Introduction - le blog d`annacbl

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INTRODUCTION
Pour bien comprendre le contexte dans lequel s’est développé le Candomblé, il est
nécessaire de faire un petit récapitulatif de l’histoire du Brésil.
Le Brésil a été découvert le 22 avril 1500 par le Portugais Pedro Alvares Cabral. A partir
de 1543, on commence à exploiter les Indiens autochtones dans les plantations de canne à sucre.
N’ayant pas assez de main d’œuvre, les colons se dirigent vers l’Afrique pour arriver à leurs fins
économiques. A la fin du XVI e siècle, 20 000 esclaves Africains sont amenés dans les
principales raffineries de Bahia pour travailler. A partir de 1600, ce sont 1 500 esclaves que l’on
vient chercher chaque année en Afrique. Entre 1550 et 1850 ce sont 3.5 millions d’esclaves noirs
qui sont importés au Brésil. En 1821, le roi Juan VI, rentre à Lisbonne en laissant à Rio son fils
aîné Pedro comme régent du Brésil. En 1822, Pedro I proclame l’indépendance, ce qui crée une
histoire particulière par rapport aux autres pays d’Amérique Latine où l’indépendance
s’accompagne de la république, et d’une rupture totale avec le colonisateur. Puis en 1831 Pedro I
décide de rentrer au Portugal. Entre 1840 et 1889, Pedro II (fils de Pedro I) règne sur le Brésil. En
1888, Pedro II abolit l’esclavage. Au Brésil la république arrive en 1889 par l’armée qui renverse
l’empereur. Le Brésil passe par différentes formes de régimes politiques : la colonisation, le
nationalisme et la dictature militaire. De 1937 à 1945, il y a l’Estado Novo, régime nationaliste,
dont le président est Vargas. De 1964 à 1979 le Brésil est sous un régime dictatorial aux mains
des militaires. C’est en 1950 que se met en route un processus d’industrialisation et qu’augmente
la population urbaine. Le Brésil devient la deuxième économie capitaliste mondiale, mais
redistribue mal les richesses ce qui entraîne de graves déséquilibres sociaux. C’est à ce moment
là que des mouvements ethniques se mettent en marche. A partir de 1980, le Brésil se transforme
de plus en plus. Il s’ouvre politiquement, après vingt ans de dictature militaire. C’est seulement
en 1986 que se déroulent les premières élections démocratiques. En 1990, le secteur tertiaire
augmente, et les moins instruits sont contraints à faire de menus travaux pour survivre.
Le terme de Candomblé apparaît tard. Une première esquisse du candomblé arrive avec
les Noirs. Au départ sous la forme des « batuques », puis on parlera de candomblé à partir de
1888 après l’abolition de l’esclavage. Les cérémonies du candomblé se passent en plusieurs
temps. La cérémonie d’initiation : Le « babalorixa », père de saint, prépare le fétiche et le baigne
dans un liquide approprié en l’accompagnant de gestes et de paroles liturgiques. En même temps
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le candidat se déshabille, dépouillement de la personnalité profane, et se baigne à l’air libre dans
l’eau lustrale. Puis, les deux cérémonies s’unissent, le sang des animaux consacrés est versé sur le
fétiche et le crâne du candidat. Le crâne est rasé en totalité ou en partie, ensuite c’est le rituel de
l’ « effun ». La tête est peinte par des pierres de couleur spéciales puis ces peintures sont effacées
par une infusion d’herbe du dieu. Après, c’est le rituel de l’ « obi » et du « bari » : un vase avec
de l’eau et plusieurs ingrédients est posé sur la tête. On peut dire que ce sont des rites d’entrée qui
ont pour but d’ouvrir la tête, pour que l’ « orixa » puisse pénétrer. Les objets, colliers et fétiches,
comme les personnes, passent du monde profane au monde sacré. Ensuite, viennent les rites de
passage qui peuvent durer de trois semaines à six mois. Pendant tout ce temps le candidat reste
dans le sanctuaire, il sort à cinq heures du matin pour le bain avec la petite mère qui s’appelle
« keoli », le « babalorixa » pour les garçons. On lui apprend les obligations, les cantiques, les
danses des dieux et la langue africaine. Ca implique des interdictions provisoires ou définitives,
comme le tabou de certains aliments. Un nouveau moi va naître dans ce sanctuaire pour devenir
fils ou filles des dieux. Mais, avant le départ du sanctuaire, les pieds, les épaules ou les bras sont
marqués avec un couteau vierge, et la cicatrice est recouverte d’une poudre talisman. Cette
marque représente la nation à laquelle ils appartiennent. La poudre talisman est appelée « ixé »,
elle a pour but de protéger le corps des morsures de serpents et de chiens enragés. Ensuite, vient
le rite de sortie en trois étapes. Les filles de saints sont vêtues d’un grand voile blanc avec la tête
rasée à découvert et le corps peint avec l’insigne de son « orixa ». Elles sont soutenues par deux
« kedis », sept jours après elles font une deuxième sortie vêtues de toile de coton ornée. Puis, il y
a la troisième sortie appelée « don du nom » : la petite mère est la seule à connaître ce nom qui
doit rester secret, ce nom est triple pour désigner de quel « ogum » l’initié est issu, de quel ange
gardien lié à cet « ogum » il est issu et de quelle nation. Aujourd’hui, dans la plupart des
« terreiros » le rite de sortie se limite à cette étape. A partir de maintenant l’initié est « yauô », ce
qui signifie « la jeune épouse du dieu », elle doit être reconduite au nom de profane. C’est ce
qu’on appelle la cérémonie de la « quidanda ». Tout ce qui a servi à l’initiation doit disparaître,
c’est donc jeté dans la « Boca do Rio » car ce sont des objets dangereux. Le dieu descendra sur
l’initié pour la première fois après l’initiation. Le candomblé se compose de deux mondes : le
sacré « orum », le ciel, et le concret « aiê », la terre. Il y a un mouvement constant entre la terre et
l’au-delà par les offrandes et aussi par la transe, ce qui représente un système d’échanges.
L’ « orixa » est un personnage métaphorique auquel on associe une couleur, un animal sacré et un
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archétype de comportement et de caractère. L’initiation a pour but de fixer le dieu dans
l’individu.
