Texte de présentation sur alcoolisme et Campral

publicité
Texte de présentation sur alcoolisme et Campral
Canada, septembre 2007
1. Neurobiologie de l’alcoolisme et action du Campral :
Les divers problèmes de santé liés à l’alcool représentent un souci majeur de santé
publique. Dans toutes les régions du monde, de 5 à 8 % de la population présente un
problème important de santé lié à la consommation problématique d’alcool. Le coût
pour la société est important, l’handicap pour les personnes est toujours lourd. Les
pathologies sont diverses, elles atteignent autant les fonctions physiques, dans la
plupart des systèmes (digestif, nerveux, osseux, hématologique, etc..), que la sphère
psychologique de l’individu avec des troubles tels que l’anxiété, la dépression, des
problèmes relationnels à autrui, et aussi, de graves difficultés sociales avec parfois
une déchéance profonde.
On distingue les états de consommation excessive. Ici le médecin prodiguera des
conseils au patient pour réduire sa consommation d’alcool et le patient en est
capable. Dans d’autres cas, il s’agit d’un état de dépendance envers l’alcool et des
perturbations psychologiques et biologiques en sont la cause. Le patient doit être
aidé par une cure de désintoxication, ensuite il doit bénéficier d’une aide
psychologique et si possible pharmacologique pour maintenir une abstinence envers
l’alcool. La dépendance est en effet, en grande partie, le résultat du troubles
neurobiologiques.
Les alcoologues étaient donc à la recherche d’un traitement pharmacologique qui
puisse corriger les troubles à la base de la dépendance physique envers l’alcool. En
fait, rappelons que toutes les grandes pathologies mentales, telles par exemple les
troubles psychotiques, la schizophrénie en particulier, les troubles de l’humeur telles
les dépressions majeures, ont vu leur traitement évoluer favorablement dès qu’on a
disposé des premiers médicaments actifs : neuroleptiques et antidépresseurs qui eux
ont permis aux interventions psychothérapeutiques et psychosociales d’être
appliquées tout en se dégageant de la pression neurobiologique induite par la
pathologie. Dans le cas de l’alcoolisme, jusque récemment, on n’avait la possibilité
d’utiliser que des médicaments intervenant sur les troubles associés à l’alcoolisme : si
le patient paraissait déprimé, on donnait des antidépresseurs en espérant qu’il
boirait moins ou qu’il arrêterait de boire ; lorsqu’il paraissait anxieux, on lui donnait
des anxiolytiques, etc… Avec les traitements aversifs utilisant du Disulfiram, il
s’agissait d’une tentative de déconditionner le patient de ce qu’on pensait être une
expérience positive, c’est à dire du plaisir ressenti sous l’effet de l’alcool. Ainsi, on a
tenté d’induire un conditionnement d’une expérience désagréable, lorsque le patient
prend de l’alcool avec du Disulfiram. Ceci est à la base des cures, dites de dégoût.
L’efficacité est évidemment très limitée car on ne touche évidemment pas le
mécanisme de base de la dépendance biologique et « l’homme est ainsi fait » qu’il se
conditionne facilement à des expériences agréables et non pas à des expériences
désagréables, sauf si l’on fait continuellement des cures de dégoût, ce qui est
évidemment difficile sur le plan éthique.
Avec les médicaments bloqueurs des récepteurs morphiniques, telle la Naltrexone.
L’objectif est d’intervenir sur les récepteurs opioïdes intervenant dans les
mécanismes de récompense, mécanismes communs à l’action de toutes les
substances addictives. Toutefois, ceci ne représente pas le mécanisme de base
fondamentalement impliqué dans l’alcoolisme avec dépendance.
Par contre, toutes les études, dont je vais faire un survol, indiquent clairement que
l‘acamprosate (homotaurinate de calcium) touche un des mécanismes de base
responsable de la dépendance à l’alcool.
L’histoire de l’Acamprosate ne manque pas d’intérêt. En 1977, je terminais mon
doctorat en psychiatrie (Ph. D .) en développant les méthodologies d’évaluation de
l’alcoolisme. J’ai été sollicité pour mettre ces méthodologies à disposition du
laboratoire pharmaceutique qui développait l’Acamprosate. Avec un autre chercheur
belge, le professeur Philippe DEWITTE, nous avons ainsi commencé, lui en
expérimentation animale, moi-même en essai clinique, les premières évaluations
après que le professeur LHUINTRE, en France, avait montré dans une étude ouverte
qu’un effet positif se révélait chez des patients alcooliques prenant de l’Acamprosate,
après la cure de sevrage. Devant des premiers résultats très encourageants, à la fois
en expérimentation animale et chez l’homme, j’ai eu l’occasion de créer un
groupement de recherche clinique européen en y associant une quinzaine de centres
de recherche universitaires dans 8 pays d’Europe occidentale ; ainsi se créait « La
Plinius Mayor Society » Avec les diverses équipes de recherche européennes, nous
tenions 3 à 4 réunions d’évaluation et de discussion scientifique par an et avons
collecté une banque de données fort importante avec la collaboration de cliniciens,
de chercheurs fondamentaux, de statisticiens, d’économistes, etc.. Entre 1996 et 1998,
le produit a été mis sur le marché en Europe, aux Etats Unis en 2004 et actuellement,
il apparaît ici au Canada (D2).
