Economie publique et externalités

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ECONOMIE PUBLIQUE
Une économie de marché conduit-elle toujours à une allocation
optimale ?
Un équilibre de marché est un optimum de Pareto. Mais l'existence d'un
équilibre de marché dépend de conditions particulières. Lorsqu'elles ne sont pas
toutes respectées, un équilibre de marché n'est pas forcément un optimum de
Pareto. On parle alors de défaillances de marché.
Le texte qui suit est une synthèse introductive sur cette question importante et
touchant à de nombreux domaines.
1. Définitions
Pourquoi le marché serait-il l'organisation de l'activité économique la plus
souhaitable ? Il permet de coordonner les décisions de nombreux agents isolés qui
ne se préoccupent que de leur propre bien-être. Il alloue les ressources de façon
efficiente. Comment juger que l'allocation obtenue est la meilleure possible ? En
économie, la façon usuelle de qualifier une situation d'optimale est de recourir au
concept d'optimum de Pareto. Le marché est un mécanisme d'allocation des
ressources optimal parce que, si les marchés sont complets et si les préférences
des agents sont monotones, l'équilibre auquel il conduit est un optimum de
Pareto (Premier théorème de l'économie du bien-être).
Les marchés doivent être " complets " pour que le théorème soit valide. Tous les
biens présents dans l'économie et entrant dans les fonctions d'utilité des agents
doivent faire l'objet d'échanges. Cette condition exclut, comme on le verra,
l'existence d'externalités et de biens publics.
Il existe des biens publics purs. On peut citer les phares maritimes, un feu
d'artifice, la défense nationale. D'autres biens sont " partiellement publics ". C'est
notamment le cas de la connaissance. Le fait que des candidats à un examen
utilisent en même temps une méthode de résolution d'un système d'équations ne
doit pas, en principe, altérer la qualité des copies rendues (alors que pour un
examen d'informatique, si tous travaillent ensemble sur le même ordinateur, les
résultats seront probablement moins brillants). La connaissance est non rivale.
Mais il est possible en principe d'exclure de certaines formes de la connaissance.
C'est par exemple ce que l'on fait lorsqu'on fait lorsqu'on institue un système de
brevets sur les découvertes technologiques.
On parlera de " défaillances de marché " pour désigner les situations où les
conditions requises pour que le marché conduisent à une allocation des
ressources efficiente sont violées de façon caractérisée.
Les conclusions d'efficience de la théorie de l'équilibre général ne sont plus
valides dans ces cas. On peut alors envisager la façon de corriger le marché.
Ici, pour faire plus court, on se limitera à exposer les mécanismes qui conduisent
à ces défaillances. On peut ajouter deux mots au delà, cependant. C'est à l'Etat
que peut revenir la charge de corriger le marché lorsqu'on le juge nécessaire. Il
dispose d'un certain nombre d'instruments incitatifs tels que la réglementation,
la fiscalité, l'intervention directe dans la production, la définition de droits de
propriété.
Signalons par ailleurs que la notion de bien public retenue ici est purement
économique. Elle correspond à une définition technique et ne saurait s'assimiler à
celle de service public qui correspond à un souhait de gestion collective d'un bien.
2. Rendements croissants : les biens publics et les externalités
Lorsqu'il existe des biens publics, le marché ne peut conduire seul à l'optimum de Pareto
(qu'on peut appeler aussi " optimum social ", en opposition avec le terme " optimum
individuel ", où l'agent fait ce qu'il a de mieux à faire pour lui seul). Produire un bien public
pour l'échanger sur un marché signifie qu'à la limite, personne ne paiera pour disposer du
bien. Chacun risque d'adopter un comportement de passager clandestin. Si personne ne paie
pour le bien produit par un agent, il perd le bénéfice de son action, au profit de ceux qui
consomment le bien sans rémunérer son producteur. Le producteur sait cela. Et, dans certains
cas, il ne produira tout simplement pas le bien. Ceci représente une perte de bien-être pour la
société puisque ce bien, s'il était produit, rapporterait une utilité à certains. Dans d'autres cas,
le bien sera produit, mais pas en quantité suffisante.
