GT la poésie de Claude Ber : « cet inlassable soulèvement de la

publicité
GT la poésie de Claude Ber : « cet inlassable soulèvement de la langue »
L’art poétique d’un poète contemporain
N.B. : L’explication qui suit n’est pas exhaustive : elle reprend pour l’essentiel ce qui a été dit en classe
lors de l’étude du texte. Vous devez compléter cette proposition d’explication par les notes que vous
avez prises pendant le cours.
Texte 1 : « Ce qui reste », La mort n’est jamais comme
du début à « je l’appelle poème »
-
Intro :
Claude Ber est un poète contemporain.
Elle a animé notre classe PAC poésie autour du « direcrire », sur le thème de l’oralité en
poésie, avec la collaboration de Frédérique Wolf-Michaux, chanteuse et comédienne.
Elle a publié plusieurs œuvres poétiques, des pièces de théâtre, des livres d’artistes, et a
collaboré à des publications collectives. La mort n’est jamais comme , aux éditions de
l’Amandier, a reçu le prix international de poésie francophone Ivan Goll en 2004.
« Ce qui reste » est le titre de la première partie de l’œuvre, et compose à elle seule un long
poème inaugural de 8 pages en vers libres. Il s’agit d’étudier ce poème en montrant comment il
permet d’entrer dans l’écriture poétique de Claude Ber.
Plan possible (selon la question posée par l’examinateur)
-
I – un art poétique
-
II- une entrée dans La mort n’est jamais comme
(Attention, il faudra construire un plan composé selon la problématique imposée par le jury pendant votre préparation à l’oral
pour bien cerner la question posée.)
ILe premier vers, souligné par l’emploi de l’italique, vient compléter le titre du poème resté en suspens
« je l’appelle poème ». Le texte s’ouvre sur une définition, dans la tradition des arts poétiques dans
lesquels le poète cherche à définir et cerner son travail d’écriture, en pointant la spécificité du
langage poétique. L’emploi du présent de l’indicatif permet de donner une portée de vérité générale au
propos, tout en insistant sur l’énonciation du poète « je », dans le présent de l’écriture.
L’omniprésence de la première personne du singulier dans ce poème souligne l’engagement et la
singularité de l’auteur dans cet art poétique.
Tout le poème est donc construit comme une définition qui s’illustre dans l’écriture même du texte. La
notion de « la soustraction » joue sur la polysémie avec la référence aux mathématiques (que Claude
Ber affectionne) : « le reste », « soustraire ».
La phrase travaille le vers par le retour à la ligne, qui accomplit ce travail de soustraction et donne à
lire ce qui reste, découpant l’espace de la page où le blanc typographique prend sa place. La phrase en
suspension invite à un jeu sur l’enjambement et le rejet comme dans la versification traditionnelle, et
fait entendre par la rime en « que » la découpe de « ce qui reste ». L’écriture montre et fait ressentir
le retrait, le vide car « après que » et « avant que », n’ayant pas de complément, restent en suspens.
Ce qui donne sens au « ou alors il ne reste rien », tout le poème se tendant vers ce « rien » qui est le
tout du poème.
L’anaphore « ce qui reste » va s’enrichir de compléments au fil du poème : « ce qui reste de
mémoire », « ce qui reste de mots », « ce qui reste de la soustraction », « ce qui reste de la poésie »,
« ce qui reste du poème » pour aboutir à « c’est ce qui reste » (p.10), affirmation mise en valeur par
son centrage typographique et par le présentatif « c’est ».
Le dernier vers de cette première partie, matérialisée par le blanc typographique (bas de la p.10), fait
écho au premier vers, « ce qui reste » et « je l’appelle poème » ayant été dissociés : le texte est ce
qui reste.