Nous avons ainsi pu au cours de ces 20 dernières années présenter des résultats
particulièrement intéressant et montrer par de multiples études de suivi, l’efficacité,
l’efficience et la sécurité d’emploi de l’Acamprosate. Nous avons aussi, grâce à cela,
2
énormément progressé dans les méthodologies des études cliniques, aussi en
recherche fondamentale et aussi en pharmaco-économie de l’alcoolisme.
Les méthodologies d’évaluation des traitements de l’alcoolisme ne sont pas simples.
L’évolution de cette maladie se fait par phase avec souvent des reprises d’alcool et
des rechutes. Dans des études cliniques, on peut homogénéiser une série de données
comme l’âge, le sexe, la durée de l’alcoolisation. D’autres facteurs, beaucoup moins
identifiables, interviennent aussi, tels sont par exemple le support apporté par
l’entourage, le degré d’impulsivité de la personne, l’importance de la décision intime
du patient pour arrêter de boire. Ceci implique des fonctions cognitives supérieures,
etc… Il faut donc le plus possible pouvoir mettre les patients évalués dans des
conditions naturelles de vie pour que l’on puisse suivre l’évolution de ces
caractéristiques particulières.
Abordons le mécanisme d’action de l’Acamprosate (D3).
D4 : L’Acamprosate est cliniquement un N-acétyl homo taurinate et est similaire à
celle des acides aminés et autres ligands qui font intervenir les récepteurs dits
NMDA et le glutamate.
D9 : Après une consommation aiguë d’alcool, alcool qui est essentiellement une
substance sédative du système nerveux central, il y a une potentialisation de l’effet
neuro-inhibiteur et de sédation via des transmetteurs telle que la taurine, et aussi le
système gaba. Après une consommation chronique, le système nerveux central
s’adapte par mécanisme d’homéostase à cet état de sédation en stimulant le système
antagoniste, excitateur, le système glutamatergique. Il y a de ce fait sécrétion accrue
de substances dites neuro-amines excitatrices. Dans un premier temps, ceci sert à
contrecarrer l’effet de sédation de l’alcool ; ensuite, cette excitation se fera aussi en
l’absence d’alcool, c’est à dire lorsque le patient diminue ou arrête de boire. Ceci se
marquera sur le plan clinique par des signes d’excitation accompagnant le syndrome
de sevrage (nervosité, tremblements, etc…). Le patient découvre rapidement que ces
signes de manque se stabilisent par une nouvelle consommation d’alcool et le cercle
vicieux s’installe.
D10 : De fait, lorsque l’on administre de l’Acamprosate, celui-ci, par son effet
glutamatergique, équilibre la sédation excessive apportée chroniquement par l’alcool
et le patient n’a plus le sentiment de devoir prendre de l‘alcool, le rééquilibrage se
faisant par le Campral. En quelque sorte, les amines neuro-excitatrices sont inhibées
dans leur sécrétion par le Campral. On comprend ainsi que le patient ne ressentant
plus d’effets de manque de type excitateur, il ne cherche pas nécessairement à
reprendre de l’alcool pour se sentir bien.
3
D17 : Un autre processus est à considérer. Toutes les substances pouvant donner lieu
à dépendance, comme l’alcool, ont en commun une sensibilisation du « Circuit
neuro-anatomique dit de la récompense » ; circuit sensible au mieux être, aux
sensations de plaisir. Ce circuit comprend en particulier l’aire ventro-Tegmentale,
(VTA) ; le nucléus arqué ; le nucléus accumbens. Ce circuit est aussi en relation avec
le cortex pré-frontal qui lui impulse un contrôle.
D18 : Avec une consommation chronique d’alcool, comme avec les autres drogues, il
y a une sécrétion accrue d’opioïdes endogènes (Bêta endorphines). Celles-ci activent
d’une part le système GABA-ergique et donne un sentiment de sédation et de
détente et de plaisir et d’autre part, le système dopaminergique (qui donne une
sensation d’excitation et de désinhibition). Si ces mécanismes se passent, par
exemple sous l’effet de l’alcool, à petites doses et peu fréquemment , c’est-à-dire,
avec une « consommation raisonnable », cela donne sur le plan humain « et de façon
raisonnable » un sentiment de détente et de désinhibition relativement agréable.
Dans le même temps, le lobe pré-frontal (rappelez-vous qu’il est connecté aussi au
circuit de la récompense) où se passe les réflexions, les ajustements cognitifs et
affectifs et finalement nos décisions d’action ; ce lobe pré-frontal est capable de
commander par un mécanisme de contrôle, le fonctionnement du circuit de la
récompense. En quelque sorte, le message du lobe préfrontal au circuit de la
récompense est : si l’on ne boit pas trop et pas trop fréquemment, la sensation
agréable persiste ; si, au contraire, on boit beaucoup et souvent, cette belle mécanique
se dérègle : trop de sédation ou trop d’excitation. Cela devient désagréable et
générateur de troubles . Le circuit de la récompense commence à « tourner un peu
fou » et il échappe progressivement au contrôle du lobe pré-frontal. On verra plus
loin aussi que ce même lobe pré-frontal sous l’effet d’une alcoolisation chronique,
présente aussi une détérioration des cellules nerveuses meurent, son efficacité de
contrôle faiblit. Ceci explique en grande partie, l’apparition de la « perte de
contrôle », un des signes classiques dans l’état de dépendance à l’alcool.