Dans tous les cas, on se retrouve face à un système de marchés incomplets. Tous les biens
qui peuvent faire l'objet d'un échange mutuellement avantageux ne sont pas produits. Il y a
rupture de la correspondance entre équilibre de marché et optimum de Pareto.
C'est notamment le cas des dépenses de recherche fondamentale. On ne dépose pas de
brevet sur une formule mathématique. Comment un agent privé peut-il rentabiliser son
activité de recherche fondamentale ? Il ne peut pas. Imaginons une économie où personne ne
produit de recherche fondamentale. Cette économie est inefficiente au sens de Pareto. Il serait
avantageux pour tous que quelqu'un devienne chercheur, découvre des formules
mathématiques, des propriétés physiques, que sais-je encore et qu'il soit payé pour cela. Cela
permettrait de créer plus de richesses et d'échanges mutuellement avantageux. Mais le marché
ne sait pas organiser cet enrichissement social. Il n'existe pas de marché pour ce bien, qui
entre pourtant dans les fonctions de production des entreprises, voire dans les fonctions
d'utilité des consommateurs.
Bien sur, la production de biens publics peut exister. Le fait que vous soyez en train de lire
ce texte, sur lequel je ne touche pas un centime d'euro le montre bien. Mais il y a fort à parier
que vous auriez aimé quelque chose de plus long et plus consistant. Outre le fait que je fais ce
que je peux ! Je n'ai pas forcément la possibilité d'occuper mes ressources en temps à une
production qui ne me permet pas de reproduire ma force de travail (pardon si cette allusion à
un auteur peu néoclassique vous choque) et qui, de plus, empiète sérieusement sur mon temps
de loisir. Heureusement, d'autres peuvent le faire dans le cadre du marché de l'édition.
Les biens publics crée des externalités. Ainsi, le fait que des découvertes scientifiques soient
réalisées dans le domaine de la recherche fondamentale va accroître, on l'a dit, la productivité
de certains producteurs en leur permettant de mettre au point de nouvelles technologies. La
recherche joue ici le rôle d'un facteur de production. Par ailleurs, ces découvertes auront à leur
tour un impact sur la qualité ou la variété des produits mis à disposition des consommateurs,
améliorant ainsi leur bien-être. C'est un point important des nouvelles théories de la
croissance, dites " théorie de la croissance endogène ".
Toujours dans le domaine de la connaissance, l'éducation moyenne d'une population a un
rôle important. Le fait que votre collègue de travail soit quelqu'un de compétent est un point
positif pour vous-même (si on exclut en tout cas la possibilité qu'il vous pique votre
promotion). En le côtoyant, vous améliorez votre capital humain, et votre productivité. Si
l'éducation est un marché, chacun doit déterminer le prix qu'il est prêt à mettre pour acquérir
un niveau de formation donné, afin d'obtenir de ses études un rendement individuel donné. On
ne se préoccupe guère du voisin lorsqu'on fait cela. Pourtant, socialement, il serait opportun
de tenir compte du fait que lorsqu'on s'éduque, il existe une externalité positive pour les
autres. Il en résulte que le marché de l'éducation, en raison de l'existence d'externalités sur la
connaissance, ne conduit pas à un optimum social. Chacun s'éduque moins que ce qu'il le
devrait, car il ne souhaite pas spontanément faire bénéficier de son capital humain, vu qu'il ne
tient pas compte non plus du fait que celui des autres lui profitera. Cette problématique est
applicable à des questions qui ne semblent pas économiques au demeurant. Ainsi, les formes
de ségrégation urbaine où les enfants de classes défavorisées sont regroupés dans les mêmes
écoles et les autres dans d'autres sont socialement préjudiciables dans la mesure où elles
créent des zones de pauvreté en capital humain qui réduisent, sous certaines conditions
plausibles, le niveau général de capital.
Dans un autre domaine, les infrastructures telles que des routes, une police et une justice
efficaces (au sens où elles protègent correctement et sans bavures les droits de propriété des
agents privés) sont des biens publics, qui sont sujet au comportement de passager clandestin et
génère néanmoins des externalités positives dans la production du secteur privé. Le marché
est généralement peu apte à les gérer (même si des exceptions, au cas par cas, peuvent être
envisagées et même si certains considèrent que tout peut être géré par le marché. Mais ceux
là, je pense, ont déjà arrêté de lire ce texte en me classant " grave socialiste, rien à faire "…).
