Le Larzac Polonais Dans le triangle formé par les villes de Cracovie, Częstochowa, et la conurbation de Katowice s'étend l'une des régions les plus originales de la Pologne, et d'Europe Centrale: le Jura Polonais (localement nommé Jura Krakowsko-Częstochowska). Comme l'indique son nom, de même que son homonyme Franco-Suisse, son visage est façonné par une géologie particulière, ou prédomine le calcaire... Jurassique. Mais, contrairement au notre, ce Jura n'est pas une montagne, mais plutôt un plateau, qui présente bien des caractéristiques communes avec nos "Causses" du Massif Central. Placez-yquelques troupeaux d'ovins, comme il y en avait il y a encore quelques décennies, et le décor est presque parfait ! Oscillant autour de 400m de hauteur, ces régions à faible densité de population offrent des visages tantôt désertiques, ponctués ça et là de blancs affleurements rocheux, tantôt de profondes gorges creusées par une érosion fantaisiste, épargnant ça et là arches naturelles ou gigantesques monolithes verticaux... ainsi que d'étonnantes étendues de sable, comme le "désert" de Błędów, qui compte parmi les plus grandes d'Europe. L'abondance de châteaux forts est une autre particularité du Jura. Ceci peut s'expliquer en partie par la pierre tendre, facile à travailler, l'abondance de sites propices à leur construction, mais aussi la position stratégique que forme cette barrière naturelle, qui fut souvent une frontière politique: le "Panorama de Racławice", exposé à Wrocław, témoigne des batailles formidables qui ont eu lieu. Certains sont en ruines, mais d'autres en parfait état, et le cadre dans lequel ils sont situés les font compter parmi les plus romantiques du pays. L'architecture, au sens plus large, est elle aussi digne d'intérêt. En observant les constructions anciennes, l'œil averti remarquera certains détails communs avec l'architecture vernaculaire à base de bois que l'on trouve plus au Sud, dans les Carpates. Mais celle ci est souvent mêlée à l'utilisation de pierres sèches, dans les sous-bassements ou murets, comme un mariage insolite de Pologne et de détails rappelant davantage la France méridionale. Sur ces mêmes pierres taillées, il n'est d'ailleurs pas rare de remarquer en abondance des "périsphinctes", ces fossiles en forme de spirale: les géologies et préhistoires du Jura sont richissimes. Les sources sont légion, et produisent des eaux minérales de renom comme Jurajska. Comme tout terrain calcaire, le Jura est riche en cavités. Des pointes en silex, du paléolithique, ont été trouvées dans certaine grottes, preuve que la région est habitée depuis des temps immémoriaux. Le Jura attire enfin touristes et sportifs de tous horizons. Outre les monuments et attractions culturelles, nombreux sont les randonneurs sur le "sentier des nids d'aigles" (Szlak Orlich Gniazd), qui relie Cracovie et Częstochowa via tous les sites de renom. Les cyclistes apprécient les pistes forestières dans ce paysage vallonné, et les grimpeurs, surtout, sont particulièrement friands du terrain de jeu procuré par cette géologie unique. Les "vallées Cracoviennes" Il est possible de diviser le Jura en trois régions principales. Commençons notre visite par... Cravovie : Le rocher sur lequel est perché le Wawel n'est rien d'autre qu'un Nième affleurement du Jura ! Le plateau continue à l'Ouest à travers les collines de Las Woski, où trônent les tertres de Pilsudski et Kosciuski, puis les hauteurs d'où l'abbaye bénédictine, sur ses falaises, et l'ermitage des Camaldules, surplombent tous deux la Vistule. Plus loin, derrière l'aéroport de Balice, se trouvent trois petites vallées creusées dans la roche blanche: Dolina Mnikowska, Zimny Dół, et Dolina Brzoskwinki, formant ensemble une promenade agréable. Le château de Tenczyn, remarquable, (parfois épellé Tęczyn ou nommé Rudno) se dresse à quelques kilomètres. L'autoroute A4 coupe malheureusement cette belle entité en deux, et il faut se diriger quelques kilomètres plus au Nord, dans l'angle formé par les routes d'Olkusz et Trzebinia pour découvrir l'endroit qui fait l'objet de toutes les convoitises durant les week-ends des habitants de Cracovie. Ce haut plateau est fendu sur sa largeur par trois grandes vallées : Dolina Będkowska, Dolina Kobylańska, et Dolina Bolechowicka. De spectaculaires falaises blanches procurent à chacune une célébrité propre. Leurs voies, nécessitant parfois plusieurs longueurs de cordes, font leur célébrité chez les grimpeurs. Mais le revers de la médaille est que l'on y constate une érosion due à leurs pieds et mains, au fil des années, ce qui les rend extrêmement glissantes et dangereuses par temps humide. D'autres vallées, plus petites, sont à découvrir à pieds, comme Dolina Kluczwody, Dolina Szklarki, Dolina Racławk, Dolina Eliaszówki... Toutes forment un dédale où l'on peut varier à l'infini les circuits de visite. Le Parc National d'Ojców Ojców est le plus petit parc national de Pologne, et la seule région du