L’Economie de Marché de Roger Guesnerie. L’importance du marché dans nos sociétés, sa cohabitation parfois conflictuelle avec une organisation économique ont amené l’auteur, Roger Guesnerie, à expliciter la notion d’économie de marché et à examiner quelques-uns des défis auxquels les économies de marché sont confrontées. L’ouvrage est composé de 3 parties, elles même délimitées en sous parties. Les deux premières sont consacrées à l’économie de marché, son histoire, ses institutions et ses mécanismes. L’auteur utilise le marché isolé et stylisé, et compare le marché avec la planification de l’économie soviétique pour souligner ses caractéristiques. Dans la troisième partie, 3 défis sont analysés : la mondialisation, les problèmes de développement durable (surtout les politiques climatiques de réduction de l’effet de serre) et le rôle de l’Etat. Résumé : I- Le marché dans l’histoire et dans la pensée des hommes. Au cours de l’histoire, de nombreuses formes de marché se sont succédées. Les marchés de troc et ceux de type « place de village » ont laissé place à des marchés plus abstraits, où l’unité de lieu, et la relation physique entre agents économiques disparaît peu à peu. Tous font cependant intervenir une relation entre agents économiques possédant des intérêts différents et s’accordant grâce à l’utilisation d’un prix. Les prix ont une place importante dans une économie de marché qui se différencie de l’économie soviétique par plusieurs aspects. Elle possède une décentralisation économique (et non un comité de planification), laisse place à une responsabilisation ( contrainte budgétaire et danger de déficit pour les agents économiques), et les prix résultent d’un processus d’ajustement et non d’une décision administrative. L’économie de marché se repose donc sur un marché doté de plusieurs institutions (institution judiciaire et la monnaie). La France a connu, dans son histoire, un certain nombre d’économies de marché, se différenciant d’un point de vue physique (cf. la nature du produit, la taille des unités de production) et juridique (cf. le droit de propriété, aujourd’hui propriété par action pour les entreprises). Pour comprendre l’économie de marché, une compréhension des mécanismes du marché est nécessaire. Ces derniers sont observables sur un marché stylisé et nous permettent de connaître le prix d’équilibre, le surplus du consommateur et du producteur, le système des prix, prix qui dépendent de l’interdépendance des coûts mais également de l’utilisation individuelle des biens dans la consommation. Le marché possède également des défaillances. Les mécanismes énoncés sont mis à mal devant la notion de biens collectifs, et devant l’existence d’externalités ( actions d’un agent économique qui affectent les conditions physiques de la consommation ou les conditions technologiques de la production pour d’autres agents. Exemple : la pollution). Le nombre de défaillances du marché s’accentue lorsque l’on considère le marché réel. On peut citer l’asymétrie de l’information ( the market of lemons, effet Akerloff), l’aléa moral (banquiers, assureurs), les relations de pouvoir (mark up = écart entre coût de production et le prix que peuvent se permettent certains agents économiques).Ainsi, une intervention de l’Etat est nécessaire pour réduire les défaillances du marché, qui d’autre part, n’assure pas une répartition « socialement » bonne des ressources. II- Entre marché idéalisé et marché diabolisé. Marché, allocation des ressources, et concurrence. Les caractéristiques de l’économie soviétique (incompatibilité réelle entre les secteurs de production, mauvaise évaluation des prix, et manque d’incitations pour la production ) renforcent l’efficacité et les valeurs du marché. Ce dernier fournit-il pour autant de vrai prix permettant une bonne allocation des ressources ? Les prix sont en fait les prix d’hier, encore adéquats aujourd’hui mais devant être anticipés pour demain. Ils ne sont donc valables que sur le court terme. Le marché est donc une boussole pour nos anticipations, mais une boussole incertaine. De plus, les prix reflètent peu ou mal les externalités mais leur utilisation demeure incontournable. Et que penser de la concurrence ? Dans le marché de Walras (marché stylisé), la concurrence est pure et parfaite. En réalité, ce n’est pas le cas. Chaque vendeur essaie de proposer un