D19 : Des recherches complémentaires ont mis en évidence l’intervention de
multiples neurotransmetteurs et récepteurs dans le processus de dépendance. On
comprend ainsi que plusieurs types d’intervention pharmacologique ont été testés et
utilisés dans l’alcoolisme : les bloqueurs des récepteurs opioïdes avec la naltrexone,
les médicaments sérotoninergiques tels certains antidépresseurs, des médicaments à
action neuroleptique, pour agir sur l’excès de sécrétion de dopamine etc.…
4
L’Acamprosate, comme on vient de le voir, par son action de régulation sur la
fonction glutamatergique rééquilibre les déséquilibres engendrés par la sédation trop
grande de l’alcool et le mécanisme compensatoire d’excitation du cerveau.
Pour être complet, il faut ajouter que des études génétiques se poursuivent
évidemment en ce qui concerne les facteurs de risque de l’alcoolisme. De multiples
localisations sur divers gènes ont été identifiées, mais tout ceci n’a pas encore donné
lieu à des applications cliniques.
Pour terminer ce survol neurobiologique, il reste à faire brièvement deux
remarques :
1ère remarque :
On peut démontrer en expérimentation animale, l’action de l’Acamprosate sur
l’excitation suite à un sevrage d’alcool.
De fait, en général, les animaux n’aiment pas l’alcool. Il faut choisir des souches de
rats, génétiquement sélectionnés à être prédisposés à prendre de l’alcool, et atteindre
chez ceux-ci une alcoolisation artificielle telle que l’arrêt de prise d’alcool produise
des signes de manque. Seulement, dans ces conditions, le rat se conditionne à
reprendre de l’alcool pour éliminer les signes de sevrage. Si on laisse le libre choix à
ces rats entre de l’eau et de l’alcool, au cours du temps, la consommation d’alcool
diminue progressivement (D26).
Chez le rat, à la suite d’un conditionnement forcé de prise d’alcool et après qu’on ait
atteint un état de dépendance physique envers l’alcool, on note au sevrage, comme
chez l’homme, d’importants signes d’excitabilité anormale. On voit ici (D27) que si
l’on donne de l’Acamprosate, ces signes d’hyper motilité deviennent nettement plus
faibles que si on ne donne pas d’Acamprosate. Ceci montre un effet d’atténuation
des signes de sevrage.
2ème remarque :
En clinique, il est d’usage de proposer, en cas de rechute, des sevrages dès que
possible pour éviter des complications et des conditionnements à la boisson, de plus
en plus profonds.
D28 : Si on administre de l’Acamprosate chez des animaux subissant des sevrages
successifs (ici 4 sevrages), on les protège contre la mort cellulaire qui entraîne aussi
mort d’animaux. Ceci a été démontré sur des cultures de tissus d’hippocampe : à
chaque sevrage successif il y a nécrose cellulaire de plus en plus importante (figure
5
du milieu) et (à droite) à une protection, par l’Acamprosate, de cette neurotoxicité.
Ceci est en relation avec un blocage des récepteurs NMDA.
D23 : Par ailleurs, en expérimentation animale, on a montré que les sevrages
s’accompagnent chaque fois d’une importante mort cellulaire, en particulier au
niveau du cortex et de l’hippocampe. L’hippocampe est un endroit d’impact
important de l’alcool sur le cerveau.
Ainsi et pour conclure l’ensemble des travaux utilisant le Campral, dans les modèles
animaux, on peut dire qu’il n’y a pas d’effet chez les animaux qui ne préfèrent pas de
l’alcool, ni chez ceux qui ne sont pas dépendants. Les signes de dépendance à
l’alcool manifestés par les signes d’excitation de manque sont contrecarrés par
l’acamprosate. Il y a aussi un effet de protection par le Campral contre les neurotoxicité du sevrage.
2. Etudes cliniques avec Campral
Aujourd’hui, après plus de 20 ans d’essais cliniques réalisés en Europe, nous
pouvons apporter une contribution importante de l’intérêt de l’Acamprosate dans le
traitement de l’alcoolisme et répondre aux questions que se posent les cliniciens :
 quel est l’apport du médicament par rapport à un placebo dans des études
randomisées contrôlées (RCT) ?
 quel est l’impact de l’Acamprosate dans des conditions observationnelles
et naturalistiques qui rejoignent les traitements réalisés dans la pratique
clinique ?
 qu’en est-il lorsque nous associons le médicament à des interventions
psychothérapeutiques et psychosociales ?
 quelle est l’évolution des résultats au cours du temps après 3 – 6 – 9 et 12
mois par exemple ?
 que se passe-t-il lorsque le traitement est arrêté ? Est-ce que l’effet positif
obtenu se maintient ? Etc.
Pour évaluer l’évolution de l’alcoolisme sous traitement, il faut utiliser de multiples
critères : des paramètres biologiques, des critères psychosociaux, le niveau de qualité
de vie et, bien évidemment, la consommation d’alcool sur la période du traitement
que l’on mesure par exemple par le nombre de jours d’abstinence totale, le nombre
cumulé de jours de boisson, l’importance de la consommation lorsque le patient a
rebu, le temps écoulé entre le sevrage et la 1ère consommation d’alcool, etc. Pour
rappel, il n’existe aucun critère biologique de la dépendance, mais bien de la
consommation excessive.
6
D6 : Nous disposons aujourd’hui en Europe de suivis validés de plus de 4000
patients et parmi ceux-ci, 3338 patients ont été inclus dans les 11 premières études
réalisées en double aveugle, avec contrôle placebo, ceci dans 8 régions d’Europe.
D45 : Nous avons pu ensuite ajouter 4 études et voici le résultat sur 15 études double
aveugle randomisées, Acamprosate versus placebo.
