux la qui est requis par l’ensemble de nos descriptions, d’une
démonstration physique, ce serait une exigence qui vide le monde, et qui le met en
dépendance de la physique. Très mauvaise opération d’un point de vue philosophique.
Demander à la physique pourquoi il y a quelque chose, au sens où ce quelque chose fait une
différence, plutôt que rien, c’est-à-dire la platitude d’une répétition du même. Par contre, et
donc les risques que prenait Prigogine en tant que physicien pour convaincre ses collègues, la
question donc de ce qu’il pouvait faire faire à la physique mathématique, lui il le prenait au
sens le plus fort du terme et moi pas. Puisque aurait-il échoué, RIEN dans ma pensée
philosophique n’en aurait été – enfin en tant que philosophe, j’aurais simplement dit « ben la
physique mathématique n’a pas pu faire ce coup-là ». Mais le lui dire aurait été une insulte
tout à fait inutile. Si j’avais envie de lui dire ça, j’aurais aussi pu autant aussi bien partir.
Donc vous voyez là quelque chose où ce dont dépendait la possibilité d’une coexistence entre
hétérogènes, c’est-à-dire au sens où j’étais obligée différemment que lui, eh bien cela ne
passait pas par lui faire reconnaître qu’il n’avait pas à exiger de moi que je prenne au sérieux
son problème, ça ne passait pas par les exigences, ça ne passait par une opération de conquête,
de moi acceptant son problème comme important pour moi comme ça l’était pour lui. Non
non, ça passait par contre par le fait que la manière dont son problème l’obligeait, le faisait
cauchemarder, le créait, le créait en créateur, cela je pouvais en comprendre quelque chose.
Les obligations, elles ne peuvent pas se communiquer au sens discursif, et pourtant il y a un
faire passer, un faire passer indirect. Si vous écoutez un alpiniste parler de ce que ça signifie
chercher une prise sur une paroi (sans quoi il n’y avait pas de [romans] d’ailleurs), eh bien
vous avez beau ne pas avoir la moindre perspective de devenir alpiniste vous même, il y a
quelque chose qui passe. Il y a quelque chose qui passe dans ses frayeurs, ses cauchemars, ses
choix. Et ça c’est ce qui permettait la relation entre Prigogine et moi. Il ne s’agissait pas d’une
relation où les exigences … les exigences, ce qu’il risquait, « je pense que vous devez
accepter ça », comment dirais-je, c’était sur les physiciens, en tant qu’ils étaient obligés
comme nous, qu’ils les tentaient. Par contre, ce qui le faisait exister comme physicien, cela je
pouvais en comprendre quelque chose.
Et c’est là que j’ajouterai quelque chose à ce que disent Deleuze et Guattari, sauf que le seul
fait qu’ils aient pu écrire « qu’est ce la philosophie » témoigne ce que je rajoute. Ils ont dit
« ce n’est que œuvre faite, il peut y avoir concept de fonction ou fonction de concept », ça
10
oui, effectivement. C’est quand la fonction est stabilisée avec son état de chose, que l’on peut
se réunir autour de cette réussite et l’entraîner dans des sens différents, éventuellement, à ses
risques et périls. Par contre, lorsque l’œuvre n’est pas faite, lorsqu’elle est se faisant, on peut
comprendre quelque chose de ce qui fait vibrer, de ce qui oblige à penser, de ce qui est cause
de pensée pour l’autre, sans pour autant devenir praticien. Et ça, c’est encore une fois du non
discursif. Mais c’est quelque chose qui n’est pas très loin, de ce sur quoi j’ai commencé le
cours, c’est à dire les ancêtres de Nathan.