Nous verrons quelle a été l’approche du candomblé par le courant évolutionniste, puis par
Roger Bastide. Ensuite, nous présenterons de quelle manière Stéfania Capone détonne des autres
études effectuées. Pour finir, on étudiera la façon dont le candomblé participe à la création d’une
identité ou de plusieurs identités. En quoi la recherche d’une identité est-elle si importante pour
les initiés ?
I. ROGER BASTIDE ET LES PRECURSEURS DES TRAVAUX SUR LE
CANDOMBLE
Dans cette première partie, nous allons voir, à partir de deux de ses ouvrages, comment le
sociologue R. Bastide aborde la question du candomblé au Brésil. L’une de ces parutions est
centrale dans ses propres recherches comme pour celles des futurs ethnologues et sociologues ; il
s’agit des Religions africaines au Brésil. L’autre est un ouvrage secondaire et plus descriptif,
Images du Nordeste en Noir et Blanc.
Avant tout, nous nous devons de présenter son terrain d’investigation ainsi que son
implication dans celui-ci. R. Bastide a fait son enquête dans le Nordeste brésilien et plus
particulièrement à Salvador de Bahia. Comme il le reconnaît lui-même, c’est dans cette région
que la plupart des recherches ont été faites. D’une part, il constate une différence entre les
religions africaines de Recife (les « xangôs ») et celles de Bahia (les candomblés). Les premiers
seraient économiquement plus pauvres que les seconds. Mais, ces deux expressions d’une même
religion ont aussi des points communs, par exemple, elles se divisent toutes deux en nations. Il
s’intéresse essentiellement aux « terreiros nagô » de Bahia et plus particulièrement à l’ « Axê
Opô Afonja », maison de culte qui avait déjà accueilli Edison Carneiro et Pierre Verger. D’autre
part, s’il étudie le candomblé dans les grandes villes c’est parce qu’il oppose le candomblé rural
au candomblé urbain. Pour lui, le candomblé rural ne serait qu’ « une désagrégation des religions
africaines » alors qu’en ville il serait plus « pur » (p.400). De la même manière, il situe un lieu
intermédiaire, les petites villes de l’intérieur, dans lequel le candomblé n’a jamais été étudié car il
n’y aurait que « des survivances impures », et donc moins intéressantes pour les chercheurs !
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S’il ne se pose pas la question de savoir pourquoi les ethnologues, dont il fait partie, s’intéressent
plus aux cultes « purement » africains qu’aux autres, il s’interroge en revanche sur la méthode à
adopter sur le terrain. Il cite alors Lévy-Bruhl : « comment un ethnologue peut se placer dans les
attitudes mentales des « primitifs » au lieu de leur prêter les siennes ? » (p.10). A R. Bastide de
lui répondre : « il faut juger ce culte non à travers nos concepts de Blancs, mais en essayant de
pénétrer dans l’âme des fidèles, en cherchant à penser comme ils pensent. Sans aucun doute, le
candomblé a ses aspects esthétiques mais l’art se confond avec le culte, on ne peut les dissocier ;
la dissociation ne se produit que lorsque la foi a déjà commencé à disparaître » (p.113).
Après un aperçu des premières approches du candomblé nous verrons comment R.
Bastide s’en inspire tout en rompant avec certaines de leurs idéologies. Puis, nous allons voir
d’un côté son explication des religions africaines par leur relation avec le social et, d’un autre,
l’importance de l’histoire dans ses analyses.
a. Les premières théories, un positionnement de R. Bastide
Les chercheurs n’ont commencé à s’intéresser au candomblé qu’à la fin du XIX e siècle
avec la suppression de l’esclavage qui pose le problème de l’intégration des Noirs. R. Nina
Rodrigues est le premier, en 1900, à étudier les religions africaines au Brésil. En tant que
médecin légiste, il s’interroge d’abord sur les phénomènes de possession qu’il justifie de la
manière suivante : « le faible développement intellectuel du nègre primitif permet de provoquer
des états de neurasthénie » (p.27). Beaucoup d’autres scientifiques, tels que des psychiatres, se
sont passionnés pour cette expression extatique qu’ils percevaient comme pathologique. De façon
plus générale, il place la notion de « race » au centre de ses recherches. Il perçoit ainsi les Noirs
comme une « race inférieure » qui diminue la valeur du peuple brésilien. Si l’on met sa position
évolutionniste de côté, on peut dire que son ouvrage, Les Africains au Brésil, constitue une des
premières sources utilisées par les futurs chercheurs. Ainsi, R. Bastide y voit un apport
indispensable sur le syncrétisme entre les dieux africains et les saints catholiques. C’est A.
Ramos, disciple de R. Nina Rodrigues, qui poursuivra ses recherches dans une approche tout
aussi évolutionniste et « raciale ».
Puis, les études d’Herskovitz vont se substituer à celles d’A. Ramos. Il faudra en effet
attendre la thèse d’Herskovitz pour percevoir la transe comme un phénomène culturel normal. Il
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sera soutenu par les récentes recherches psychiatriques. Celles-ci montrent que ces cultes ont une
fonction d’ajustement social pour une population mal intégrée à la société globale. La transe
devient alors un facteur d’équilibre psychique, c'est-à-dire de santé mentale. Unes des preuves en
sont la discipline et la régularité de ces possessions. Herskovitz y voit une explication
psychologique, celle du « réflexe conditionné » : à l’expérimentation d’un stimulant spécifique
s’ensuit une réaction correspondante car l’individu a été habitué à répondre de cette façon au
signal conventionnel. De plus, son approche des religions africaines s’appuie sur une conception
fonctionnaliste, proche de celle de Malinowski. Ainsi, il énumère les principales fonctions
remplies par le candomblé : assurer la sécurité des individus à la fois par une solidarité dans le
groupe et une identification avec les dieux ; permettre la satisfaction des désirs personnels de
prestige et d’amélioration du statut social ; assurer la satisfaction des besoins esthétiques ou
récréationnels. Mais, pour R. Bastide cette explication n’est pas suffisante car ces besoins
pourraient être satisfaits par d’autres types de groupement.
