LE PHÉNOMÈNE DE LA COLLOCATION TRAN THI PHUONG THAO La communication qui suit est le résumé d’une partie de mon mémoire de recherche en vue de l’obtention du Master Diffusion de la langue français – programme de co-formation dispensé par l’ESLE – Université nationale de Hanoi et l’Université de Rouen. Ces groupements préférentiels de mots sont reconnus comme « habituels » par les porteurs de la langue. Plusieurs chercheurs ont tenté, à la suite d’exprériences de recensement de ces combinaisons ou par volonté de théorise le concept, de saisir leurs caractéristiques fondamentales (F.Hausmann, I.Mel’čuk, M.benson pour la langue générale; U.Heid, H.Béjoint et P.Thoiron, W.Martin, S.Pavel pour les langues de spécialité, entre autres). Cependant, le statut de ces groupements de mots reste incertain, tant en lexicographie qu’en terminologie. Le terme de collocation est loin de faire l’unanimité; voici quelques autres appellations: cooccurrence, synthème, unité syntagmatique, unité phraséologique, phrasème, phraséologisme, combinaison lexicale,... Comment définir et décrire cette unité fonctionnelle? Face à la multitude des approches pour décrire le phénomène et à la fusion terminologique pour le désigner, il nous paraît approprié de cerner d’abord le fondement théorique de notre travail avant d’en exposer la démarche. Nous avons choisi comme cadre de référence l’approche d’Ulrich Heid (1992), bâtie sur la synthèse des théories de Franz Hausmann et d’Igor Mel’čuk – deux lexicographes dont les travaux sur les collocations en langue générale sont incontournables et complémentaires. La démarche de Heid a l’avantage de situer les éléments de définition des collocations sur 4 niveaux de description: conceptuel, lexical, pragmatique et syntaxique, aboutissant ainsi à une présentation assez compète et exhaustive du phénomène tant en langue générale (LG) qu’en langues de spécialité (LSP). Tran Thi Phuong Thao - Département de français - Université de Hanoi 51 Dans le cadre de cette communication, nous aborderons seulement les collocations en LG. 1. Définition Pour Hausmann cité par Heid, la collocation est « une combinaison polaire non arbitraire de deux lexèmes qui a un caractère conventionnel à l’intérieur d’un groupe linguistique »1 La collocation, combinaison « polaire », est donc composée de deux éléments (deux lexèmes qui peuvent être constitués de plusieurs mots chacun); appelés par Hausmann base et collocateur. Mel’čuk, qui analyse le phénomène de la combinatoire lexicale dans une perspective sémantique, distingue les mêmes composantes à l’intérieur de la collocation, qu’il désigne sous les termes de mot-clé (pour base) et valeur d’une fonction lexicale (pour collocateur). Heid retrouve chez les deux chercheurs non seulement l’idée de la composition bi-polaire des collocations mais aussi celle de l’inégalité entre les deux éléments. La base est l’éléments principal; ainsis hausmann parle d’une autonomie sémantique dans le cas des bases, et Mel’čuk dit que le motclé conserve son sens propre. Quant aux collocateurs, pour Hausmann, il n’est interpétable sémantiquement qu’à l’intérieur de la collocation et en cooccurrence avec la base. Aussi, la traduction des bases est-elle indépendante de la collocation, alors que celle des collocateurs varie selon les collocations dans lesquelles ils apparaissent. Mel’čuk, lui, postule que la valeur résultant de l’application d’une fonction lexicale à un mot clé n’est pas « composionnellement analysable ». Ainsi, la collocation a un caractère « conventionnel », elle doit être apprise comme telle et son sens est imprévisible à partir du sens des mots 1 Heid, U. (1992) « Décrire les collocations » dans Terminologie et Traduction; numéro 2-3; pp.523548 Tran Thi Phuong Thao - Département de français - Université de Hanoi 52 qui la composent. De plus, ce sens ne devient lisible et déchiffrable qu’« à l’intérieur d’un groupe linguistique », et cette importance du contexte de l’énonciation sera plus grande encore pour le phénomène en LSP. Dans l’exposé qui suit, nous nous entendrons aux termes utilisés par Hausmann, à savoir: collocation, base, collocateur. 