On peut enfin évoquer l'exemple le plus courant de la littérature sur les externalités, celui de
la pollution industrielle. Les entreprises qui produisent sans tenir compte de la pollution
occasionnée ignorent l'externalité négative que crée cette pollution. Il existe une pollution
optimale dans une économie, disons une économie locale. La pollution est (au mieux !)
désagréable, tout le monde est d'accord sur ce point. Mais la production industrielle est utile.
En principe, il existe un niveau de production qui soit tel que plus de production crée une
pollution additionnelle qui nuit tellement aux riverains qu'elle ne suffira pas, d'un point de vue
social, à compenser le supplément de revenus qu'occasionne la production additionnelle (au
travers des salaires et profits versés). Ce point est un optimum de Pareto. Or, le marché,
comme il ne tient pas compte des nuisances créées par la pollution, n'est pas capable
d'atteindre spontanément cette allocation.
3. Rendements croissants internes à la firme et pouvoir de marché.
L'existence de l'équilibre général dépend en fait de la forme de la fonction de
production. Elle doit être à rendements d'échelle non croissants. Or, en pratique,
il existe des activités pour lesquelles cette propriété n'est pas vérifiée :
- D'abord, le fait de faire grandir la taille de la production est propice au
développement d'une meilleure division du travail.
- Certaines technologies connaissent par ailleurs des rendements croissants en
raison de propriétés physiques des processus. C'est par exemple le cas de certains
grands fourneaux où la déperdition de chaleur par unité de volume produite
diminue avec la quantité traitée.
- Ensuite, des équipements peuvent être indivisibles. Ce qui signifie que vous
n'avez pas besoin d'ajouter un ordinateur supplémentaire lorsque vous pilotez
une chaîne de montage robotisée dont la production est accrue. Seule la
programmation des robots va changer. C'est également vrai pour tout ce qui
relève des coûts dits " fixes ". Les coûts fixes sont de nature différentes. Il y a des
coûts tels que les frais administratifs, qui jusqu'à un certain point ne varient pas
selon la quantité produite (si vous adressez une facture à un client, son coût est le
même quelle que soit la quantité livrée). D'autres coûts sont encore plus
critiques. Par exemple, les coûts de développement d'un logiciel. Concevoir un
logiciel est généralement coûteux. Mais une fois le logiciel conçu pour pouvoir
produire la première unité, le coût de reproduction est quasiment négligeable.
Les rendements croissants se manifestent ainsi par une réduction du coût
moyen de production. Si on reprend le cas du logiciel, imaginons que la
conception coûte 100, la reproduction 5 (en réalité, le rapport est bien plus élevé).
Le premier logiciel produit aura coûté 105 (conception plus pressage). Le coût
moyen est alors de 105. Si on produit un second logiciel, le coût marginal est de 5,
le coût total de 110 et le coût moyen de 110/2 = 55. Et ainsi de suite. Les
rendements croissants proviennent dans ce cas du fait que l'on amortit les frais
fixes sur un plus grand nombre d'unités produites.
Lorsque les rendements sont croissants, l'équilibre de marché ne peut être
Pareto-optimal. En effet, il n'existe tout bonnement pas. En concurrence parfaite,
l'entreprise est censée fixer le prix au niveau du coût marginal. Or, lorsque les
rendements sont croissants, le coût marginal est toujours inférieur au coût
moyen. Fixer le prix au coût marginal conduirait l'entreprise à la faillite. Dans
ces situations, on est confronté au phénomène dit de " monopole naturel ". Il est
plus intéressant qu'une seule entreprise produise seule le bien en question. Mais,
comme elle se comporte en monopole, son prix ne sera pas égal au coût marginal,
mais à la recette marginale, ce qui n'est pas socialement souhaitable.