C’est parce que au coin du feu, on se raconte des récits d’ancêtres, que l’on fait passer
quelque chose qui n’est pas un récit, et qui crée un certain type de relation au sens où on
comprend quelque chose de ce qui oblige ceux qui ont de tels ancêtres. Je vous le dis parce
qu’avec ces histoires de divergences, on dit souvent « oui mais alros c’est incommunicable »,
si si c’est communicable, si si c’est communicable, mais c’est communicable au sens où un
roman bien fait est un opérateur qui communique, au sens où un personnage bien fait dans un
roman est quelque chose qui produit. Vous ne pouvez pas savoir ce qu’il fera à la page
suivante, si le personnage est bien construit. Vous ne pouvez pas savoir ce qu’il va faire, les
risques qu’il va prendre, vous ne pouvez pas vous mettre à sa place, au sens de savoir à quels
risques ses obligations vont l’autoriser, vont le mener. Par contre vous pouvez vous dire « ah,
ça c’est un mauvais roman, ce personnage n’aurait jamais du faire ça. Ca, c’est vraiment
quelque construit n’importe comment. Ce personnage ne tient pas », et ce ‘ne tient pas’, ce
savoir que le personnage ne tient pas, eh bien c’est le type de savoir auquel je fais allusion :
vous ne pouvez pas le prévoir, et pourtant vous pouvez dire « ça non, ça il ne pouvait pas
faire ».
Donc vous voyez, j’essaye de vous renvoyer à des expériences qui peuvent être les
vôtres pour vous alerter sur le fait que le mot communication a beaucoup de sens, et que le
mot « faire passer », ou « passeur » - le passeur, qui est un personnage important – le passeur
n’est pas celui qui crée l’homogénéité, c’est celui qui réussit une opération, mais toujours à
recommencer, jamais faite, entre deux rives, entre deux hétérogènes. Eh bien, les obligations
ont l’efficace de faire passer. On peut comprendre ce qui oblige un personnage, même si on
ne peut pas le dire. Et même si on ne peut pas se mettre à la place du personnage et faire à sa
place. On peut comprendre aussi, comment dirais-je, on peut comprendre du coup, et certains
d’entre vous n’ont pas encore – j’espère que vous l’aurez tous un jour – mais n’ont pas encore
l’expérience du zig zag philosophique, de la création de concepts. J’essaye de vous la faire
passer, de telle sorte que quand vous la rencontreriez vous vous dites « c’était donc ça » et que
vous le preniez au sérieux, c'est-à-dire que vous le nourrissiez, que vous ne pensiez pas qu’il
s’agit d’un enthousiasme psychologique, mais que vous sachiez que maintenant il va falloir
faire attention. C'est-à-dire que c’est maintenant qu’il faut faire gaffe au délire, ou à
l’écrasement dans la crainte et dans le retour aux fonctions consensuelles. Que vous sachiez
que c’est à ce moment-là que les choses s’engagent. Mais ça ne marche, ce que je fais ne
PEUT marcher que si il y a justement cet efficace du faire passer. Où je parle en tant
qu’obligée, en tant que je l’ai connu, et où d’une manière ou d’une autre je vous parle de mes
ancêtres – vous en avez d’autres – et j’essaye de fabriquer l’efficace de ce que je vous dis.
Bon, on va s’arrêter cinq minutes après cette noble déclaration.
Interruption
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Elève : Pour synthétiser ou pour résumer le propos tant sur la question de la
philosophie analytique que la dernière question que vous venez d’aborder sur la notion
[épaisse]5 de communiquer, on peut dire que, en quelque sorte de façon heideggerienne, que
c’est la technique ou la formalisation qui fait ….6ou bien est-ce que ça c’est complètement
naïf ?
Stengers : ca dépend ce que vous entendez par technique parce que je vous ai parlé
des mathématiques, qui pourraient être une technique puisque c’est le calculable par
excellence, et pourtant vous voyez que même là, avant de comprendre ben il faut un faire
passer. De manière générale, ici je n’en ai pas parlé beaucoup, mais l’une des catastrophes
dont nous sommes les héritiers (et nous sommes les héritiers de beaucoup de catastrophes),
c’est la réduction de la technique à quelque chose comme un langage technique calculant. Les
anciens techniciens étaient plutôt proches des sorciers. Et la technique au sens où elle importe
a aussi ses obligations, elle est irréductible, sauf dans sa représentation publique, à une espèce
de langage transparent des moyens aux fins. C’est une insulte sur toutes les composantes de la
technique que l’agencement moyen-fin. Donc non, il y a une création technique aussi.