A noter également, en 1933, la publication de Maîtres et esclaves par G. Freyre, dans
lequel une idée nouvelle apparaît, celle d’un Brésil pluriracial. Cette rupture idéologique avec les
évolutionnistes permet d’envisager une fraternité métisse nationale. C’est parce qu’il montre les
apports de la culture africaine sur celle des Blancs que ce livre a beaucoup choqué lors de sa
parution.
Enfin, c’est avec G. Balaud et R. Bastide que l’ethnologie commence à s’intéresser aux
processus de rencontre et de transformation des sociétés. Dans l’introduction des Religions
africaines au brésil, R. Bastide prend soin de se situer théoriquement par rapport aux autres
sociologues des religions. Il reprend K. Marx : « La misère religieuse est d’une part l’expression
de la misère réelle et d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir
de la créature accablée par le malheur » (p.1), et en montre les limites. Alors que K. Marx
privilégie les relations entre faits économiques et faits religieux, Durkheim élargie la relation du
religieux aux structures sociales dans leur ensemble. Puis, R. Bastide constate que la relation se
fait dans les deux sens. Il cite l’exemple de M. Weber montrant l’influence de la religion
protestante sur l’économie grâce à l’éthique sociale du calvinisme.
A ces explications purement causales de K. Marx, de Durkheim ou encore de M. Weber,
R. Bastide privilégie une explication « situationnelle », c'est-à-dire contextuelle. On verra
cependant qu’il reste fortement attaché à une approche fonctionnaliste du candomblé : « tout
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organisme fonctionne » (p.32). Il se positionne également par rapport au positivisme qui traite les
faits sociaux comme des choses. Il y voit le moyen d’éviter le subjectivisme de la sociologie
compréhensive mais aussi une façon de déshumaniser le social en écartant ses valeurs
significatives. De plus, il va aussi s’inspirer des travaux de M. Griaule avec qui apparaît l’étude
en profondeur de la pensée symbolique, loin du lien avec le social. R. Bastide voit alors dans
l’ethnologie un moyen de passer d’une sociologie causale à une sociologie « intégrative » où tout
se tient, où « tout réagit sur tout » (p.13). C’est plus exactement de l’œuvre de Gurvitch que R.
bastide va s’inspirer. Il y trouve la proposition d’une sociologie en profondeur dans le respect du
« phénomène social total » (p.15). C’est dans cette optique qu’il consacrera tout un chapitre sur la
« mémoire collective » (p.342). L’étude de la mémoire collective s’intéresse aux conservations,
aux oublis et aux métamorphoses des souvenirs collectifs : « Le présent agit donc avant tout
comme une écluse qui ne laisse passer que ce qui peut s’adapter aux circonstances nouvelles, ce
qui en tous cas ne les contredit pas, mais obstrue les représentations trop contrastantes » (p.352).
On comprend alors l’importance que R. Bastide va accorder à l’histoire.
b. Un va et vient permanent entre réalité sociale et faits religieux
Comme nous venons de le voir, selon R. Bastide, les religions africaines doivent être
analysées sous une double perspective : d’un côté, elles reflètent la structure sociale ; d’un autre,
elles forment un point de départ, elles sont créatrices de formes sociales. Il s’agit moins de
causalité que de dialectique et les relations entre les deux ne se font pas de façon continue mais
avec des temps de pause laissant place aux créations. Ainsi, il dit aussi, au sujet de la transe :
« Un mysticisme qui commence à un moment déterminé pour terminer à un moment donné, en
suivant toujours certaines règles, loin d‘expliquer le social, ne s’explique que par l’antécédence
du social sur le mystique » (p.100).
Avec l’abolition de l’esclavage, R. Bastide constate une double acculturation des Noirs :
matérielle (syncrétisme religieux) et formelle (manières de penser). Il voit alors dans le
rattachement au candomblé une réponse aux problèmes d’intégration et d’assimilation. De plus,
l’Afro-brésilien fait partie de deux mondes différents : celui du candomblé et celui de la plus
vaste communauté brésilienne. Le rattachement au candomblé relèverait donc du « principe de
coupure » (p. 533). Ainsi, R. Bastide envisage le maintien des religions africaines dans « le
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dualisme des classes opposées » (p.91). La culture africaine ne doit plus être perçue comme
communautaire mais comme une culture de classe sociale. Le Noir ne pouvant se défendre
matériellement, il se réfugie dans les valeurs mystiques qu’on ne peut pas lui ôter : « C’est la
souffrance et son justice qui font la spiritualisation » (p.436).
De plus, avec l’industrialisation, la ségrégation raciale apparaît sur le marché de l’emploi
et même s’il existe une légère ascension sociale, les Noirs appartiennent majoritairement à la
« classe basse » (p.423). En effet, il ne faut pas oublier que le facteur économique et le préjugé
racial sont étroitement liés. On trouve ainsi des annonces de journaux contenant des messages tels
que celui-ci : « Employées de couleur, s’abstenir ». De même, à cause de loyers trop chers au
centre ville, les Noirs se concentrent dans les zones marginales des grandes villes (« favelas »,
« corticos » ou « macombos »). R. Bastide cite un proverbe brésilien : « Un Nègre riche est un
Blanc, et un Blanc pauvre est un Nègre » (p. 553). Le terme de « race », bien que banni par les
scientifiques car il n’a aucune légitimité, est largement employé par l’idéologie dominante au
Brésil mais aussi par les Afro-brésiliens dans leur autodéfinition. Ils parlent de « raça negra » :
« Preto é a cor, negro é da raça ». R. Bastide voit une redéfinition de ces facteurs de
désagrégation en facteurs de cohésion grâce au candomblé. Celui-ci permettrait à tous ses
membres de participer aux mêmes représentations et aux mêmes sentiments collectifs. De la
même façon, il permettrait une solidarité par la complémentarité des comportements individuels.
R. Bastide reprend l’idée de Durkheim selon laquelle la religion permet « la création d’une âme
commune » (p.333), en ajoutant un complément : le groupe est aussi un ensemble de relations
entre individus qui ont chacun un rôle différent. Que ce soit avec l’esclavage ou avec la misère
économique, le candomblé apparaît comme une des « rares niches communautaires à l’intérieur
desquelles peut se refaire la communion des hommes dispersés et déliés de toute attache sociale »
(p.393). Or, l’intégration à une communauté implique l’intégration à une société globale.