On doit faire deux remarques à ce sujet. D'une part, la littérature inspirée par
Schumpeter ne voit pas le monopole comme un mal en soi. C'est dans l'esprit de
l'économiste autrichien et de ses disciples la recherche du monopole qui guide les
entrepreneurs innovateurs. Et c'est grâce à des positions temporaires de
monopole qui leur apporte un profit supérieur à ce qu'ils auraient en concurrence
parfaite (profit nul en théorie d'ailleurs) que les entrepreneurs génère de
l'innovation. Or, l'innovation est un bien socialement souhaitable. Dans cet
esprit, les pertes de bien-être que suscite l'existence de monopoles sont
compensées par les gains de productivité de l'innovation. La théorie du bien-être
a une approche statique (propre au modèle d'équilibre général d'Arrow-Debreu)
alors que Schumpeter se place dans un cadre dynamique. D'autre part, la théorie
des marchés contestables (quoique relativement peu pertinente en pratique)
relativise la vision du monopole en montrant que des situations de monopole
peuvent mener quand même à une tarification au coût marginal, du fait de la
pression d'entrants potentiels sur le marché.
De manière générale, toute situation où les entreprises fixent un prix supérieur
au coût marginal sur un marché est sous-optimale (cas des oligopoles ou modèles
de négociations salariales en économie du travail).
4. Le problème de l'information
Lorsque l'information dont dispose les agents pour faire leurs choix n'est pas
parfaitement disponible à un coût négligeable, la correspondance entre équilibre
de marché et optimum de Pareto disparaît. Quelles sont ces situations ? Les
exemples sont très nombreux. Deux branches de la théorie économique en
traitent de façon systématique : la théorie des jeux et l'économie de l'information.
On les regroupe parfois sous le vocable " nouvelle microéconomie " (voir la
bibliographie). Il n'est pas question de faire un exposé complet de ces deux
disciplines (ce serait réellement trop long !). On se contentera de présenter
quelques exemples courants sur la question.
L'impossibilité de connaître la qualité d'un bien avant un échange
Prenons le cas du marché des véhicules d'occasion développé par Akerlof (1970).
Sur ce marché, seuls les vendeurs sont aptes à connaître parfaitement la qualité
du bien qu'ils vendent. Même s'ils ont les moyens de voir si un véhicule est un
véritable tacot ou pas, les acheteurs ne sont pas à même de déterminer aussi bien
que le vendeur la qualité du bien offert. Il y a une asymétrie d'information. Le
vendeur, lui, peut avoir intérêt à dissimuler la qualité réelle de la voiture. Et
même s'il a intérêt à montrer que son véhicule est en excellent état, il se peut que
cela soit trop coûteux pour qu'il le fasse. En admettant qu'il le fasse quand même,
on voit bien cependant que cela aura un coût et que l'échange n'est plus aussi
avantageux pour lui que dans un monde où toute l'information sur les biens est
disponible. Supposons qu'aucun offreur ne souhaite subir un coût pour signaler la
qualité de son véhicule. Le prix du marché sera donc le même pour tous les
véhicules en apparence identiques. Comme les demandeurs savent qu'ils ont des
chances de tomber sur un mauvais véhicule, le prix se situera quelque part entre
le prix normal d'un mauvais véhicule et le prix normal d'un bon véhicule. Or, à ce
prix là, les offreurs d'un bon véhicule refusent de vendre leur voiture. Il ne reste
donc plus sur le marché que les mauvais véhicules. Cette situation est donc
inefficiente, puisqu'il existe une demande et une offre pour les bons véhicules,
mais que les échanges mutuellement avantageux ne peuvent avoir lieu. On parle
d'antisélection (adverse selection, en anglais). Imaginons par ailleurs que la
probabilité de tomber sur un véhicule carrément dangereux soit significative.
Dans ce cas, c'est tout simplement le marché de l'occasion qui peut disparaître.
Personne n'est prêt à prendre le risque de rejoindre Lady Di sous le pont de
l'Alma. Aucun échange n'a lieu. Il s'agit là d'un exemple qui peut s'appliquer à
d'autres marchés où l'on ne peut distinguer a priori les produits selon leur
qualité.