2. La place des collocations dans la typologie des groupements de mots Heid se réfère à la typologie de Hausmann, qui classe les collocations parmi les phénomènes de cooccurrence, grande catégorie qui s’oppose aux locutions idiomatiques (par exemple: « chambre forte »). A l’intérieur des phénomènes de cooccurrence, on retrouve les sous-classes suivantes : la contre-création (four fissuré), la collocation (ton péremptoire) et la cocréation ou cooccurrence libre (maison agréable). Ainsi, la collocation se trouve-t-elle à mi-chemin entre les locutions idiomatiques et les combinaisons libres; comme le dit Heid en citant Hausmann, « toute combinaison sémantiquement possibles n’est pas réalisée dans la langue, mais la collocation, l’une de ces combinaisons possibles est, au contraire, reconnue par les membres d’une population linguistique comme « produit semi-fini » ou un « élément pré-fabriqué » de leur langue.2 Le même raisonnement vaut pour les collocations en LSP, où le groupe porteur de la convention linguistique est plus restreint, étant souvent constitué uniquement par les spécialistes du domaine. 3. La généralisation de Heid – les collocations définies par « niveaux descriptifs » En se basant sur l’essentiel des démarches de Hausmann et de Mel’čuk, Heid propose une définition des collocations par « niveaux descriptifs » qui correspondent aux pricipaux sous-domaines de la 2 Heid, U. (1992) « Décrire les collocations » dans Terminologie et Traduction; numéro 2-3; p.531 Tran Thi Phuong Thao - Département de français - Université de Hanoi 53 linguistique –morphologie, syntaxe, sémantique et pragmatique. Cette définition est intéressante car elle donne une vision globale du phénomène, qui se voit traité sous plusieurs aspects. - Au niveau sémantique et conceptuel, la collocation représente une combinaison de deux éléments (base et collocateur) dont chacun possède sa sémantique propre. Le sens de la collocation n’est pas la somme des sens de ses éléments. Si la base garde, dans la plupart des cas, son acception propre, celle du collocateur est généralement modifiée et « unique » dans chaque collocation; - Au niveau lexical, la collocation est une combinaison de deux lexèmes qui peuvent constituer des unités composées de plusieurs mots. La collocation elle-même paut alors être considérée comme un lexème complexe à sémantique propre et à équivalent propre. Il est possble de décrire les relations unissant le niveau sémantique et le niveau lexical. C’est l’esssence même des travaux de Mel’čuk qui systémétise la description des collocations par l’introduction de fonctions lexicales désignant un sens abstrait combiné avec un lexème, à l’intérieur d’une collocation. Dans les fiches de collocations faisant l’objet du mémoire, nous fournissons également une classification sémantique des collocations, basée sur la relation entre la base et le collocateur; - Au niveau pragmatique, les sujets parlants privilégient, parmi les combinaisons de mots autorisées par la norme de la alngue, certains groupements – les collocations – dans un contexte linguistique donné. Les lexèmes faisant partie des collocations sont attirés l’un vers l’autre en fonction d’un consensus établi au sein d’un groupe linguistique, et non en raison de leurs propriétés; - Au niveau syntaxique, les deux lexèmes de la collocation peuvent appartenir à des catégories grammaticales différentes. Il devient alors Tran Thi Phuong Thao - Département de français - Université de Hanoi 54 possible d’établir une classification basée sur les modèles de combinaisons réalisables. Hausmann distingue ainsi cinq grands types de combinaisons de catégorie, qui correspondent à cinq grandes classes de collocations en langue générale: N + N (nom + nom) N + V (nom + verbe) N + Adj. (nom + adjectif) Adj. + Adv. (adjectif + adverbe) V + Adv (verbe + adverbe) Tran Thi Phuong Thao - Département de français - Université de Hanoi 55 REFERENCE 1. Cohen, B. (1992) « Méthode de repérage et de classement des cooccurrens lexicaux » dans Terminologie et Traduction, numéro 2-3, pp.505-511. 2. Heid, U. et Freibott, G. (1991), « collocations dans une base de données terminologique et lexicale » dan Méta, vol.36, numéro 1, pp.77-91. 3. Heid, U. (1992) « Décrire les collocations » dans Terminologie et Traduction; numéro 2-3. http://www.fas.umontréal.ca/ling/lhomme/cgi-bin/propatala.pdf http://www.fas.umontréal.ca/ling/lhomme/cgi-bin/eurale98.pdf Tran Thi Phuong Thao - Département de français - Université de Hanoi 56