D’ailleurs, dans « Mille plateaux » il y a tout à coup cette phrase : « les seules inventions sont
techniques ». Vous voyez, avec le technique on peut aller loin.
Elève : et les formalisations ?
Stengers : formalisation ça peut, effectivement, quand c’est formalisation de quelque chose
qui avait une évidence avant d’être formalisée, qui n’est pas produite même dans l’opération
même de création du formalisme, donc formalisation de quelque chose qui existait
auparavant, il y a effectivement un danger, sur lequel je reviendrai, parce qu’il peut y avoir
des formalisations qui sont aussi des dramatisations. Certaines simulations dramatisent, mais
c’est justement parce que la formalisation est alors un outil d’exploration et non pas un
élément d’autorité. C’est pas pour se mettre d’accord, c’est au contraire pour se mettre en
désaccord que l’on peut à ce moment-là formaliser.
Elève : c’est une question plus pratique. Cette pensée en zig zag que vous décrivez, est
ce que vous pouvez l’appliquer et dans quelle mesure à l’enseignement et à la conception de
l’enseignement telle qu’elle est largement diffusée aujourd’hui, c’est-à-dire on fait
transmission de savoir ou transmission de pratique, mais pas dans le sens dans lequel vous
avez décrit la pensée en zig zag. C’est-à-dire souvent sous forme de contrainte ou sous forme
de pensée très unifiante ou très consensuelle.
Stengers : ben oui, souvent, en pédagogie on a cette idée (pas tous les pédagogues
mais quand même pas mal), certains ont une idée constructiviste : on ne comprend que ce
qu’on fait. Le problème est que la situation, ce que ça leur inspire, c’est tout de même les
situations maîtrisables, où la situation proposée offre une garantie que l’élève arrivera à la
bonne solution. Donc il l’aura faite mais il l’aura faite dans un contexte où le zig zag, la
digression serait mal venue. « Apprenez à observer », mais, et j’adore ça, j’ai déjà subi des
« apprenez à observer » quand j’étais gosse et c’était la situation la plus construite
socialement au mauvais sens du terme que je connaisse, dont je me souvienne. Pourquoi ?
5
6
Ndrt :mot à moitié inaudible
Ndrt :inaudible
12
Parce que la règle du jeu, sauf à se faire mal voir, c’était ne pas décevoir le prof. Donc c’était
le tempo. Donc au début, on était bienvenus même si on comprenait tout de suite où ça voulait
en venir (ou qu’on croyait), à digresser. Si on voyait une flamme, avoir de détails, enfin etc,
poser des questions, etc. Mais il fallait saisir la manière dont ces digressions convergeaient
vers la bonne solution. Si on s’obstinait à digresser alors qu’il y avait déjà eu une convergence
vers le bien, le juste et le vrai, là on était mal vu. Donc c’était un jeu tout à fait social de
cosynchronisation avec l’attente du prof qui voulait évidemment que les constructions soient
terminées pendant l’heure de cours. Il fallait donc bien occuper le temps donné par le prof
pour. Donc il y a toujours dans ces histoires-là, même quand elles sont de bonne volonté,
l’oubli de ce que, comment dirais-je, à qui on propose une situation savent qu’on la leur
propose. Et le fait, qui est très fort en sciences humaines, que effectivement pour qu’une
situation déploie son propre pouvoir d’obliger à penser (à ce moment-là on pourrait dire que
la construction, quand on construit, on comprend), pour que ce soit la situation qui oblige à
penser proposée, et pas la situation pédagogique qui guide quant à comment se conformer,
quel signe recevoir, et comment se soumettre en fait, eh bien il faut prendre des risques que
l’on ne prend généralement pas à l’école, c’est à dire proposer des situations où effectivement
il y aura des parcours en zig zag et en digression dont il n’y a aucune garantie qu’elles
convergent. Et donc des situations qui sont susceptibles de produire des productions qui
peuvent être inquiétantes, justement parce qu’elles intéressent les élèves.