Dans chaque étude, 4 critères de consommation d’alcool ont été utilisés : le
pourcentage de jours d’abstinence totale, le temps après sevrage jusqu’à la première
reprise de boisson, le nombre cumulé de jours de boisson sur la période
d’observation, enfin, le nombre de drink par semaine, si le patient boit.
On voit que dans toutes les études, l’administration d’Acamprosate donne chaque
fois des résultats significativement meilleurs que le placebo sauf dans une étude
réalisée en Angleterre où la différence est beaucoup mois sensible. Je ferais un
commentaire ultérieurement sur ce point.
D16 (ou D17) : Si l’on suit, pour l’ensemble des patients, l’évolution du pourcentage
des patients qui présentent une abstinence complète pendant toute la période, on
voit qu’à chaque fois ici aussi la courbe est en faveur de l’Acamprosate.
D18 : On voit exactement la même courbe si l’on prend comme critère le pourcentage
de patients attendus à une visite médicale et qui se rendent effectivement à chaque
visite. Ici aussi la fréquentation des consultations est chaque fois en faveur de
patients qui ont reçu de l’Acamprosate. Ceci donne une idée des drop-out au cours
de l’étude ; on peut faire l’hypothèse que ce taux de compliance aux consultations est
un bon indicateur du pronostic du traitement dans des études naturalistiques.
D47 : Plus récemment, Morgan a pu faire des évaluations, avec des calculs
statistiques relativement sophistiqués, du bénéfice que les patients retirent après 3-6
et 12 mois de traitement s’ils reçoivent de l’Acamprosate par rapport à un placebo.
Deux présentations sont faites ici : d’une part pour toutes les 17 études où il y a des
patients qui n’ont été suivis que pendant 3 mois, d’autres 6 mois, d’autres 12 mois et
d’autre part, les 5 études qui concernent les patients qui ont tous été suivis pendant
12 mois. On voit que le bénéfice (avec un intervalle de confiance de 95 % )se situe à
40 %, 50 % et 95 % en faveur de l’Acamprosate.
D48 : En ce qui concerne le taux d’abstinence complète, si l’on détaille maintenant
chaque étude, on voit une certaine variabilité des résultats. Dans l’ensemble, les
résultats sont tous favorables à l’Acamprosate par rapport au placebo. Cet effet
positif se situe à droite du chiffre 1 qui indique qu’il n’y a pas de différence entre
7
produit actif et placebo. Seules 3 études sur 17 études indiquent peu ou pas de
différence en faveur de l’Acamprosate : l’étude de Chick en Angleterre, l’étude de
Borg en Suède et l’étude de Rousseau en Belgique.
En Angleterre, d’après les discussions que nous avons eues, les patients étaient fort
détériorés sur le plan psychosocial. En Suède, dans le recrutement, beaucoup de
patients buvaient, comme c’est souvent le cas dans cette région, de façon très
impulsive et présentaient sans doute une détérioration nerveuse déjà fort
importante. Enfin, en Belgique, le recrutement de l’équipe de Rousseau comprenait
un mélange d’alcooliques à consommation excessive et d’autres avec un état de
dépendance avec l’alcool. Pour toutes les autres études, on voit un effet favorable de
l’Acamprosate.
Ceci appelle un commentaire important dans l’évaluation des patients alcooliques :
lorsque des patients ont déjà d’importants signes de détérioration neurologique, s’ils
ont par ailleurs d’importants problèmes d’adaptation psychosociale, ce sont
évidemment des mesures d’aide sociale beaucoup plus que l’intervention d’un
médicament qui lui n’agit que sur le plan biologique, qui peuvent aider ces patients.
Enfin, l’Acamprosate, on l’a vu, a un effet spécifique sur l’état de dépendance
biologique et non pas sur les aspects de consommation excessive d’alcool qui
impliquent d’autres stratégies d’intervention.
D34 : Dans une étude spécifique, on a pu montrer que si on continue à prescrire le
Campral, lorsqu’il y a rechute, cela induit, après cette rechute, un nombre de jours
d’abstinence plus important comparativement à un placebo. Dans cette étude, après
une rechute, les patients ont une période de stabilisation avec abstinence complète,
de 64 jours avec le Campral alors que ce n’est le cas de 48 jours avec le placebo. Ceci
montre l’intérêt de continuer à prescrire l’Acamprosate pendant les rechutes.
D36 : Le patient alcoolique a évidemment une série de problèmes à résoudre. La
dépendance à l’alcool est un de ses problèmes ; les autres problèmes peuvent être
traités par des interventions psychothérapeutiques et du support social. C’est ce que
montre l’étude Capriso, Campral in primary care with social support, que j’ai réalisée en
comparant deux cohortes de patients de même recrutement, l’une en 1992, l’autre en
2001.
Dans la première étude (Etude randomisée, avec placebo « RCT »),
l’Acamprosate était comparée à un placebo et, pour le reste du traitement, on laissait
au patient l’initiative de se faire aider en plus sur le plan psychosocial. Certains
patients le faisaient, d’autres pas. Dans ces conditions, au cours des 6 mois de suivi
et si l’on prend comme critère l’abstinence totale, seuls 4 % des patients avec placebo
étaient constamment abstinents (à droite), par contre, ceux qui recevaient de
l’Acamprosate, montraient un niveau de stabilisation à 24 %, soit 6 fois plus.