Les difficultés pour repérer les caractéristiques d'un coéchangiste
C'est un cas typique du marché de l'assurance ou des banques. Imaginons que
vous avez finalement acheté votre automobile d'occasion. Il va falloir l'assurer.
Un assureur n'est pas systématiquement à même de savoir si vous êtes plutôt du
genre bon père de famille ou Michael Schumacher des échangeurs autoroutiers.
Un peu comme dans le cas de l'automobile, il fait face à une asymétrie
d'information. Il ne connaît pas votre type de conduite, vous oui. Bien sur, il
existe des façons simples de mesurer les risques a priori. Si vous roulez en Golf
TDI (quelle idée d'ailleurs !), vous êtes plus suspect que si vous roulez en Fiat 600
(quelle idée d'ailleurs !). Si vous avez déjà eu 10 accidents en un an, vous êtes
clairement plus dangereux ou malchanceux que quelqu'un qui n'en a pas eu
depuis 10 ans. Oublions cela un instant et admettons que l'assureur qui propose
un contrat assure tous les conducteurs à 100% en cas de dommage en échange du
paiement d'une prime identique pour tous. Dans ce cas, à la manière de ce qui se
passait sur le marché des automobiles d'occasion, les conducteurs à bas risques
devront supporter une surprime due aux excès des conducteurs à haut risque.
Leur réaction pourra être de ne pas échanger (quitte à être hors la loi, me direz
vous ? Eventuellement). Bien sur, le marché de l'assurance en général, de
l'automobile en particulier a développé des techniques de contrats dits "
séparateurs " qui permettent de discriminer largement les conducteurs à risque
des autres. Mais le problème de base restait le même. Un autre problème existe
en la matière. Une fois que vous êtes sorti de chez l'assureur avec votre carte
verte, bien couvert par votre assurance en cas de pépin, ne risquez vous pas
d'être moins prudent qu'à votre arrivée chez lui ? Après tout, vous n'aurez qu'à
dire que votre voiture a glissé sur une peau de banane qui s'est ensuite enfuie.
Qui dira le contraire ?
Le risque ou aléa moral
On parle de risque moral (moral hazard en anglais) lorsqu'il est impossible pour
un cocontractant de vérifier si l'autre partie au contrat a eu une conduite
appropriée dans la réalisation d'un contrat. Lorsque vous signez votre contrat
d'assurance automobile, vous vous engagez à adopter une conduite prudente et
respectueuse du code de la route. Mais comme, par chance, les assurances ne
nous imposent pas de covoiturer l'un de leurs employés en permanence, il est
parfois difficile pour elles de constater la réalité de votre conduite. Ce qui peut
vous inciter à moins de prudence (et inventer des histoires de peaux de banane, le
cas échéant).
D'autres exemples en économie illustrent cette situation. Ils sont tous
caractérisés par des asymétries d'information. Vous souhaitez créer une
entreprise, avec un projet bien précis. Vous avez besoin de fonds. Vous allez donc
voir votre banquier préféré. Et lui, ne vous connaît pas, en réalité. Il ne sait pas
si votre start-up est de la poudre aux yeux ou bien quelque chose de solide. Il n'a
pas toute l'information nécessaire à votre sujet. Alors, que doit-il faire ? Il va
dépenser un peu d'énergie à décrypter votre projet. Puis finalement le considérer
comme jouable. Est-ce gagné pour autant ? Non, " jouable ", ce n'est pas " sur ". Il
va vous demander d'apporter des garanties (une hypothèque sur votre maison ou
quelque chose comme ça) ou vous fixer un taux d'intérêt plus élevé que celui qu'il
accorde à d'autres clients réputés plus surs. Pourquoi ? Parce qu'il sait qu'en cas
de loupé intrinsèque du projet, il récupérera peut-être une partie du capital. Mais
ce n'est pas l'essentiel. Son problème est essentiellement de vous faire " réagir ".
