Économie Nationale Professeur J.C. Lambelet Semestre d’hiver 2001/2002 L’EURO vs. LE FRANC SUISSE Mario Koepfli Eric Montagne François Hora Janvier 2002 Table des matières Introduction ............................................................................................................... 2 L’Europe .................................................................................................................. 2 Histoire européenne ................................................................................................. 2 Les bénéfices et les coûts d’une monnaie unique européenne ................................ 3 Qu’est-ce qu’une aire monétaire optimale et l’Europe en est-elle une ? ................... 4 Quel est donc l’avenir de l’Euro ? ............................................................................. 5 Une vision en noir ! ................................................................................................... 6 Situation de la Suisse............................................................................................. 7 Pour un ancrage du Franc suisse à l’Euro ................................................................ 7 Certitude du prix des marchandises des entreprises importatrices et exportatrices ........ 8 suisses Freiner l’augmentation du taux de change réel du Franc suisse ..................................... 9 Contre une politique monétaire indépendante .....................................................10 Indépendance de la Banque Nationale Suisse .............................................................. 11 La BNS a peur que la Suisse perde son statut „d’îlot des taux d’intérêt“ ....................... 11 Pour une politique monétaire indépendante ............................................................12 Expériences .................................................................................................................. 13 Îlot de taux d’intérêt....................................................................................................... 13 Attractivité du marché financier suisse .......................................................................... 14 Histoire de stabilité et de succès de la Suisse avec une BNS autonome ...................... 14 Autonomie de la BNS.................................................................................................... 15 Conclusion pour une indépendance de la politique monétaire ...................................... 16 Contre un ancrage du Franc suisse à l’Euro .......................................................16 Volatilité du taux de change .......................................................................................... 16 Problèmes avec l’appréciation du Franc suisse ............................................................ 18 Spéculations dans un régime fixe ................................................................................. 18 1 Introduction Comme nous l’avons assez entendu ces derniers jours, la monnaie unique à été introduite dans les pays de l’Europe le premier janvier dernier. Trois pays membres de l’Union Européenne ont toutefois choisi de rester à part et donc de garder encore leur propre monnaie nationale pour une certaine durée ce sont l’Angleterre, le Danemark et la Suède. Dans tous les autres pays on paie donc avec l’Euro, cette nouvelle monnaie qui a tant fait parler d’elle. Nous allons analyser cette nouvelle monnaie et voir combien elle est un bénéfice pour l’Europe. Nous verrons aussi si l’Europe est une zone idéale pour une monnaie unique et quelles menaces elle peut représenter pour la stabilité future de cette nouvelle puissance mondiale. Nous discuterons ensuite la situation de la Suisse qui, en tant que place financière très importante, a aussi son rôle à jouer dans ces changements. Comment doit-elle se comporter, quels sont les dangers et les chances de la monnaie unique pour notre pays ? Qu’est-ce que l’Euro ? Un peu d’histoire européenne Déjà avant l’effondrement du système de Bretton Woods, les membres de la Communauté Européenne ont essayé de coordonner leurs politiques monétaires et de limiter les marges de fluctuation permises par ce système, avec pour but un meilleur fonctionnement des échanges dans la communauté. Ces mesures de coordination se sont même renforcées après l’effondrement de Bretton Woods. On s’est vite rendu compte