8
Neuf ans plus tard, avec le même recrutement, tous les patients recevaient de
l’Acamprosate (à gauche). De plus, et par randomisation, un premier groupe
bénéficiait du fait de l’intervention d’une infirmière psychiatrique, de
psychothérapie brève de façon pro-active et de support social adapté à chaque
patient. Aux patients d’un deuxième groupe, (à gauche), on disait clairement qu’ils
n’avaient besoin de rien d’autre en dehors du médicament. Dans le premier cas,
l’effet du médicament qui, rappelons-le, était à 24 % dans la première étude, est
augmenté à 32 % en terme d’abstinence permanente. Dans le 2ème cas, l’effet du
médicament est diminué, et passe à 14 %. On sait que, dans chaque cas particulier,
tout patient alcoolique a besoin d’intervention psychologique et de support social
complémentaire et adapté à son cas.
Ces résultats me semblent particulièrement importants puisqu’ils indiquent que si
l’on utilise qu’un médicament et que l’on ne prend pas soin des besoins
personnalisés de chaque patient, on diminuera l’effet pharmacologique du
médicament. Si on prend par contre en charge les besoins personnels des patients,
l’effet pharmacologique du médicament est amplifié.
On peut se poser la question pertinente de savoir si le type d’intervention
psychothérapeutique en association avec le médicament oriente différemment les
résultats thérapeutiques. La réponse est négative. C’est ce qu’a montré l’étude
NEAT (New European Alcohol Treatment), étude que j’ai eu l’occasion de coordonner
en Europe en 2003. Etude donc observationnelle qui concerne 1289 patients. Cette
étude est non randomisée, tous les patients recevant de l’Acamprosate. De plus, le
thérapeute et le patient se mettent d’accord pour appliquer l’un des 5 types de
thérapie à savoir en individuel avec une approche psychodynamique, en thérapie de
groupe, en thérapie comportementale, avec des interventions brèves, ou enfin, en
approche familiale. On voit que, tant pour le nombre de jours d’abstinence cumulé
que pour l’abstinence complète pendant tout le suivi, les résultats ne sont pas
différents lorsqu’on applique une forme de psychothérapie ou une autre.
D61 : Dans cette étude NEAT, on a aussi pu confirmer que l’Acamprosate, plus l’une
ou l’autre forme de psychothérapie, donnait au cours du temps, après 3 et 6 mois,
des résultats fort positifs sur les diverses composantes de la qualité de vie évalués
par l’échelle SF36. Cette échelle évalue tant des critères de santé physique que des
critères de santé psychologique et aussi des perceptions très subjectives de sa santé.
Dans tous les cas, par rapport à la situation de base (à gauche), après 3 et 6 mois (à
droite) on voit une amélioration des divers critères de qualité de vie.
Dans l’évaluation de l’alcoolisme, il faut noter s’il y a des rechutes mais il faut aussi
apprécier l’importance de la rechute. Dans cette étude réalisée par le Professeur
9
Tempesta d’Italie, on voit qu’au cours du traitement, si les patients reboivent, ceux
qui ont bénéficié de l’Acamprosate boivent moins que ceux qui sont sous placebo.
De même, dans une autre étude (Mikado), on voit qu’au cours du temps, à la 7 ème
semaine de traitement, une diminution nette de l’importance de la consommation les
jours où les patients ont rebu (si l’on compare la gauche par rapport à la droite), on
voit aussi que dans les 3 groupes qui ont été évalués, le 1er avec uniquement une
consultation médicale, le 2ème avec une intervention psychologique minimale de
conseil, et le 3ème avec des interventions psychothérapeutiques brèves, il n’y a pas de
différence d’évolution. Ceci tendrait à indiquer que dans la mesure où il y a un
soutien psychologique, fourni au patient c’est principalement, en tout cas dans cette
étude, le médicament qui induit la plus grande différence en ce qui concerne la
diminution de la consommation d’alcool.
Rappelez-vous, il y a de nombreuses années, une importante étude américaine
multicentre (l’Etude Match) où on avait randomisé les patients avec des traitements
psychothérapeutiques diversifiés, n’a pas montré de différence dans les résultats en
fonction de type de psychothérapie. Ceci n’est pas étonnant : a côté du médicament,
qui aide à lever l’état de dépendance biologique, il faut, pour chaque patient,
identifier ses besoins spécifiques et lui apporter l’aide psychothérapeutique et
psychosociale adaptée.
Ceci a été fait dans l’étude Capriso.
Dans le post-sevrage, un des signes d’hyperexcitabilité persistante et qui peut être un
facteur de risque de rechute, est représenté par les troubles persitants du sommeil. Il
a été montré que l’Acamprosate, en réduisant l’hyperexcitabilité du sevrage,
régularise mieux l’architecture du sommeil et stabilise le patient.
D81 : Pour des nouveaux médicaments, il y a toujours lieu de se préoccuper des
effets non désirés et des effets secondaires.
Des études de sécurité ont été réalisées et elles ont montré que l’Acamprosate est
particulièrement bien toléré. Seuls des troubles gastro-intestinaux (diarrhée) sont
significativement notés plus avec l’Acamprosate qu’avec le placebo (cela est dû à une
surcharge en Calcium). Si ces signes persistent, il faut réduire les doses. On
rencontre aussi des troubles de la libido sexuelle. On sait que chez l’alcoolique
chronique, les causes de troubles sexuels peuvent être multiples. Enfin, on a aussi
noté certains troubles dermatologiques plus fréquents sous Acamprosate que sous
placebo. Dans tous les cas, ces signes sont légers et transitoires.
D82 : Y-a-t-il des contre-indications médicales à l’utilisation de l’Acamprosate ?
