psycho

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INTRODUCTION
La psychologie a commencé par s’inscrire dans les disciplines philosophiques
cherchant à étudier l’âme, l’esprit, la vie intérieure, les phénomènes subjectifs, la
conscience .
Les premières ébauches de méthode scientifique ont consisté à accéder à
l’ensemble des expériences subjectives par l’analyse introspective (réflexion du sujet
sur lui-même) et par l’analyse du langage traduisant les émotions, sentiments,
pensées, souvenirs, perceptions .
Le courant scientifique issu du positivisme a conduit à souligner les manifestations
observables et mesurables des faits subjectifs en vue d’en découvrir les lois de
formation, voire les mécanismes matériels, cérébraux et organiques en général .
La méthode expérimentale fut largement appliquée pour analyser les sensations
(psychologique), les réactions motrices élémentaires (psychophysiologie des
réflexes), la mémoire et les processus d’apprentissage, surtout à partir des lois
trouvées chez les animaux .
Le Behaviorisme a consacré la psychologie comme science du comportement
adaptatif, rejetant toute analyse des états de conscience mais aussi de toute
expérience subjective intervenant entre l’action contrôlable des stimuli et les
réactions comportementales mesurées, considérées comme indicatrices
d’apprentissage ou d’intelligence .
Les processus émotionnels ou mentaux intermédiaires ne faisaient pas l’objet d’une
analyse spécifique, et aucune référence directe n’était faite au cerveau ni aux
structures organiques impliquées dans la traduction des stimuli en réponses
comportementales adaptées .
Aujourd’hui, la psychologie étudie pour eux-mêmes les processus émotionnels et
mentaux, élémentaires ou complexes, qui traitent les informations de l’environnement
et produisent diverses catégories de comportement : réactions motrices, réponses
verbales, attitudes sociales, sentiments, activités intellectuelles et symboliques .
Ses méthodes sont diverses : observation des activités motrices (signaux de
communication non verbale), mesure de l’activité corticale (ex : la reconnaissance
des visages et leurs expressions) ou endocrinienne (ex. : réactions hormonales au
stress), réponses verbales à des questionnaires, évaluation des effets d’une
psychothérapie, stratégies de résolution de problèmes logiques, etc.
D’une manière générale, la psychologie contemporaine étudie l’ensemble des
représentations mentales des animaux et des humains, en considérant qu’elles sont
souvent associées à des processus émotionnels .
La psychologie cognitive s’intéresse plus particulièrement aux opérations mentales
qui traitent et transforment les informations physiques, sociales ou culturelles .
Un grand nombre de recherches en psychologie pratique la méthode expérimentale,
en laboratoire ou à partir de données collectées sur le terrain (intervieuws,
questionnaires).
1
Même la psychologie clinique teste des hypothèses empiriques sur des patients et
évalue par des mesures l’effet réel des traitements sur les émotions ou les capacités
cognitives .
Les recherches testent et souvent produisent des modèles théoriques quelquefois
mathématiques (ex. : modèles probabilistes de l’apprentissage), mais dans tous les
cas dotés d’une logique interne et de propositions réfutables .
La psychologie se distingue donc de la littérature populaire consacrée à la pléthore
des problèmes affectifs et sociaux dont souffrent les couples et familles qui nous
entourent .
De même, les psychologues, se distinguent de la nébuleuse de praticiens plus ou
moins sincères et plus ou moins efficaces qui composent la classe des « Psys » .
Aussi, les fédérations nationales des psychologues ne reconnaissent que les
détenteurs d’un diplôme universitaire obtenu à la fin d’une formation complète (alors
qu’un »psychothérapeute » ou un « sexologue » peuvent n’avoir suivi qu’une
formation personnelle auprès d’un maître autoproclamé) .
Enfin, il existe bien des connexions entre la psychologie et d’autres sciences .
2
Exemplespertinents pour un cours de Bac1 en ESPO : *
Biologie
(l’homme est 1 primate)
Ethologie animale
Ethologie humaine
Sociobiologie
Physiologie
Neurosciences
* psychologie animale
*
«
comparative
*
«
évolutionniste
*
«
-physiologie
* neuro-psychologie
Médecine
Générale
(stress, douleur, dépression)psychiatrie
pharmacie
* psychologie de la santé
* pathologie
psycho-pharmacologie
Pédagogie
Sciences de l’éducation
* psychologie de l’enfant
«
scolaire
Linguistique
* psychologie linguistique
Philosophie
Epistémologie
Ethique
psychologie cognitive
«
morale
Economie
* psychologie économique
Droit
psychologie judiciaire
Théologie
psychologie de la religion
Sociologie
(leadership,
coopération-compétition
organisation des entreprises,
stéréotypes sociaux)
* psychologie sociale
* psycho-sociologie
* psychologie industrielle
*
«
différentielle
(ex : ♂♂ ≠ ♀♀ )
Anthropologie, Ethnologie
(polygamie-monogamie,
communication non verbale universelle)
* psychologie interculturelle
Sciences politiques
(persuasion, charisme à la TV,
préférences partisanes, idéologies)
* psychologie politique
PREMIERE PARTIE L’EXPLICATION DES COMPORTEMENTS
3
I.1. PAR L’ETHOLOGIE
I.1.1 L’Ethologie a démontré l’existence de comportements instinctifs :




Spécifiques (propres à chaque espèce animale) ;
Indépendants d’un apprentissage, même s’ils sont modifiables par
l’expérience au cours de l’ontogenèse précoce ou tardive : ils sont hérités :
transmis par le programme génétique de l’espèce, sélectionnés et conservés
par l’évolution de l’espèce ; certains sont présents à la naissance (innés), mais
la majorité se développent après des périodes de maturation organique
spontanée ( déterminée par le programme génétique) ou bien influencée par
les stimulations de l’environnement ;
De forme motrice peu variable et présentant peu de différences individuelles
(actes et séquences d’actes stéréotypés) ;
Déclenchés de manière plus ou moins automatiques par des stimuli et
configurations schématiques efficaces en fonction de l’état organique interne
de l’animal (motivation :sexuelle, agressive, alimentaire, parentale, etc …) .
Exemples