Au départ, R. Bastide voit dans ces « niches communautaires » une sorte de catalyseur de
la lutte noire. Mais avec l’émergence de revendications purement politiques telles que « Le Front
Noir », il conclue à un déplacement de la lutte raciale de la sphère religieuse à la sphère politique
(p.325). En même temps, il n’exclue pas, plus loin, que ce ressentiment des Noirs se cristallise
aussi dans le religieux. Il remarque que cette revendication s’accompagne d’une valorisation de la
culture africaine à travers les journaux et les associations. Mais R. Bastide nuance ses
conclusions ; si certains Afro-brésiliens choisissent la protestation africaine, que ce soit par
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l’intermédiaire du religieux ou par celui du politique, d’autres ont plutôt la volonté de se fondre,
par la « miscégénation », à la masse blanche (p.427).
c. Une explication par l’histoire
L’hétérogénéité des valeurs selon les moments historiques révèle l’importance de
l’histoire dans l’approche de R. Bastide.
Comme nous l’avons vu dans l’introduction, l’esclavage africain au Brésil commence à la
fin du XVI e siècle et durera pendant trois cents ans. Les premiers esclaves africains
appartenaient au littoral puis, au fur et à mesure, le trafic a gagné les profondeurs. Dans ce
contexte, « le Blanc ne voit dans le « Nègre » qu’une machine de travail et de plaisir ; il se sépare
orgueilleusement des hommes de couleur » (p.55). R. Bastide s’intéresse plus particulièrement au
fait que l’esclavage ne laisse subsister aucune structure sociale originelle.
En effet,
l’hétérogénéité ethnique sur les bateaux remplaçait la solidarité tribale ou villageoise en solidarité
de misère commune. C’est ainsi que le Noir arrive dans une stratification où il occupe la plus
basse strate alors que le Blanc se situe au sommet. Tandis que les Portugais importent leur société
et leur civilisation, la société africaine est brisée, elle ne peut amener que ses valeurs culturelles.
R. Bastide distingue deux influences contradictoires qui ont agit sur les esclaves noirs du
Brésil. D’une part, en les entassant sur les navires indépendamment de leur « nation »
d’appartenance, une solidarité commune autour de la souffrance s’est créée. Une fois arrivés au
Brésil, ce mouvement est complété par une dissémination hasardeuse des familles dans des
fazendas dispersées. Il en résulte un syncrétisme religieux entre les différentes religions
africaines. D’autre part, les gouverneurs et le clergé ont cherché, par les fêtes profanes et les
confréries religieuses, à maintenir unies des « nations » séparées et hostiles, afin d’éviter une
révolte générale. C’est pourquoi les cultes africains, malgré un tronc commun, ont de nombreuses
différences. On distingue ainsi les « terreiros gêgês » des « terreiros nagôs », ou encore de ceux
d’Angola… Dans un premier temps, le trafic négrier a donc brisé les appartenances claniques,
familiales, géographiques et religieuses des Noirs ; puis dans un second temps, il a cherché à
rétablir les oppositions préexistantes.
Malgré la disparition des structures sociales africaines, les Noirs ont pu maintenir leurs
valeurs religieuses. Ces religions africaines ont du chercher des « niches » dans lesquelles elles
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pourraient se développer. C’est l’Eglise qui, malgré elle, va les leur fournir. Au départ, l’Eglise
acceptait l’esclavage des Noirs à condition que les maîtres leur donne une âme, qu’ils les
christianisent. Les maîtres ne remplissant pas leur rôle, l’Eglise elle-même prît le relais. En les
réunissant pour les cultes, elle a créé une solidarité raciale « qui servait de noyau pour constituer
le candomblé le soir en cachette » (p.75). Ainsi, la confrérie se terminait souvent en candomblé.
Le catholicisme représentait
une double ressource pour maintenir les traditions religieuses
africaines au Brésil : par syncrétisme, ses saints devenaient des médiateurs. R. Bastide cite
comme contre exemple le cas des Noirs aux Etats-Unis qui n’ont pas eu cette opportunité à cause
du protestantisme qui n’offre aucun support pour dissimuler les dieux africains. Pour ce
chercheur, le catholicisme s’est en général plus plaqué sur la religion africaine qu’il ne l’a
réellement pénétrée. Ainsi, la plupart des « terreiros » comporte un autel catholique et un ou
plusieurs « pegi » pour les « orixas ». De même, on trouve une croix en même temps que la hutte
d’ « Eshou ». Mais, la plupart du temps, les deux espaces ne s’interfèrent pas. De plus, R. Bastide
précise aussi que ce syncrétisme n’est pas particulièrement brésilien puisque l’évangélisation des
Noirs avait déjà commencée en Afrique un ou deux siècles avant le peuplement du Brésil. Puis,
au même titre que la religion en elle même, la correspondance entre ces dieux et ces saints est
mouvante, elle meurt pour renaître différemment. Elle varie également selon les différentes
régions du Brésil. Evidemment, les dieux conservés ne sont pas ceux de l’agriculture ou du
travail (domaines réservés aux Blancs) mais plutôt ceux de la justice et de la vengeance, en
réponse aux désordres d’une société d’exploitation raciale.
R. Bastide met en relation lutte raciale et élément religieux grâce à la présence de
certaines « casa de candomblé » sur d’anciens « quilombos ». Mais, ses recherches sur
d’anciennes traces du candomblé pendant la période coloniale ne peuvent aboutir à cause d’une
absence quasi totale d’informations sur le sujet durant cette époque. C’est pour cela qu’il précise
que la perpétuité des gestes au long des siècles ne doit pas faire illusion, « l’évolution s’est faite
non selon une ligne continue, mais pointillée de créations, disparitions et nouvelles apparitions de
sectes » (p.187). En effet, R. Bastide se veut prudent, il montre que les candomblés d’aujourd’hui
ne sont pas les restes des religions anciennes, ce sont des organisations de date relativement
récente, fin XVIII e, début XIX e siècles.