que pour le bon fonctionnement d’une Europe, il serait bien de posséder une monnaie unique. On a donc décidé de mettre le cap sur une monnaie unique à la fin des années 1960 pour trois raisons Renforcer le rôle de l’Europe dans le système monétaire mondiale. Faire de la Communauté Européenne un véritable marché unifié Éviter une désorganisation politique. (éviter de futurs conflits par unification) 2 Avec la crise du dollar, qui entraîna l’effondrement du système de Bretton Woods, l’Europe a cherché une nouvelle monnaie forte pour s’y tenir. Certain pays ont alors choisi le DM et ont fixé une marge de fluctuation. Grâce à la politique monétaire allemande qui voulait éviter une hausse de prix, beaucoup de pays on vu leur taux d’inflation baisser. Il y a donc eu une diminution considérable des taux d’inflation en Europe. Mais comme pour les États-Unis lors du système de Bretton Woods, des voix se sont élevées pour accuser les allemands de profiter de leur situation au détriment d’autres. On a donc définitivement cherché à réaliser une banque centrale européenne avec une monnaie unique. Les bénéfices et les coûts d’une monnaie unique européenne Les bénéfices les plus importants sont les suivants: Une simplification des calculs économiques et une base plus sûre pour les décisions qui impliquent des transactions internationales. Une protection contre des attaques spéculatives et autres troubles d’ordre monétaires. Une réduction des coûts dus à la conversion des devises. Une réduction des pressions politiques concernant les politiques monétaires. A ces avantages on peut opposer des incovénients tels que: Perte du moyen de réagir à un choc national grâce à une politique monétaire propre au pays touché Possible perte de stabilité économique Perte de l’option inflation pour réduire la dette publique 3 Qu’est-ce qu’une aire monétaire optimale et l’Europe en est-elle une ? Une aire monétaire optimale est une zone avec des économies étroitement liées par les échanges de biens et services dans laquelle les facteurs (travail et capital) sont „totalement“ mobiles. Les échanges de biens et de services y sont très élevés. On peut donc prendre l’exemple des États-Unis comme aire monétaire optimale, car làbas tous les points mentionnés sont une réalité. Avec une telle définition on comprend aussi pourquoi l’Europe, les États-Unis et le Japon ne fixent pas leurs taux de change entre eux. Premièrement les échanges nécessaires entre ces régions ne sont pas assez importants et deuxièmement la mobilité des facteurs manque. Mais qu’en est-il en Europe ? Est-ce que l’Europe remplie les conditions ? Le commerce intra-européen est assez important, il est de 10% à 20% dépendant des pays. Mais est-ce que cela suffit ? Dans une aire optimale, l’échange devrait être au moins de 25%. Ce commerce a naturellement augmenté avec l’abolition des douanes et va certainement encore augmenter avec la récente introduction de l’Euro. Comparé aux États-Unis, on voit que l’Europe n’a toutefois pas un intra-commerce très élevé. Une preuve du faible commerce dans la zone Euro est aussi la grande différence de prix qui y règne. On se demande si la monnaie unique va faire disparaître ces différences… En ce qui concerne la mobilité du travail en Europe, les choses se présentent encore moins bien. Aux États-Unis la langue et la culture sont identiques dans tout le pays. Ceci n’est de loin pas le cas en Europe. Admettons qu’il y ait une crise économique en Espagne et que le chômage augmente. Il n’y aura alors plus de banque nationale pour déprécier la monnaie, et de ce fait relancer l’économie. Il faudra alors que les chômeurs essaient de trouver du travail dans un autre pays de l’Union. Mais sont-ils vraiment assez mobiles ? En théorie ils le sont grâce à la libre circulation des personnes, mais en vérité il existe d’autres barrières comme la langue et la culture. Il y a d’ailleurs des études qui montrent que les nord-américains ou les japonais sont deux à trois fois plus mobiles que les résidents des pays européens. 