L'Addictologie Intégrative Dans les années 1950 avec l'arrivée du modèle Minnesota, le traitement des addictions a vécu une véritable révolution permettant à des millions d'addicts de confronter leur problèmes d'addiction. A cette époque, hormis les hôpitaux psychiatriques et la prison, il n'existait pas de véritable prise en charge pour les personnes souffrant de dépendances. Mis en échec, les grands cliniciens avaient renoncés à s'occuper de ce type de patients. Aux faibles connaissances sur les conduites addictives, s'ajoutaient les représentations négatives de la société envers l'alcoolisme, jugé comme une faiblesse morale et non une pathologie. En bref, à part les Alcooliques Anonymes, il n'y avait pratiquement rien pour soigner les addicts. Aujourd'hui, les temps ont bien changés. Les addictions sont omniprésentes et intéressent tout le monde. Cependant les professionnels de santé, malgré les plans addictions à répétition sont toujours en échec et le fléau de l'addiction ne fait que grandir1. Si nos voisins plus pragmatiques avancent dans ce domaine, nous avons observé qu'ici en France chaque chapelle thérapeutique officie dans son coin au détriment des patients. En réaction contre ce morcellement thérapeutique, certains cliniciens se sont réunis pour proposer un nouveau type de prise en charge : l'addictologie intégrative, consistant à utiliser les connaissances et l’expérience unique et empirique des groupes d’anciens addicts tels Alcooliques Anonymes et du modéle dérivé, le modèle Minnesota et d'intégrer celles ci à leurs pratiques plus classiques de médecins, psychologues, infirmiers, psychanalystes et autres professions de santé. Nous souhaitons dans cet article revenir sur la méthode Minnesota, princeps dans le traitement des addictions. D’après la MILDT, les saisies de cocaïne et d'héroïne sont sur une tendance haussière depuis l'an 2000, et concernant l'alcool, les ivresses répétées et régulières sont également en nette augmentation. 1 Le modèle Minnesota « If you want to know why you drink, stop drinking ! » Un membre des AA2 Descriptif-définition Le modèle Minnesota3 est un programme de rétablissement dédié spécialement aux addictions comportant : un sevrage et un dispositif thérapeutique de quelques semaines en institution, suivi d'un traitement ambulatoire axé sur la maintenance de la sobriété. L' orientation thérapeutique est basée sur l'arrêt des consommations de toxiques et organisée par les soins d’une équipe de professionnels de santé pluridisciplinaire. Schématiquement, on peut dire qu’il est caractérisé par l’usage de l’ expérience et des connaissances du modèle « 12 étapes » des Alcooliques Anonymes (A.A) et on pourrait dire que la méthode Minnesota est en quelque sorte une professionnalisation des idées des A.A, mises en œuvre par des médecins, psychologues et autres thérapeutes à l’intérieur d’un cadre spécifique que nous détaillerons plus loin. Historique Le modèle prend naissance aux USA dans les années 1950 dans le Minnesota et se développe rapidement à travers le monde et constitue aujourd’hui la référence dans le soin des addictions dans de nombreux pays, principalement anglo-saxons (U.S.A, U.K, Scandinavie, Afrique du Sud). Au départ pour les alcooliques, il élargit peu à peu son champ à toutes les dépendances et y devient la référence du traitement de l’addiction. Aux Etats-Unis, à son apogée des années 1980, on comptait jusqu'à 6 800 centres représentant 80 % des services d’addictologie4. Il est né du rapprochement entre les prises en charge hospitalières classiques et les idées des Alcooliques Anonymes (A.A). Les A.A sont un ensemble de groupes d’entraide 2 A.A. ou Alcooliques Anonymes. 3 Nos principales sources théoriques pour cette partie sont : un rapport de recherche de Céline Langlois, le livre de J. Épicer de l’article de E.Sereka, C.d’Epagnier et D.Danis : Traitement des malades dépendants selon le modèle Minnesota dans une clinique psychiatrique suisse, une expérience de 13 ans. Alcoologie et addictologie, 2000. 22 (3), 239-246. 