L`illustre fils d`Hippolochos répondit :« Fils magnanime de Tydée

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L'illustre fils d'Hippolochos répondit :« Fils magnanime de Tydée, pourquoi me demandes-tu ma
naissance? Telle la naissance des feuilles, telle celle des hommes. Il y `a des feuilles que le vent répand
à terre, mais la forêt puissante en produit d'autres, le printemps revient. Ainsi pour les hommes : une
génération naît, l'autre finit. Si tu veux néanmoins t'instruire sur ce point, savoir exactement notre
naissance, (bien des hommes la connaissent), il y a une ville. Ephyre, au fond du pays d'Argos éleveur
de chevaux. Là vécut Sisyphe, qui fut le plus habile des hommes, Sisyphe fils d'Eole. Il eut pour fils
Glaucos, et Glaucos engendra l'irréprochable Bellérophon, à qui les dieux donnèrent la beauté et une
virilité séduisante.« Mais Proïtos médita du mal contre lui en son cœur; il le chassa, car il était
beaucoup plus fort, du peuple des Argiens, que Zeus avait soumis à son sceptre. La femme de Proïtos
désira follement — (la divine Antéa) — s'unir d'amour, en secret, avec le héros; mais elle ne séduisit
pas le bienveillant, l'éclairé Bellérophon. Alors, mentant au roi Proïtos, elle lui dit :"Puisses-tu mourir,
Proïtos, ou bien tue Bellérophon. qui a voulu s'unir d'amour avec moi, contre ma volonté."« Elle dit, et
la colère saisit le roi, à entendre une telle chose. Il ne voulut pas tuer Bellérophon, par scrupule
religieux; mais il l'envoya en Lycie, et lui donna des signes funestes, traçant sur une tablette repliée
maints caractères mortels, qu'il l'invita à montrer à son beau-père, pour sa perte.« Bellérophon alla
donc en Lycie, sous la conduite irréprochable des dieux. Quand il fut arrivé en Lycie, et au cours du
Xanthe, le roi de la vaste Lycie l'honora de bon coeur. Neuf jours, il le traita en hôte, et sacrifia neuf
bœufs. Mais quand pour la dixième fois parut l'aurore aux doigts de rose, il l'interrogea, et demanda à
voir les signes qu'il lui apportait de son gendre Proïtos. Quand il eut reçu les signes funestes de son
gendre, d'abord, l'invincible Chimère, il demanda à Bellérophon de la tuer. Elle était de race divine,
non humaine : lion par devant, serpent par derrière, chèvre par le milieu du corps, terrible, elle
soufflait l'ardeur d'un feu flamboyant. Bellérophon la tua, en obéissant aux signes des dieux .« En
second lieu, il combattit les Solymes glorieux; c'était, disait-il, le plus terrible combat où il se fût jeté
contre des hommes. En troisième lieu, il massacra les viriles Amazones.« A son retour, le roi trama
contre lui une autre ruse serrée. Ayant choisi dans la vaste Lycie les hommes les meilleurs, il les plaça
en embuscade. Mais ils ne revinrent pas dans leurs maisons; car tous furent tués par l'irréprochable
Bellérophon.« Alors, quand le roi reconnut qu'il était le bon rejeton d'un dieu, il le retint dans son
pays, lui donna sa fille, lui accorda la moitié de tous les honneurs royaux. Les Lyciens lui délimitèrent
un domaine plus beau que les autres, riche en vergers et en terres labourables, pour qu'il y vécût. La
femme de Bellérophon l'éclairé lui donna trois enfants, Isandre, Hippolochos et Laodamie. Laodamie
coucha avec Zeus le prudent, et enfanta Sarpédon, rival des dieux, casqué de bronze.« Mais quand
Bellérophon lui-même eut encouru la haine de tous les dieux, à travers la plaine d'Alion, seul, il erra,
rongeant son coeur, évitant les traces des hommes. Isandros, son fils, Arès insatiable de guerres le tua,
tandis qu'il luttait contre les Solymes glorieux. Irritée contre Laodamie, Artémis aux rênes d'or la tua,
Hippolochos, lui, m'a engendré; de lui je prétends être né. Il m'a envoyé à Troie, et vivement
recommandé d'être toujours excellent et de l'emporter sur les autres, de ne pas déshonorer la race de
mes pères, qui furent de beaucoup les meilleurs à Ephyre et dans la vaste Lycie. Voilà ma naissance,
et le sang dont je me vante d'être. »
Il dit, pour la joie de Diomède bon dans le cri de guerre. Sa pique, il la planta dans la terre nourricière,
et lui, il dit doucement au pasteur de troupes :« Ainsi donc, tu es mon hôte par nos pères, un hôte
ancien. Car jadis chez le divin Oenée l'irréprochable Bellérophon fut reçu, dans le palais, et retenu
vingt jours. Ils échangèrent de beaux présents d'hospitalité : Oenée donna une ceinture brillante de
pourpre, Bellérophon une coupe d'or à deux anses, qu'à mon départ j'ai laissée dans ma maison. De
Tydée, je ne me souviens pas : j'étais encore tout enfant quand il me quitta, au temps où, devant
Thèbes, périrent les troupes achéennes. Ainsi, maintenant, je suis ton hôte cher en plein pays d'Argos,
et toi le mien dans la Lycie, quand j'irai voir ce pays. De nos piques évitons-nous l'un l'autre, même
dans la mêlée. Nombreux sont les Troyens et les alliés illustres que j'ai à tuer, qu'un dieu me les
présente ou que je les joigne à la course; nombreux, pour toi, les Achéens à dépouiller, ceux que tu
pourras. Mais échangeons nos armes, pour que ces combattants aussi sachent que nous nous vantons
d'être des hôtes, par nos pères. »Ce disant, ils sautèrent de leur char, se prirent la main et se jurèrent
fidélité. Et là aussi à Glaucos Zeus, fils de Cronos, ôta le sens, car il échangea avec le fils de Tydée,
Diomède, ses armes, or contre bronze, et cent bœufs contre neuf.
Homère, Iliade VI, 144-236
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