4 Et il y a encore autre chose : en cas de crise dans un pays de l’Europe, les capitaux vont très vite „fuir“ ce pays, car ce dernier n’aura pas la possibilité de retenir les capitaux très mobiles dans les frontières nationales. Les capitaux vont donc partir, alors que les travailleurs ne seront pas tous assez mobiles pour faire de même. Les travailleurs qui auront la possibilité de „fuir“ seront forcément les plus qualifiés et les plus entreprenants, ce qui encore une fois constituera une grande perte pour le pays en crise. Pour pouvoir minimiser les chocs il faut aussi une similarité des structures économiques dans la zone. Il y a cependant des différences importantes en Europe. Les pays du Nord sont plus riches en capital et en travail qualifié que les pays du Sud. La question est de savoir si la redistribution du capital à travers l’Europe pourra équilibrer ceci. Il faut aussi dire que l’Europe n’a pas de système fiscal fédéral comme les États-Unis, ce qui veut dire qu’elle ne peut redistribuer les revenus que dans un cadre restreint. Sans un tel système l’Europe ne peut pas aider suffisamment un pays en détresse. Quel est donc l’avenir de l’Euro ? Nous pouvons donc conclure que l’Europe n’est pas une aire monétaire optimale, mais tant qu’il n’y a pas d'événement extraordinaire l’Euro sera, je pense, très efficace. Les problèmes viendront si l’Europe est confrontée à un choc asymétrique, un choc asymétrique qui toucherait un pays entier. On a souvent parlé de chocs dans le texte, mais il y en a différents types envisageables. Citons deux grands chocs dans l’histoire de l’Europe, qui auraient une ampleur suffisante pour faire échouer le système de la monnaie unique : - En Mai 1968 la France a fait face à un choc lorsqu’une très grande partie du pays fut en grève. Tous les travailleurs s’étaient mobilisés pour exiger des hausses de salaire. Il n’y avait donc plus personne qui travaillait, ce qui a paralysé l’économie du pays entier. 5 - En 1990 lors de la réunification de l’Allemagne, le pays est tombé dans une grande crise. Les états de l’est voulaient tout de suite atteindre le standard de leurs compatriotes de l’ouest. Le pays a du faire face à un chômage très élevé (15% à l’est) et à une forte inflation. Alors l’Allemagne a décidé de resserrer sa politique monétaire, malgré le mécontentement des autres pays qui s’étaient «fixé » au DM. Les allemands de l’ouest voient d’ailleurs encore aujourd’hui 5% de leurs revenus partir vers l’est. Quand on parle de chocs qui pourraient bouleverser le fonctionnement de l’Europe, on parle de chocs asymétriques qui toucheraient un pays tout entier, et non seulement une région du pays ou un secteur. Car si seule une partie d’un pays était touchée, les travailleurs auraient la possibilité de se déplacer dans le pays pour chercher du travail ailleurs. De plus l’état pourrait aider financièrement la région en détresse. Des chocs touchants des pays entiers sont néanmoins peu probables. On peut dire que des scénarios tels que nous en avons mentionné ci-dessus sont rares. D’après des études menées sur l’Europe, des chocs économiques sont d’ailleurs plus probables pour des secteurs d’activité que pour des pays. Néanmoins un choc sur un secteur d’activité ne menacerait pas l’Union Européenne. Il y a toutefois des personnes plus pessimistes … Une vision en noir ! De l’autre côté de l’Atlantique surtout, il y a des économistes qui voient l’arrivée de l'Euro comme une menace pour la stabilité de l'Europe. Dans un de ces articles, Martin Feldstein, un économiste américain, prévoit le pire pour l'Europe. Il pense que des disputes sur la politique monétaire que devrait suivre la Banque Centrale Européenne (BCE) peuvent conduire à des guerres. Il donne comme exemple le cas de l'Allemagne et de la France. Effectivement, ces deux pays ne sont pas d’accord sur la politique monétaire à suivre. Les allemands, traumatisés par ce qu’ils leur est arrivé avant la deuxième guerre mondiale veulent absolument une stabilité des prix. Les Français eux préfèrent voir leurs prix augmenter en faveur d’une réduction du chômage par exemple. 6 Il dit aussi que le but recherché par les Européens, à savoir une stabilité politique par une union monétaire, est utopique. Il cite comme exemple la guerre civile aux ÉtatsUnis. Bref, cet article résume bien tous les côtés négatifs de la nouvelle zone Euro qu’on a mentionnés auparavant. Tournons-nous maintenant vers la situation de la Suisse Depuis 1973, la Suisse mène une politique monétaire de taux de change flottant. L’arrivée de l’Euro est un grand défi pour notre pays. Quelle est le régime optimal de la Banque Nationale Suisse ? Doit-elle garder une politique monétaire autonome ou seraitil plus avantageux de fixer un taux de change fixe par rapport à