prix attractif en fonction de ses rivaux, et les biens, différant parfois que d’une simple marque entretenue par la publicité, ne sont pas les mêmes. Les agents essaient également de s’ériger en monopole afin de percevoir une rente (cf. Schumpeter) nécessaire au développement de l’innovation, innovation qui souvent discerne les concurrents sur le marché ( Concurrence Cournot). La réglementation de la concurrence est délicate. Cette dernière essaie cependant de laisser une libre entrée sur le marché pour éviter les monopoles, comme d’éviter une entente sur les prix et les partages de marché. (+ loi antitrust). - Marché, redistribution du revenu et assurance sociale : Le marché est le lieu de l’équité horizontale : tous les agents économiques aux aptitudes identiques sont traités également. Y a –t-il pour autant égalité des chances ? Tous les agents ne disposent pas du même patrimoine, des inégalités sont donc présentes et accentuées par le marché. Dans le marché de Walras, la répartition des revenus se faisait selon les forces du marché. En réalité, ses dernières s’expriment peu et sont amoindries. La différence de rémunération et ses variations s’expriment certes en fonction de l’offre et de la demande de travail (écho de la productivité), mais également en fonction du capital humain propre à chaque agent économique. Le marché peut donc produire des inégalités que l’intervention de l’état essaiera de pallier. Il est cependant important de noter que selon la culture économique de l’individu (marxiste, libérale, sociale-démocrate, etc.…), les inégalités de marché sont perçues différemment. Tous n’attaquent pas le marché pour les mêmes raisons. - Marché, stabilisation croissance et innovation. Pour combattre les fluctuations de l’économie, il existe des politiques budgétaires ou monétaires ( interventions extérieures), souvent contestées. En effet, certains croient au caractère stabilisateur des mécanismes de marché. Pour d’autres, les défaillances du marché doivent être stabilisées. (Opposition Keynes/ orthodoxes). Un point fait pourtant l’unanimité : la politique gouvernementale doit être crédible pour pouvoir être acceptée et connaître un résultat. Les fluctuations peuvent parfois laisser place à des phases de croissance. Celles ci sont souvent le fruit de procédés techniques et d’innovations améliorant les condition de la production. Ces innovations sont aussi très importantes pour le développement de l’économie de marché, tout comme la présence de structures financières adéquates, l’épanouissement de l’esprit entrepreneurial (Max Weber) et un bon niveau d’éducation (cf. Afrique du sud). III- Le marché et ses défis contemporains. La mondialisation : La mondialisation que nous connaissons est issue, comme ce fut le cas au début du XIXème siècle, d’une baisse des coûts de transports ( tarif douanier et avènement aérien). Ceci entraîne la création d’un commerce international pour un nombre croissant de biens. On a donc une mobilité importante des biens et des capitaux malgré une immobilité relative des facteurs de production. Cette mondialisation des échanges s’accélère, où va-t-elle nous conduire ? Ici deux thèses s’affrontent : pour certains la mondialisation est un vecteur de création de richesses (augmentation des échanges => spécialisation => augmentation des richesses) et pour d’autre, elle détruit l’Etat Providence. Ce commerce international pourrait entraîner des problèmes dans la distribution des revenus (uniformisation des revenus) entraînant des gagnants (individus qualifiés et mobiles) et des perdants. (=> problèmes pour la cohésion sociale.) - L’effet de serre : L’effet de serre se caractérise par une l’émission croissante de CO2 empêchant les rayons du soleil de sortir de l’atmosphère. Au niveau scientifique, une incertitude demeure. Il n’est pas sur que les gaz à effet de serre soient responsables du réchauffement climatique (autres facteurs possibles comme la modification de l’axe de rotation de la Terre). Ce domaine concerne également l’économie: le climat est certes un bien collectif, la pollution une externalité négative, mais surtout, en l’absence de certitude, il est important de connaître le coût économique des mesures. De plus, grâce à la réflexion économique, une stratégie planétaire est mise en place pour lutter contre l’effet de serre. Le cadre institutionnel de