Le paradoxe est au cœur de l’écriture et de cet art poétique que Claude Ber nous fait partager :
« tant je redoute ce qui se dit et ce qui se dit sur ». Ce vers, porté par l’adverbe intensif
hyperbolique « tant » marque la difficulté pour le poète d’expliquer son écriture mais aussi la peur de
ne pas être compris. Le pronom démonstratif « ce » a aussi une valeur indéfinie ici, car il désigne les
discours inutiles ou erronés, les explications qui font perdre la spécificité du langage poétique. Le
texte est pluristratifié est polysémique, comme un mille feuille : il ne s’agit pas d’écrire de la poésie
mais en poésie. Le poème fait sens en tous sens, le langage poétique résiste. Le lecteur est invité à se
méfier d’une approche seulement intellectuelle du texte, car le poème s’adresse à l’oreille, à la
sensibilité, à l’œil.
C’est ce qu’expriment avec force les cinq derniers vers « comme un essai de parole/qui cesse de/et
cette cessation/ce qui reste une fois que cesse la tyrannie de la parole/je l’appelle poème ».
Variations sur les rythmes et les sonorités, échos sonores et sémantiques comme si les mots
s’entrelaçaient et se motivaient les uns les autres : « essai »/ « qui cesse »/ « et cette
cessation »/ »que cesse ». Voilà en action dans l’écriture cette tentative de « réconciliation »
évoquée plus haut « comme un essai très difficile très prudent de réconciliation ». Modestie aussi du
poète : le travail de l’écriture est « très difficile », nécessite de choisir, d’être « très prudent ».
Cette difficulté est à la fois moteur et frein : « « si bien que je profère peu de paroles que je ne
rature aussitôt après jusqu’à ce qu’il n’en reste rien ou presque rien. » Cette phrase en prose (p.10)
revient (comme le vers est « versus », retour) sur le « rien » initial en insistant sur le « direcrire »
cher à Claude Ber. Le langage poétique est parole (verbe « proférer ») et écriture (verbe
« raturer »).
« Ce qui reste de mots pour dire une fois tu l’emballement des mots qui s’écoutent » : on retrouve
l’entrelacement entre le dire et l’écrire à travers la personnification des « mots qui s’écoutent »
entre eux, mais qui peuvent aussi être compris comme les mots que l’on écoute. De même, le « tu »
peut s’entendre comme le participe passé du verbe « taire », et évoquer le silence après
« l’emballement des mots », ou avec une anacoluthe (c’est-à-dire une rupture de construction
grammaticale) comme le pronom personnel « tu », alter du « je » du poète. Le signifiant démultiplie le
signifié.
Claude Ber invite le lecteur à cette lecture ouverte, qui définit ainsi autant l’écriture que la lecture
poétique : le lecteur entre en quête de sens en percevant la singularité de l’écriture poétique. Par
exemple, le goût du paradoxe souligné par les tirets: « -peut-être par défaut mais c’est le mot qui me
reste- », ou encore l’invention verbale lorsque « déshabité » n’existe que par son association avec
« déserté », ou encore le jeu sur les sonorités et la polysémie qui souligne le paradoxe :« quand écrire
est soustraire et par ce retrait saisir ».
Transition :
Le poème nous propose donc un art poétique qui est aussi une porte d’entrée dans l’œuvre La mort
n’est jamais comme, comme une ouverture qui nous livrerait des clés, sèmerait des indices comme les
cailloux du « petit poucet rêveur » rimbaldien (cf « Ma bohème »)
II-
La composition de ce poème inaugural fonctionne comme une mise en abyme de la construction de
l’ensemble de ce recueil (remarque : Claude Ber préfère à l’emploi du terme « recueil » celui
d’ « œuvre » ou de « livre », car il ne s’agit pas à proprement parler d’un regroupement de textes à
postériori, mais d’un ouvrage dans lequel les textes s’assemblent comme un tout, répondant à une
quête poétique commune).
En effet, le poème s’organise autour de son titre, qui nous intrigue puis nous accompagne et progresse
jusqu’à nous surprendre. La fin du poème éclaire son sens et le relie aux autres textes.