4 D’après Jerry Spicer, The Minnesota Model, 1993. crées en 1935 aux USA5, de la rencontre d’un banquier et d’un médecin, tous deux alcoolo-dépendants ayant réalisé que pour rester sobre, il fallait travailler avec un autre alcoolique à rester sobre avec l’aide d’un programme. Les A.A sont arrivés en France dans les années 1960. On a vu se développer ensuite d’ autre groupes fonctionnant sur les mêmes principes, (dont Narcotiques Anonymes (N.A), Débiteurs Anonymes (D.A), et toujours adaptés à la dépendance en question. Avec l’arrivée dans les années 1980 du paradigme de la réduction des risques favorisant la substitution à l’arrêt des dépendances, son influence a certes un peu baissé . Mais dans les pays proposant plusieurs modèles thérapeutiques, il demeure très populaire et possède la réputation d’être efficace. En France6, à l’inverse des autres grands pays, le modèle Minnesota n’a pas encore trouvé sa place et Il m’a semblé important de comprendre pourquoi. Le postulat du M.M. Le modèle Minnesota, reprenant les principes des A.A, envisage l’addiction comme une maladie primaire, évolutive, chronique et mortelle et se caractérise par des pensées obsédantes et une compulsion à utiliser des substances et ceci malgré des conséquences négatives. Selon les principes Minnesota, il y a donc le postulat que si l’on est sous l’emprise d’un produit ou d’un comportement, c’est la conséquence d’une maladie: la maladie de la dépendance qui s’organise sur 2 versants: un versant physique (usage compulsif de substances), un versant psychique (idées obsédantes de consommer) et pour certains un versant spirituel (égocentrisme total). Ce trépied induira les 3 axes de traitement du modèle. Fonctionnement et modalités Penchons-nous maintenant sur les modalités du modèle. Il s’organise en continuum et en trois phases: sevrage, thérapie institutionnelle, maintenance de la sobriété. Le cadre est celui d’une institution située en zone retirée, loin de l’environnement habituel des addicts et de leurs tentations. Uniquement dédiée aux addictions, les centres 5 Il y aurait aujourd’hui, d’après les estimations des A.A, plus de 176 000 groupes dans le mondes, répartis sur 170 pays et représentant 2 millions de membres. 6 2010. D’après Jauffret-Roustide. Membre de l’inserm et de l’Institut de veille sanitaire. Dans Pensées plurielles. Minnesota proposent une cure organisée autour d’une combinaison de psychiatrie, de psychothérapies groupales et individuelles et de thérapies corporelles. La partie sevrage est prise en charge par le médecin psychiatre et les infirmiers . Il convient de préciser toutefois que le programme Minnesota est multidisciplinaire et qu'il est important d'obtenir l'adhésion de toute l’équipe thérapeutique dans les principes du modèle. Par exemple, les produits communément appelés de substitution, ne sont utilisés que pendant une période de sevrage qui ne dépasse que rarement un mois. «Il ne s’agit pas de remplacer une drogue par une autre». Le traitement psy est largement centré sur les effets thérapeutiques du groupe qui constitue ainsi la pièce maitresse de la thérapie. Autre fait saillant, l’équipe soignante comprend une catégorie particulière constituée d’anciens addicts rétablis qui apportent une expertise par expérience personnelle. Spécificités de l'abord thérapeutique MM (idées et concepts) C’est dans sa compréhension de l’addict en début de rétablissement que le modèle Minnesota doit son succès. Après des années d’usage quotidien de substances toxiques, l’addict qui arrête l’usage de son toxique présente un tableau de pathologies psychiques et physiologiques tout à fait spécifiques. Le MM prend en compte la dynamique et la temporalité des phases de rétablissement. Par exemple, lors du sevrage intervenant souvent aprés des années d'usage quotidien de substances toxiques, certains addicts vont d’abord présenter un tableau psychique où l'on pourra repérer temporairement quelques traits psychotiques: l'état de détresse, l'incapacité de penser, le clivage, l'absence ou au contraire la massivité des affects, le morcellement voir l'effondrement de la psyché. Dans un deuxième temps, généralement après une semaine, apaisés par les aspects contenants du modèle, les patients évoluent vers une organisation plus «états limites» ou borderline avec un réveil du système défensif caractérisé par une mise en avant des affects et du déni. Ainsi pour apréhender cette trajectoire psychopathologique, la thérapie Minnesota est évolutive. Les premiers temps, il s'agira d'abord d'un travail de réparation de certaines fonctions cognitives altérées (pensée, concentration, mémoire) qui par la suite au travers du jeu des identifications, permettra au patient d’élaborer et de symboliser. Nous verrons par la suite les processus qui permettent cette maturation. C’est un modèle thérapeutique construit de manière empirique créé tout comme AA par des médecins alcooliques qui avaient résolu leur problème d’addiction. Les thérapeutes Minnesota ne disent pas que le concept de maladie est correct ou incorrect mais que cette métaphore se justifie par les résultats induits. Ils entendent maladie dans le sens ou l’addiction est une condition que le sujet n’a pas choisie. « L’alcoolique choisit de boire mais pas de devenir dépendant. » L’introduction de la notion de maladie permis de changer