Le mâle épinoche en état de reproduction construit un nid autour duquel il
défend un territoire contre des mâles rivaux . Tout comme lui, ceux-ci
présentent un ventre de couleur rouge alors que les femelles pleines
présentent un ventre gonflé de couleur grise . Or, l’agression territoriale du
mâle résident est déclenchée par la détection du ventre rouge du mâle rival .
Tinbergen l’a démontré expérimentalement en introduisant dans les
aquariums des modèles artificiels d’un mâle d’épinoche (méthode des
leurres) : aucun modèle n’est attaqué s’il est dépourvu du signal « ventre
rouge) même s’il ressemble beaucoup à un mâle vivant ; au contraire, la
réaction agressive du mâle territorial est automatiquement déclenchée par
tous les leurres portant un ventre rouge, même s’ils reproduisent de manière
grossière la forme d’un congénère . Par ailleurs, la réaction agressive est
d’autant plus rapide et intense que les modèles possèdent une partie
inférieure rouge plus étendue : même s’il paraît caricatural, ce leurre est
porteur d’un stimulus supra-normal exagéré . la réaction est également plus
intense si le leurre est introduit en position verticale, la tête vers le bas . Un
leurre qui combine ces deux propriétés déclenchantes sera
proportionnellement plus efficace que l’addition de deux leurres porteurs
chacun d’une seule propriété déclenchante : d’une manière générale ,
l’efficacité des divers stimuli déclencheurs tend à se combiner de manière
additive (p.ex. une photographie de taureau portant le stimulus « cornes »
déclenchera davantage d’approches des vaches si elle est présentée
simultanément avec des enregistrements des vocalisations sexuelles du
taureau) .

Le bec de la femelle goéland possède une tache rouge qui déclenche la
quémande alimentaire de son petit, qui picore la tache (expériences en milieu
naturel de Tinbergen avec des modèles faciaux de goéland femelle) .
4

La femelle goéland cherche à couver des leurres d’œufs porteurs d’une
configuration tachetée typique des œufs de son espèce ; elle couvera d’autant
plus vite et longtemps qu’on lui présente un œuf supra-normal (et une femelle
Albatros couvera un pamplemousse ) .

Les pépiements d’alerte et la fuite des poussins sont déclenchés par la vue de
formes cartonnées reproduisant une configuration « faucon », prédateur ailé .

La méthode des leurres est appliquée pour stimuler la reproduction des
animaux d’élevage (leurres supra-normaux de vache pour déclencher la
monte du taureau et collecter son sperme dans le vagin artificiel ; leurre de
verrat, remplacé par l’humain, et sommation de stimuli tactiles, olfactifs et
visuels pour déclencher la réceptivité sexuelle de la truie ) .
Exemples chez les humains

Déclenchement de réactions instructives de protection parentale à la vue des
formes animales juvéniles, infantiles : chiots , chatons, canetons, etc… que
nous trouvons beaucoup plus « mignons », « chou », que dans leur forme
adulte . L’effet de ces formes néoténiques est d’autant plus marqué que
l’animal est petit .

Création par sélection génétique de lapins nains ( stimuli supra-petits) .

Formes très juvéniles des animaux dessinés par W. Disney et autres
créateurs de bandes dessinées pour enfants .

Accentuation depuis 50 ans des traits juvéniles chez Mickey .

Accentuation, depuis un siècle, des traits infantiles chez les ours en peluche .

Attirance des enfants pour les poneys, application à l’ hippothérapie pour
améliorer la communication et la sociabilité des enfants autistes .

Préférences (photos) des enfants de 4 ans (garçons et filles) : chiot (ou chaton
ou lapin nain) > bébé > chien > enfant de 8 ans > jolie femme souriante >
beau jouet, fleurs .

Préférence des enfants de 6 ans : adultes humains avec chiot (photos) >
adultes humains attirants et souriants sans chiot ou avec un enfant .

Applications à la publicité : alimentation pour gros animaux de compagnie
présentée avec des chiots ou des chatons ; produits de consommation
associés à de très jeunes enfants .

Accentuation des stimuli sexuels déclencheurs par le maquillage (grands
yeux, lèvres rouges) et par la chirurgie esthétique (gonflement des lèvres et
des seins par le silicone.
5
I.1.2. L’éthologie a démontré que le monde perceptif d’une espèce animale résulte
d’une sélection ou filtrage sensoriel des stimuli significatifs de l’environnement par
des récepteurs programmés pour les détecter .
Exemples :
 Certains batraciens possèdent des détecteurs visuels (photorécepteurs de la
rétine) qui répondent de manière sélective au mouvement d’un seul point (pas
de plusieurs), surtout s’il est irrégulier, comme le vol d’un insecte . La
grenouille de l’espèce Eleutherodactylus coqui Filtre, par la membrane de
l’oreille, les appels sonores du mâle : les femelles n’entendent que la portion
« qui » de l’appel qui les attire alors que les mâles n’entendent que la portion
« co » qui les dissuade (menace) .

J. Von Vexküll a analysé le monde sensoriel d’un acarien, la tique ou ixode,
qui ne possède ni vision, ni audition, ni gustation . Mais : son sens
dermatoptique (récepteurs de la peau à la lumière) lui permet de grimper au
sommet d’un arbuste pour attendre une proie ; son olfaction développée lui
permet de détecter l’acide butyrique secrété par les follicules sébacés des
mammifères et, à ce signal, elle se laisse tomber sur la proie ; ses
thermorécepteurs lui permettent de détecter la température de la peau des
animaux à sang chaud ;son toucher lui permet, pendant sa locomotion
exploratoire, les poils sur la peau et de se fixer sur une zone glabre .
Alors, la tique perfore la peau avec ses appendices céphaliques, enfonce la
tête, se gorge de sang par sa trompe suceuse, pond ses œufs et meurt .
Le monde sensoriel très limité de la tique suffit à déclencher une séquence de
réactions et d’actions motrices elles-mêmes à caractère très significatif,
puisqu’elles réalisent la fonction adaptative majeure de la reproduction .
Chez des espèces dont le système nerveux central est plus complexe, le
monde propre de l’animal sera également construit par la signification de
toutes les actions motrices que l’animal développe en fonction de son monde
perceptif . Le monde sensoriel initial peut devenir un monde perceptif dont
seulement quelques signaux sont significatifs, en raison des comportements
que l’animal développe à leur égard .
Von Vexküll a défini ce monde propre ou subjectif (« Umwelt ») en fonction du
degré d’autonomie qu’une espèce peut manifester par rapport à son monde
sensoriel spécifique .
6
Ainsi, les comportements spontanés d’une espèce plus active dans son
monde sensoriel que la tique serait capable de construire un espace perceptif
plus complexe et de modifier la signification initiale de certains signaux .
Le monde propre d’un poulpe serait plus riche que celui d’une anémone de
mer, fixée sur une roche ou sur la coquille d’un crustacé .
Par ailleurs, l’anémone de mer ne possède pas de système nerveux centralisé
mais un simple réseau nerveux, alors que le poulpe possède un véritable
centre nerveux d’intégration sensori-motrice (la tique ne possède qu’une
chaîne de ganglions cérébroïdes) .

