Exposé de Renzo Ambrosetti, coprésident du syndicat Unia

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Symposium sur le partenariat social en Suisse et en Europe centrale et orientale
mercredi 19 novembre 2009
Partenariat social et conventions collectives de travail en Suisse
Exposé de Renzo Ambrosetti, coprésident du syndicat Unia
Mesdames et Messieurs,
Chers et chères collègues,
Je suis très heureux de la tenue en Suisse d’un symposium comme celui-ci, avec des
représentants des associations patronales et des organisations de travailleurs, ainsi
que des dirigeants politiques de différents pays d’Europe centrale et orientale. En tant
que président de la FEM, la Fédération européenne des métallurgistes, je suis bien
placé pour parler de l’importance des échanges d’expériences entre les organisations
des divers pays formant le continent européen.
Le dialogue social, expression consacrée en Europe pour décrire ce que l’on appelle
en Suisse «partenariat social», revêt une très grande importance pour la Fédération
européenne des métallurgistes. La FEM s’efforce depuis des années, dans le cadre du
dialogue social entre les associations patronales et les organisations de travailleurs, de
mettre en place des structures permanentes de dialogue, en réponse à l’évolution sur
le plan mondial du secteur industriel, qui frappe durement la métallurgie européenne.
Dans le système suisse, le partenariat social possède une tradition de plusieurs
décennies, qui remonte à la grande crise économique des années 1930.
C’est en 1937 que la Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et de
l’horlogerie (FTMH) et les employeurs de l’industrie suisse des machines ont conclu
une convention, entrée dans l’histoire du mouvement ouvrier suisse et dans celle des
conventions collectives de travail (CCT) sous le nom d’«accord de paix du travail».
A l’époque, cette recherche d’accord entre partenaires sociaux n’était pas seulement
dictée par des considérations économiques (crash boursier, crise de l’économie
mondiale). Au contraire, il s’agissait également d’une réponse politique à l’avancée du
totalitarisme en Europe. Je serais personnellement heureux qu’à l’heure actuelle, les
partenaires sociaux reprennent conscience de cette dimension politique des CCT, au
lieu de ne penser qu’à leurs avantages économiques.
L’accord de 1937 conclu entre les employeurs et le syndicat prévoyait qu’à l’avenir, tout
conflit entre syndicats et employeurs devait être réglé par la voie des conventions et
selon le principe de la bonne foi, plutôt que par la grève et le lock-out.
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Bien entendu, cet «accord de paix» n’a pas fait l’unanimité dans le mouvement
syndical, parce qu’il prévoyait une clause de maintien de la paix sociale. Autrement dit,
les travailleurs et leurs syndicats devaient renoncer à la grève, tandis que les
employeurs renonçaient aux mesures de lock-out.
Cet accord a marqué une étape très importante sur la voie du partenariat social, tel
qu’il est né et s’est développé dans les nombreuses CCT de l’après-guerre.
Le système de sécurité sociale des travailleurs repose sur deux grands piliers. Ce sont
d’une part les CCT, soit des conventions collectives de branche négociées entre les
associations patronales et les syndicats, et d’autre part la législation sur le travail et la
législation sociale, qui règlent le cadre politique du contrat de travail et le système de
sécurité sociale (prévoyance vieillesse, assurance-chômage, assurance-accidents,
etc.). Cette législation est d’autant plus importante que seule la moitié des travailleurs
en Suisse bénéficient de la couverture d’une CCT.
Les CCT ont pour but de régler par voie contractuelle les intérêts divergents des
employeurs et des travailleurs d’une branche, d’améliorer progressivement leurs
conditions de travail et de régler autant que possible, par la voie de négociations
menées de bonne foi, les éventuels conflits entre les employeurs et le personnel.
Ainsi, le partenariat social et les CCT représentent dans le système suisse un pilier
essentiel au niveau de la réglementation de branche des conditions de travail et des
salaires. Or le bon fonctionnement d’une réglementation ne dépend pas seulement de
la teneur des CCT, mais aussi et surtout de la qualité de leur exécution, soit de la
volonté de faire respecter sur le terrain le contenu des accords. L’exécution commune,
notamment dans le cadre de commissions paritaires communes aux employeurs et aux
syndicats, est un label de qualité d’un partenariat social vécu au quotidien.
Dans le passé, les CCT n’allaient pas de soi pour les employeurs – même si depuis
longtemps, la Suisse est célébrée comme «pays du partenariat social».
Au contraire, les CCT en vigueur aujourd’hui sont le fruit d’une décennie d’âpres luttes.
Nous avons constaté par notre expérience que les employeurs ne nous ont jamais fait
de cadeau, quand il s’agissait d’améliorer la protection collective des salariés. Au
contraire, nous n’avons enregistré des succès que lorsque le mouvement syndical était
suffisamment fort dans les branches et au sein des entreprises. A chaque fois, c’est le
rapport de forces entre les employeurs et les syndicats qui a été déterminant. Le
partenariat social a toujours été et reste un bras de force.