la représentation de l’addiction pour la société et d’ impliquer recherche, traitements et remboursements par les mutuelles. Pour la thérapie Minnesota, la notion de maladie primaire est également purement pragmatique. Cela signifie qu’on ne peut correctement diagnostiquer et soigner les autres pathologies avant d’avoir réglé le problème de consommation d’alcool ou de drogue. Ce modèle ne remets pas en question que l’addiction est symptomatique d’une pathologie psychique mais il entend qu’ à partir d’un moment, l’addiction prend une autonomie propre. D’où le postulat qu’on ne peut guérir l’addiction en seulement traitant la cause. Par la fréquentation des groupes et les témoignages des membres qui rechutent, les AA ont compris que la dépendance est une maladie spécifique qu’ils comparent à une allergie à leur drogue, ce qui signifie que la consommation d’un premier verre engendre une réaction de manque. Pour les AA, il ne s’agit pas d’une théorie mais du constat de l’expérience cumulée de millions d’addicts fréquentant les groupes et qui n’ont jamais été capable de reprendre la consommation contrôlée de leur «drogue de choix». Pour eux, la prégnance de cette règle est confirmée chaque fois qu’un addict «rechute» après de nombreuses années d’abstinence en pensant qu’il était guérit. Il faut néanmoins nuancer leur propos et reconnaître qu’il n’y a pas de preuve scientifique excluant la possibilité d’une reprise consommation modérée. Cette radicalité du programme quant à la nécessité de l’abstinence est encore purement pragmatique et explicable par le danger que présentent les rechutes, spécialement aux drogues dures. Dans les centres Minnesota, cette règle de l’abstinence imposée durant les quatre semaines de cure permet également à l’équipe de mieux cerner la personnalité du sujet et ses comorbidités psychiques éventuelles. On observe que les addicts actifs ou en sevrage, mettant ainsi fin à un usage quotidien de plusieurs années présentent des états altérés éloignés de leur vraie personnalité. Ils présentent des traits transitoires et instables allant de l’euphorie à la dépression massive qui ne sont pas toujours en adéquation avec leur vraie nature. Une fenêtre d’abstinence de plusieurs semaines peut permettre de laisser émerger les véritables caractéristiques psychiques des sujets. Pour autant que la règle d’abstinence soit la clé du rétablissement des addictions, la méthode Minnesota intègre qu’ a un moment défini, cette règle d’abstinence peut être difficile, voire impossible à respecter. L’arrêt de l’addiction est considéré comme un processus dynamique qui comprend plusieurs phases7 : la pré contemplation ( de l’arrêt), la comtemplation, la préparation, l’action et la maintenance. Si chaque addict suit ce cycle, il est clair que la durée de chaque phase est différente pour chaque addict. Certains addicts peuvent rester très longtemps sur les trois premières phases. Pour le sujet, la décision de se sevrer et de commencer une thérapie se fera le plus souvent dans la phase préparation. Si certains centres Minnesota, acceptent des patients dans les premières phases sur la base de la possibilité de les motiver, la grande majorité insiste pour que les patients aient déjà « touché le fond », un état de désespoir, qui seul peut tailler une brèche dans la muraille narcissique et rend possible la demande d’aide. Ce moment, très important sur la trajectoire des addicts, est d'aprés certains témoignages, un endroit de conversion quasi spirituelle où la pulsion de mort peut se convertir en pulsion de vie et représenter la borne zéro de la guérison. Pour terminer cette partie, il convient de signaler que l’efficacité et les limites des programmes en 12 étapes et du modèle Minnesota ont été étudiées avec précision par plusieurs équipes de recherche8. Elles révèlent que l’efficacité du modèle Minnesota est égale ou supérieure aux autres thérapies existantes et que les patients ayant suivi ce programme affichent une plus grande implication et de meilleurs résultats à long terme. Ce qui est opérant dans le processus thérapeutique du M.M. : 7 8 D’après Prochoska et Di Clemente (1992). How people change. Application to addictive behaviors. Stinchfield,R. et Owen,P.,(1998). Hazelden’s model of treatment and its outcomes, Addictive behaviors, 23, 1-15. Project Match research group, (1997). Post drinking outcomes. Journal of studies on Alcoholism, 58,p.7-29 . Keso, L. et Salaspuro, M. (1990) Inpatient treatmemt of Alcoholics : a randomized clinical trial on Hazelden type and traditionnal treatment : Alcoholism : Clinical and experimental research, 14, p. 584-589. - L' utilisation de professionnels ex-addicts. L’équipe soignante