Jura possédant un tel statut. La rivière Prądnik a creusé ce que l'on pourrait qualifier, vu sous un certain angle, de gigantesque canyon. Les falaises blanches atteignent par endroit 200m de hauteur ! Si l'on poursuit notre comparaison avec la France, voici des Gorges du Tarn miniatures. Les points de vue d'où l’on peut admirer ces perspectives, et desservis par les sentiers balisés, sont hélas rares, excepté du haut de Góra Okopy et Góra Koronna. Mais la vallée réserve aussi d'autres merveilles vues du bas. Si l'on prévoit de la visiter dans la longueur, que ce soit en automobile ou en vélo, la meilleure manière est de commencer par le haut, en arrivant par la petite route en lacets quittant la Nationale 94 à hauteur de Biały Kościół et Czajowice, et d'où les points de vue sont splendides. Ensuite, il est impossible de ne pas s'arrêter contempler Brama Krakowska, qui comme son nom l'indique, a la forme d'une gigantesque porte. Dolina Sąspowska, vallée affluente, et non moins intéressante à parcourir, apparait en continuant sue la gauche. Puis vient Ojców, ruine de chateau du XIVième siècle d'où le parc tire le nom. Malgré qu'il renferme une cour intérieure, sa visite est impossible, car malheureusement une épaisse végétation se superpose. à la roche calcaire où il est encastré. D'innombrables monolithes bordent la vallée, faisant corps avec la falaise, voire complètement séparés, tels que la Masse d'Hercule, insolite et improbable édifice, qui précède Pieskowa Skała. Voici le Neuschwanstein Polonais ! L'archéotype du chateau romantique, tel qu'il est dans nos représentations enfantines, est une forteresse élancée, élégante, et imprenable, qui se fond dans les accidents de la nature. Le meilleur moment pour le visiter est en soirée, une fois la foule partie, et lorsque du haut de ses murailles, les rayons de soleil viennent illuminer ces dernières, qui semblent se fondre aux rebords de la vallée Prądnika, jusqu'à l'infini... Ruines et plateaux désertiques. Au Nord de la ville industrielle d'Olkusz, et jusqu'à Częstochowa, s'étend enfin la plus grande sous-région du Jura, faite de champs et pâturages à perte de vue. Une moins grande densité d'attractions n'en recèle pas moins de surprises, et surtout une plus grande part de mystère. Arrivons cette-fois ci par l'ouest, depuis Dąbrowa Górnicza, extrémité Nord-Ouest de la conurbation de Haute Silésie. Passé les étendues de pins, le Jura fait subitement son apparition, et comme pour nous souhaiter la bienvenue, la route semble franchir un col de haute montagne, dans un lacet contournant le rocher de Kromołowiec. Nous sommes à deux pas d'Ogrodzieniec, plus grande ruine de forteresse de toute la région. Casimir le Grand, en 1339, ne s'était pas trompé en choisissant le point le plus haut du Jura, seul qui dépasse 500m. Les restes de sa construction se fondent dans ces affleurements de roches crayeuses omniprésents dans la région, plus fantaisistes que jamais, lui donnant une allure surréaliste. Dans la pénombre, on se demande volontiers ce que l'homme a érigé et ce qui n'est pas de lui. Smoleń et Bydlin se dressent plus loin vers l'Ouest, situé eux aussi dans le voisinage de rochers géants, que des escaliers taillés dans la roche permettent de gravir pour le panorama. Des chateaux, ce n'est pas ce qu'il manque, mais ils sont parfois bien dissimulés dans la forêt, comme celui de Bąkowiec. Ils sont parfois parfaitement restaurés, comme Bobolice, tout droit sorti d'un conte de fées, ou digne des ruines les plus hantées d'Ecosse, comme celui Mirów, juste à proximité. Un magnifique sentier relie ces deux extrêmes. Olsztyn est le plus célèbre dans le voisinage Częstochowa, au Nord du Jura. Chacun a son caractère propre, une ambiance spécifique, énigmatique, voire fantomatique, due en grande partie à cet environnement de pierres blanches géantes dans lesquels ils se trouvent, et qu’ils partagent. Avec un brin de superstition, on imagine sans peine qu'il s'agit d'esprits figés qui veilleraient sur leur demeure de jadis. Sans elles, le Jura ne serait pas. Certaines partagent d'ailleurs un même niveau de popularité, comme les arches naturelles : Brama Skalna (près de Suliszowice), Bobolice (à l'entrée du château), ou encore Okiennek Wielki, la "Roche Percée", qui semble pointer un doigt accusateur vers le ciel. En effet, ces édifices sont le fruit de l'érosion, qui les a déshabillé des roches plus tendres qui les entouraient. Les plus sportifs graviront enfin Góra Zborów, qui est aux habitants du Jura ce que SainteVictoire était à Cézanne. Cette colline résume à elle seule tout le Jura. Elle a la faculté de troubler nos sens de l'orientation, et de manière plutôt agréable, en nous transportant hors de la Pologne, durant quelques minutes. Le craquement voluptueux des gravillons crayeux sous la chaussure, l'odeur des buis et des pins plein les narines, et voilà que l'on s'imagine sur quelque sentier des Dolomites ou du Vercors… Eric Visentin