Une expérience de Buytendijk illustre les différentes significations d’un signal
sensoriel pour diverses espèces marines . Cet auteur a démontré que
certaines espèces d’invertébrés marins réagissent différemment selon qu’elles
sont touchées passivement, alors qu’elles sont immobiles ou qu’elles touchent
activement le même stimulus au cours de leur déplacement spontané . c’est le
cas des poulpes ( Octopus Vulgaris) mollusque céphalopode, observés après
avoir été expérimentalement aveuglés : le tentacule touché par surprise est
brusquement rétracté, l’animal fuit et s’immobilise au fond de l’aquarium, avec
la coloration sombre du corps typique des réactions de peur ; quand le même
tentacule rencontre la même baguette alors que l ‘animal se déplace, l’organe
palpe le stimulus et l’évite par un détour adapté . Une différence de réaction
similaire est observé chez les Aplysies, mollusques gastéropodes : leurs
appendices céphaliques antérieurs et la tête elle-même se rétracte au contact
passif, alors qu’ils glissent le long du stimulus pendant que l’animal continue
de se déplacer . L’expérience subjective du toucher est donc différenciée chez
ces deux espèces ; la réaction émotionnelle de surprise et de peur est
contrôlée, neutralisée quand l’animal anticipe la rencontre d’obstacles au
cours de son exploration spatiale . Mais tel n’est pas le cas d’autres espèces
qui, contrairement aux mollusques, ne possèdent pas de système nerveux
central avec des lobes céphaliques qui intègrent les informations perceptives
et motrices ainsi que les émotions qui leur sont associées . Les Actinies ou
anémones de mer rétractent leurs tentacules touchés au repos puis cessent
de le faire après des stimulations répétées (processus d’habituation) ; les
mêmes réactions sont observées quand les mêmes tentacules touchent le
même stimulus (fixé au dessus de l’animal) au cours de leur mouvement
d’extension spontané . Les Actinies sont des coelenterés, dépourvus de
système nerveux (un simple réseau nerveux coordonne leurs sensations et
mouvements) . Aucune différence entre toucher et être touché ne fut observée
chez les Astéries ou étoiles de mer, Echinodermes pourvus seulement d’un
système nerveux primitif (chaque bras est contrôlé par un rayon nerveux) . En
revanche, les réactions différenciées furent constatées chez des écrevisses et
des crevettes, crustacés pourvus d’une chaîne ganglionnaire et d’un cerveau .
7
I1.3 La reconnaissance neurocorticale des congénères
Des expériences de neuroéthologie ont démontré l’importance des traits faciaux dans
la reconnaissance des stimuli sociaux qui possèdent une signification prioritaire chez
toutes les espèces grégaires vivant en groupes stables .
Kendrick a enregistré l’activité de neurones localisés dans le cortex temporal de
moutons ( dans une aire postérieure au sulcus sylvien et dorsale au sulcus rhinal )
alors qu’il leur présentait des photos de la face de plusieurs espèces .
La moitié de ces neurones, connus pour répondre préférentiellement à des
configurations faciales, furent activés sélectivement par des faces dotées de cornes,
les réponses étant plus intenses si les cornes étaient plus grandes, qu’elles soient
portées par un mouton de la même espèce ou par un membre d’une autre espèce
(de mouton ou non : le résultat est trouvé si des cornes sont montrées avec la photo
d’un visage humain) .
Chez les moutons, les cornes sont un caractère sexuel des mâles et les mâles plus
âgés ou dominants en possèdent les plus grandes, ce qui en fait des partenaires
sexuels ou des rivaux potentiels .
D’autres neurones ont répondu à la face d’un chien de berger (cause de stress pour
les moutons) et à celle d’un humain (positive s’il s’agit du soigneur, négative s’il s’agit
d’un humain étranger) .
Encore d’autres neurones n’ont répondu qu’à la face de deux moutons de la même
espèce que l’observateur . En outre, la face du mouton familier a évoqué de plus
fortes activations neuronales que la face du mouton étranger ; cette dernière a été
davantage activatrice que la face d’un mouton étranger d’une autre espèce .
Enfin, des configurations faciales d’un humain ont évoqué les réponses les plus
marquées pour la photo d’un visage, puis pour le dessin d’un visage complet, puis
encore pour un dessin comportant les yeux, les sourcils et la bouche ; les
configurations les plus incomplètes n’ont pas suscité d’activation neuronale .
Rolls a enregistré l’activité de neurones dans le cortex temporal de macaques
auxquels il présentait des photos faciales de 3 congénères exhibant 3 mimiques :
neutre ou calme ; menace de faible intensité ; menace de forte intensité , bouche
ouverte.
Un tiers des neurones n’a répondu qu’à l’identité des visages, un seul neurone
pouvant répondre davantage à la face d’un congénère qu’à celle d’un autre, celle du
3e n’évoquant que les plus faibles activations .
Un cinquième des neurones n’a répondu qu’aux expressions faciales, avec des
activations croissantes entre faces neutres et faces les plus menaçantes . il existe
donc une carte neurocorticale de la reconnaissance faciale, sachant que l’identité
faciale active sélectivement l’aire du gyrus temporal inférieur, alors que l’expression
faciale active particulièrement le sulcus temporal supérieur .
8
Brothers a enregistré l’activité de neurones localisés autour du sulcus rhinal, dans le
cortex médial adjacent, et dans les noyaux de l’amygdale médial (une structure du
système limbique, aire sous-corticale activée par les émotions) .
L’auteur a projeté à des macaques des images vidéo de congénères en situation
sociale, telles qu’une compétition alimentaire .
Certains neurones ont répondu sélectivement aux mouvements de la tête, des yeux
et de la bouche, surtout exprimant la menace : contact visuel prolongé et direct,
frontal ( ≠ regard ponctuel et oscillant), froncement des sourcils (≠ sourcils relevés),
bouche ouverte, dents du bas visibles (≠ bouche fermée ou bien ouverte pendant un
bâillement) .
Certains autres neurones ont répondu sélectivement aux mimiques de peur, surtout
présentées en gros plan .
Chez l’humain existent aussi des neurones « faciaux », sélectivement activés par les
visages de nos congénères .
Ceux qui reconnaissent l’identité sont localisés dans le cortex inféro-temporal, dans