comprend une catégorie particulière constituée d’anciens addicts rétablis qui apportent une expertise par expérience personnelle. Auprès des patients, j’ai constaté que ces thérapeutes qui partagent le même passé que les patients possédaient une crédibilité supérieure aux autres. Comme « ils sont passés par là », ils savent de quoi ils parlent, ils ne jugent pas ce qu’ ils ont fait eux-mêmes et sont donc moins susceptibles d’être soumis aux contre transferts négatifs qui atteignent souvent le reste de l’équipe soignante. Il ressort aussi qu’ils n’ont pas leur pareil pour guider les patients à travers les premiers obstacles du rétablissement et leur proposer un mode d’emploi de leur nouveau mode de vie spécifique, essentiel pour se rétablir. Par leur expérience d’addict, ces thérapeutes ont acquis des compétences spécifiques mais leur qualité première dans le processus thérapeutique est d’incarner, aux yeux du patient, le message « si c’est possible pour moi, c’est possible pour toi » et de constituer pour lui une figure identificatoire positive, motivante, source d’espoir et d’inspiration. Dans le modèle Minnesota, cette compétence par expérience est applicable à tous les types d’addictions si bien qu’un patient boulimique sera référé à un thérapeute boulimique rétabli. Notons que cette profession (addiction counselor) reconnue dans de nombreux pays nécessite une abstinence d’au moins 5 ans ainsi qu’une formation ou un diplôme reconnu. Dans la même idée, les anciens patients rétablis sont invités à témoigner leur expérience aux curistes. Ces figures idéales, porteuses d'espoir servent de support identificatoires aux patients qui commencent leur rétablissement. - La multifocalité . Les centres Minnesota sont totalement dédiés au traitement des addictions. Leur orientation est avant tout pragmatique, ouverte à toutes thérapie qui fonctionne. Ainsi l'équipe clinique pourra comporter des cliniciens de l'EMDR, du psychodrame, de la thérapie de groupe, des psychiatres spécialistes du sevrage etc. - L'importance de l'aspect contenant, du Holding. Dans la plupart des centres classiques de traitement, il y a de nombreux temps morts. Dans leur chambre, en soirée, les patients sont souvent seuls. Ces temps morts sont pensés comme faisant partie intégrante de l'offre de soin. Il faut se poser la question de la problématique du vide pour de tels patients. En groupe de parole, ils évoquent souvent les années d'alcoolisation comme un trou, « un vide de 20 ans » dont ils ne se rappellent pas grand chose. Pourquoi à ce stade de leur traitement, laisser le vide des temps morts effracter le patient? Le besoin de combler un vide n'est il pas l'une des causes de ses problèmes? Avant de tester ses capacités défensives, ne faut-il pas mieux attendre qu'une réparation narcissique est déjà eu lieu? Cela me rappelle les remarques de Ferenczi à propos de certaines méthodes thérapeutiques: «Cette froide réserve,...,que le patient ressent de tous ses membres, ne diffèrent pas essentiellement de l'état de choses qui autrefois, c'est à dire dans l'enfance, l'avait rendu malade9». - Des centres uniquement dédiés au traitement de l'addiction. Contrastant avec les cliniques psychiatriques ou les hopitaux, les centres Minnesota se focalisent sur le traitement de l'addiction. Il n'y a pas d'autres programmes thérapeutiques dans l'institution. L'addiction y est dégagée et traitée dans sa specificité pour ouvrir une possibilité de mieux soigner la pathologie,peut-être à l'origine de l'addiction. Quelques processus thérapeutiques en jeu dans le MM Les addicts en début de rétablissement ont des besoins propres. Les processus thérapeutiques qui agissent dans le modèle Minnesota ont été élaborés pour répondre à ces besoins spécifiques et nous allons tenter d’analyser leur fonctionnement. Le point important est que pour commencer une psychothérapie, le sujet à besoin d’une restauration de ses fonctions cognitives qui lui permettra au niveau du conscient de retrouver les traces, de comprendre les affects qui l’ont amenés à l’addiction. Ensuite seulement il pourra symboliser ces affects et les regarder d’une façon plus analytique, et tenter de les relier à l’addiction. Pour le patient, Il est important de pouvoir ressentir ces affects et de faire l’historicité de l’addiction afin d’élaborer sur ce qui a pu manquer du côté du holding, de la good enough mother ou au contraire de ce qui a pu intruser comme par exemple la séduction, l’inceste, l’emprise et ainsi déterminer ce qui a pu faire surgir le besoin d’addiction. L’étayage N’importe quelle institution suivant la méthode Minnesota est organisée comme un abri protecteur pour le début du rétablissement des