L’ensemble des études indique que les dysfonctionnements hépatiques ne requièrent
10
pas d’ajustement des doses d’Acamprosate ; par contre l’Acamprosate est, comme de
nombreux médicaments, contre-indiqué en cas d’insuffisance rénale sévère.
3. Quelques commentaires complémentaires
Il est bon d’insister sur le fait que le déclenchement et l’entretien de l’alcoolisme,
avec dépendance, sont non seulement liés à des facteurs biologiques mais aussi à des
particularités psychologiques de la personne et des conditions d’environnement de
vie. Aussi, il faut écouter, comprendre et prendre en charge chaque patient
individuellement. Les études avec l’Acamprosate n’ont pas montré d’incompatibilité
entre administration du médicament et mise en place de ces aides spécifiques.
J’ai montré, il y a déjà 30 ans, lorsque débutait l’intérêt de l’approche cognitivocomportementale de l’alcoolisme, qu’on pouvait identifier pour chaque patient les
conditions spécifiques dans lesquelles il buvait : certains surtout en contact social
avec d’autres, certains par goût ou habitude, d’autres pour fuir des difficultés ou, au
contraire, pour se stimuler à l’action et être plus attenfis, d’autres enfin, parce que
très rapidement ils développent des signes de manque et cherchaient à les contrecarrer en buvant à nouveau. Ceci est important car après le sevrage, les réadaptations psychothérapeutiques seront différentes d’un patient à l’autre.
Par ailleurs, un patient, dépendant de l’alcool, imagine très mal, à un certain stade de
son évolution, comment il pourrait vivre heureux et abstinent alors que la boisson lui
apporte momentanément des échappatoires et des semblants de solution à de
multiples problèmes. Aussi, devenir et rester abstinent d’alcool dans une société où
tout pousse à boire, n’est évidemment pas facile. De ce fait, les groupes d’entraide
des Alcooliques Anonymes (AA), trouvent ici depuis longtemps leur place et encore
aujourd’hui. A ne pas négliger à côté des autres traitements.
Le médecin généraliste et/ou le thérapeute devra, avant de commencer une
désintoxication, évaluer avec le patient ses motivations positives et négatives tant
pour le sevrage que pour le suivi, avec abstinence d’alcool. Ceci s’évaluera avec le
patient en suivant les recommandations de l’entretien motivationnel, « pour motiver
le patient au changement ».
Si les motivations positives ne sont pas bien élaborées, il vaut mieux postposer la
désintoxication que de la faire à tout prix et assister à des rechutes rapidement.
Tout médecin généraliste n’est pas nécessairement prêt à assumer les interventions
psychothérapeutiques ni l’aide psychosociale nécessaires pour les patients
alcooliques. En général, il n’a pas la disponibilité pour voir rapidement le patient en
11
situation de crise ni pour l’aider à fortiori en cas de rechute, et lorsqu’il le faut, faire
les démarches pour une ré-hospitalisation.
Par contre, le médecin généraliste se sent à l’aise pour suivre le traitement
médicamenteux et apporter une aide en terme de soutien psychologique. Pour le
reste, il devra travailler avec un réseau spécialisé en alcoologie, avec des psychiatres,
des psychologues, des infirmiers psychiatriques ; il doit aussi pouvoir disposer de
centres spécialisés pour l’accueil en cas de situation de crise ou pour une
hospitalisation.
Pour terminer, j’insisterai sur un dernier point. La motivation au changement du
patient est aussi largement tributaire de ce que l’on appelle les fonctions exécutives.
Celles-ci, appelées aussi fonctions supérieures, comprennent une série de conditions
telles que le raisonnement, la réflexion, la bonne reconnaissance des états affectifs et
aussi la flexibilité et la planification. En un mot tout ce qui nous permet de passer à
l’exécution d’une bonne décision pour chacun de nous.
Ces fonctions exécutives sont situées au niveau du lobe pré-frontal, la dernière
acquisition de l’Homo Sapiens. Ce lobe pré-frontal agit aussi en tant que contrôle
des impulsions fournies de façon plus automatique par exemple, on l’a vu, par le
circuit de la récompense.
L’alcoolisme chronique, si d’une part, rend « un peu fou le fonctionnement du circuit
de la récompense » avec sécrétion accrue et désorganisée de substances excitatrices,
perturbe et détériore aussi, dans le même temps, le lobe pré-frontal. De ce fait, le
patient alcoolique ne dispose plus, comme un patient non-alcoolique, du contrôle
normal pour prendre de bonnes décisions. Ceci peut être évalué par des tests
spécifiques des fonctions exécutives.
Par exemple, le Test dit « Alpha-Span » est un test des fonctions exécutives qui
implique une double tâche. Dans un premier temps, on demande à la personne de
répéter une série de mots après quelques minutes. Dans un deuxième temps, on
demande à la personne de répéter les mots mais en les classant par ordre
alphabétique. On voit que lorsqu’il s’agit de patients alcooliques avec dépendance à
l’alcool, et qui bien sûr n’ont pas des signes nets de détérioration neurobiologique,
on voit qu’ils réussissent correctement la première phase du test aussi bien que des
contrôles, mais que ce n’est plus le cas dans la deuxième phase où ils doivent, dans le
même temps, répéter les mots et les classer par ordre alphabétique.
On note le même handicap chez ces patients alcooliques lorsque l’on leur applique le
Test de Hayling. Ce test évalue la capacité d’inhibition de réponses automatiques.