cette politique se dessine derrière le protocole de Kyoto qui met en place une gouvernance ( substitut à un gouvernement mondial) et conjugue le marché et l’écologie par la création du marché de permis d’émission. Cette politique cherche à réduire la quantité globale d’émission de CO2, et la quantité autorisée sera ensuite distribuée par quotas aux différents pays. La modification de la répartition des quotas (vente et achats des permis d’émission sur le marché) n’a donc aucun impact sur l’efficacité de la politique. On peut cependant reprocher à Kyoto de laisser hors jeu les pays en voie de développement et de mettre de côté l’effort de recherche qui fait l’objet de moins d’attention.. Pourtant de nombreuses inventions ne demandent qu’à être améliorées (énergies propres, pile à hydrogène, etc.…) - L’Etat : Les idées sur les mérites de l’Etat et du marché dépendent souvent des faits, de nos observations et de nos représentations. Les faits peuvent en effet exercer une certaine pédagogie en affectant nos représentations de façon brutale ( ex : crise de 29 ou chute du mur de Berlin). Aujourd’hui beaucoup veulent réduire l’intervention de l’Etat sur la production. Mais jusqu’où peut-on aller ? Le rôle de l’Etat est peu à peu mis de côté par les politiques de la concurrence qui connaissent un essor important. Pourtant, l’Etat reste indispensable pour amoindrir les défaillances du marché ( défaillances qui rendent légitime son intervention). L’action publique permet la diminution de certaines inégalités et agit pour l’intérêt général (sauf lors de la prise en compte des intérêts des lobbies). Une autre faille de L’Etat (organisation) est présente dans son manque d’évolution qui contraste avec sa taille croissante. Enfin, l’Etat demeure impuissant devant les limites territoriales. Contrairement aux marchés, son intervention se limite aux frontières même si, avant de mettre en place une politique conjoncturelle, il doit s’informer de la situation de ses voisins. Il ne peut donc pas agir à l’étranger, et en l’absence d’un état mondial, le marché mondial passe entre les mailles d’un contrôle social. De ce fait, il n’existe pas de gouvernance, mais seulement des coopérations internationales multilatérales qui se cristallisent autour d’organisations internationales( OMC, FMI, OIT) ou de protocoles (Kyoto) qui développent et régulent le marché mondial. Elles sont certes imparfaites (disposent d’une grande autonomie, et font l’objet de peu de contrôle) mais sont, à ce jour, les seuls substituts d’un gouvernement mondial. Critique Interne : Cet ouvrage se singularise par sa visée objective et claire des thèmes abordés. La clarté, tant dans le plan que dans les propos est en effet exemplaire. De plus, afin de s’assurer de la compréhension de son lecteur, l’auteur n’hésite pas, après quelques digressions, à résumer ses propos et le cheminement de son raisonnement, ce qui est certes un peu répétitif, mais parfois très utile. On discerne en effet derrière cet ouvrage un réel soucis pédagogique, une volonté de transmettre un savoir et des outils à chaque lecteur pour l’aider dans sa réflexion. Ce même souci pédagogique conduit parfois l’auteur à rester trop général, trop englobant, trop vague dans ses propos, et à privilégier la description et la citation plutôt que l’analyse approfondie d’un thème, d’une théorie, d’un auteur ou d’un fait. On regrette également le peu d’utilisation graphique (juste une planche dans les premières pages), et l’absence de tableaux statistiques, de références numériques sûres, ce qui aurait pourtant pu renforcer la crédibilité et la véracité des propos énoncés. Cet ouvrage n’en demeure pas moins utile et aiguillonnant dans la compréhension des débats et des faits actuels. Critique externe : Les critiques à adresser aux deux premières parties de l’ouvrage sont difficiles à déceler. L’auteur nous transmet en effet des apports théoriques, nous explique des mécanismes, nous fait part d’exemples en montrant à chaque fois leurs avantages et leurs limites, le tout dans une prose objective soucieuse de nous laisser une liberté d’opinion. Dans la troisième partie de l’ouvrage, une partie est consacrée au développement durable mais surtout à l’effet de serre et au protocole de Kyoto comme à sa mise en application. Le protocole de Kyoto et la mise en place du marché de droits d’émissions