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Cours sur la démonstration, la raison et la vérité
La raison permet-elle de prouver qu’un énoncé est vrai ou faux ?
Introduction : cf. le cours sur la vérité
I. Grâce à la raison, il est possible de prouver la vérité d’un énoncé
1. Raison et croyance
Dans un premier temps, on va voir que la raison permet d’aller au-delà des simples
croyances (ou opinions). Tous les hommes ayant la même raison, ils sont susceptibles de se mettre
d’accord sur quelques principes universels et sur les démonstrations qu’on peut déduire de ces
principes. On pourra alors considérer comme vraie toute pensée susceptible d’être acceptée par
tous les hommes, quels que soient leurs sentiments, leurs opinions, leurs idées politiques,
religieuses, etc. En ce sens, il faudra bien distinguer la vérité de la croyance. Celle-ci, dans la
mesure où elle est un point de vue particulier, propre à une personne ou à un groupe humain,
est souvent fausse ou seulement à moitié vraie. Par exemple, un riche et un pauvre ont souvent une
manière différente de voir le monde. Le premier, qui a une confortable situation sociale, pourra considérer
que la société dans laquelle il vit est juste. L’autre, au contraire, aura peut-être le sentiment que les lois sont
mal faites. Une croyance est une idée qui est considérée comme vraie alors qu’elle ne l’est pas
forcément. C’est un point de vue plus ou moins subjectif, même s’il est partagé par tout le monde à
une certaine époque (comme lorsqu’on pensait que la terre était plate, ou qu’il était normal que les
hommes dominent les femmes). Une croyance peut, si elle n’est pas un préjugé, être justifiée par
des arguments, mais ceux-ci ne constituent pas des preuves parfaitement convaincantes. (Cf. le
cours d’introduction à la philosophie). Donc, quand on croit qu’un énoncé est vrai, il est possible
qu’on ait tort. Même si on croit savoir, on ne sait pas réellement. Lorsqu’on prend conscience de
cette ignorance, on peut avoir envie de vérifier, à l’aide d’un raisonnement rigoureux, si l’énoncé
en question est vrai ou faux. Dans ce cas, on fait appel à sa raison.
Mais que faut-il entendre par ce mot de raison ?
2. Définition(s) de la raison
Au sens général, la raison est la faculté, présente chez tous les hommes, qui permet de
penser et d’agir de façon cohérente.
Dans ce cours, nous allons surtout parler de la raison en tant que faculté de connaître. Dans
ce domaine, la raison joue un rôle essentiel. C’est elle qui nous permet de faire de penser
rationnellement, de façon cohérente, logique. En ce sens, la raison est la faculté de raisonner de
manière rigoureuse, selon des principes universels, susceptibles d’être admis par tout le monde.
Or, quelqu’un qui sait bien raisonner a plus de chances d’éviter les erreurs. C’est pourquoi on a
défini la raison comme la faculté de connaître la vérité, et de distinguer le vrai du faux.
Voici un schéma permettant de voir d’un seul coup d’œil les sens du mot « raison » :
Raison : faculté (pouvoir) permettant de penser et d’agir de manière cohérente
dans le domaine de la connaissance
faculté de penser de manière rationnelle
dans la pratique
faculté d’agir de façon raisonnable
faculté de bien raisonner
faculté de connaître la vérité et de distinguer le vrai du faux
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2. La raison permet d’éviter des erreurs de logique
Par définition, on l’a vu, la raison nous permet de penser de manière cohérente. Et c’est pour
cela qu’elle est un moyen de connaître la vérité et de distinguer le vrai du faux. Un grand nombre
de nos erreurs, en effet, sont des erreurs de logique : notre pensée manque de cohérence, elle se
contredit sans s’en rendre compte.
Ainsi, dans le Gorgias de Platon, Calliclès prétend qu’il est injuste que les plus forts soient
dominés par les plus faibles dans la démocratie. Ce faisant, il se contredit implicitement, car si les
« forts » se laissent dominer, c’est qu’ils sont devenus faibles. C’est pourquoi Socrate va amener
Calliclès à reformuler sa théorie de manière à ce qu’elle devienne plus cohérente.
De la même manière, Épicure montre que les croyances religieuses de ses contemporains sont
fausses, car incohérentes, contraires à la raison : en toute logique, les dieux ne peuvent pas être à la fois
heureux et animés par des sentiments comme la colère, la haine ou la jalousie.
3. La raison nous permet de démontrer certaines vérités
On vient de voir que la raison aide à éviter des erreurs de logique. Mais elle est aussi un
moyen de démontrer des vérités. Voyons cela plus précisément.
a. Définition
Une démonstration est un raisonnement – un enchaînement d’idées – qui prouve
rigoureusement la vérité d’un énoncé. Si la démonstration est bien faite, elle aboutit à une
conclusion nécessairement vraie, autrement dit une conclusion indubitable, dont on ne peut pas
douter.