addicts. Le dépendant qui arrive en groupe de thérapie après son sevrage présente une symptomatologie caractéristique. Il se présente en situation de détresse et s’exprime avec difficulté. Il se sent morcelé, sans identité et soumis à des surgissements d’affect massif, principalement la colère, la honte, 9 Sandor Ferenczi : Sur les addictions, Petite bibliothèque Payot, p 27 la mélancolie, la culpabilité que la consommation de toxique avait jusque-là rendu supportable. Le modèle Minnesota propose un cadre contenant et humaniste permettant de recoller le sujet brisé. Lors d’une cure, l’étayage de l’addict passera principalement par le groupe de patients et les thérapeutes, tous un peu dans un rôle de «Nebenmensh», expression utilisé par les psychologues en référence à la Mére, à l’être proche qui assiste le nourisson dans sa détresse liée à la faim et ses autres manques. L’appareillage groupal. L’importance des groupes dans le rétablissement des personnes dépendantes appelle un développement particulier. Depuis les premiers groupes AA, il a été observé que le système groupal fonctionnait bien avec les maladies de la dépendance et nous allons ici tenter de voir pourquoi. Tout d’abord, le groupe est un espace psychique qui permet la réalisation imaginaire de désirs infantiles ou actuels (Anzieu). La pensée du sujet peut ainsi redémarrer après avoir été écrasée, ou morcelée par l’effet de longs usages de toxiques car la routine des alcooliques et des toxicomanes, entre ivresse et endormissement entraînent une absence de vie psychique. Ils ne pensent plus ; ils font, d’après leurs perceptions. Ils sont dans des agirs soumis au principe de plaisir, aux processus primaires. Comme le dit Didier Anzieu, le groupe leur apporte une enveloppe psychique, un «moi peau» de suppléance pour un sujet qui a abandonné sa bulle toxique. L’ addict va pouvoir relancer le dialogue entre le monde intra psychique et le monde inter psychique . Groupe après groupe les addicts, tels les enfants, se construisent par une suite de superpositions identificatoires. Lors de ces groupes, au travers des discours de l’autre, les addicts reconnaissent ce qu’ ils ont pu vivre lors de leurs années d’ addiction . Les plus anciens, évoquent leur passé, auquel les nouveaux vont se reconnaître et s’identifier. Les anciens, abstinents depuis plus longtemps servent également d’idéaux parentaux grâce à leurs rétablissements et modes de vie reconstruits. Le plus souvent, les addicts ont utilisé des toxiques afin de supporter des affects trop envahissants et, à la longue, la plupart sont devenus alexithymiques. La prise de parole en groupe devient pour le sujet une expérience libératrice et structurante. La catharsis devant un groupe permet de ressentir l’affect remémoré grâce au processus d’association opérant lors des partages. La liaison permet de nouveau l’accès au monde symbolique et à la subjectivation. Les addicts en internalisant le groupe AA comme idéal de rétablissement sont capables d’opérer une forme de conversion identitaire passant de la mauvaise vie à la nouvelle vie. L'appartenance au groupe devient le garant de cette nouvelle vie. Avec l’aide des thérapeutes, les patients, seront amenés à découvrir les caractéristiques des objets qu’ils investissent dans les groupes et leurs liens avec les premiers objets familiaux. La distribution transférentielle entre les différents membres du groupe et les différents thérapeutes d’une structure Minnesota permet une «fragmentation transférentielle favorable à la contenance et au traitement de l'excitation qui caractérisent les fonctionnements limites»10 et particulièrement les addicts. Cet entre soi communautaire permet aussi de recréer un réseau de sociabilité étayante venant se substituer aux réseaux crées dans le monde de l’usage et qui doivent être mis à l ‘écart pour parvenir à l’abstinence. Pour décrire cette ambiance thérapeutique propre aux groupes 12 étapes, citons Mickaël, un patient : « Il y a chez les membres un lien unique, comparable aux personnes dans une chaloupe juste rescapées d’un naufrage, et qui partagent ce sentiment commun d’avoir survécu » […] Nous les dépendants, à la base, sommes des êtres asociaux, le programme nous apprend à vivre avec l’autre » La fragilité du moi du sujet en début de rétablissement est défendu par l’affichage d’un moi idéal massif où la folie des grandeurs est inversement proportionnelle à l’estime de soi. La régression topique qu’exerce le groupe sur le psychisme du sujet permet la réactualisation des formations psychiques archaïques, préalable aux nouvelles liaisons nécessaires a la subjectivation. Pour clore ce développement sur l’importance groupale dans le