sontils vraiment honorables et humainement responsables ? Ce sujet touche l’actualité en plein cœur. En effet du 7 au 18 décembre 2009 s’est tenu à Copenhague un sommet sur le changement climatique. Les résultats de Copenhague prendront la suite du protocole de Kyoto qui expire en 2012. Comme Kyoto, Copenhague revendique l’échange des quotas d’émissions, système que les Anglais nomment « cap and trade ». Ce moyen se distingue par sa capacité à « conjuguer le marché et l’écologie » (l’Economie de Marché). Il les conjugue, certes, mais est-ce une bonne solution ? La seule solution ? Ce système, présenté comme une aide bénéfique dans l’ouvrage, a de nombreuses failles. Tout d’abord, il ne conduit pas vraiment les agents économiques à réduire leur émission de CO2 et à adopter une attitude écologique. En effet, certains groupes industriels dotés de quotas trop généreux (possédant trop de droits d’émission) ont encaissé des plusvalues financières non négligeables censées être investies dans la réduction de leur émission. De plus, le prix du quota, du droit à polluer et donc de la tonne de carbone fluctue. Il est passé de 30 à 8 euros, et se trouve aujourd’hui (décembre 2009) autour de 15 euros.( Pour information, quand un industriel brûle une tonne de gasoil à 900 euros la tonne, il génère deux fois plus de CO2, il a donc un coût de 30 euros, cad à peine 3% de sa facture énergétique). Ce prix faible ne pousse pas à raisonner en terme de « décarbonisation » mais plutôt à faire le contraire. Pourquoi le prix est-il si faible ? Avec la crise économique, les usines ont tourné et tournent encore à faible capacité, la consommation diminue, et la demande également. Les entreprises soucieuses de retrouver leur santé financière, cherche à vendre leurs droits d’émission. Rien n’est donc fait pour améliorer les projets d’énergie verte, d’énergie propre, d’énergie renouvelable. Les accords de Copenhague, en faisant l’impasse sur ces failles, continuent d’autoriser le marché de droits d’émissions. Un quota global d’émission de CO2 à respecter, c’est sans aucun doute un projet réalisable, mais les décideurs politiques et les économistes travaillant à ce sujet, ne pourrait-ils pas essayer de voir plus loin ? Une réduction minime des émissions de gaz a effet de serre, est-ce une solution correcte ? Certes, transformer les bases du système industriel et du système de la consommation peut coûter cher, et devant un tel coût, les individus peuvent se montrer récalcitrant. C’est bien là le problème des accords de Copenhague. Tout est trop souvent ramener à une question trop économique, à une histoire de règlement : on parle de « dettes climatiques » à verser aux pays pauvres, pour réduire notre responsabilité de pays développé, on parle de quotas et de marchés, de transactions, plus que de l’augmentation de la température mondiale et de mesure d’ adaptation aux changements climatiques. De plus un changement progressif ne serait pas si coûteux. En effet, rien n’oblige à réaliser une transition brutale de notre système de production et de notre utilisation de l’énergie. Une solution pourrait être la suivante : pour réduire de manière significative nos émissions de CO2 tout en incérant les énergies propres à notre système industriel, on pourrait augmenter progressivement les factures des consommateurs ( L’Etat pouvant en aider certains) ce qui permettrait aux entreprises de s’adapter progressivement. Ces dernières disposeraient toujours de quotas, (mais plus de marché de droits d’émissions) et un dépassement pourrait être compensé par une action écologique, comme un projet de reboisement permettant d’atténuer l’impact de l’activité de ladite entreprise sur la planète. Cela demande certes un peu de planification, une planification des modifications à effectuer au sein de l’entreprise, une planification des recherches et infrastructures à réaliser du côté des énergies renouvelables pour pouvoir les utiliser de plus en plus au fur et à mesure que le temps passe. Les économies de marché ne doivent donc pas se contenter des propriétés du marché mais essayer de voir à plus long terme pour pallier les problèmes environnementaux. Ces progrès ne peuvent se réaliser sans des interventions de la part de L’Etat et une éducation des générations futures en matière de solidarité, de respect, tant pour les hommes que pour la nature.