le gyrus fusiforme droit (aire du cortex temporal ventral) et dans une partie du cortex
occipital .
Ceux qui réagissent aux émotions faciales sont localisés dans le cortex temporal
supérieur . Le noyau amygdalien est activé dans les 2 processus de reconnaissance,
de même que l’insula et des connexions entre le cortex temporal et l’hippocampe,
une autre structure du système limbique .
Par rapport à l’activation suscitée par une expression neutre, les expressions de
peur, d’agressivité et de tristesse activent : l’amygdale, le gyrus frontal inférieur et le
gyrus fusiforme .
Les enfants humains commencent à reconnaître certaines émotions faciales dès
l’âge de 7 mois, et à les reconnaître différentiellement avant 2 ans .
A l’âge de 6 mois, les enfants reconnaissent l’identité faciale de plusieurs humains,
mais aussi de plusieurs individus macaques . Ils sont très tôt prédisposés à regarder
préférentiellement les visages puis à les identifier (vers 2 ou 3 mois) comme s’ils
étaient programmés pour reconnaître des faces de primates en général .
Cependant, à l’âge de 9 mois, ils ne reconnaissent plus que l’identité faciale de
plusieurs humains, comme si après une période de maturation associée à un
apprentissage perceptif, le programme phylogénétique se spécialisait à une
reconnaissance exclusive des visages des congénères .
Un processus similaire caractérise le développement précoce de la reconnaissance
sociale chez les oiseaux, au cours de la période d’imprégnation .
9
I.1.4. L’imprégnation : le développement de la préférence instinctive pour les
membres de l’espèce .
Dès l’éclosion, les canetons ou les poussins tendent à suivre leur mère et à rester en
contact avec elle et avec les autres membres de la couvée (frères et sœurs) .
Il s’agit d’une réaction sociale innée qui les pousse à se familiariser avec le
phénotype (morphologie = plumage, traits faciaux et comportements = vocalisations
d’alerte, gloussements, lissage des plumes, mouvements dans l’eau) propre au
congénère parent, auquel ils s’attachent .
A l’âge adulte, la préférence pour un partenaire sexuel portera sur ceux qui
possèdent un phénotype similaire, donc sur un membre de l’espèce .
Cette préférence implique la reconnaissance de ces traits spécifiques, appris et
mémorisés très tôt .
Entre les âges de 1 à 2 jours, en effet, les poussins auxquels on donne le choix
entre le premier congénère rencontré et un autre, congénère ou membre d’une autre
espèce, suivront systématiquement le premier, comme s’il avait fait l’objet d’une
empreinte dans le cerveau des poussins .
On appelle imprégnation cet apprentissage social précoce, génétiquement
programmé, qui se déroule pendant une période post-natale de courte durée et dont
l’intervalle est assez fixe (de 6 à 24H chez les canetons, de 2 à 30H chez les
poussins).
On pourrait croire que les oiseaux naissent avec une prédisposition à reconnaître
instinctivement leurs congénères, à partir d’une représentation mentale quasi-innée
de leur phénotype spécifique .
Pourtant, on sait depuis longtemps qu’une telle possibilité doit être exclue : si un être
humain se substitue au congénère parent, il sera tout autant suivi, préféré à un objet
étranger et même à un congénère présenté plus tard, puis il sera préféré comme
premier partenaire sexuel (ex. historique : K. Lorenz) .
Les expériences de Hess ont démontré un même attachement précoce si les
canetons rencontrent pendant la période critique un objet artificiel, pour autant qu’il
soit en mouvement et visuellement attirant (p.ex. une boîte rouge).
G. Horn a réalisé des expériences qui permettent de répondre à 2 questions
essentielles : la préférence pour l’objet d’imprégnation est-elle irréversible ?, et :
n’est-elle pas plus forte si cet objet ressemble davantage à un congénère (une poule
empaillée, en rotation et exposée avec des vocalisations d’appel enregistrées) qu’à
une forme artificielle (boîte rouge en rotation et faisant un faible bruit) ?
Horn a élevé ses poussins dans l’obscurité (incubateur) jusqu’à l’âge de 24h puis, il
exposait visuellement les poussins pendant 2h soit à une boîte rouge (B), soit à une
volaille empaillée (F) .
Ensuite, il leur donnait le choix entre les 2 objets présentés simultanément et il
enregistrait la préférence des poussins (approches systématiques) pour l’objet
d’imprégnation ; ce test étant réalisé soit 2h soit 24h après la 1ère exposition à B ou à
F.
10
Exp. 1.Quand le test est réalisé 2h après (âge des poussins =28h), les
poussins préfèrent l’objet d’imprégnation B pour les uns, F pour les autres .
Mais, quand le test est réalisé 24h après (âge des poussins :50h), les
poussins imprégnés à F préfèrent toujours F, alors que ceux imprégnés à B
préfèrent à présent aussi souvent F que B (choix aléatoire :50%) .
Exp.2 Les mêmes résultats sont trouvés quant à l’âge de 24h, les poussins
sont placés dans la lumière mais sans être exposés ni à B ni à F .
Exp.3 Les mêmes résultats sont trouvés quant à l’âge de 24h, les poussins
sont exposés à B ou à F, mais dans l’obscurité, c.à.d. sans pouvoir les voir .
Ces résultats révèlent qu’il existe après la période critique d’imprégnation (jusqu’à
l’âge de + 28h) une autre période critique (de + 22h, quand les poussins sont âgés
de + 50h) au cours de laquelle les poussins développent une prédisposition à
préférer l’objet congénère F .
Il s’agit d’une période de maturation dont on peut dire qu’elle est spontanée puisque
l’objet F est préféré à B même quand les poussins âgés de 50h n’ont pu voir F ni B,
car soit ils étaient exposés dans l’obscurité, soit ils n’étaient pas présentés dans la
lumière .
Certes, cette période de maturation accompagne également l’apprentissage visuel
des poussins qui avaient été exposés à F ; mais elle ne renforce pas la préférence
pour F, puisqu’elle fut tout autant démontrée chez les poussins imprégnés à F et
testés après 2h, c.à.d.22h plus tôt .
Au contraire, la période de maturation neutralise l’apprentissage visuel des poussins
imprégnés à B, puisque 24h plus tard, leur préférence n’est plus pour B mais tout
autant pour l’objet congénère étranger F .
La période de maturation permet de développer une prédisposition à préférer F .
D’autres expériences ont permis de préciser ce processus perceptif .
11
Exp.4 Les poussins élevés dans l’obscurité sont exposés à B et à F dans
