Oui ou non Les deux paris Si nous nous essayons à nous placer à un meta-point de vue sur le référendum, nous constatons : -que les européistes sont majoritaires par rapport aux souverainistes mais sont divisés entre pro constitutionnalistes et alter-européistes -que le regard sur le texte constitutionnel est plus important que le texte lui-même, car il détermine des interprétations contradictoires et conduit à des votes contraires. Les contextes Comme le sens de tout texte s’éclaire dans la considération de son contexte, nous devons ici envisager trois contextes : -Le contexte historique où le projet européen, après la seconde guerre mondiale, s’est défini dans une intention politique, éthique et culturelle et plus profondément une volonté de construire une communauté de destin. Comme on sait ce projet metanational s’est heurté à la résistance des nationalismes mais a connu une réussite économique. La charrue est arrivée avant les bœufs, et le succès de l’Europe économique nous dévoile le nanisme de l’Europe politique. -Le contexte de l’élargissement. Ce contexte d’unité nécessaire des deux parties de l’Europe disjointes jusqu’en 1989 est aussi en 2005 un contexte de divergence politique. L’Ouest vise à une autonomie critique à l’égard des Etats-Unis, alors que l’image des Etats Unis pour l’Est est celle de la Liberté. L’Ouest s’est montré très timide à l’égard de l’URSS durant la guerre froide alors que les Etats Unis sont perçus comme champions de la délivrance. Tout cela rend très difficile aujourd’hui la concrétisation d’une unité politique européenne au sein du contexte planétaire -Les contextes parasitaires ; ils sont multiples : le référendum apparaît comme un moyen de punir Chirac et son gouvernement ; les corporatismes et immobilismes divers déterminent la crainte qu’ouverture signifie invasion (le plombier polonais) et non expansion. Les souhaits d’une autre vie, d’une autre société, d’une autre économie , rejettent un oui qui apparait comme l’acceptation méprisable de l’état des choses. Ainsi les peurs plus ou moins fondées et les justes aspirations se conjuguent dans un non. Oui ou non La faiblesse du non n’est pas seulement que la coalition hétéroclite qui s’est formée sur lui se transformerait, au cas où il serait victorieux, en antagonismes entre souverainistes et alter-européens. Ce n’est pas seulement que dans ce cas l’élaboration d’une constitution meilleure apparaitrait hautement improbable. C’est surtout qu’il n’y a pas d’alternative profonde pour une autre économie, une autre société, une autre Europe.. Le discredit total de l’économie et de la société dites socialistes de l’URSS a créé une absence d’alternative. Certes ce vide devrait, pourrait être comblé, j’y viens plus loin, mais ce ne sont pas les marxistes-léninistes des diverses obédiences qui sont en mesure de le combler. C’est le vide du non qui donne son sens au oui, encore que celui-ci débouche sur le même vide, mais après avoir sauvegardé les chances d’une Europe politique. En effet le oui à la constitution signifie d’abord un oui à l’institution d’une base politique commune aux deux Europes qui tendent à diverger, et il permet de reprendre le projet initial vers des développements politiques futurs. Le non nous isolerait parmi nos meilleurs partenaires européens, alors que le oui nous relierait plus étroitement. Une constitution, même médiocre, même ambiguë, ne peut que renforcer le sentiment d’une identité commune et la réalisation de notre communauté de destin. Certainement le oui débouche lui aussi sur le vide total des politiques actuelles, Et ici apparaît, au dela du oui et du non, la nécessité d’élaborer une économie plurielle qui comporterait le marché, mais développerait commerce équitable, entreprises citoyennes, développements associatifs et mutualistes. La nécessité de rompre avec toutes solutions uniquement quantitatives aux problèmes vitaux dont au premier chef la solution par la croissance. La nécessité de formuler une politique de civilisation au service de la qualité de la vie. La nécessité de donner à l’Europe un role mondial, non seulement pour éviter les guerres de civilisation et de religion, mais aussi pour l’unité dans la diversité des cultures, le dialogue et la compréhension entre les humains. Devant ce vide, le oui et le non sont deux paris. Le pari du non comporte en lui un risque de désunion d’abord entre ses propres partisans, ensuite entre la France et ses partenaires européens, et il renforcerait les tendances centrifuges chauvines. Il souffre de l’impossibilité actuelle d’un alter-européisme. Le pari du non porte en lui la division des européistes français et le risque de la division entre européens.. Le pari du oui a pour vertu première d’éviter la désunion européenne. Français, encore un effort pour devenir vraiment européens. Edgar Morin