Si vous pensez que votre projet est solide, vous serez prêt à payer plus ou à
donner des garanties. C'est une façon pour lui de savoir un peu plus à qui il a
affaire. D'autre part, il sait qu'en vous imposant de supporter des garanties, vous
êtes en partie solidaire de sa petite entreprise en cas de faillite. Et c'est pour lui
un gage de sérieux de votre part, une façon de s'assurer contre un risque d'aléa
moral. Il sait que pour éviter de perdre vos garanties, vous fournirez un effort
plus important que si le seul à supporter tous les risques était le banquier. Pas de
soucis alors ? Les bons emprunteurs acceptent les contrats discriminants des
banques et les autres les refusent ou font en sorte de devenir de bons
emprunteurs ? Ce n'est pas évident. Si vous avez un projet dont les rendements
futurs seront inférieurs au coût du crédit, bien que vous soyez un bon
emprunteur sur le fond (vous pourriez rapporter un profit à la banque et vous
assurer un rendement sur votre investissement), vous laisserez tomber votre
projet. Et concernant les éventuelles garanties ? Si vous n'avez rien à mettre en
avant de ce côté là, vous pourriez être le futur Bill Gates, cela ne changerait rien.
La banque ne le sait pas. Vous ne pouvez pas réaliser l'investissement. Dans ce
cas là, l'asymétrie d'information crée une situation inefficiente : des investisseurs
potentiellement rentables ne peuvent investir. Le banquier y perd, puisqu'il ne
perçoit pas les intérêts que vous auriez pu lui donner grâce à l'immense succès de
votre système d'exploitation Hublot 2002. Vous y perdez, puisque vous ne réalisez
pas le projet rentable. Mieux que ça, si ce genre de mésaventures se généralisent
dans l'économie, c'est la société qui y perd. D'abord parce que des projets non
rentables mais fournissant des garanties financières peuvent être financés à
votre place. Ensuite parce que votre activité et celles d'autres dans votre cas ne
bénéficieront pas à l'économie (il est question de croissance économique. Elle sera
évidemment plus élevée si des investissements rentables sont réalisés). Enfin,
parce qu'il se peut que votre femme ou votre mari vous quitte suite à cette
sombre histoire d'échec personnel (voir la théorie des appariements sélectifs,
même si elle est évoquée ici pour créer un lien artificiel entre ma tentative
d'humour en fin de paragraphe et le problème économique concerné). Et pourquoi
tout ceci peut arriver ? Parce que l'information sur le marché du crédit n'est pas
aussi naturellement bonne que ce qu'on le voudrait.
Un autre cas intéressant est celui de l'effort au travail. Un employeur engage
un salarié dans le cadre d'un contrat de travail. En premier lieu, il ne sait pas
trop à qui il a affaire, malgré la procédure de recrutement (asymétrie
d'information). Il dépensera donc des ressources pour trouver l'oiseau rare.
Oiseau rare qui de son côté peut chercher à se signaler en ayant acquis un
diplôme très difficile, qu'il utilise comme signal de productivité (voir la théorie du
signal de Spence). L'employeur n'est pas forcément capable d'observer l'ardeur au
travail du salarié (aléa moral en vue…). Bien sûr, il dispose de nombreux moyens
pour inciter son travailleur à fournir un effort. Il peut utiliser des incitations
monétaires en liant sa rémunération à une variable observable qui est supposée
être reliée à son effort et pour partie contrôlable par l'employé. Par exemple, pour
un représentant, disons que le chiffre d'affaires est une fonction du type CA =
aE+µ où E est l'effort, a un paramètre positif de productivité et µ un terme
aléatoire que ne contrôle pas le représentant. Si vous liez en partie le salaire au
chiffre d'affaires, selon la formule W = F + bCA, où b est compris entre 0 et une
valeur inférieure à 1 et F une part fixe du salaire positive ou nulle, il est fort
probable que vous accentuerez l'effort du représentant. Plus précisément, cela va
dépendre de l'arbitrage que fait le représentant entre son loisir et sa
consommation. La valeur de b est donc importante. Autre solution, installer des
caméras de surveillance dans tous vos locaux pour contrôler le travail des
salariés sédentaires. Quels sont les problèmes potentiels de ces solutions (qui
sont développées par la théorie des contrats et notamment le modèle " principalagent ")? Relier la rémunération à la productivité suppose que le salaire sera
supérieur à la productivité marginale du travailleur. Or, au niveau du marché du
travail global, on peut montrer que cela crée du chômage involontaire (voir la
théorie du salaire d'efficience à ce sujet et pour ses fondements). Contrôler (pour
ne pas dire " fliquer ") les salariés conduit à des coûts de contrôle inutiles dans un
monde de concurrence parfaite, mais mis en balance ici avec les coûts d'un effort
faible de la part des travailleurs. Dans tous les cas, il n'y a plus optimalité de
l'équilibre de marché.