l’obscurité (sans les voir) pendant 2h .
A l’âge de
et testés après(à l’âge de) préférences
12h 24h
24h 10h
24h
26h
28h
48h
38h
36h
50h
52h
54h
74h
F≥B
F>B
F>B
F>B
F>B
F>B
30h 26h
39h
44h
58h
71h
76h
F>B
F>B
F>B
36h 24h
36h 26h
62h
64h
F>B
B=F
42h 24h
68h
B =F
45h 26h
39h
73h
86h
B=F
B=F
48h 24h
74h
B=F
La prédisposition à spontanément préférer l’objet congénère F se développe pendant
une période comprise entre l’âge de 12h et l’âge de 62h .
D’autres recherches ayant placé les poussins dans la lumière mais sans B ni F
confirment que cette préférence spontanée se développe entre les âges de 24h et
69-70h .
Ces recherches permettent de conclure qu’un poussin est prédisposé à davantage
s’imprégner à un objet ressemblant à sa mère plutôt qu’à n’importe quel objet
artificiel, même s’il s’imprègnera à B entre les quelques heures qui suivent la
naissance et l’âge de 28h, voire avant la 38ème heure .
Mais sur quels traits de l’objet congénère F cette préférence spontanée se porte-telle ?
12
Exp.5
Comme auparavant, les poussins sont élevés dans l’obscurité jusqu’à l’âge
de 24h, puis sont placés dans l’obscurité pendant 2h sans voir d’objet
d’imprégnation . Pour le test de préférence, réalisé soit 2h, soit 24h plus
tard, les poussins ont le choix entre la volaille empaillée F et d’autres
volailles empaillées dont le corps a été découpé de sorte que certaines
parties ne soient pas présentes . Si les poussins préfèrent la volaille intacte,
c’est que l’autre est dépourvue des traits qui rendent l’apparence de F
similaire à celle d’un congénère .
Résultats :
Aucune préférence ne fut constatée lors des tests réalisés 2h plus tard . En
revanche, les tests réalisés après 24h ont permis de démontrer une nette
préférence pour F par rapport à une volaille dont le corps ne montrait que le
plumage. Au contraire, F ne fut préférée ni à une volaille intacte renversée
(tête vers le bas) ni à des volailles disloquées dont le cou et la tête étaient
visibles, ni à un objet constitué seulement de la tête et du cou . Pour les
poussins, l’apparence d’un congénère adulte inclut nécessairement la face
(yeux, bec, crête) et le cou .
Est-ce à dire que le poussin possède à la naissance une représentation mentale
programmée du phénotype d’un congénère ? Cette conjecture est réfutée par un
autre résultat : la volaille intacte F ne fut pas préférée à un canard colvert ni à un
putois empaillés . Il n’existe donc pas de « reconnaissance » génétique d’un
congénère virtuel sans l’apprentissage précoce de ses propriétés pendant la phase
d’imprégnation .
Dans les conditions naturelles, le congénère réel est présent pendant cette phase
puis pendant la période de maturation qui fera préférer le phénotype du parent
présent .Le poussin acquiert alors une familiarisation visuelle avec les traits de ce
congénère (plumage et surtout traits faciaux). On peut se demander si le poussin
s’attache à ce congénère individuel ou s’il s’attache à tout congénère présentant un
phénotype similaire .
Pour répondre à cette question, une expérience devrait démontrer que le poussin
préfère son congénère-parent à un congénère très ressemblant . Si c’est le cas, le
résultat démontrerait du même coup que le poussin reconnaît, identifie son objet
d’imprégnation sur la base d’une représentation acquise de son phénotype .
Cette représentation serait nécessairement neuro-corticale et correspondrait à une
information mémorisée puis réactivée lors du test de préférence .
Horn a fait l’hypothèse qu’une structure corticale serait impliquée dans la
reconnaissance individuelle du congénère adulte auquel le poussin s’est imprégné :
l’IMHV (partie intermédiaire et médiane de l’hyperstriatum ventral) indépendamment
d’autres aires visuelles du cortex, notamment le Wulst.
13
Exp.6
Des poussins élevés dans l’obscurité subissent à l’âge de 6 à 10h des
lésions de l’IMHV, des lésions du Wulst, ou des pseudo-lésions (pseudo
opération qui n’atteint pas de structure corticale) . Entre 20 et 28h plus tard,
ils sont exposés pendant 3h. soit à F1 soit à F2 (2 volailles empaillées
éclairées, en rotation et émettant des cris maternels . Après avoir été
placées 2H dans l’obscurité (incubateur), F1 et F2 sont présentées pour le
test de choix simultané .
Résultats :
les poussins pseudo opérés préfèrent la volaille familière ; il en est de
même pour les poussins dont le Wulst fut lésionné ; au contraire, la volaille
fut au moins autant préférée que la volaille familière par les poussins dont
l’IMHV fut lésionné .
Enfin, Horn s’est demandé dans quelle mesure l’IMHV, nécessaire pour reconnaître
le phénotype individuel du congénère parent, était nécessaire pour reconnaître le
phénotype d’un partenaire sexuel approprié : l’information acquise pendant
l’imprégnation filiale se généraliserait-elle pendant la période de l’imprégnation
sexuelle jusqu’à faire préférer un partenaire dont le plumage correspond à celui des
parents, frères et sœurs inclus ?
Exp.7 Des poussins (femelles de plumage blanc) élevés dans l’obscurité
subissent à l’âge de 6-10H des lésions de l’IMHV ou bien des pseudolésions . Ces femelles sont ensuite élevées avec des mâles de plumage
blanc jusqu’à l’âge de 6 semaines . puis sont constitués, de la 6e à la 12
semaines, des groupes composés de quelques femelles blanches et d’un
mâle blanc de la même couvée .
A l’âge de 12 semaines, les femelles furent soumises à un test de
préférence entre deux mâles de phénotype différent et soit familiers, soit
étrangers .
Résultat : Au cours de deux tests successifs, les préférences sexuelles des femelles
pseudo-opérées furent les suivantes :
Mâle blanc étranger > mâle blanc familier
«
«
«
> mâle brun étranger
Aucune préférence marquée ne fût constatée chez les femelles ayant subi des
lésions de l’IMHV ; cette structure corticale est donc nécessaire pour faire la
différence entre la race des mâles et entre des mâles connus ou non pendant la
période d’imprégnation sexuelle .
On remarquera que les femelles non lésionnées ont préféré un mâle de leur race à
un mâle brun, au plumage trop différent ; mais elles ont aussi préféré un mâle de leur
race mais socialement étranger à un mâle dont le plumage leur était familier, mais
qui était aussi socialement familier . Donc, les femelles normales évitent un mâle trop
