Que Vlo-Ve? Série 2 No 5 janvier-mars 1983 pages 3-4 Les Droits de la femme CAIZERGUES © DRESAT LES DROITS DE LA FEMME La présence d'Apollinaire en 1905 dans Les Droits de la femme ne soulève pas moins de questions que le contenu même de l'article intitulé «L'Allemande» offert aux lectrices de ce périodique d'orientation socialiste. Chronique allemande du type de celles que le journaliste Apollinaire a fait passer dès 1901 dans Tabarin, puis à partir de 1902 dans La Grande France et dans L'Européen, l'article en question révèle un ton déjà très personnel et des qualités de précision dans l'observation des moeurs tendant à prouver qu'il s'agit là d'un témoignage direct sans doute rédigé à partir de notes prises sur le vif et de souvenirs vécus. La note de présentation laisse entendre que ce texte n'a pas été communiqué directement au journal par Apollinaire. Mais alors, d'où vient-il? A-t-il été repris d'un autre périodique où il aurait paru antérieurement — Tabarin, par exemple — ou bien a-t-il été extorqué par un ami indélicat? Le gérant des Droits de la femme est un certain F. Molina dont on ne sait s'il est ou non apparenté au Ferdinand Molina qui faisait alors partie du «commerce» de notre poète, lequel était fort loin en 1905 de mériter le qualificatif de «célèbre» et la réputation d'anti-féministe dont fait état le présentateur anonyme. Tant de questions accumulées nous conduisent à l'hypothèse d'une provocation bien dans la manière d'Apollinaire qui saisit alors toutes les occasions de faire parler de lui. Le compliment doublé d'une publicité un peu tapageuse relèverait d'une tactique. Mais l'Apollinaire de 1905 estil vraiment décidé à faire flèche de tout bois pour se faire connaître et miser sur un antiféminisme à contre-courant était-ce bien une attitude conforme à son état d'esprit et à ses dispositions affectives? Certains documents récemment mis à jour attestent qu'en mal 1905 il n'est pas du tout sûr que soit consommée sa rupture avec Annie. A y regarder de plus près toutefois, c'est moins l'anti-féminisme que la germanophobie de cette page que l'on retiendra et on conçoit qu'Apollinaire ait hésité à publier cette cruelle satire de la femme allemande tant qu'il était au service de la vicomtesse de Milhau née Hölternoff. Il reste que cet article ne détonne pas dans l'oeuvre d'Apollinaire à laquelle elle se relie à plus d'un titre. L'évocation d'une chanson allemande ici, d'une longue fidélité là, renvoient à la prose («La Rose de Hlldesheim») ou aux vers de «La Maison des morts» et l'unique louange adressée pour finir à la femme allemande trahit l'obsession profonde et fondamentale de la fécondité présente [3] dès les premiers textes du poète et qui prendra un relief tout particulier dans Les Mamelles de Tirésias dont on rappellera qu'il s'agit — aux dires d'Apollinaire — d'une pièce «faite en 1904». Comment fut accueilli cette «Allemande» par les lectrices des Droits de la femme, on l'ignore, l'unique collection aujourd'hui connue de ce périodique, conservée à la Bibliothèque Nationale, se limitant à 2 numéros pour l'année 1905. Un écho semble se manifester cependant dans le document qui figure dans les papiers d'Apollinaire et qui nous a été aimablement communiqué par M. Gilbert Boudar. Dans une lettre de Max Berger, datée de janvier 1909, on lit en effet: «[...] Je refonde les «Droits de la femme» de sinistre mémoire. Puis-je compter sur un article de toi pour le 1er numéro, à titre gracieux bien entendu, mes faibles ressources ne me permettant pas pour l'instant le luxe de collaborations rétribuées. [...]» Projet sans suite, selon toute apparence: aucun périodique de ce titre ne paraît en 1909 ni plus tard. Mais pourquoi et pour qui — Max Berger, Apollinaire? — une publication du même nom — celle qui vécut de 1 Que Vlo-Ve? Série 2 No 5 janvier-mars 1983 pages 3-4 Les Droits de la femme CAIZERGUES © DRESAT 1900 au moins jusqu'en 1905 est la seule qui porte ce titre — est-elle «de sinistre mémoire»? «L'Allemande», on le voit, est encore loin d'avoir livré tous ses secrets. Pierre CAIZERGUES [4] 2