Pour qu’une démonstration soit bien faite, il faut deux conditions :
* Elle doit être cohérente, suivre les règles de la logique. Parmi ces règles, signalons le
principe de contradiction, principe qui interdit d’affirmer ensemble deux énoncés opposés l’un à
l’autre.
Chaque nouvel énoncé est la suite logique de ce qui précède. Autrement dit, le raisonnement
démonstratif est une déduction, c’est-à-dire un raisonnement dont la conclusion est
nécessairement vraie si son point de départ est vrai.
** Les prémisses de la démonstration – c’est-à-dire le point de départ du raisonnement, les
énoncés qui sont admis au début – doivent être vrais, et même certains, indubitables.
b. Exemple de démonstration
Les sciences mathématiques sont souvent citées comme étant des modèles de sciences démonstratives.
Tout – sauf les énoncés admis au tout début des théories – doit être démontré en mathématiques. Prenons
l’exemple de la résolution d’une équation du premier degré. Pour résoudre ce genre d’équation, on recourt à
quelques principes très simples et universels (valables dans tous les cas, indépendamment des
circonstances). Parmi ces principes, on trouve les deux suivants :
Si a = b, alors ac = bc (principe I)
Si a = b, alors a + c = b + c (principe II)
Ces deux principes valent universellement, pour n’importe quels nombres a, b ou c. Voyons comment on
peut les appliquer pour résoudre une équation particulière : 6x – 6 = 9
Si 6x – 6 = 9, alors (6x – 6) + 6 = 9 + 6 (d’après le principe II)
donc 6x = 15, donc 6x.1/6 = 15.1/6 (d’après le principe I) et par conséquent x = 15/6 = 5/2
c. Une démonstration n’est pas une preuve empirique (= qui vient de l’expérience)
Le mot « preuve » est ambigu. Il peut désigner au moins deux choses :
- une démonstration, un raisonnement rationnel.
- une preuve empirique, c’est-à-dire une preuve basée sur l’expérience.
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Les deux types de preuves sont bien différents. La démonstration est une certaine
déduction : c’est un raisonnement rigoureux, qui tire une conclusion particulière d’un principe
universel (comme : « Si a = b, alors a + c = b +c »).
Les preuves empiriques, elles, reposent en général sur des inductions. L’induction, est un
peu l’inverse de la déduction. Elle consiste à tirer une conclusion générale (valable souvent, ou
presque toujours) des cas particuliers connus par expérience.
Voici un exemple permettant de comprendre la différence entre déduction et induction. Bien avant les
Grecs, les mathématiciens de Mésopotamie (région correspondant plus ou moins à l’actuel Irak)
connaissaient une propriété fondamentale du triangle rectangle. Ils savaient que pour tout triangle ABC
rectangle en A, BC 2 = AB 2 + AC 2.
B
A
C
Seulement, autant que nous le sachions, ils n’en avaient pas la démonstration. Ils connaissaient donc
cette vérité par induction. Autrement dit, ils avaient mesuré un grand nombre de triangles rectangles
particuliers et constaté que ces triangles vérifiaient tous la même propriété.
Or, le problème d’une telle preuve c’est qu’elle ne permet pas d’avoir une certitude concernant tous les
cas possibles. Même si on a mesuré des millions de triangles rectangles, comment savoir si certains triangles
rectangles n’ont pas des propriétés différentes des autres ? La question n’est pas absurde, puisqu’on peut
construire une infinité de triangles rectangles possibles, par exemple en prolongeant autant qu’on veut le
segment [AC](cf. la figure ci-dessous).
B
A
C1
C2
C3
C4
etc.
Il semble que cette vérité concernant les triangles rectangles ait été démontrée pour la première fois par un
Grec (peut-être Pythagore). Grâce à un raisonnement rigoureux, ce Grec a prouvé que tous les triangles
rectangles, sans exception, vérifient la même propriété. Contrairement à une induction, cette déduction vaut
pour l’infinité des triangles rectangles possibles, parce qu’elle repose sur des principes universels. La vérité,
ici, n’a pas été trouvée par expérience, mais démontrée rationnellement. Et c’est pourquoi on parle du
théorème de Pythagore : un théorème est en effet une vérité démontrée.
4. En devenant logique, notre pensée a plus de chances de s’accorder avec le réel
Le mot « vérité » peut se définir de deux manières (cf. le cours sur la vérité). Il peut désigner
un accord de la pensée avec elle-même. « Vérité » est alors synonyme de « cohérence logique ».