étranger par le plumage de sa race, mais évitent aussi un mâle trop familier
socialement .
14
Un résultat similaire fut trouvé sur les cailles par Bateson .
Exp.8
Des groupes de frères et sœurs (de plumage brun) sont élevés ensemble
jusqu’à la maturité sexuelle .
Aussi bien les mâles que les femelles ont préféré les partenaires suivants :
Brun(e) étranger >Brun(e) familier(e)>Blanc(he) étranger(e) (autre racemutante)
Exp9
Des groupes de frères et sœurs de même âge (issus de lignées suivies
pendant 4 générations), élevés ensemble pendant 30 jours, sont isolés
jusqu’à l’âge de 60 jours .
Aussi bien les mâles que les femelles ont préféré les partenaires suivants :
1er cousin(e) étranger(e)
>
3ème cousin(e) étranger(e)
>
frère-soeur familier(e) = frère-soeur étranger(e) = non-apparentés étrangers
Voici l’ordre de préférence sexuelle des cailles : d’abord, un partenaire apparenté
mais pas trop (cousins, et pas frères ou sœur) et socialement non-familier (absent
pendant la période d’imprégnation) ; ensuite et indifféremment les partenaires de trop
pauvre parenté (frère ou sœur) et les partenaires à la fois trop peu apparentés
(plumage trop étranger) et socialement étrangers .
L’imprégnation, filiale puis sexuelle, permet donc d’apprendre les traits
phénotypiques de la proche parentèle (parents mais aussi frères et sœurs) et de
préférer un partenaire qui ne soit ni trop proche ni trop éloigné par la parenté ; elle
permet aussi de préférer un partenaire non familier, donc à priori exclu de la proche
parentèle associée pendant l’imprégnation .
Ces préférences sexuelles sont dites optimales, en ce sens qu’elles conservent les
avantages tout en évitant les désavantages des croisements consanguins (
endogamique) et des croisements panmictiques (exogamiques) .
Chez les mammifères, l’imprégnation correspond à la période dite de socialisation
primaire . Juste après le sevrage, les petits sont attirés par les stimuli, objets,
animaux rencontrés pour la 1ère fois, puis préférentiellement par ce qui est devenu
familier, notamment par la classe des individus de même phénotype .
Les petits s’attachent à ces derniers et les considèrent comme membres de leur
famille, donc de leur espèce (même s’il s’agit d’humains, comme dans le cas des
chiens). En même temps commence une aversion pour les classes d’objets et
d’animaux non familiers .
Après la période de socialisation primaire, les membres d’une espèce tout à fait
inconnue susciteront la peur, avec évitement et quelquefois la fuite compulsive
(phobie) ou bien l’agression défensive (xénophobie = peur de ce qui est étranger) .
15
Au contraire, les espèces rencontrées durablement pendant la socialisation feront
l’objet d’un attachement qui peut se traduire à l’âge adulte par une attirance sexuelle
(p.ex. le chien envers son maître si le chien n’a rencontré aucun congénère).
Un louveteau qui aurait été socialisé à des humains ne manifesterait pas d’agression
défensive suscitée par la peur ; un chiot qui est socialisé à des chatons s’y
attachera ; un chiot qui n’aurait été socialisé qu’à des humains risque de traiter des
chiens comme une espèce étrangère .
Les périodes critiques sont comprises entre : la 4ème et la 12ème semaine chez les
chiens ; la 4ème et la 10ème semaine chez les loups ; la 3ème et la 9ème semaine chez
les chats .
Chez les humains, la socialisation primaire dure de la + 7ème semaine au 7ème mois,
avec : une période sensible au 6ème mois, la peur de l’étranger aux 8ème-9ème mois, et
une anxiété de séparation entre le 7ème et le 11ème mois .
Tout comme l’imprégnation filiale, la socialisation primaire détermine deux processus
perceptifs d’une importance cruciale pour l’adaptation sociale .
D’abord, la représentation du phénotype de tous les membres de l’espèce, par une
généralisation de l’information acquise à partir du phénotype des premiers
congénères rencontrés (les individus parents) .
Ensuite, la représentation des traits phénotypiques de différents congénères ; c’est la
reconnaissance individuelle ou identification perceptive des congénères familiers, qui
s’opère par comparaison entre les individus parents et d’autres adultes inconnus,
puis par comparaison entre différents individus devenus progressivement familiers .
Les deux processus se développent conjointement, par superposition des
compétences requises pour traiter l’information sur le phénotype « espèce » (surtout
= visages de l’espèce), et de celles requises pour traiter l’information sur le
phénotype (surtout facial) « individu de l’espèce » .
les recherches conduites sur l’imprégnation des oiseaux ont suggéré un modèle de
développement relatif à la reconnaissance sociale, puis individuelle, des nouveauxnés humains (Johnson et Morton) .
16
I.2. PAR LA PSYCHOLOGIE ANIMALE
Cette science analyse l’ensemble des états subjectifs et des processus mentaux
chez les animaux, en particulier chez les vertébrés supérieurs (oiseaux et
mammifères) .
Sa méthode est surtout expérimentale . Les comportements observables de l’animal
sont considérés comme indicateurs des capacités mentales d’une espèce :
-les activités cognitives, par lesquelles un animal traite et modifie de manière
adaptative les informations de son environnement physique et social ; la cognition
implique la formation de représentations mentales et d’opérations mentales sur la
base de capacités d’apprentissage et de mémorisation ;
- les états émotionnels, affectifs et les motivations qui accompagnent les activités
cognitives, les déterminent, ou sont déterminées par elles .
Qu’elle recoure ou non à la physiologie ou aux neurosciences, la psychologie
animale considère le « mind », ensemble des processus mentaux et émotionnels,
comme correspondant à des activités ou fonction du cerveau et de l’ensemble du
système nerveux .
Elle est souvent comparative et se réfère à la complexité des représentations
mentales humaines pour spécifier les propriétés des capacités psychologiques des
animaux .
I.2.1 Les représentations mentales du monde physique
Les capacités sensorielles fournissent des informations de base qui peuvent
fortement différer d’une espèce à l’autre (nous l’avons illustré par la vision des
couleurs chez l’humain et chez le chien, le chat, le taureau, la mouette, le vautour, la
grenouille, la truite, l’escargot, l’abeille, le grillon, le notifère ; ex. : l’abeille voit le bleu,