Si vous discutez avec des élèves de qu’est ce que « échouer ou réussir à l’école»,
chose qui les concerne, et que vous proposez la situation sur un mode correcte, eh bien vous
réussirez très difficilement à mener les élèves vers la conclusion qu’ils sont dans une situation
correcte du point de vue de la réussite et de l’échec.
Elève :Vous remettez en question l’école, alors, quelque part ? En posant cette
question-là, vous pourriez arriver à remettre en question la situation même d’être à l’école ?
Stengers :Ce que je veux dire c’est que les grands idéaux de l’école, citoyens, où on
apprend citoyens etc, sont tous faux, l’école n’est pas une école de la citoyenneté, l’école est
quelque chose où on est censé rencontrer des mathématiques, l’écriture, la lecture et des
choses de ce genre. Et donc la question est d’en se tenir à cela, et de ne pas se donner – mais
s’en tenir à ça c’est énorme, parce que justement il s’agit de transmettre quelque chose qui ne
se laisse pas transmettre sans recréation. Et donc moi ce qui m’intéresse – pour ceux que ça
intéresse, j’ai écrit une préface – c’est l’ensemble des stratégies dont la réussite rend
indissociable une transmission réussie (en maths notamment ça peut être dramatique, comme
réussite), une transmission réussie et ce que l’on pourrait appeler une prise de force de la
classe en tant que collectif. Parce que à ce moment-là, qu’est ce qui se vérifie ? C’était que les
maths ça reste digne d’être transmis. Parce qu’avec les maths et autour des maths, c’est pas un
élève qui a compris, c’est une classe qui a pu produire des opérations de coopération qui font
passer. Mais à ce moment-là évidemment, quand c’est une classe qui s’est organisée grâce
aux maths par les maths et pour les maths, eh bien plus question de vraiment vérifier les
savoirs au sens individuel du terme. Ils l’ont fait ensemble et ils ont appris ce que ça veut dire
« ensemble ».
Elève : c’est la préface de quoi ?
Stengers : d’un livre qui vient d’être publié aux Empêcheurs de penser en rond, sur l’école
mutuelle, c’est un livre qui faisait partie d’un numéro de la revue du Cerfi que Guattari avait
créée avec des co-chercheurs et qui entendait faire de la recherche en sciences sociales mais
de la recherche action. C’est à dire travailler des matières qui soient pas, qui soient des
13
archives éventuellement mais qui fassent bouger les évidences d’aujourd’hui. Et là j’avais lu
et jamais oublié. Et donc ça a été réédité maintenant, c’est de Anne Querrien, et l’école
mutuelle c’était une école pour pauvres, donc ce n’était pas une pédagogie illuminée. C’était
une école pour pauvres, pragmatique, au sens comment un prof seul fait face à 90 non
seulement bambins mais mélanges adultes, enfants etc, tout ceux qu’on ne voulait pas voir
traîner dans les rues. Et la technique qui a été mise au point c’est : le prof propose de
nouvelles choses à ceux qui sont prêts pour ça, mais tous ceux qui ont compris quelque chose
l’expliquent à d’autres qui ne l’ont pas compris. Ce qui veut dire que le mot « apprendre »
pour chacun – parce qu’il y en a toujours qui n’ont pas compris, surtout pour la … des
matières – le mot de apprendre se dit deux fois, apprendre de quelqu’un et apprendre à
quelqu’un. Et donc il n’y a pas les lents et les rapides, c’est pas comme chez nous, où
l’homogénéité est l’idéal, et les trop lents et les trop rapides sont aussi malheureux les uns que
les autres. Non non, c’est une école qui joue sur la différence de vitesse et les hétérogénéités.