modèle Minnesota, disons de ces sujets addictés, qui ont utilisé une substance comme un mode singulier de régulation de leurs devenirs individuels, qu'ils sont en passe de trouver un nouveau mode de régulation avec les groupes. Le groupe devient l’enveloppe contenante qui les soutient 10 2005,. “Pourquoi le psychodrame à l’adolescence”, C. Chabert, in Le travail du psychanalyste en psychothérapie, alors qu’ils ne peuvent encore le faire eux-mêmes et accepte les projections agressives des imagos parentaux. Le clivage Ferenczi avait compris que les sujets en proie à des séquelles de traumatismes présentaient un clivage narcissique profond ou le moi était scindé en deux parties, « l’une s’occupant à traiter l’autre, telle une bonne mère prendrait soin de son enfant11. » Ce que Ferenczi prônait dans sa cure semble repris par le modèle Minnesota. Dans celui-ci, le sujet est constamment invité à séparer sa partie « addict » et sa bonne partie. Le programme « donne des outils et des armes » pour vaincre la partie ad dictée du sujet. Afin de lutter contre l'angoisse de la rechute, on va favoriser la construction d'un mécanisme de clivage entre le mauvais objet : la vie d'avant, et le bon objet : la vie de rétablissement. Ainsi, dans certains types de groupes thérapeutiques, les patients sont invités à se rappeler de leur «pire image» c'est-à-dire le pire moment de leur vie d’avant. L’addict doit accepter qu’il ne puisse retrouver le contrôle de sa vie que s’il désactive sa partie addict. En attendant, ces deux personnalités seront amenées à cohabiter pour un moment et l’adhésion à un programme suffisamment contenant et complet permettra au bon moi de surmonter son adversaire. Ce clivage entrainera conjointement une massivité des projections et des évocations des mauvais objets tels les cuites, les bars et les proches qui consomment. La règle d’abstinence La question de l’abstinence est primordiale et se déroule sur plusieurs registres : Celle du toxique et celle des agirs. Thème très controversé dans les sphères de l’addiction, la règle d’abstinence mérite aussi un éclaircissement. Dans le modèle Minnesota, l’abstinence du toxique n’est pas imposée, elle est valorisée. Dans les textes AA, par exemple, on peut lire que la seule condition requise pour assister aux groupes est d’avoir le désir d’arrêter de consommer. Cette possibilité qu’offre AA de venir intoxiqué en réunion montre que les AA prennent en compte la notion dynamique et évolutive de l’addiction et laisse le choix à chaque addict de déterminer son parcours. Rappelons que 11 Ferenczi, S. Sur les addictions, Paris, Payot, 2008. les AA fonctionnent sur un mode pragmatique et que n'ayant jamais vu d'alcoolique capable de reboire de façon modérée, ils en ont logiquement déduit la règle d'abstinence. Le sevrage et la non consommation de toxiques durant la cure Minnesota permettent de faire émerger les véritables caractéristiques psychopathologiques des patients qui avaient pu être modifiées ou obscurcies pendant l’usage de produits psychotropes. L’abstinence permet alors de révéler la personnalité du sujet, de poser un diagnostic et d’établir un projet thérapeutique. Sur un versant plus analytique, il semblerait que si l’addiction permet de prolonger sans fin un avatar de la symbiose avec la mère, l’abstinence et le manque font surgir une politique de la castration qui permet l’accès au monde symbolique. Cette abstinence, on l’aura repéré, n’est pas tout à fait identique à la règle d’abstinence préconisée par Freud qui suggérait d’éviter des satisfactions substitutive aux symptômes : il ne s’agit pas de se débarrasser du symptôme mais plutôt de le faire émerger et de l’attraper. Ce qui nous explique pourquoi si peu d’analyste suggère l’arrêt de l’addiction symptôme. Convenons que dans le modèle Minnesota, l’addiction n’est pas un symptôme mais une maladie que l’on doit combattre. Dans le modèle Minnesota, en dehors de la question du toxique, la règle d’abstinence s’applique de la même façon. En effet, durant les quatre semaines de cure, les patients ne peuvent ni téléphoner à l’extérieur, ni regarder la télé. Tout est fait pour que le patient « ». L’équipe doit éviter que le patient désinvestisse son travail dans le groupe par des activités extérieures. Les affects, libérés par l’absence de succédanés, peuvent ainsi être travaillé thérapeutique ment dans les groupes par les thérapeutes. Dans le modèle Minnesota, un gros travail est fait autour des affects. La justification est que l’origine de l’addiction, se trouve dans l’automédication d’un affect trop massif. Que ce soit la colère, la peur, la honte, le patient est invité à reconnaitre les affects qui les ont fait