Quoiqu’il en soit, pour cet auteur comme pour Pierson, les religions africaines ont
toujours su résister aux bouleversements sociaux en s’adaptant grâce à leur structure malléable.
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Ainsi, si les candomblés d’aujourd’hui ne ressemblent pas vraiment, dans les faits, aux religions
africaines de la période coloniale, ils en sont une adaptation structurelle. Pour comprendre les
raisons des survivances et des oublis dans les traditions religieuses africaines R. Bastide s’attache
à la structure des groupes et non au groupe en tant que groupe. Il parle de la mémoire collective
en ces termes : « [elle] est bien une mémoire de groupe mais à condition d’ajouter qu’elle est une
mémoire articulée entre les membres du groupe » (p. 342). L’étude de cette mémoire s’intéresse
avant tout aux métamorphoses des souvenirs collectifs pour mieux les adapter au présent. C’est le
cas, par exemple, pour les images des dieux qui changent avec le temps. Ce serait justement ces
articulations que l’esclavage aurait brisées en empêchant aux Noirs de retrouver, au Brésil, dans
un même lieu, tous les acteurs complémentaires. C’est donc grâce à l importante concentration
des Noirs dans les villes que les survivances africaines s’y seraient plus maintenues que dans les
campagnes.
C’est au travers de ces survivances que R. Bastide voit, dans les candomblés et dans leurs
temples, « la reconstruction de la topographie sacrée de l’Afrique perdue » (p.345). De la même
façon, l’exogamie (interdiction de se marier avec quelqu’un appartenant au même « orixa » que
soi) peut paraître comme une déformation des anciennes lois matrimoniales qui complétaient
l’initiation tribale. R. Bastide remarque une autre survivance dans le candomblé : une conception
où le futur domine le présent, où chaque étape est vécue comme un passage vers quelque chose
de nouveau, à l’exemple de la mort. Quant à l’initiation du fils ou de la fille de saint, elle
constituerait un vestige de l’union entre la descente des dieux et les rites d’initiation présente en
Afrique : « ce n’est rien d’autre que l’ancienne initiation tribale qui a perdu beaucoup de ses
caractères, son universalité et son aspect social obligatoire, pour devenir seulement une initiation
au culte, l’entrée dans un groupe religieux » (p.551).
II. UNE APPROCHE DIFFERENTE : STEFANIA CAPONE
a. La place des ethnologues dans le Candomblé
Dans l’étude du Candomblé au Brésil, les ethnologues ont toujours été très impliqués dans
l’étude de cette religion, au point que certaines parts de la réalité ont été faussées et modifiées.
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Nous allons voir de quelle manière les ethnologues se sont investis le terrain et quelles en ont été
les conséquences pour les « terreiros » et les initiés. Pour étudier le candomblé, et se faire
accepter des initiés, l’ethnologue doit passer par différentes phases d’initiations. Mais, franchir
ces étapes ne se fait pas de manière anodine, il se retrouve alors totalement impliqué au
« terreiro ». Finalement son engagement dans le culte contracte une sorte d’alliance avec son
objet de recherche.
La majeure partie des ethnologues qui ont étudié le candomblé au Brésil on reconnu que
le candomblé Yoruba ou Nagô était plus « pur » que le candomblé Bantou. Du terme de pureté
j’entends celui qui a le plus préservé la racine africaine intacte. En plus de cette séparation entre
les Nagôs et les Bantous, il y a une séparation spatiale entre le Nordeste et le Sudeste. Le
Nordeste comprend entre autre la région de Bahia (Salvador de Bahia), la région la plus peuplée
de population noire. Le Sudeste, plus industrialisé, comprenant les grandes villes de Rio de
Janeiro et de Sao Paulo, est une région plus considérée comme blanche. La région de Bahia, par
sa population « noire » est donc considérée comme le berceau du candomblé « pur ». Cette pureté
du Nagô ou Yoruba, a été le constat immédiat de S. Capone lorsqu’elle a entamé ses recherches
sur le sujet. Bastide explique bien selon lui que l’un est plus « pur » que l’autre.
Alors que Bastide et une quantité considérable d’auteurs s’usent à déterminer quel est le
candomblé le plus « pur », et à étudier Bahia, Capone joue l’originalité, en étudiant précisément
le candomblé Bantou à Rio de Janeiro. Elle cherche à comprendre les mécanismes de la
construction de la tradition et les relations de pouvoir qui structurent le champ religieux afrobrésilien. Bastide pense que le candomblé pratiqué dans les grandes villes du Sudeste, et donc
fortement industrialisées, est dans l’incapacité de garder des racines africaines. Bastide considère
cette religion comme « primitive » et une religion primitive ne peut pas se développer dans une
grande ville industrielle puisqu’elle est issue de la « brousse ». Pour la plupart des ethnologues,
un « terreiro » traditionnel ne doit pas pratiquer la magie. C’est pour cela qu’ils ne reconnaissent
pas la macumba et l’umbanda comme une forme égale au candomblé. Bastide va même jusqu’à
dire que ce sont des formes « dégénérées » du candomblé. Pour lui, ce sont des lieux de
prédilections pour pratiquer la magie blanche dans un contexte urbain et industriel difficile.
Bastide voit en la fidélité à un passé africain un signe positif. L’économie capitaliste est donc un
facteur de dégradation des cultes afro-brésiliens. L’objet d’étude de Bastide n’était plus le
candomblé comme religion afro-brésilienne, mais l’étude de l’Afrique en terre brésilienne. S.
