La douleur - recherche SVT au collège

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La douleur, un mal nécessaire et difficile à vaincre
Pour pouvoir un jour supprimer la douleur, il faut d'abord comprendre
comment fonctionnent les diverses réactions biochimiques qui la font surgir. La
création d'animaux transgéniques devrait faire progresser les recherches, mais
moins vite qu'on ne l'espérait.
Mis à jour le jeudi 26 octobre 2000
LES GRECS croyaient que la douleur était une émotion et non une vraie sensation
physique. Les scientifiques savent aujourd'hui que la douleur est d'abord une réponse
biochimique à une blessure, à une chaleur extrême ou à tout autre traumatisme. Ces
dernières années, ils ont identifié plusieurs molécules qui semblent activer des nerfs
baptisés nocicepteur, et dont le rôle est d'informer rapidement le cerveau que leur
zone d'intervention dans l'organisme est en difficulté. D'autres équipes ont identifié
les récepteurs sensibles à ces signaux chimiques, qui déclenchent le message de
douleur. « Viser » ces récepteurs avec des médicaments pourrait supprimer la douleur.
Mais il est difficile d'évaluer les avantages et les inconvénients qui peuvent en
résulter, dans la mesure où, jusqu'à présent, la plupart des recherches ont été menées
in vitro.
Les techniques de génie génétique, qui permettent de créer des souris transgéniques l'activité d'un gène donné a été modifiée -, ouvrent la voie à l'étude sur l'animal des
effets produits par ces signaux biochimiques, et de ce qu'il advient lorsqu'on les
empêche d'arriver à destination. Elles aident les chercheurs à mieux comprendre
comment est ressentie la douleur, et à apprendre peut-être à la supprimer.
A ce jour, la molécule la plus connue du déclenchement de la douleur est la
capsaïcine : celle-là même qui confère au piment sa saveur puissante. Il y a trois ans,
une équipe de pharmacologues de l'université de Californie, à San Francisco, a
découvert, sous la direction de David Julius, la protéine réceptrice qui fixe la
capsaïcine et libère la sensation de brûlure qui lui est associée. La capsaïcine
déclenche la douleur exactement comme le fait une température élevée, de sorte qu'un
plat épicé, même tiède, peut donner l'impression de brûler. On a ainsi vérifié
expérimentalement la vieille conviction de nombreux cuisiniers mexicains, qui
mesurent la force des piments rouges en « unités Scoville », dont l'échelle se fonde sur
la quantité d'eau nécessaire pour neutraliser la chaleur d'un échantillon.
LE PUZZLE ATP ET P2X3 Il est permis de penser que de nouveaux analgésiques
pourraient être mis au point pour empêcher la capsaïcine de se lier à son récepteur
protéique, le VR1. Hélas, les cellules en culture ne « perçoivent » pas la douleur et ne
la manifestent pas. On n'a donc aucune certitude sur les effets globaux de ces
médicaments. « L'idée qu'un seul canal, ou récepteur de la douleur, puisse faire
l'objet d'un médicament est un peu naïf. Le processus est beaucoup plus compliqué »,
estime John Wood, spécialiste de la douleur à l'University College de Londres. Il
reconnaît néanmoins que s'attaquer aux récepteurs de la capsaïcine peut permettre de
lutter contre les douleurs inflammatoires comme contre les brûlures. Une peau brûlée
par le Soleil devient hypersensible et la moindre augmentation de chaleur entraîne une
sur-réaction des neurones de la douleur. La neutralisation des récepteurs de capsaïcine
peut réduire cette hypersensibilité.
John Wood a étudié une autre molécule clé sur le trajet de la douleur : l'ATP
(adénosine triphosphate). Cette substance, qui, dans le corps, permet notamment de
produire de la chaleur ou de faire jouer les muscles, est mieux connue comme source
d'énergie. Elle fut pourtant d'abord identifiée comme une possible molécule du
déclenchement de la douleur, parce qu'elle est libérée par les cellules endommagées.
Mais la capsaïcine lui avait volé la vedette.
Les collaborateurs de John Wood, ainsi que d'autres chercheurs de la firme
pharmaceutique Roche Bioscience aux Etats-Unis, se sont penchés sur la façon dont
l'ATP influe sur le signal de la douleur. Ils ont utilisé des souris transgéniques
dépourvues d'un récepteur réagissant à l'ATP et baptisé P2X3. Les deux équipes
publient leurs résultats jeudi 26 octobre dans l'hebdomadaire Nature. D'une manière
générale, les souris lèchent une patte blessée. Celles qui ne possèdent pas de P2X3
effectuent ce geste moins fréquemment, montrant ainsi que le message de douleur ne
passe pas aussi efficacement chez elles.
Comme le VR1, le récepteur P2X3 est un canal ionique, c'est-à-dire une petite
structure qui franchit les membranes cellulaires et ne laisse passer que certains types
d'ions. Il s'ouvre lorsqu'il rencontre l'ATP, qui peut alors activer la cellule nerveuse,
provoquant la douleur. Là encore, certains chercheurs laissent entendre que des
médicaments axés sur le P2X3 pourraient atténuer la douleur. Mais les derniers
résultats révèlent déjà des effets secondaires potentiellement gênants : par exemple,
les souris privées de P2X3 urinent moins souvent. Sans doute parce que la vessie,
lorsqu'elle est pleine, libère des molécules d'ATP pour signaler qu'elle a besoin d'être
vidée. Plus curieusement, les chercheurs ont aussi découvert que le blocage des
signaux de l'ATP accentue, semble-t-il, la douleur causée par une inflammation
dermique.
« Ces résultats montrent clairement l'importance de l'ATP et des récepteurs P2X3
dans la perception de certains types de douleur, commente Sean Cook, qui travaille
sur le sujet à l'université des sciences de la santé de l'Oregon, à Portland. Mais
beaucoup de pièces manquent encore au puzzle. » Parmi elles, la façon dont divers
types de dégâts causés aux tissus libèrent l'ATP, ainsi que la durée de vie du messager
chimique dans l'organisme.
« C'est décevant », reconnaît John Wood. La subtilité des interactions entre les
différents trajets de la douleur rend difficile, selon lui, le blocage complet de cette
douleur. Pour progresser, on pourrait peut-être croiser les divers types de souris
transgéniques utilisées, afin de pouvoir étudier plus d'un trajet à la fois. Mais, note le
chercheur britannique, « les souris transgéniques sont extrêmement difficiles à
fabriquer ».
David Adam
Une souris qui aime le piment
Pour examiner de plus près ce qui se passe chez l'animal quand le récepteur protéique
de la capsaïcine, ou récepteur VR1, ne fonctionne pas, David Julius et son équipe
américaine (université de Californie, San Francisco) ont fabriqué une souris
transgénique dépourvue du gène gouvernant sa synthèse. Ces souris mutantes boivent
volontiers de l'eau mêlée de capsaïcine - substance qu'on retrouve dans les gaz
lacrymogènes, qui est utilisée comme arme dissuasive contre les grizzlis, et que les
souris normales refusent d'avaler.
Les mutantes supportent mieux, aussi, une forte sensation de chaleur. Mais la douleur
n'est pas totalement supprimée. Appliquée sur leurqueue ou leurs pattes, la chaleur
finit par devenir insupportable même aux souris transgéniques ayant un penchant
marqué pour les sauces épicées. C'est là un point essentiel, qui montre que la douleur
ne se limite pas à un unique processus biochimique.
Le Monde daté du vendredi 27 octobre 2000
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