Marianne Grunberg-Manago, décédée le 4 janvier 2013, restera une figure exceptionnelle tant du point de vue scientifique que par les nombreuses responsabilités nationales et internationales qu’elle assuma au cours de sa carrière. Elle découvrit la polynucléotide phosphorylase, l’enzyme qui ouvrit la porte à ce qui restera sans doute la plus grande avancée de la biologie du 20ème siècle: le déchiffrage du code génétique. Elle fut aussi la première femme portée à la présidence de l’Académie des Sciences. Outre son rôle au sein de l’Académie des Sciences, la carrière scientifique de Marianne Grunberg-Manago restera essentiellement attachée à l’Institut de Biologie Physicochimique (IBPC) à Paris, d'une part, et le Centre National de la Recherche scientifique (CNRS), d'autre part, deux organismes intimement liés dans la mesure où la création de l’IBPC sur l'impulsion de Jean Perrin en 1927, servira de base à celle du CNRS dix ans plus tard. Marianne Grunberg-Manago, effectue ses études supérieures de lettres et de sciences naturelles à l’Université de Paris, études qu’elle termine en 1943. Elle rejoint alors le laboratoire d’Eugène Aubel à l’IBPC et entre au CNRS comme stagiaire en 1945. Elle soutient sa thèse en 1947 sur « l’action de l’oxygène sur les anaérobies strictes ». En 1953, elle part avec une bourse Fullbright à l’Université d’Urbana (Illinois, USA) puis obtient une bourse de la New York University, lui permettant de rejoindre le laboratoire de Severo Ochoa en 1954. Elle y découvre la polynucléotide phosphorylase (PNPase), permettant, pour la première fois, la synthèse de polyribonucléotides. Quatre ans plus tard, en 1959, Severo Ochoa et Arthur Kornberg reçoivent le prix Nobel « pour leur découverte des mécanismes de la synthèse biologique des acides ribo- et déoxyribonucléiques ». Marianne Grunberg-Manago revient à l’IBPC en 1956 où elle étudie les propriétés biochimiques et physico-chimiques des polynucléotides. L’importance fondamentale de la PNPase éclata en plein jour en 1961 avec la découverte de Marshall Nirenberg et Heinrich Matthaei montrant que l’ajout du polyU (polynucléotide synthétisé à l’aide de la PNPase) à un système acellulaire de la bactérie Escherichia coli dirigeait la synthèse de polyphénylalanine. La course au déchiffrage du code génétique venait d'être lancée; elle n’allait durer que cinq ans. Au début des années soixante, Marianne GrunbergManago, tout en continuant à étudier la PNPase et les polynucléotides en collaboration avec Michael Michelson (IBPC), va s’intéresser à la synthèse des protéines in vitro. En 1962, elle publie un article avec Mark Bretscher du laboratoire de Francis Crick (MRC Cambridge), qui montre qu’un poly(A,C) code les acides aminés thréonine et asparagine, indiquant , contrairement à l’idée admise à cette époque, qu’il existait des codons sans U. L’arrivée de François Gros à l’BPC en 1963 renforcera le pôle traduction du laboratoire de Marianne Grunberg-Manago. Elle devient chef de service à l’IBPC en 1967 et étudiera tour à tour les composants et les différentes étapes de la traduction, principalement à l’aide de systèmes in vitro. Cette même orientation sera poursuivie, par la suite, à l’aide d’approches in vivo pour finalement aboutir à l’étude de la régulation de l'expression génétique. L’autre orientation, l’étude de la structure et de la fonction de la PNPase, l’a amenée à se pencher sur le rôle biologique de la PNPase qui, en fait, est une enzyme de dégradation plutôt que de synthèse des polynucléotides in vivo. Cette dernière propriété l’a conduite ensuite à s’intéresser à la dégradation des ARN chez les bactéries modèles Escherichia coli et Bacillus subtilis, sujet qu’elle a développé avant de tomber gravement malade le 18 mars 2000 et de décéder treize ans plus tard. Marianne Grunberg-Manago a été membre (et présidente) de l’Académie des Sciences, membre de l’Académie des Sciences des Etats-Unis et de sept autres académies. Elle a été nommée professeure invitée de l’Université de Harvard en 1963 et professeure associée de l’Université de Paris 7 de 1972 à 1982. Elle fut récipiendaire de nombreux prix dont le prix Charles Léopold-Mayer par deux fois. Elle a appartenu à de très nombreuses sociétés savantes et présidé l’Union Internationale de Biochimie et de Biologie Moléculaire (IUBMB) de 1985 à 1988. En outre, Marianne Grunberg-Manago a toujours activement participé aux actions de la Société française de biochimie devenue par la suite Société de biochimie et biologie moléculaire (SFBBM), l'une des plus importantes en sciences de la vie en France, contribuant à son rayonnement. Elle en fut d'ailleurs la présidente en 1975, Sa contribution personnelle prit toute son importance lorsqu'elle fut élue rédacteur en chef de la revue Biochimie en 1979; elle n'eut de cesse depuis de porter cette revue purement française vers l'excellence et de se battre pour en assurer l'existence. Elle était grand Officier de la légion d’honneur. Elle a publié plus de 300 articles dans des revues internationales à comité de lecture. Elle est entrée comme stagiaire au CNRS en 1945 pour être nommée DR1 en 1961, puis DR1CE. Elle siégea au conseil scientifique du CNRS et présida la section 20 du Comité National de la Recherche scientifique. Elle fut aussi chargée de mission auprès du département des Sciences de la Vie pour la coopération internationale avec les pays d’Europe de l’Est et les ÉtatsUnis. Son rôle dans les relations franco-soviétiques puis franco-russes a été déterminant, dépassant largement le cadre du CNRS. Marianne Grunberg-Manago n’était pas seulement une scientifique hors pair mais aussi une personne très attachante. Il était impossible à quiconque l’ayant approchée de ne pas rester marqué par son rayonnement Sa forte personnalité lui conférait un don très particulier pour rassembler les compétences de ses collègues et la qualité rare de savoir gérer leurs conflits, aptitude essentielle dans le monde de la science. Elle était adorée par ses collègues et par ses collaborateurs qui ne l’oublieront jamais .