Puisque ça n’irait pas si tout le monde était homogène. Et c’est une école qui a été fermée,
d’après les débats parlementaires, pour deux raisons tout à fait intéressantes, aussi intéressante
l’une que l’autre : c’est qu’on faisait en deux ans la matières des six ans ( !), et il n’était pas
question de commencer à initier des pauvres à la trigonométrie, tout de même ! Or ils étaient
là pour pendant six ans être mis hors des rues et pourquoi ? Pour apprendre la discipline du
travail ! Or ils apprenaient pas la discipline du travail, ils apprenaient l’inter-organisation, la
coopération. Donc la seconde chose qui leur a été reproché c’est qu’ils apprenaient très
effectivement les savoirs mais pas le respect du savoir. Pourquoi ? Parce qu’ils l’apprenaient
sur le mode où la transmission avait
Elève : entre pairs !
Stengers : entre pairs, avec parfois l’intervention des profs, et c’étaient jamais des vrais pairs,
mais en tout cas sur le mode d’une pragmatique du « ça marche » et non pas du jugement. Et
d’autant moins du jugement que c’est justement en constatant que ça ne marche pas si
facilement, que celui qui apprend, apprend vraiment. C’est en apprenant à l’autre qu’on
apprend vraiment. Et beaucoup sont devenus des leaders syndicaux. Evidemment, car ils
avaient appris à se faire confiance les uns les autres. Et savoir qu’aucun n’était quelque chose
sans les autres. Mais pas sur un mode unanyme, au contraire, sur un mode, comment dirais-je,
mobile. Et me semble-t-il, c’est vrai que ça c’est quelque chose, la force de la classe, c’est
quelque chose qui manque à l’école. Ca rejoint une proposition d’Ivan Illich dans « La société
sans école », qui est que l’école exproprie les humains de ce qui est un droit – et tous les
humains d’ailleurs, tous les humains – de ce qui est un droit fondamental, le droit d’apprendre
à quelqu’un ce qu’on sait. Ca, c’est donné à un corps spécialisé. Parce que au moment où
vous apprenez ce que vous savez à quelqu’un, personne ne pourra plus jamais vous l’enlever.
Au moment où vous avez réussi à le transmettre à quelqu’un, cette chose-là, personne ne
saura vous dire « il faut recycler, c’est périmée, etc ». Cette chose-là, au moment et dans la
mesure où vous avez réussi à la transmettre, et seulement à ce moment-là elle devient vôtre.
Elève : pourquoi est-ce que vous dites que les idéaux de citoyenneté, c’est faux ?
Stengers : ben, dans l’école mutuelle ils n’étaient pas faux, justement parce que la force de
l’école était bien placée. La force de la classe était, comment dirais-je, la citoyenneté au sens
où il s’agit aussi d’apprendre la coopération, la citoyenneté pas seulement au sens chacun a le
droit de voter, mais au sens où il s’agit d’un vivre ensemble actif, où ça passe les uns par les
autres, eh bien là elle se créait. Elle se créait autour de la matière dont la transmission était
l’enjeu. Donc dans les termes même de l’école. Si maintenant la bonne volonté est au pouvoir,
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c’est-à-dire qu’on honore la liberté et la différence de l’enfant tout en sachant tout de même
que les mathématiques, c’est pas une question d’improvisation, ou bien on en passe par
l’énoncé au sens où il demande que l’on en passe par lui , ou bien il vaut mieux chanter
Malbroek, parce qu’il perd tout intérêt, je veux dire, si on peut en arriver à 6+1=8, il vaut
mieux qu’on n’ait jamais approché le mathématiques, ce n’est pas de la créativité, c’est un
désastre, un désastre sans nom. Donc les mathématiques, ou bien ça passe ou bien c’est le
désastre.
Bon ben quand on a à transmettre des choses où il y a des contraintes de ce genre, tout ce qui
ressemble à de l’improvisation ou de « j’en arrive par moi-même » à quelque chose qui en fait
n’est pas quelque chose auquel on peut arriver par soi même, parce que c’est une véritable
rencontre, eh bien il y a quelque part de la bonne volonté et du mensonge. Et tout mensonge
derrière une bonne volonté, ben c’est ce qui passe. Ca c’est ma conviction, c’est que vous
avez une dimension de mensonge dans une situation, même si elle par bonne volonté, c’est
ELLE qui est perçue. Les étudiants savent qu’il faut si l’on ne veut pas se mettre à dos le prof
respecter son mensonge ; il faut rester poli tout de même !