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Capone étudie la question du candomblé dans un autre sens. Elle ne cherche pas à prouver la
pureté des uns et des autres. Ce qui l’intéresse c’est de savoir par quel processus les ethnologues
en sont venus à parler de « pureté » et à qui ce constat sert-il ? Dans quel contexte historique et
politique ? Pour cela S. Capone a tenté de se détacher de son terreiro, mais elle est encore
considérées comme l’une des leurs, elle dit : « Quand on entre dans le Candomblé, on en sort
jamais plus. »
C’est à travers le changement de signification de la figure d’Exu que S. Capone tente de
déceler les manipulations des pratiquants du candomblé. Jusqu’en 1970, la figure d’Exu, grand
messager divin et maître de la magie était interdite dans le Candomblé par l’Etat brésilien. La
pratique de la magie jusqu’à cette date était interdite dans le pays. La figure d’Exu était présente
dans tous les Candomblés, mais caché à la société parce qu’elle permet de faire le lien entre la
magie et la religion dans le culte. Ce sont les ethnologues comme Carneiro, Bastide et Juana E.
dos Santos qui ont fait par leurs écrits de la figure d’Exu le médiateur et le transporteur de la
force divine. Ces auteurs ont permis l’acceptation d’Exu par les adeptes du culte. L’Exu africain
devient l’Exu brésilien. Les ethnologues cités plus hauts ont changés les caractéristiques de cette
figure divine pour qu’elle puisse s’inclure officiellement dans la société brésilienne.
Après des années de recherches sur le candomblé, les nouveaux initiés et chef de culte
s’intéressent aux travaux des ethnologues. Ces travaux deviennent incontournables dans
l’initiation au candomblé. S. Capone parle d’intellectualisation du candomblé. Les chefs de cultes
deviennent leurs propres ethnologues. Il n’a plus rien à voir avec ce que l’on aurait pu appeler
une religion primitive. Les pais et mais de santos sont devenus de vrai intellectuels, lecteurs
assidus des écris des ethnologues. L’apprentissage par l’oralité est bien loin de la réalité. Les
travaux des ethnologues leur dit à quoi ressembler par rapport à une pureté cherchée en Afrique.
Ils vont s’africaniser. En faisant l’effort de s’africaniser, les chefs de cultes sont en fait en contact
constant avec la littérature spécialisée qui traite des religions africaines. S’africaniser signifie
donc, d’après Prandi, s’intellectualiser. Les textes sacrés deviennent en fait les textes des
intellectuels.
Les ethnologues ont préparé le terrain qui mènera la population noire à légitimer leur
place dans la société brésilienne à travers le candomblé.
b. Affirmation de l’identité « noire » :
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Comme toute affirmation ou création d’une identité, il faut se trouver une tradition
commune et prouver que cette tradition est restée immuable dans le temps. Cette affirmation
identitaire se trouve dans un contexte où le Brésil veut montrer qu’il est pluriculturel. Après avoir
exploité les Noirs, il veut montrer une reconnaissance pour cette population. Dans les faits, les
différences sociales sont très fortes, ce qui accroît le vœu des chefs de cultes d’être reconnus et
d’accroître leur prestige social.
L’initiation au candomblé devient un moyen de revenir aux sources africaines. Pourtant,
les constructions religieuses du candomblé ne sont ni accomplies ni restées figées, c'est-à-dire
qu’elles ne sont pas restées intactes. Pouillon pense que la tradition se transforme dans le temps.
Finalement la tradition est construite par les ethnologues et les chefs de cultes après avoir subit
un véritable bricolage symbolique. C’est en essayant de construire la tradition que l’on sousentend un passé immuable. C’est Hobsbawm qui parle de traditions inventées. On se crée une
traditionnalité pour bénéficier d’avantages divers. Pour le cas du candomblé, revendiquer une
tradition Africaine permet au « terreiro » d’atteindre une pureté et un prestige qui le met en valeur
plus qu’un autre et donc une situation supérieure. La société reconnaît le prestige des « terreiros »
les plus « purs », c’est une manière de se faire une place dans la société.
La réafricanisation dans le candomblé consiste à aller chercher des cultes traditionnels ou
des nouvelles figures en Afrique, et à les intégrer au candomblé brésilien. Mais quelle tradition
perpétuer ? Celle qui se transmet de chef de culte à initiés ou celle ramenée tout droit d’Afrique
par les ethnologues ? S. Capone nous donne l’exemple précis d’un cas de réafricanisation dans la
maison de culte dite la plus traditionnelle. Martiniano Do Bonfim, collaborateur d’Aninha
(fondatrice du terreiro de l’Axé Opo Afonjà), fit de nombreux voyages au Nigeria. C’est en 1937
lors du deuxième congrès afro-brésilien que Martiniano révèle l’existence de l’institution de Obas
de Xangô. Il conte donc la création de cette institution qu’il dit avoir rapportée d’un roi du
Nigeria. En racontant cette histoire tirée de l’Afrique, il légitime la pureté du « terreiro »
d’Aninha. On sait en fait, que Martiniano a tiré ce récit d’un ouvrage de Johnson sur les cultes
Yorubas. Ces voyages sont motivés par la perte de traditionnalité en passant d’initiateurs à initiés.
On a même des exemples de réafricanisation à l’envers avec Marianno Careiro qui aurait rapporté
des éléments de pratique du culte de Bahia jusqu’en Afrique. Grâce à l’apport de faits
traditionnels, on peut revendiquer sa supériorité sur les autres et produire une ascension sociale
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importante, même sans avoir passé toutes les étapes du culte pour accéder à un tel pouvoir. C’est
le cas pour Torodê : il devait être sous la tutelle d’un chef de culte durant vingt et un ans, mais
après dix sept ans, son chef de culte meurt. Il part donc en Afrique rechercher des faits
traditionnels qui pourraient l’aider à continuer seul son ascension au sein du « terreiro ». Grâce
aux informations qu’il a recueilli en Afrique, il n’a plus besoin d’être sous la tutelle d’un chef de
culte pour rester dans le « terreiro ».
La réafricanisation du candomblé ne s’arrête pas simplement en la lecture d’ouvrages
ethnologiques, mais aussi en l’institutionnalisation de cours, d’échanges entre le Nigeria et le
Brésil, d’évènements culturels, de centres de formation à la langue et à la civilisation Yoruba. Le
gouvernement brésilien tente de créer des liens entre la Brésil et l’Afrique en mettant en avant la
culture africaine au Brésil et en faisant des échanges d’étudiants. On met même en place des
cours de civilisation Yoruba qui deviennent en fait des enseignements de rites des divinités
Yorubas. Ces cours sont en général donnés par des étudiants nigériens. Cette institutionnalisation
massive s’effectue surtout à Sao Paulo. En 1976, Fernandes Portugal crée un centre d’études
afro-brésiliennes où l’on prend des cours de Yoruba. Ce centre est en concurrence affichée avec
le centre crée par un Nigérien, Benji Kayodé, qui donne des cours sur une divinité que l’on ne
connaissait pas au Brésil : l’Odùs. Mais Fernandes Portugal met en doute la vérité de sa divinité,
qu’il peut grâce à sa nationalité revendiquer comme traditionnelle.