5. Quelques autre cas.
Parmi les situations où l'équilibre de marché n'est pas optimal, on peut encore
citer les modèles de taches solaires et les jeux de coordination dynamique. Dans
un modèle à taches solaires, on est dans une perspective dynamique. Ce qui
signifie que les agents prennent leurs décisions en fonction de leurs anticipations
sur l'état futur de l'économie. Pour former ces anticipations, ils font appel à des
croyances sur la façon dont fonctionne l'économie. Par exemple, s'ils pensent que
le niveau futur de l'activité économique dépend des dépenses publiques, alors ils
feront leurs choix de consommation, production, épargne etc. en fonction de
l'information dont ils disposent sur le niveau des dépenses publiques. Il en
résultera que leurs anticipations deviennent autoréalisatrices. Le fait que le
niveau des dépenses publiques orientent leur comportement dans une certaine
direction, validera cette croyance a posteriori. Dans ce genre de modèles, il existe
différents équilibres possibles, en fonction des croyances adoptées. Et ces
équilibres n'ont pas les mêmes propriétés d'optimalité. on peut se trouver sur un
équilibre optimal ou pas. Ce genre de modèles relèvent de l'économie des "
nouveaux keynésiens ". Dans la même famille théorique, on trouve des modèles
de théorie des jeux où des complémentarités entre agents conduisent à une
multiplicité d'équilibre. Par exemple, si dans une entreprise, la valeur de la
production dépend de l'effort de tous, mais est conditionné finalement par l'effort
de celui qui fournit l'effort le plus faible, les agents sont dans une situation de
complémentarité stratégique. D'un côté, il est de l'avantage de tous que chacun
fournisse le plus gros effort pour que le moins productif donne un niveau élevé.
D'un autre côté, le risque que l'un d'entre tous " tire au flanc " rend risqué la
stratégie qui consiste à fournir un gros effort (qui au final pourrait s'avérer
infructueux). Dans ces conditions, on peut montrer qu'il existe deux équilibres
possibles : celui où tous fournissent un effort élevé et celui ou tous fournissent un
faible effort. Le premier étant évidemment préférable. Cet exemple s'applique à
des cas macroéconomiques, quand des entreprises interdépendantes ou
concurrentes doivent se coordonner sur un niveau de prix ou de production suite
à un changement de l'environnement économique. Imaginons le cas d'un oligopole
Une entreprise qui baisse son prix accroît la demande globale par un effet
d'encaisses réelles qu'elle ne prend pas en compte. Ainsi, si elle n'ajuste pas son
prix, pour des raisons optimales de son point de vue, elle participe à la création
d'une récession. La récession provient d'un défaut de coordination.
6. Quelques remarques de conclusion
J'espère avoir donné une idée globale des problèmes de " défaillances de marché
". Il est certain que de plus longs développements seraient nécessaires pour faire
état de tous les problèmes liés à cette question. Ce texte sera peut-être remanié
ultérieurement. Il est très imparfait, mais a le mérite d'exister. Les
commentaires sont les bienvenus, même (surtout) critiques.
Parmi les points volontairement ignorés, on trouve celui, pourtant crucial, de la
façon de remédier aux échecs du marché. L'objectif de ce texte était uniquement
de pointer les mécanismes élémentaires de défaillances de marché. Pour éviter
toute confusion, je précise qu'il n'y a pas d'omissions coupables concernant le rôle
de l'Etat en la matière. L'Etat est une solution pour remédier à certains échecs de
marché. Le marché lui-même offre des possibilités. Le point commun entre les
deux est que dès lors qu'il existe des imperfections de la concurrence l'un et
l'autre sont des solutions imparfaites, du moins non universelles et parfois
complémentaires.
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