consommer originairement. Grace à la règle d’abstinence, la méthode cathartique peut jouer à plein et les affects recherchés émergeront, par exemple, lors d’un « récit de vie » ou le patient doit raconter sa vie d’addict devant le groupe. Ainsi identifiés, les affects déclencheurs peuvent ensuite être travaillés avec les thérapeutes. La règle d’abstinence continue après les quatre semaines de la cure Minnesota. Il est suggéré aux patients de ne pas engager de relations affectives ni de faire de grands changement de vie pendant la première année de rétablissement. Notons que dans ce cas l’objectif est diffèrent, et qu’il ne s’agit pas de faire émerger les affects comme pendant la cure résidentielle mais au contraire de les éviter afin d’éviter le risque de rechute. La catharsis Quand un addict s’assied dans un groupe avec d’autre addicts, il apporte avec lui ses éléments psychiques pathogènes, principalement narcissiques. Le cadre de ces groupes de parole est organisé de telle sorte que les membres du groupe se sentent suffisamment en sécurité pour parler librement. En début de réunion, un thérapeute ou un membre du groupe rappelle les traditions qui soulignent la valeur de la confidencialité, « Tout ce qui est dit ici, reste ici ». En début de réunion, on précise aussi le temps de parole ne pourra, ni être interrompue, ni être commentée par un autre membre. Ce cadre très ritualisé instaure une atmosphère aconflictuelle favorisant la libre parole. Et, peu à peu, grâce à l’influence de certains membres plus extravertis, la contagion de parler gagne tous les membres qui grâce à la méthode cathartique peuvent « se vider » de leurs affects pathogènes. Le processus thérapeutique s’exerce sur deux niveaux : la décharge des souffrances permet une toilette psychique désencombrant la psyché de la personne d’éléments toxiques. Pour Illustrer ce processus, J’ai entendu un membre utiliser la métaphore de la « dialyse » montrant bien le ressenti d’épuration qui s’opère. L’addict qui parle librement, va d’abord se débarrasser de ses conflits intérieurs, puis ensuite l’espace obtenu va desserrer la pression psychique laissant le sujet capable de lier et symboliser ses expériences. La production quotidienne de ces déchets par l’appareil psychique amène l’addict à renouveler cette opération de d’assainissement cathartique plusieurs fois par semaine. La fonction réparatrice de la Puissance supérieure Un autre concept controversé et tout autant fondamental est la question de puissance supérieure. Les souffrances psychiques telles que la peur de l’abandon, la mauvaise estime de soi, l’importance du regard de l’autre, la peur de l’échec et autres failles narcissiques fréquemment répandues chez les addicts peuvent être traitée par la figure de la puissance supérieure ou fantasmatisation d’un étayage parental idéal . Toute puissante, la PS, comme on dit dans le programme, a un rôle déterminant. Cette relation avec la PS permet avant tout de sortir de la souffrance narcissique et de relancer les investissements objectaux. La PS, que le sujet choisit « telle qu’ il l'a conçoit » et qui peut être « tout sauf soi-même »,est une fantasmatisation d' un grand « Autre » constituant un point d'appui extérieur à soi-même et permettant la première étape de cette sortie du narcissisme. Si pour Freud, comme il l’ écrit dans L'Avenir d’une illusion, cette puissance supérieure n’est que l’ héritière de la fonction maternelle puis paternelle faisant lien entre la détresse de l’ enfant et celle de l’ addict au moment du sevrage, pour le modèle Minnesota, la puissance supérieure est l’une des forces capable de s’opposer à la pulsion de mort en place dans les addictions. Les addicts en rétablissement partagent un puissant sentiment de rédemption pour avoir été arrachés de l’esclavage de la dépendance. On peut dire que cette circulation fantasmatique entre La Puissance supérieure et le sujet redonne de la puissance au sujet soudainement privé de son toxique. La reconstruction des motifs moraux Le modèle Minnesota met l’accent sur le besoin pour rester sobre d’aider un autre dépendant. Après des années d’isolation narcissique et d’agirs destructeurs sous l’emprise de la pulsion de mort , les addicts ont besoin d’être réparés et aussi de réparer. Le rencontre avec le modèle Minnesota va mettre en place les retrouvailles avec autrui. Ce besoin d’aide réciproque dans la « souffrance partagée » d’un addict aidant un autre addict va ancrer le principe de mutualité. Sans son toxique, l’addict a besoin de l’autre. De cette ouverture à l’autre addict suivra une renaissance de l’altérité. L'inclusion de la famille dans la démarche de soin Un aspect important de la