Les relations entre les employeurs ou leurs associations faîtières et les syndicats sontelles toujours réglées dans l’esprit de partenariat social qui fait la fierté de la Suisse? Si
vous me posiez la question, je serais bien obligé de vous donner une réponse très
critique, sur la base des expériences de ces 20 dernières années:
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Le partenariat social a été profondément ébranlé – depuis le début des années 90
surtout. Et les pressions exercées sur les CCT ont massivement augmenté. Les
raisons tiennent à l’évolution de l’économie au cours des 20 dernières années.
Les années 90 ont été marquées par une déréglementation systématique des
conditions de travail, par un affaiblissement des CCT et une redistribution accélérée
des gains de productivité de bas en haut.
Une ère de déréglementation néolibérale a en effet commencé à l’échelle planétaire.
Les managers ne se sont plus référés aux objectifs durables de l’économie réelle,
préférant maximiser les rendements à court terme et les gains en bourse. Vous
connaissez le concept-clé de l’économie des années 90: la «shareholder value», ou le
capitalisme actionnarial.
Les CCT ont subi d’énormes pressions. Les employeurs et leurs associations de
branche ont multiplié les attaques frontales contre les CCT, pour en affaiblir la portée et
alléger la réglementation. Dans les années 90, il était de bon ton parmi les employeurs,
notamment dans l’industrie d’exportation, de se plaindre des salaires trop élevés en
Suisse et de menacer de délocaliser des emplois et même des sites de production en
Europe orientale ou en Extrême-Orient.
Et dans le sillage du grand débat sur la mondialisation, les CCT et avec elles les
syndicats ont souvent été qualifiés de modèle dépassé, n’ayant plus sa place dans le
nouveau siècle…
N’en déplaise aux esprits chagrins, les CCT regagnent du terrain depuis le tournant du
siècle. En effet, notre législation minimaliste sur le travail ainsi que l’environnement
économique et politique rendent cet instrument indispensable.
Je n’exagère pas en parlant aujourd’hui d’une véritable renaissance des CCT et du
mouvement syndical.
Car les syndicats sont parvenus depuis l’an 2000 à renforcer le mouvement
conventionnel. Notamment lors de l’introduction de la libre circulation des personnes
avec l’UE. De nouveaux instruments de protection des salariés ont fait leur apparition,
à savoir les mesures d’accompagnement contre la sous-enchère salariale et sociale. Il
s’agit d’un tournant dans l’évolution des CCT:
Toute une série de nouvelles CCT sont en vigueur ou en négociation. Par exemple
dans l’industrie du nettoyage, parmi les services de sécurité, au sein du personnel
temporaire ou dans certains domaines du commerce de détail. Cette extension est très
importante, sachant que seul un travailleur sur deux est assujetti à une CCT en Suisse.
L’autre moitié travaille sans la protection collective offerte par les CCT.
Et dans de nombreuses conventions collectives de travail en vigueur, le champ
d’application a été étendu. Par exemple, le personnel à temps partiel a été également
soumis aux CCT.
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De même, les autorités ont étendu de nombreuses CCT à des branches entières, afin
d’instaurer des conditions de travail obligatoires pour tous les employeurs de la
branche en question et de combattre ainsi les pressions exercées sur les salaires et les
conditions de travail.
Pour le syndicat Unia, les CCT représentent l’instrument le plus efficace pour
réglementer les conditions et les relations de travail. Unia entend donc continuer de
renforcer l’importance des CCT. Son but est que dans la mesure du possible, tous les
salariés puissent bénéficier d’une CCT.
Cet instrument est précieux pour étendre la participation du personnel et des
représentants de travailleurs dans l’entreprise et pour renforcer les droits d’intervention
et de négociation du syndicat. Il s’agit ici d’accroître l’influence du syndicat sur les
salaires, sur la durée du travail ainsi qu’en cas de restructuration ou de licenciement.
Le but étant de conférer une dimension sociale aux changements structurels du monde
économique.
Cette évolution fait qu’après la difficile période des années 90 et a fortiori dans la grave
crise économique actuelle, le partenariat social entre employeurs et syndicats joue à
nouveau un rôle accru et remplit sa mission première: des négociations communes et
un équilibre entre les intérêts obtenu à la table des négociations doivent encourager le
progrès social, dans le but de consolider l’assise d’une économie viable, axée sur la
durabilité.
J’espère vivement que le symposium d’aujourd’hui contribuera à la reprise dans toute
l’Europe du régime des conventions sociales et du partenariat social. Je suis convaincu
que le modèle suisse constitue, pour les pays d’Europe centrale et orientale, un
tremplin important vers une Europe sociale.
Je vous remercie vivement de votre attention.
Berne, le 16 novembre 2009
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