le vert, l’ultraviolet mais pas le rouge ; les oiseaux distinguent bien les couleurs ; le
taureau ne les voit pas).
Mais c’est la perception qui intègre l’ensemble des sensations et les interprète à
partir des représentations neuronales qu’elles ont suscitées dans des aires corticales
définies, où les informations sensorielles sont stockées et réactivées .
La perception implique une mémorisation et une réactivation des entrées
sensorielles ; elle implique une forme d’expérience, le plus souvent un apprentissage
de type associatif (par opposition à l’habituation et à la sensibilisation : diminution et
augmentation, respectivement, de réactions instinctives avec la répétition d’une
stimulation de même modalité sensorielle) .
La psychologie animale a beaucoup étudié expérimentalement ces représentations
perceptives .
17
Ex. : la reconnaissance des formes (triangles, cercles, etc…) qui résulte d’une
généralisation des informations acquises sur chaque ensemble d’objets de
forme équivalente (la catégorie des « triangles »).
Ex. : la reconnaissance des catégories ou classes d’objets naturels mais nonfamiliers (exps de Herrnstein sur l’acquisition des « concepts » d’arbre, de
poisson, d’humain par les pigeons).
Ex. : la résolution de problèmes, d’abord par essais et erreurs, ensuite par
généralisation des comportements intelligents qui permettent de trouver la
solution (orientation spatiale pour sortir d’un labyrinthe, manipulation d’un
mécanisme qui permet d’ouvrir la porte d’une cage, etc.…).
Ex. : la représentation d’un principe de relation entre une priorité d’objets
similaires, p.ex. des boîtes plus ou moins grandes, contenant plus ou moins
de nourriture .
L’animal doit se représenter la relation d’ordre : > entre les objets A, B, C, D, E
et inférer ou déduire que s’il voit : A > B, B > C, C > D et D > E
Alors => B>
D
et C >
E , alors qu’il n’a pas vu B - D ni C - E
présentés ensemble .
L’animal s’est donc représenté la propriété de transitivité d’une relation d’ordre
physique > .
Cette capacité fût démontrée chez les chimpanzés, les singes-écureuils, les
rats et récemment chez les pinsons (ex. de Kamil, 2004).
18
I.2.2 Les représentations mentales du monde social .
La reconnaissance sociale est un processus complexe qui fut mis en évidence par
diverses expériences ayant utilisé la procédure d’apprentissage discriminatif par
conditionnement opérant (si l’animal choisit le stimulus correct, il est récompensé par
de la nourriture après qu’il ait actionné le distributeur et les choix corrects sont
renforcés pendant l’expérience). Des résultats spectaculaires furent trouvés en
projetant des diapositives de deux puis de plusieurs congénères devant être
discriminés (phase de traitement = entraînement, suivie de la phase de transfert =
généralisation de l’information apprise en projetant de nouvelles vues, quelquefois
très différentes des premiers congénères) .
▲ Expériences de reconnaissance sociale : images de congénères discriminées
d’images de non-congénères (pigeons ≠ arbres, poissons, autres espèces
d’oiseaux ; macaques ≠ chiens, moutons, humains, autres primates) .
▲ Expériences de reconnaissance individuelle : images de congénères particuliers
A ≠ B, quelquefois très similaires .
 Congénères socialement familiers (perruches correctement identifiées sur les
dias ; macaques, identifiés au visage, poules, identifiés à la face mais aussi à
des images inédites du corps).
 Congénères socialement étrangers : poules et coqs ; pigeons, reconnus
même à leur silhouette ; chimpanzés, reconnus à la face .
▲ Expériences de reconnaissance de la parenté (petits d’une mère) : macaques
familiers socialement ; chimpanzés étrangers, dont la parenté avec une mère est
reconnue à leur face (la relation des petits mâles à la mère est mieux reconnue que
celle des femelles à la mère).
▲ Expériences de reconnaissance du statut hiérarchique chez des congénères
socialement familiers : après avoir vu des dias de A, de B, de C, de D, etc., et
sachant que dans leur groupe A> B> C> D, les macaques observateurs concluent
que A > D après n’avoir vu que les paires A > B, B > C et C > D (le choix de chaque
dominant d’une paire ayant été récompensé).
Donc, les macaques reconnaissent la relation de dominance hiérarchique comme
étant asymétrique ( si A > B, il est faux que B > A) et transitive .
19
▲ Expérience sur la transitivité de la dominance chez les pinsons (Kamil , août 2004
dans la revue Nature) .
 Phase pré-expérimentale : à partir de deux groupes X et Y, des paires de
chaque groupe sont formées pour un test de compétition alimentaire
désignant le dominant et le dominé
Groupe X
Groupe Y
A>B
B>C
1>2
2>3
 Phase de pré-test : le membre d’un groupe (p.ex. = 3) est sélectionné pour
observer successivement les membres de deux paires placés en compétition
alimentaire et l’observateur voit lequel domine l’autre . Dans la condition
contrôle, les membres des deux paires sont inconnus de l’observateur ; dans
la condition expérimentale, l’un des congénères avait été le dominant de
l’observateur dans leur groupe (Y, dans le cas de 3) .
Condition :
Expérimentale
Contrôle
L’observateur voit :
│ A > B │ puis │ B > 2
│ A > B │puis │ B > C │
Observateur
3
3
 Test : l’observateur rencontre le dominant de la seconde paire qui, dans la
condition expérimentale, a dominé le dominant de l’observateur ; si ce dernier
« raisonne » par transitivité, il devrait directement se soumettre alors que dans
la condition contrôle il est ignorant du statut précédent du dominé de la paire
et il peut tenter de le battre .
Condition :
Expérimentale
Contrôle
Hypothèse confirmée :
3 < B toujours
3 < B ou 3 > B
Car 3 a vu : B > 2
Et avant : 2 > 3
Donc => B >3
20
▲ Inférence de la transitivité hiérarchique par l’observation de la dominance entre
congénères étrangers .
Dans les petits groupes d’animaux qui établissent des relations de dominancesoumission après des combats, on constate qu’une hiérarchie linéaire est toujours
formée (groupes de N=3 à N=6).
Une hiérarchie est linéaire si et seulement si la relation de dominance > est complète
et transitive .
 Complète : > existe dans toutes les paires possibles du groupe, dont chacune
comporte une seule relation > (celle-ci est asymétrique : soit A > B, soit B > A,
mais pas les deux) .