Non non mais c’est, vous connaissez tous l’affaire Milgram, je crois que je vous l’ai déjà dit,
que la plupart de ceux qui ont accepté d’être tortionnaire, c’était par politesse. Vous voyez ?
Tandis que dans le faire passer que je vous dis, bon on peut quand comme moi on apprend à
faire de la philosophie au contact avec quelque chose d’hétérogène, eh bien ce qu’on sait aussi
c’est que le faire passer – puisque là il s’agit d’hétérogènes, il ne s’agit pas d’apprendre à faire
des maths – que le faire passer, c’est ce que demande quelque chose qui sera de l’ordre d’une
recréation. Donc le faire passer est un faire sentir, mais par contre, bon, quelqu’un m’a dit
qu’à St Louis on avait des cours qui pourraient être dit sur – je suppose que ce n’est pas dit
comme ça, sinon je cours à ce cours – à quoi Shakespeare oblige la philosophie, eh bien ça
c’est une belle question. Pourquoi ? Parce que c’est aux philosophes d’y répondre, la question
n’est pas à Shakespeare, lui s’en fout des philosophes. Par contre la question « à quoi
Shakespeare oblige la philosophie ? » est une question de philosophe. Et donc quelque part il
y a eu un faire passer, mais que faire avec cela, là c’est de la création. Et il y a eu aussi une
femme qui s’appelle Nathalie Heinich, qui a écrit un livre – je crois que là il y a obligation, je
ne sais plus, mais enfin – « à quoi l’art oblige la sociologie », et c’était tout le problème de
…7 entre la production des artistes et les catégories sociologiques, qui peuvent être très
facilement des catégories insultantes.
Et c’est aussi une question que Latour a posé : « à quoi les sciences ont obligé les sociologues
qui ont voulu réduire les sciences à une pratique sociale comme une autre ? », il parle de felix
culpa, nous les avons insulté et nous avons appris par eux à quel point les questions de la
sociologie pouvaient être insultantes pour ceux qu’elles concernent. Donc nous devions
l’apprendre, y compris là où nous avions affaire à des groupes qui ont moins de cordes
vocales pour hurler « nous sommes insultés ! », mais qui vont éventuellement se soumettre
par politesse.
Bon, donc, tiens ça tombe bien, parce qu’il y a un très beau, je crois qu’il est reproduit dans le
deuxième volume des textes de Deleuze. Evidemment on n’entend pas sa voix, qui était
inimitable, c’était une vidéo, enfin la vidéo je l’ai mais elle est totalement effacée, tellement
elle a été copiée plusieurs fois. C’était un cours de Deleuze à ...8, sur justement art et, enfin
cinéma et philosophie, où il commence en disant : « je sais, vous aller me dire que ça ne va
pas bien chez vous. Eh bien ça ne va pas bien chez nous non plus ! ». Ne venez donc pas vous
plaindre ! Et là, il introduit un personnage, qui est parfois dans ses textes mais c’est là qu’il
l’introduit d’une manière pour moi inoubliable, c’est à propos de la manière dont le cinéma
7
8
Ndrt :inaudible
Ndrt :elle parle de comment elle a retrouvé une vieille cassette, puis elle imite Deleuze
15
peut parfois adapter, c’est à dire recréer – il y a de nouveau le faire passer et la recréation – un
roman. Et c’était l’opération de recréation qu’il fait partir de L’idiot de Dostoïevski, et qui
aboutit aux sept samouraïs. On voit là une reprise, recréation, quelque chose est passée,
qu’est-ce qui est passé ? Quelque chose est passé. Qu’est-ce qui s’est passé, qu’est ce qui est
passé, que le cinéma recrée par ses moyens propres ?