C’est de ce type de vérité que nous avons parlé plus haut. Quand un mathématicien fait une
démonstration, quand un philosophe montre l’incohérence d’une croyance, ils pensent de façon
logique, et c’est en ce sens que leur pensée est vraie.
Mais la vérité peut aussi se définir comme un accord entre la pensée et la réalité. La raison
peut-elle nous aider à trouver et à prouver ce genre de vérité ? Il semble que oui. La réalité, en
effet, peut justement se définir par sa cohérence. Une chose est réelle si les parties qui la
constituent sont reliées les unes aux autres. Un immeuble, par exemple, dont les éléments ne sont
plus solidement réunis n’est plus un immeuble réel : c’est une ruine. De la même manière, un État
où plus personne ne pense encore à l’intérêt général, où chacun est devenu complètement
individualiste, n’est plus réellement un État : il a perdu sa cohésion interne et a donc cessé
d’exister. Pour saisir ce qui fait la réalité d’une chose, il faut donc comprendre sa cohérence, ce qui
suppose d’avoir une pensée rationnelle, cohérente. La raison permet donc de se rapprocher de la
vérité au sens d’un accord entre la pensée et la réalité.
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Transition (récapitulation de ce qui précède et objection) : Les démonstrations,
d’après ce qui précède, permettent bien de prouver des vérités, et même des vérités universelles
(contrairement à l’expérience). Cependant, on a vu aussi que les démonstrations ne sont vraies que
si leurs prémisses le sont aussi. Si le point de départ est faux, la conclusion risque fort de l’être
aussi. Or, peut-on dire que les démonstrations mathématiques partent de prémisses vraies ?
II. La raison permet de prouver des vérités logiques, non des vérités concernant les faits
1. Développement de l’objection amorcée dans la transition
Les démonstrations mathématiques partent de principes universels du type : « Si a = b, alors
b = a », ou « Si a = b, alors a + c = b+ c »). Mais ces principes nous donnent-ils des renseignements
précis sur la réalité concrète ? La question est importante, car il ne suffit pas qu’une théorie soit
cohérente, logique, pour qu’elle soit en accord avec la réalité. Il peut arriver que deux théories
scientifiques soient tout aussi cohérentes l’une que l’autre, et pourtant en désaccord concernant la
réalité. Il est donc nécessaire (inévitable) que l’une ou moins soit fausse, ou partiellement fausse.
Cela est encore plus vrai pour les théories des paranoïaques, qui sont des délires cohérents : ce sont
des théories qui ont une certaine logique mais sont en décalage avec la réalité. Un raisonnement
peut être parfaitement logique, mais si ses prémisses sont fausses, la conclusion le sera aussi, la
plupart du temps. La raison, en tant que faculté de bien raisonner, ne suffit donc pas toujours à
prouver qu’un énoncé est vrai ou faux, lorsqu’il s’agit d’une vérité concrète, qui concerne la réalité.
Elle est en revanche très utile pour prouver des vérités abstraites.
2. Les sciences démonstratives s’occupent de vérités abstraites
Avec les sciences démonstratives, et notamment avec les mathématiques, il semble que nous
nous soyons écartés de la vérité au sens d’un accord, entre la pensée et la réalité. Dans ces
sciences, en effet, on étudie des objets abstraits, c’est-à-dire obtenus en isolant certains aspects
de la réalité (nombre, formes, distance…) et en négligeant le reste (on fait abstraction de la
matière, du poids, de la couleur, etc.) C’est par cette abstraction qu’on peut obtenir des principes
universels, comme les principes de l’arithmétique, de l’algèbre ou de la géométrie. Ces principes,
même s’ils ne sont pas en désaccord avec la réalité concrète, ne nous permettent pas de connaître
grand-chose de celle-ci. Des vérités abstraites, du genre « si a = b, alors b = a », ne me renseignent
que très peu sur les faits, sur la réalité telle qu’elle est. Pour connaître les faits, il me faudra faire
appel à d’autres sources d’informations que la logique ou les mathématiques : les informations
journalistiques, et toutes les sciences qui s’occupent de la réalité (physique, chimie, biologie,
sociologie, psychologie, économie, histoire, etc.).
La vérité, dans les sciences purement démonstratives comme les mathématiques et la
logique, pourrait se définir plutôt comme un accord de la pensée avec elle-même. Il s’agit moins
de connaître la réalité que d’être logique, cohérent.
Conclusion provisoire
Il semble donc que la raison soit très utile pour ne pas commettre d’erreurs de logique, pour
démontrer des vérités abstraites et pour élaborer des théories cohérentes. Cependant, elle ne peut
pas à elle seule prouver des vérités concernant des faits. Pour obtenir de telles preuves, on verra
qu’il faut recourir à un autre type de connaissance que la connaissance rationnelle : l’expérience.
Mais ceci fera l’objet d’un prochain cours.
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