Ainsi, on demande à une personne de compléter une phrase par un mot manquant.
Et ceci dans un premier temps, de façon logique. Dans un deuxième temps, on lui
12
demande de ne pas donner la réponse qui logiquement complète la première partie
de la phrase, d’inhiber cette réponse automatique en donnant une réponse tout-à-fait
illogique qui est la bonne réponse. Ainsi, lorsque l’on dit à une personne « vous
écrivez une lettre, vous la mettez dans une enveloppe, vous indiquer sur l’enveloppe
l’adresse du destinataire et avant de mettre la lettre dans la boîte aux lettres vous
collez sur l’enveloppe un … Pour la première phase, ce sera bien évidemment le mot
« timbre » qui manque ; mais dans la deuxième phase, il faut noter l’inhibition de la
réponse automatique « timbre » et, par exemple, la bonne réponse sera : vous collez
un « éléphant » sur l’enveloppe !
Ici aussi, l’on voit (partie gauche de la dia) que les patients alcooliques se
débrouillent correctement, comme des sujets contrôle, pour la première phase de
test, mais qu’ils ont difficile à ne pas donner une réponse automatique.
Nous avons montrer dans des travaux ultérieurs, qu’après désintoxication et
réhabilitation les patients alcooliques retrouvent en ce qui concerne les fonctions
exécutives une performance nettement meilleure que lorsqu’ils sont sous l’emprise
de la dépendance à l’alcool. Rappelons que ces fonctions exécutives sont localisées
dans le lobe préfrontal. Au cours d’un suivi d’un patient, si l’on note de façon plus
permanente une détérioration de ses fonctions exécutives, le patient est à risque de
rechute beaucoup plus rapidement que lorsque l’on voit une amélioration dans les
performances des fonctions exécutives. Personnellement, je pense que tout ceci est
fort en rapport avec la capacité d’inhibition que perd le patient alcoolique, et qui se
marque en particulier par le signe de la perte de contrôle vis-à-vis de l’alcool aussi.
CONCLUSIONS :
Ainsi, avec le Campral, nous avons maintenant un nouveau médicament qui agit
spécifiquement sur l’un des processus de base de la pathologie impliquée dans la
dépendance à l’alcool et qui concerne un état non plus d’homéostasie mais un état
que nous appelons « d’halostasie pathologique ». Dans cet état, il y a un niveau
d’excitation du cerveau créé par la sécrétion de substances anormales dites « amino
excitatrices », sécrétion qui compense l’état de sédation créé antérieurement par la
consommation chronique d’alcool ou encore maintenu actuellement sans
consommation d’alcool mais du fait d’une mémoire biologique. L’administration du
Campral doit être commencée dès la phase de désintoxication et doit durer une
bonne année. Le médicament sera maintenu même en période de rechute ; ceci en
vue de diminuer, comme on l’a vu, l’importance et la durée de la rechute. Nous
disposons aussi de données significatives qui indiquent que le Campral a une
13
fonction de protection contre les effets de neurotoxicité dus à l’alcoolisme et, en
particulier, pendant les phases de sevrage. Bien évidemment, ce médicament doit
être associé à des interventions psychosociales. Celles-ci seront individualisées pour
chaque patient, compte tenu de ses besoins personnels. On utilisera à bon escient des
entretiens motivationnels pour motiver le patient à l’abstinence, on procèdera à des
programmes de réhabilitation individuels avec l’apprentissage, chaque fois que
nécessaire, à des comportements alternatifs à la consommation, tant dans le domaine
des idées (cognitions), des affects et des actions. Dans ces conditions, en cas d’appel
d’alcool, de difficultés ou de souffrance psychique le patient sera équipé de
nouvelles armes pour se défendre et s’adapter en lieu de place de la consommation
d’alcool.
Les organisateurs m’ont demandé de commenter le programme que nous
appliquons à l’Hôpital Universitaire Brugmann de l’Université Libre de Bruxelles. Ce
traitement est relativement simple car il tient compte des différents éléments que je
vous ai exposés.
En Belgique, comme dans les autres régions du monde et au Canada certainement
aussi, la grande majorité des patients alcooliques ne viennent pas d’emblée d’euxmêmes, mais sont référés par leur famille ou des amis. Dans ces conditions, il est
important d’écouter et d’aider l’entourage du patient avant qu’on ne le voie luimême. Cette aide peut parfois durer de nombreux entretiens, des semaines et parfois
deux à trois mois. Ainsi, on aidera l’entourage à aider le patient dans sa motivation
au traitement avec comme objectif que tôt ou tard le patient lui-même fera la
démarche thérapeutique. Lorsque l’on prendra plus réellement en charge le patient
lui-même, il faut l’écouter attentivement afin de bien comprendre ce qui se passe
dans le domaine de l’alcool, mais aussi et surtout dans tous les autres domaines de
son existence. Ainsi, il faut tenter de comprendre ce que la consommation d’alcool a
représenté pour chaque patient lorsqu’il a commencé à boire à l’excès, aussi quels
sont les facteurs qui entretiennent aujourd’hui cette consommation.
L’entretien motivationnel aidera à comprendre pour quelles raisons éventuellement
le patient est d’accord de faire un sevrage et de stopper toute consommation
d’alcool, mais aussi pour quelles raisons, au contraire, il serait plutôt enclin à ne pas
arrêter de boire.
