INTERVENTION DE MURTHY 20/09/2008 F.S.E. MALMÖ Je m’appelle P.K. Muthy. J’appartiens à un syndicat de mineurs qui s’appelle Lal Zhanda Coal Mines Mazdoor Union, affilié au Center of Indian Trade Unions, CITU. J’ai d’abord participé à un colloque, que mes camarades du syndicat avaient organisé, avant de participer à ce séminaire : Démocratie participative et politique économique. Pour en arriver à la question de la délocalisation, ici, on a parlé de l’Afrique mais aussi de l’Inde. Je viens apporter des éléments à propos de mon pays. La délocalisation y a deux aspects. Généralement, ce qu’on connaît ici et ce dont on parle beaucoup, c’est l’Inde qui se développe, où il y a un boom économique, les technologies de l’information. Il y a apparemment un développement économique mais c’est une élite qui en profite. Toutes les entreprises étrangères multinationales, américaines ou européennes, ont de bases en Inde et ce sont de nouvelles villes qui émergent. Ce sont des villes hors des villes qu’on appelle « High Tech City » et ce n’est plus fait à l’image de l’Inde. Elles sont faites à l’image américaine, à l’image d’une Europe qui n’existe peut être pas encore en Europe. C’est différent. Ces entreprises, sûrement, paient bien, « bien » entre guillemets. Comparés à de jeunes Européens payés 1700, 2000 euros, un jeune Indien ou une jeune fille en Inde acceptent de travailler pour 300, 400 euros avec beaucoup de cœur et d’enthousiasme. Mais cela demande beaucoup de choses. Cela demande l’anglais, un anglais « anglais » ou un anglais « américain », pas un anglais « indien ». Je définis parce que quand on parle un anglais « indien », on n’est pas qualifié. On doit donc s’entraîner à parler un anglais « américain » ou « anglais ». Quand on veut être embauché dans une entreprise, il faut avant tout s’entraîner pendant 6 mois pour apprendre l’anglais « anglais » ou « américain ». Cela coûte cher. Au niveau indien, cela coûte très cher, presque six mois de paiement des parents qui investissent tout sur leur enfant afin de le munir de ce certificat pour parler anglais. Tous les Indiens ne peuvent pas se le payer. En Inde existe le système de castes et seuls les gens des castes supérieures, qui sont déjà riches, peuvent jouir de ce droit à participer à ce nouveau monde. Ce ne sont pas les Dalits, les intouchables, ou les pauvres qui iront là. Dans un système de castes où il existe des classes, c’est l’hyper classe qui y envoie ses enfants. Ils vivent dans un monde de Mac Donald, de Pizza… car, pour travailler là, on vous donne des coupons pour manger chez Mac Donald ou Pizza Hut. Il faut s’habiller à l’européenne qu’on soit fille ou garçon. Les saris et le salwar kameez, portés par les filles indiennes, ne sont pas autorisés. Elles doivent changer leur prénom car au téléphone, au centre d’appel quand elles ont une communication des Etats-Unis ou de Londres, elles doivent dire : « I am Mary » et ne peuvent pas dire : « Laxmi, Savitri, ou Kamla » Le travail se fait suivant les horaires américains. La journée commence ici à 22h jusqu’à 4 heures du matin. Tous les jeunes travaillent la nuit. Il y a un décalage horaire pour eux, en Inde, chez eux, avec la famille. Ils ne participent plus à la vie sociale de leur famille et ils en sont complètement coupés. Ils vivent dans un monde imaginaire. Pour qu’ils puissent vivre ainsi, on leur construit de petits bâtiments avec piscine, faits à l’européenne. A l’occidentale. Et ces choses ne sont pas fréquentes, ni pour tous en Inde. C’est une classe qui y a accès. Il se forme ainsi une élite qui ne veut pas de syndicats. Contrairement à l’Europe où la syndicalisation existe, ces jeunes ne veulent pas se poser de questions comme des travailleurs. Ils ne veulent pas être reconnus comme des travailleurs. Ils se pensent comme étant de descendance de la ligne des aristocrates. Ils vivent une vie complètement imaginaire. Au niveau de l’Inde, ces jeunes sont coupés du milieu indien, de la vie sociale indienne, de leurs parents. Ils refusent de retourner vivre chez eux. Ils préfèrent vivre à 3, 4, dans les nouveaux sites créés, loin de l’ambiance sociale de leur pays, de leur famille. Puis, il y a l’autre délocalisation, dans le textile, l’habillement, les chaussures. Là, c’est la tragédie, c’est un autre monde, celui des plus pauvres. Et ce ne sont plus des entreprises qui sont concernées. Les vêtements sont étiquetés mais les étiquettes sont mises après. Les gens viennent chercher les matières premières dans de petites salles. Ils doivent déposer de l’argent pour pouvoir avoir les fournitures puis ils retournent travailler chez eux. Les vêtements sont payés à la pièce. Plus ils font de vêtements, plus ils