Le candomblé acquiert du prestige social au fur et à mesure que des populations blanches
entrent dans les cultes. Ce fut en tout cas la manière de voir les choses pour l’Etat jusque dans les
années 1930, alors qu’après les années 1970 on cherche à réafricaniser le candomblé dans le but
de détruire le syncrétisme de cette religion. Pascal Boyer constate déjà que la conservation des
origines africaines est un véritable instrument politique. Revendiquer une traditionalité pure
revient maintenant à négocier sa place dans la société. On a vu un cas similaire au Brésil avec les
Quilombos. C’est l’Etat qui a décidé, dans un contexte de rébellion des minorités noires, de
donner des titres de propriété uniquement au Quilombos (aux descendants d’esclaves noirs qui
ont réussis à fuir l’esclavage). Cette faveur qu’offre l’Etat à ces Quilombos entraîne des
mouvements identitaires de population noire se revendiquant comme Quilombos et ne l’étant pas
forcément. Ils se cherchent donc une tradition ou une histoire qui leur permettrait d’appuyer ces
revendications. C’est là que se trouve la stratégie des acteurs dans certains mouvements
identitaires et dans un contexte politique particulier. Le déploiement de stratégies pour obtenir
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des privilèges de l’Etat sont souvent effectués par des représentants d’une population, souvent
des représentants trop éloigné de la population qu’il représente, ce qui entraîne des incohérences
dans la stratégie employée. Mais dans le cas du Candomblé, ce sont les personnes concernées qui
déploient leur propre stratégie et exploitent le savoir et la « vérité » de l’ethnologue de manière à
obtenir ce qu’il veut de la société.
CONCLUSION
Dans l’introduction nous nous interrogions sur la participation du candomblé dans les
constructions identitaires de ses membres. A travers les éléments de réponse apportés par les
approches de S. Capone et R. Bastide, nous verrons que le candomblé offre à ses participants une
identité qui varie selon les époques.
D’une part, S. Capone montre comment la revendication d’une « traditionnalité » pure du
candomblé permet de se créer une place dans la société. Cette tradition devient créatrice d’une
identité sociale de prestige. Si l’on envisage l’identité comme un type de relations qui lient
l’individu au groupe social dans lequel il vit, ce sont les interactions qui exigent des stratégies
identitaires (Barth). En effet, l’identité est aussi une façon d’organiser ses relations avec autrui.
C’est pourquoi dans le contexte brésilien d’aujourd’hui où le concept d’ethnicité est survalorisé,
la réafricanisation des candomblés participe à une mise en valeur des origines africaines.
L’identité africaine devient alors plus sociopolitique que religieuse. De la même manière,
appartenir aux Bantous dits plus « purs » est plus valorisant que d’appartenir aux Yorubas moins
« purs ». Ainsi, l’identité implique donc un rapport à l’ethnicité en tant que pratiques de
différenciation positive ou négative (Barth). De plus, dans un système social organisé autour de
l’identité, la position de l’individu dans la société lui confie des impératifs pratiques, ainsi, les
individus choisissent de se présenter dans les échanges comme membres d’un groupe social
spécifique. L’individu a une multiplicité d’identités sociales et la valorisation de l’une par rapport
à l’autre procède du contexte (Barth). C’est donc en tant que contexte actuel que la globalisation
est également à prendre en compte. Elle entraîne un relent communautaire dans lequel s’inscrit
les revendications ethniques des Afro-brésiliens à travers le candomblé, les manifestations
culturelles de toutes sortes et les mouvements politiques. En opposition, il faut noter que,
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jusqu’aux années trente, l’Etat voyait un signe positif dans la participation des Blancs aux cultes
de candomblé. Ainsi, l’identité religieuse, dans ce contexte de « blanchissement » de la
population, n’était pas valorisante pour son africanité, bien au contraire.
D’autre part, à travers l’étude de R. Bastide on voit qu’avant l’apparition de la notion
d’ethnicité au Brésil dans les années 70, le candomblé servait de support à une identité plus
communautaire qu’ethnique. Il entend par « communautaire » une référence à une communauté
de classe sociale plutôt qu’ethnique. La solidarité présente dans les groupes de candomblé
renforce alors le sentiment d’appartenance à une classe sociale. Mais être membre d’un
candomblé signifie aussi une participation à la lutte sociale et, par voie de conséquence, à la lutte
raciale. En effet, pour R. Bastide, la participation au candomblé apparaît comme une
revendication ou tout du moins comme le facteur d’une cohésion sociale. Alors, dans ce contexte
de classes sociales, l’intégration à cette communauté permet l’intégration à la société globale.
Puis, il montre que le processus identitaire est encore différent dans le cadre de la colonisation et
de l’esclavage. Dans ce contexte particulier, les
cultes religieux d’origine africaine se
pratiquaient en cachette et ne représentaient donc pas une protestation mais permettaient tout de
même la création d’une solidarité communautaire. Ainsi, Barth y voit un « phénomène
d’exclusion » de la part du colonisé, alors que pour le citoyen minoritaire, poser son identité
relèverait du « phénomène d’inclusion » (p.138). Selon les cadres socio économiques et
politiques, l’appartenance à un candomblé relève soit du principe d’intégration soit du principe de
coupure.
On peut donc dire que le candomblé en tant que porteur d’une identité religieuse est
apprécié et utilisé de manière différente par ses membres, en fonction de son évaluation par la
société brésilienne.