Ex : N=3 En excluant les relations A > A, B > B et C > C, les n paires possibles
sont : (A B), (B C) et (A C), c.à.d. n = N(N-1) = C2 =(N2) = N !
=3
2
2 ! (N-2) !
 Transitive : dans chaque triade (A, B, C) du groupe, on trouve que : si A > B et
B > C alors toujours : A > C

Ex : dans un groupe de N = 4, la transitivité est observée pour les n = 4, la
transitivité est observée pour les n=4 triades possibles (4=C3n=( N3)= N !
3 ! (N-3) !
Or, une hiérarchie linéaire est trouvée dans 100% des cas au sein des petits
groupes alors que sa probabilité théorique est plus faible si N = 3(p = 0,75 =
75%), et encore plus faible si N = 4 (p = 0.375), si N = 5( p = 0.12) et si N = 6 (p =
0,02 = 2% seulement) . Formule : p = N !
2N(N-1)/2
Ex. si N = 3,p = 6 = 0,75
8
Comment l’expliquer ?
D ‘abord, par le fait que la première victoire de A et la première défaite de B
détermine une probabilité plus élevée de dominance et de soumission lors d’une
seconde rencontre avec un rival C qui n’a encore été ni dominant, ni dominé
(étant neutre, sa probabilité de dominer est de p = 0.50, c.à.d. aléatoire ).
En effet : Si A > B, la probabilité que A > C est de p = 0,67
B<C «
« «
Or, dans les cas de double dominance de A et de double soumission de B, la
transitivité finale est toujours trouvée .
A > B,
puis A > C. Si ensuite B > C, alors A> B > C
C>B
A>C>B
21
A > B = B < A, puis B < C. Si ensuite : A > C, alors A > C > B
C>A
C>A>B
Au total : 4 cas de linéarité sur 4
Donc, les 2 autres cas de linéarité ainsi que 2 cas de non-linéarité (ou circularité)
sont possibles dans les deux autres scénarios, moins probables, où A serait battu
par C et où B dominerait C .
Quant à l’issue de la 3ème rencontre, elle peut être expliquée par le fait que si elle
a lieu entre un ancien dominant et un ancien dominé, le premier aura beaucoup
plus de chances de dominer à nouveau (p= 0,85) que le second (p = 0.15) .
A > B,
puis B > C. Si ensuite : A > C, alors A > B > C
0,85
C>A
0,15
A>B
A>B>C
mais C > A
puis C > A. si ensuite : C > B , alors C > A > B
0,85
B>C
C>A>B
mais B > C
0,15
Il faut donc expliquer comment la linéarité est trouvée dans les 2 cas où elle est la
moins probable, c.à.d. :
A > B,
puis
B > C, et surtout :
0,33
A > B,
puis
A < C, et surtout :
0,33
C>A
0,15
B>C
0,15
Hypothèse expérimentale : l’information acquise par l’observation des combats et
de leur résultat permet à chaque animal de prédire son statut de dominant ou de
dominé avant la 3ème rencontre . En effet :
A > B, puis A voit : B > C => A conclut : A > C et A attaque C
En outre :
C voit : B < A
puis C < B => C conclut : C < A et C fuit
B < A, puis B voit : A < C => B conclut : B < C et B fuit
En outre :
C voit : A > B
puis C > A => C conclut : C > B et C attaque B
22
Hypothèse vérifiée chez les coqs : 100% de linéarité si A, B et C peuvent se voir
(ils sont séparés par un grillage ou par une paroi de plexiglas transparent) ; 85%
de linéarité si A, B et C ne peuvent se voir (paroi en bois ou en plexiglas foncé).
Conclusion : il existe une inférence (« déduction ») perceptive du statut
hiérarchique final qui garantit la transitivité .
Ensuite, la reconnaissance individuelle entre a, B et C assure la stabilité de la
hiérarchie linéaire . Ce modèle peut être généralisé aux triades qui composent
des groupes de N=4 et N=6 .
▲ le rôle de l’observation dans l’intelligence sociale
On peut désormais admettre que dans un groupe en formation et surtout dans
une hiérarchie stable, les oiseaux ou les primates se représentent les relations de
dominance virtuelles entre eux-mêmes et leurs congénères à partir de
l’observation de leurs relations déjà établies .
Il existe un véritable apprentissage par observation, même lorsqu’il s’agit de
réaliser des tâches de résolution de problèmes (ex : trouver la sortie d’un
labyrinthe après avoir vu un congénère réussir les détours appropriés ; voir un
congénère utiliser une pierre pour casser une noix posée au centre d’un tronc
d’arbre coupé à sa base = chimpanzés).
La communication gestuelle entre l’homme et le chien illustre les capacités de
compréhension sociale de l’animal . Les gestes humains indicatifs d’une seule
boîte à contenir de la nourriture parmi d’autres identiques sont compris par des
chiens de 2 ans quand la désignation est difficile à reconnaître (l’homme se place
devant une boîte vide, garde la tête fixe, et regarde seulement la boîte pourvue
de nourriture) .
Dès l’âge de 6 mois, les chiens comprennent les gestes indicatifs plus explicites :
pointage de l’index, se pencher au dessus de la boîte, exécuter des mouvements
haut-bas de la tête .
La compréhension est trouvée même si l’humain n’est pas le maître (le chien
généralise ses catégories perceptives ou « concepts » gestuels du maître aux
actes de même signification chez l’humain étranger . Les performances des
chiens sont légèrement supérieures à celles des chimpanzés et équivalent à
celles d’enfants de 3 à 4 ans testés dans les mêmes conditions .
23
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