sont payés. Mais ils sont payés en fin de semaine. S’ils sont payés tant mieux, sinon ce sera la semaine suivante. Ils ne sont pas payés au jour le jour. Autre exemple, on fait de petites toitures sous lesquelles on installe 6 machines à coudre électriques et 12 femmes qui travaillent à la chaîne, découpant et assemblant. A la fin de la journée, 50 à 100 pièces, déposées le soir, sont vendues à des entreprises qui les étiquètent. N’importe qui peut le faire, celui qui l’amène ou celui qui le vend met l’ étiquette de sa Compagnie. Trade Mark. Noida, Surat sont de tels centres. Ces travailleurs ne sont payés ni au minimum de l’entreprise, ni à celui du pays. C’est une compétition sans arrêt. Toute la famille travaille, l’enfant, le mari. Dans cette société « macho », le mari fait la cuisine si la femme doit faire les pièces. Autre exemple, celui de HONDA dont vous avez du avoir connaissance l’an dernier. Pas question de se syndiquer, on signe avant d’entrer dans l’entreprise un contrat acceptant de ne pas s’organiser. Donc, si vous êtes maltraité, s’il n’y a pas de sécurité, il n’y a aucun recours. Si vous osez vous syndiquer, on vous « éjecte» du travail et il n’y a personne pour vous aider. Honda est une grande entreprise située à Gurgaon, dans l’ état de Haryana, à moins de 100km de New Delhi qui emploie près de 4000 ouvriers. Comme les conditions de travail étaient difficiles et les salaires maigres, ils ont osé créer un syndicat et faire une pétition pour une amélioration. Sept dirigeants du syndicat des employés ont été licenciés. Une grève spontanée, mobilisant toute l’ industrie qui réclamaient la réintégration de leurs dirigeants et l’ amélioration du travail et des salaires, a suivi presque immédiatement. La direction de l’entreprise a réagi par le lock-out de l’ usine et a eu recours à l’ intervention de l’ état et de sa police pour intimider les grévistes et leurs familles. La direction a systématiquement refusé le dialogue. Des tentatives de médiation, faites par le gouvernement, pour trouver une solution échouèrent. La police s’ est engagée à créer la terreur dans toute la ville et il y a eu des fusillades tuant 7 travailleurs. Finalement, tous les grévistes ont dû signer un engagement à renoncer à tout syndicat, avant de pouvoir réintégrer leurs postes. Cette situation existe généralement dans toutes les zones économiques spéciales (SEZs) . Les zones économiques spéciales sont des zones d’esclavage, des zones où les multina tionales traitent les gens comme n’importe quoi. Ce sont en majorité, 60%, des jeunes filles et des femmes qui travaillent dans ces centres. Les lois du pays, que ce soit les lois du travail ou les lois quotidiennes, ne sont pas appliquées dans l’enceinte de ces zones. Enfin, un dernier aspect, pour lier démocratie politique et économique avec la démocratie participative. Je crois qu’on fait une erreur en opposant l’une et l’autre. C’est une erreur que l’on fait dans le monde syndical européen parce que ça va trop bien. Après la 2éme Guerre Mondiale, les travailleurs, dans leur grande majorité en Europe, ont acquis beaucoup de droits et de bénéfices grâce au mouvement syndical qui dans toutes les revendications économiques avait un aperçu politique. Avec la montée de la ligne réformiste, le mouvement syndical s’ est imposé, à lui même, de travailler dans le cadre du système pour le gain économique, isolant de ce fait l’ ouvrier du monde réel où il fait face à la hausse des prix, aux faillites des Banques, aux Guerres … Comme si toutes ces crises n’avaient qu’ un aspect économique, en refusant de les expliquer par le contexte politique et les problèmes du Capitalisme. C’est ce qui a amené la dérive du mouvement syndical en Europe, la méfiance par rapport au mot « politique » qui, diton, effraye les gens qui ne voient pas que toute crise économique à ses bases et ses causes dans la politique du système. Je ne sais quelles en sont les raisons et j’en discuterai avec mes amis syndicalistes, mais il y a une peur de traiter de la politique comme si c’était quelque chose « d’intouchable ». L’économie ne se fait pas sans politique et la politique ne se fait pas sans économie. Créer un mur entre les deux, c’est artificiel, cela a conduit à un effondrement total du monde syndical qui hésite encore à affronter les nouveaux problèmes qui lui font face. Aujourd’hui, nous les travailleurs du Nord comme du Sud, nous sommes tous victimes de la rapacité de cette mondialisation impérialiste. Chômage, précarité, privatisation et d’autres problèmes, multiples, sont tous issus de cette politique du Libre Marché dite euphémiquement « le Néo-libéralisme », c’est à dire le Capitalisme. Que doit on faire ??