Le principal apport de l’étude de S. Capone est son intérêt pour le rôle des ethnologues
dans le candomblé. Elle montre qu’ils sont souvent acteurs plus qu’observateurs. En effet, ce
terrain particulier exige d’eux une implication dans les cultes, parfois malgré eux, parfois de leur
plein gré. Si les chefs de culte leur accorde autant d’importance c’est parce qu’ils participent à la
valorisation du « terreiro ». Ainsi, elle reproche à R. Bastide et à la majorité des autres
ethnologues de ne s’être intéressé qu’aux cultes Bantous de la région de Bahia, et plus
précisément d’avoir travaillé dans les mêmes « terreiros ». Leur présence devient synonyme de
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« pureté » africaine. Il faut tout de même signaler que R. Bastide est un pionnier dans les
recherches sur les religions africaines au Brésil ; lui reprocher le choix de son terrain, nous
semble donc un peu injuste.
Mais, de la même façon que leur présence, leurs écrits sont également utilisés pour
légitimer la supériorité des Bantous sur les Yorubas. C’est alors qu’elle parle d’intellectualisation
du candomblé. Plutôt que de condamner R. Bastide pour sa présence sur un terrain au lieu d’un
autre, il nous parait plus pertinent de lui reprocher les raisons qui l’ont guidées vers ce choix.
Pour être plus exact, il aurait dû chercher à expliciter ses motivations pour pouvoir passer outre.
Or, il ne s’interroge pas sur sa subjectivité de chercheur, et donc d’homme. En effet, il semble
évident que tout ethnologue a des motivations personnelles qui vont le guider vers un objet plutôt
qu’un autre et vers un terrain plutôt qu’un autre. Croire le contraire serait une illusion. Pour
rendre la lecture de ces travaux ethnologiques plus claire et plus objective, le chercheur devrait
alors exposer ses motivations afin de s’en débarrasser autant qu’il est possible de le faire.
Pourtant, ce n’est pas chose courante ; c’est souvent au lecteur lui-même de faire le trie entre
subjectivité et objectivité. Admettre la réalité de sa propre subjectivité ne gâcherait en rien la
pertinence des observations et des réflexions, bien au contraire. Comme le montre S. Capone, R.
Bastide en est un bon exemple. S’il choisie d’étudier les candomblés Bantous c’est parce qu’il y
voit une continuité avec la tradition africaine. A l’inverse, les cultes Yorubas seraient des formes
« dégénérées » des religions africaines. C’est dans le choix de ces termes tels que
« dégénérescence » que R. Bastide laisse place à un jugement de valeur personnel qui n’a pas sa
place dans une étude ethnologique, sauf s’il est clairement présenté comme tel. Les études de R.
Bastide sont ainsi imprégnées d’une certaine fascination pour l’Afrique et plus précisément pour
le mysticisme qu’il y trouve. Ce n’est pas un hasard s’il s’intéresse avant tout aux survivances des
religions africaines.
La réalité de sa subjectivité ne doit pas nous empêcher de reconnaître la réalité de ses
observations et les apports de ses travaux pour les futurs ethnologues. Ainsi par exemple, la
distinction entre candomblé du Nord et candomblé du Sud n’est pas fausse ; ce sont bien des
formes différentes d’une même religion. Par sa taille, les différences régionales au Brésil sont
considérables, tant sur la population que sur le plan économique et social. C’est pourquoi parler
de candomblé brésilien est une absurdité De plus, tout en montrant les survivances africaines
dans le candomblé telles que l’exogamie ou le rite initiatique, R. Bastide accorde une place
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considérable au syncrétisme religieux. Mais, il faut reconnaître que, là encore, il tient à préserver
les origines africaines en parlant d’un syncrétisme qui plaque les Saints catholiques sur les Dieux
africains plus qu’il ne les assimile réellement. On peut alors s’interroger sur la réalité de ces
phénomènes tels qu’il nous les décrit, même s’il s’appuie, entre autre, sur la structure des
maisons de culte qui présente des éléments des deux religions tout en les distinguant. Enfin, il
faut également signaler qu’il prend toutes ses précautions pour montrer que les candomblés
d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec ceux d’hier. Le candomblé serait une création
récente datant du début du XIX° siècle. Ainsi, il admet que les traditions ne suivent pas une ligne
continue mais au contraire se font et se défont au fil du temps.
Ensuite, nous verrons qu’au-delà de ces divergences, les études de ces deux chercheurs se
complètent. Un des apports majeurs de R. Bastide est l’importance qu’il accorde au contexte.
Comme nous venons de le voir, celui-ci a une place considérable dans l’utilisation d’une identité
religieuse africaine. Ainsi, lorsque R. Bastide étudie le candomblé (années 60/70), il y voit une
réponse aux problèmes d’intégration générés par l’abolition de l’esclavage dans un premier temps
puis par l’urbanisation et l’industrialisation ensuite. Il met ainsi en relation l’initiation au
candomblé et les problèmes raciaux et économiques. Il y voit donc un moyen politique de lutte
raciale et note l’absence de travaux sur l’aspect politique du candomblé. Il faudra, en effet,
attendre les travaux de S. Capone pour compléter ce manque. Elle montre comment, avec
l’apparition du concept d’ethnicité, l’origine africaine est devenue un instrument politique
permettant d’obtenir une place dans la société. A l’inverse, avant ces nouvelles politiques,
l’africanité était perçue comme négative. C’est en effet un changement réel si on se réfère au
discours des dirigeants mais dans la réalité des mentalités brésiliennes, la notion de « race », avec
tous les préjugés négatifs qu’elle comporte, reste vivace. C’est parce qu’il s’inscrit dans la
logique politique actuelle que le candomblé est plus porteur de signification politique que
purement ethnique. Ainsi, ces deux auteurs nous révèlent les différentes fonctions que peut
remplir le candomblé pour les Afro-brésiliens. De plus, ils ont chacun le mérite de se détacher
des premières théories essentiellement évolutionnistes.
Pour conclure, il nous semble qu’une étude complète du candomblé ne doit privilégier
aucun facteur au détriment d’un autre, dans la prise en compte des interrelations entre les
différents phénomènes sociaux. C’est dans ce sens que l’approche historique de R. Bastide et
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l’approche politique de S. Capone se complètent avant de s’opposer. Les approches d’un même
objet sont multiples (sociale, économique, politique, mythologique…) et toutes ont des éléments
intéressants à apporter. En même temps, plus la subjectivité des chercheurs sera élucidée et plus
les informations seront pertinentes.
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