prise en charge dans le modèle Minnesota est la participation de la famille de l'addict à la démarche de soin. Dans les institutions utilisant cette méthode, une place importante est donnée à l'entourage des patients car l'expérience montre que leur compréhension et leur soutien dans la démarche thérapeutique est un facteur crucial pour favoriser le rétablissement à long terme de leur proche et la qualité de vie de toute la famille. La famille et les amis proches sont alors invités à participer à des ateliers pour les aider à mieux comprendre ce qu’ est l'addiction et comment elle a affecté leur vie à travers la maladie de leur proche. Ensuite, des groupes de parole sont prévus spécifiquement pour eux afin qu'ils puissent partager leur expérience commune et avoir le soutien de ceux qui ont vécu les mêmes problèmes. Souvent, les membres de la famille sont épuisés moralement après tant d'années passées à aider une personne addictée à s'en sortir et se rendent compte qu'ils ont eux-mêmes besoin d'aide pour se reconstruire. Cette reconstruction est importante non seulement pour prévenir les rechutes de leur proche une fois qu'il rentre à la maison, mais également pour les personnes elles-mêmes : il s’agit pour celles-ci de retrouver leur propres limites et repères qui ont souvent été perdues en essayant de « sauver » l'addict des conséquences de ses actes. Sur le conseil de thérapeutes du centre, de nombreuses personnes continuent ensuite leur démarche de rétablissement en participant à de groupes d'entraide spécialement prévus pour les familles d'addicts et d'alcooliques (Al-Anon). Ainsi ils peuvent prendre du recul sur la problématique de l'addict et se concentrer sur leur propre qualité de vie, indépendamment de lui. Cela laisse de la place à l'addict pour se reconstruire et apaise toute la dynamique familiale. Conclusion Le modèle Minnesota propose une cure étayante bien adaptée au traitement des addicts. Il s’est construit sur une notion dynamique et évolutive de traitement et semble particulièrement bien convenir à la phase initiale du traitement des addictions. Il offre dans un espace-temps contenant, un programme thérapeutique qui facilite une restauration des fonctions cognitives chez l’addict qui commence son rétablissement. L'Addictologie intégrative? A partir de cette présentation du modèle Minnesota, nous pensons qu'une nouvelle étape dans le traitement des addictions pourrait émerger. Il s'agirait d'intégrer l’expérience empirique des groupes d’anciens addicts tels Alcooliques Anonymes, des connaissances et méthodes développées par les centres Minnesota à nos pratiques plus classiques de médecins, psychologues, infirmiers, psychanalystes et autres professions de santé. Car il convient d’ ajouter que le modèle, pour certains patients, peut présenter après un certain temps, des limites aux possibilités de subjectivation. Ils évoquent alors une lassitude envers le modèle, des critiques envers les groupes, qui ne suffisent plus, malgré les promesses, à diminuer les souffrances liées aux mécanismes de défenses. Cet affaiblissement de l’investissement de l’addict dans le programme est un signe que celui-ci est moins anxieux par rapport à la rechute et que sa problématique addiction est sur le point d’être résolue, non qu’ il est guéri une fois pour toute, mais que sa condition est gérable et acceptée. Le besoin du cadre Minnesota n’est alors plus primordial et devient trop contraignant pour lui. L’idéalisation et la dépendance à cet objet vacille et Il y a une intention nouvelle de continuer plus loin son travail de subjectivation. Il n’aime plus cette addict persona (dans un sens jungien) et relativise maintenant cette période de vie imprégnée par l’addiction. Que cette nuance ne retire rien à la prégnance du programme sur le traitement des addictions et en particulier le début du rétablissement. Mais cette évolution d’addict à sujet, nécessite un changement de champ thérapeutique, qui signe là aussi, l’aspect dynamique de ce traitement de l’addiction. Cette proposition de modèle d'addictologie intégrative permettrait de traiter les addictions en respectant la temporalité et les spécificités de cette pathologie unique et de rendre à chaque addict la possibilité de redevenir un sujet autonome. Nous avons observé que certains addicts rétablis depuis un certain temps, utilisent conjointement un travail élaboré de subjectivation (de type analytique ou psychothérapeutique) et le programme « 12étapes ». D'autres, choisissent de rester dans le cocon des programmes 12 étapes et ce contentent de sobriété, ce qui constitue déjà une étape positive. Philippe Cavaroz ( 2 décembre 2014 ) [email protected] et www.acaddi.fr