Le personnage de l’idiot de Dostoïevski – tel qu’il le schématise, justement, parce qu’il y a
quelque part eu une idée, qui a été recréée – c’est celui qui court, qui est dans l’urgence
consensuelle, je ne sais plus son nom, disons Olga, Olga va mourir, il faut que j’aille à son
chevet, Olga est mourante, je cours, et puis sans cesse il est arrêté. Sans cesse il est arrêté par
telle chose, qui arrive à quelqu’un, etc. C’est une urgence sans cesse contrecarrée par des tas
de choses. Et ce qu’il en tire, le personnage de l’idiot, le personnage conceptuel de l’idiot chez
Deleuze, c’est celui pour qui, il ne sait pas quoi, il ne peut pas vraiment le dire, sinon il ne
serait pas idiot, il serait protagoniste d’une scène polémique. Mais il y a quelque chose de plus
important que l’urgence qui devrait m’entraîner, me commander. Il y a quelque chose de plus
important, qui ne cesse de me freiner. Et il retrouve dans les sept samouraïs – ou les sept
mercenaires, pour ceux qui ont vu le film, il y a la même chose, c’est une vraie reprise – ils
sont là en train de mobiliser le village, les bandits vont arriver, c’est une urgence, et ils
s’arrêtent, ils ralentissent sans cesse pour se demander « que vont devenir les samouraïs ? ».
Donc il y a quelque chose de plus important mais qui n’est pas du tout commensurable avec
l’urgence, c’est pourquoi on dira que ce sont des idiots, parce qu’ils ne comprennent pas que
ce n’est pas le moment de se poser ce genre de question. Donc ce sont des idiots, mais des
idiots au sens tout à fait intéressant, et au sens qui se connecte de manière très intéressante à
un terme dont je voudrais vous dire l’intérêt, qui est idiome. A l’origine, les idiotès, chez les
grecs, ce n’étaient pas des gens stupides, stupides ça communique en latin avec stupeur,
endormi, beuhh. Ca c’est pas un idiot. Il y a plein de, il y a la bêtise – celle-là elle a quelque
chose de méchant – la stupeur, et l’idiotie. Mais l’idiotie c’est une force, parce que ce qui
ralentit l’urgence ne peut être qu’une force. Et ca communique avec idiome, les idiotès
c’étaient ceux qui ne parlaient pas le langage civilisé, le langage public, le langage rationnel,
le langage discursif, celui qui définit tous les interlocuteurs comme interchangeables. Ils
parlaient des idiomes, des idiomes divergeants, des idiomes obscurs. Et je dirais que lorsqu’un
praticien parle le langage public, il triche toujours, il ment toujours. Son langage, parce qu’il y
en a un, c’est un idiome. Les mathématiques, non pas au sens général, mais au sens où elles
font penser - après elles sont éventuellement connectées, le champ mathématique a tenté
d’être axiomatisé, mais en fait ça marche pas très bien, ça s’est cassé la figure assez
rapidement, mais si les .. ont tout fait pour arriver à ordonner tout ça. Eh bien non, ce sont des
idiomes, raccrochés, on sait comment passer de l’un à l’autre, on a beaucoup travaillé pour ça,
mais la dimension idiomatique reste, parce qu’elle est de naissance. Elle est de naissance au
sens où une création mathématique n’est pas une déduction axiomatique.
Donc les idiomes m’intéressent justement parce qu’ils peuplent, comment dirais-je, ils sont
des langages qui posent le problème d’une intertraduction qui sera toujours une recréation. Là
aussi, la communication n’est pas un droit, n’est pas un idéal normal, par rapport auquel on
tendrait par approximation lente. Non non, la question de la traduction entre idiomes n’est pas
impossible, nous ne sommes pas dans l’intercommunicabilité, mais il faut toutes les
ressources d’un idiome pour passer quelque chose de ce que l’autre dit. Il s’agit d’une
recréation. Non, pas pour faire passer, pour retraduire ce qui passe, dans un autre. Et
effectivement, les grandes traductions sont toujours des re-créations, d’une langue à l’autre.