Bien évidemment, il y aura lieu de préciser si le patient présente un état de
dépendance envers l’alcool, ce qui justifie une cure de sevrage. Cure de sevrage,
première étape de la prise en charge du patient. Je vous ai montré que nous avons
l’habitude depuis une trentaine d’années d’évaluer les circonstances dans lesquelles
14
le patient a commencé à boire, circonstances qui varient d’un patient à un autre ; et
aussi quels sont les facteurs qui, aujourd’hui, entretiennent sa consommation
d’alcool. De fait, après le sevrage qui est une procédure commune à tous les patients
pour les libérer de la pression biologique due à la pathologie, il y aura lieu
d’envisager par des mesures de réhabilitation ou des interventions
psychothérapeutiques plus ciblées, de remplacer la consommation d’alcool par autre
chose au niveau des idées, au niveau de sentiments et au niveau des actions pour
que ce patient qui tôt ou tard sera à nouveau confronté à des difficultés existentielles
et de nouveaux moyens pour y faire face et pas seulement la consommation d’alcool.
Ainsi, un patient qui boit principalement ou qui a commencé à boire pendant des
années principalement du fait de contacts sociaux, devra bénéficier d’un traitement
psychothérapeutique après sevrage, assez différent d’un autre patient qui boit pour
éviter des difficultés psychologiques, par exemple, s’il a une phobie sociale ou encore
des attaques de panique.
Il faudra identifier l’existence de comorbidités, telles par exemples, les différentes
formes d’anxiété, de dépression, en particulier, les manifestations bipolaires aussi,
les troubles de personnalité, la sociopathie, les états limites, borderline, les états de
crise, les situations stressantes auxquelles le patient doit faire face au quotidien.
Dans le cadre de la prise en charge, on expliquera rapidement au patient les phases
successives du suivi après sevrage. On lui expliquera aussi, selon sa compréhension,
ce que l’on peut attendre d’un médicament comme le Campral et ce qu’il ne faut pas
en attendre. Le Campral aide le patient dans ses efforts à maintenir l’abstinence en
diminuant chez lui la pression biologique (craving) qui le pousse à boire, si toutefois
ce patient, au jour le jour, est réellement motivé à ne pas boire. En aucun cas le
Campral n’empêchera quiconque de boire s’il le souhaite.
La technique de sevrage est tout à fait classique. On arrête du jour au lendemain
toute consommation de boissons alcoolisées et on substitue, pour éviter des signes
majeurs de sevrage, soit du Diazepam lorsque le patient est hospitalisé, soit du
Tiapride (benzamide substituée) si le patient est en ambulatoire. On contrôlera une
bonne hydratation et on ajoutera des vitamines du groupe B déficientes dans
l’alcoolisme chronique. Nous avons, ces dernières années, commencé à prescrire du
Campral au troisième jour du sevrage.
Au cours du suivi, deux objectifs principaux sont visés : d’une part, aider par
différents moyens le contrôle de l’abstinence (nous procédons à des pratiques
d’apprentissage de consommation contrôlée) d’alcool pendant deux ans. Et aussi à
l’apprentissage de comportements alternatifs à la prise de boissons alcoolisées
15
chaque fois que le patient rencontre à nouveau des difficultés et problèmes
existentiels pour lesquels il avait l’habitude de prendre de l’alcool.
Un exemple de cette procédure est brièvement illustré par la vignette clinique
suivante.
Cette femme née en 1961, Mme D., se présente pour la première fois en consultation
alors qu’elle a 39 ans. L’anamnèse indique qu’elle a commencé par boire tout à fait
occasionnellement pendant ses études universitaires (elle est docteur en droit).
Ensuite, plus régulièrement au moment où se marie à l’âge de 23 ans, ceci dû à un
certain entraînement par son mari et par l’importance de contacts sociaux. Elle prend
ainsi l’habitude et le goût de boire des boissons alcoolisées. Toutefois, quelques
années plus tard, dans le contexte d’apparition de difficultés familiales et conjugales,
elle boit beaucoup plus. En effet, sa fille présente de l’anorexie mentale et fera une
tentative de suicide. Par ailleurs, la patiente a des problèmes relationnels avec son
mari en termes de divergences de vue concernant l’éducation des enfants et peut-être
aussi en ce qui concerne l’autonomie respective du mari et de la femme. Ainsi, dès
l’âge de 38 ans, on voit apparaître une dépendance psychologique et ensuite une
dépendance physique importante. Avant que la patiente ne consulte, elle présentait
déjà une perte de contrôle de l’alcool durant une bonne année. Le sevrage est réalisé
en milieu hospitalier, un traitement de psychothérapie familiale et systémique est
recommandé ainsi que des séances d’entraînement à l’assertivité, affirmation de soi
de type cognitivo-comportemental. La patiente est abstinente pendant six années
consécutives, elle aura pris du Campral pendant une année complète. Six ans plus
tard, l’an dernier, en 2006, la patiente que j’ai continuée à voir épisodiquement tire la
sonnette d’alarme et vient me voir en urgence, car à nouveau elle a rebu, beaucoup
moins qu’auparavant, mais elle de nouveau perdu le contrôle de sa consommation.
On apprend que depuis deux ou trois ans les problèmes relationnels conjugaux ont
réapparu en force. Avec l’aide du médecin traitant, un sevrage réalisé à domicile
cette fois-ci, car la patiente n’a rebu que pendant deux semaines, elle reprendre du
Campral pendant une année. Elle vient de terminer cette prise de médicament et elle
reste stabilisée mais elle aura pris avec son mari la décision de se séparer de lui et vit
avec un autre compagnon.
16
Téléchargement