Ici, la variation autour de « ce qui reste » repose sur les italiques, les répétitions et les variations :
chaque vers en italiques peut se lire dans la continuité ou isolément, et l’écart fait sens, détachant par
exemple « des poèmes aussi » (p.12)et « Mais pour toi »(p.15). Dédicace à la fois suggérée et effacée,
come le sont les allusions personnelles dans cet ouvrage de Claude. L’intérêt n’est pas de dévoiler de
l’intime, mais de viser l’universel dans le partage de l’écriture. Les derniers vers du poème « ne reste
plus qu’une ligne au bout bombé du ciel/de toi à moi/cette ligne qui va sombrer » sont une ouverture
totale pour le lecteur : tous ses sens sont éveillés, et l’imaginaire du lecteur vient se nourrir de
l’écriture de Claude, qui lui permet de ne pas s’enfermer dans une seule interprétation du texte.
« De toute façon ce qui reste, je l’entends ceux qui restent » permet au lecteur d’entrer dans le
thème du titre du recueil, le poète l’invite à comprendre et à entendre (polysémie) la mort tout en se
plaçant du côté de la vie, de « ceux qui restent ».
La thématique de la mort apparaît à travers le « reste » (les restes) mais aussi par des mots qui se
font écho par les connotations : « mémoire », « tu » (cf Verlaine « l’inflexion des voix chères qui se
sont tues » dans « mon rêve familier »), « déserté et déshabité », « ma mort », « sursauts du
corps », « asphyxie », « silence ».
Le poète choisit aussi de nous livrer des clés de son univers intellectuel : références précises à la
philosophie, références plus générales à la religion et à la politique, dans lesquels le lecteur peut se
reconnaître « les systèmes avec leurs orthodoxies et leurs anathèmes », ou encore « les mystiques »,
« les dévots ». Claude Ber n’explicite pas ses références littéraires et philosophiques, mais renvoie le
lecteur à ses auteurs « Wittgenstein », Spinoza (« spinoziste »). Manière d’inviter le lecteur à
comprendre son parcours intellectuel et à s’interroger sur ses propres références. Encore une clé de
lecture : sincérité du poète, qui assume sa formation intellectuelle, s’inscrit dans une pensée
contemporaine, une vision du monde. Cette dimension autobiographique qui s’exprime par le poème
« mon histoire avec la philosophie » (annonce par exemple le « socratique taon d’Athènes de la
découpe 1 p.21) est toujours un travail de l’écriture, car l’évocation de la formule spinoziste de
« l’augmentation » et de la « diminution » renvoie par écho à la « soustraction », avatar mathématique
de « ce qui reste ».
La composition de ce poème se lit aussi avec les yeux : alternance de vers et de pavés en prose (bas
de la p.10 et page 11), qui annonce toute la structure de l’ouvrage avec les poèmes en vers allant à la
ligne et les découpes, sortes de pierres compactes alternant avec les stèles dressées des poèmes.
Enfin, ce poème inaugural doit se lire en écho avec le texte qui clôt l’œuvre, et qui constitue lui aussi
une partie à part entière, la troisième : « fragment in memoriam », long texte en prose dont le titre
est une prolongation des premières parties « ce qui reste » et « ainsi des bribes » et du titre « la
mort n’est jamais comme »
Il conviendrait de lire l’ensemble de « ce qui reste » pour montrer comment Claude Ber pratique les
procédés d’écriture que l’on retrouvera dans l’ouvrage, comme par exemple p.15 cette loggorhée qui
agglutine les mots qui revient dans « putainçapue »
Conclusion
Limiter l’explication de « Ce qui reste » à son début est un hommage indirect à Claude, qui aime lire ce
passage lors de ses lectures publiques comme invitation à entrer dans son écriture.
Elle lit aussi souvent à la suite « Ainsi des bribes », poème qui ouvre la deuxième partie du recueil et
lui donne son nom. Lire le début p.19 jusqu’au 1er blanc typographique) et /ou la fin (p.20 à partir de
l’italique), et montrer que l’on retrouve l’art poétique de Claude Ber.
En définitive, Claude Ber définit son écriture dans chacun de ses textes, comme si son travail
poétique était constant, toujours plus exigeant, pour le poète comme pour le lecteur.
Téléchargement