L’idée d’une traduction automatique est une idée assez saumâtre sinon rigolote. Essayez de
pousser sur google pour traduire cette page, vous savez, vous aurez une peine de rire, et
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pourtant ce sont des textes souvent bête. Mais il y a moyen d’améliorer les choses, de quitter
cette dimension caricaturale, mais il y aura toujours cette dimension de recréation, même des
langages publiques (français anglais et). Pour que la traduction ne soit pas simplement
instrumentale, « qu’est ce que ça dit ? », pour que ça redevienne un texte, il faut que le
traducteur soit un créateur de sa langue. Donc quelque part, toutes les langues même celles
qui se produisent comme publiques sont des idiomes qui s’oublient. Les pratiques, le langage
de pratiques est un idiome qui se sait. C'est-à-dire qu’il sait la différence entre parler entre
praticiens et s’adresser au public. Et le langage public de la science, ben c’est le langage
malheureusement que les scientifiques apprennent à l’école, le langage des démonstrations
etc.
L’idiome, ce qui fait penser le scientifique, ils l’apprennent s’ils deviennent chercheurs sur le
terrain. Donc on pourrait dire que, je vous ai parlé de représentation publique de la science, la
manière dont elle se donne aux incompétents, dont elle se présente aux incompétents, comme
rationnelle, « tout le monde à notre place aurait fait cela ». Eh bien, cette représentation
publique a quelque chose d’un mensonge, d’un mensonge par rapport à l’idiome, qui est ce
qui a produit les énoncés, les éléments de savoir qui sont présentés publiquement, sous le
mode de l’anonymat rationnel, « tout le monde à notre place aurait ».
Et j’avais parlé hier et je vais reterminer là-dessus, du thème de la bêtise : lune des thèses que
je vous propose de penser, c’est que justement la bêtise surgit lorsqu’un idiome s’oublie
comme tel et se propose comme langage public. On pourrait dire que c’est peut être pour ça
que la bêtise est un problème du 19eme siècle, quand les universités s’étendent et quand l’idée
de la science comme langage public par excellence s’instaure. Il y a un philosophe qui dit la
même chose dans de tout autres termes, et qui est mon autre philosophe favori, Whitehead. Il
dit : l’une des plus redoutables inventions du 19eme siècle, qui a fait son efficacité mais aussi
au sens de la destruction de cette efficacité – et là on vient très proche de Heidegger, dans son,
je crois que c’est un article sur les visions du monde physique – eh bien c’est l’invention du
professionnel. Le professionnel n’est pas simplement un penseur spécialisé, le professionnel,
ce n’est pas spécialiste. Professionel, c’est celui qui a été éduqué sur un mode tel que le « il y
a quelque chose de plus important » que mijote l’idiot, devient le droit à négliger, à mépriser,
a éliminer d’un jugement arrogant et irresponsable ce qui n’importe pas.
Le professionnel travaille dans son sillon, là il est pleinement à son affaire, mais du
reste, le « il n’y a quelque chose de plus important » s’est transformé en jugement, en
autorisation à éliminer de la pensée tout ce que son sillon ne concerne pas. Donc quand vous
entendez les biologistes neodarwiniens parler des humains, vous entendez des professionnels.
Ce qu’ils disent des humains n’a aucun intérêt. C’est juste le jugement qui permet de
comprendre pourquoi ils n’interfèrent pas avec leurs ornières.
Vous reconnaîtrez un professionnel non pas au fait qu’il est spécialisé, mais à la bêtise qu’il
revendique dès qu’il sort de son sillon. Et ça, c’est l’invention du 19eme siècle, c’est
l’invention de la bêtise, qui n’est pas, contrairement à ce qu’on dirait, un défaut d’ignorant,
qui est le défaut propre des connaissants. Mais les connaissants autorisés a éliminer ce qui
n’est pas le plus important. Donc qui ont transformé l’idiotie en droit de juger, qui ont
transformé le balbutiement de l’idiot « attendez attendez attendez, parce que tout de même ici,
il y a quelque chose de plus important » en « disparaissez, il y A quelque chose de plus
imporant ». Vous voyez ? C’est simplement un changement. Ok.
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