l’Euro ? Nous allons maintenant séparer le texte en deux parties car il représente deux avis différents Tout d’abord nous verrons l’avis de quelqu’un qui veut un ancrage du Franc à l’Euro, puis l’opinion contraire qui plaide pour l’indépendance. Nous commençons en soutenant l’ancrage du Franc suisse à l’Euro En cas de manque de confiance en l’Euro, beaucoup d’investisseurs viendraient placer leur argent en Suisse. Ceci entraînerait une forte augmentation de la demande de Francs suisses qui, sans interventions de la BNS, se caractériserait par une hausse du taux de change défavorable pour l’économie suisse. Les incertitudes face à l’évolution du taux de change de l’Euro et les conséquences fatales pour la Suisse en cas de hausse du taux du Franc suisse face à l’Euro me font penser que la meilleure mesure à prendre par la Banque Nationale Suisse est un ancrage à l’Euro. La BNS fixerait alors un taux de change. Même si la conversion de Francs suisses en Euros continuait à engendrer des coûts aux entreprises importatrices et exportatrices suisses, elles pourraient au moins connaître leurs prix précis à l’avance. La suppression de la fluctuation du taux de change grâce à un rattachement à l’Euro présente un grand nombre d’avantages : 7 Certitude du prix des marchandises des entreprises importatrices et exportatrices suisses Le premier grand avantage d’un rattachement à l’Euro serait que les entreprises suisses importatrices et exportatrices bénéficieraient d’une grande certitude quant aux prix auquel elles peuvent vendre ou acheter leurs produits à l’étranger. Elles pourraient alors mieux planifier leur production et leurs investissements, et réduire le risque de prendre de mauvaises décisions. Plus de la moitié des exportations suisses est destinée à la zone Euro et environ deux tiers de nos importations en proviennent. Cette partie prépondérante du commerce extérieur suisse bénéficieraient d’un ancrage à l’Euro. Les 3 effets négatifs à long terme de l’incertitude face au taux de change sans ancrage du Franc sont : 1. Pricing to Market Les firmes exportatrices suisses sont souvent contraintes d’indiquer le prix de leurs marchandises en monnaie étrangère. Si par exemple le Franc suisse se revalorise, l’entreprise exportatrice fera moins de profit. Ces entreprises feront des bénéfices ou des pertes inattendues en fonction de la fluctuation du Franc suisse face à l’Euro. Comme toutes les entreprises sont averses au risque, elles auront tendance à faire moins de commerce avec un taux de change fluctuant qu’avec un taux de change fixe. Ralentissement du commerce des entreprises exportatrices suisses 2. Hystérésis Ce terme se réfère aux effets à long terme des ajustements du taux de change. L’entrée sur un marché et la sortie de celui-ci entraîne de grands coûts pour une entreprise. Une firme établie sur un marché étranger ne va de ce fait pas changer ses décisions d’importer ou d’exporter à chaque fluctuation du taux de change. Même si les taux se comportent au désavantage d’une firme, elle va rester sur ce marché en espérant un changement de ces taux. Les entreprises n’arrivent cependant pas à distinguer les fluctuations des taux à court terme des ajustements à long terme. L’entrée sur un nouveau marché devient une option dont la valeur 8 augmente avec l’augmentation des fluctuations des taux. En cas de fluctuations des taux, les entreprises seront donc découragées d’entrer sur ce marché et préfèreront garder l’option d’entrer plus tard. Cela entraîne des changements à long terme sur la structure d’un marché. Entrée sur un marché retardé ou annulé 3. Création de capacités excédentaires Comme l’entrée et le départ d’un marché engendrent des coûts importants, les firmes créent des capacités dans différents pays afin de pouvoir adapter leur production à l’évolution du taux de change. Ce changement continu de lieu de production est inefficient car des réserves de capacités doivent être créés. Avec des taux de change fixe, ceci peut être évité. Changement coûteux du lieu de fabrication d’après l’évolution des taux de change Freiner l’augmentation du taux de change réel du Franc suisse Un autre avantage de l’ancrage est dû à la surévaluation réelle du Franc suisse. Le magazine « The Economist » calcule chaque année le taux de change réel du Franc suisse par rapport au Dollar en s’appuyant sur le prix d’un « Big Mac » dans les pays du monde. La Suisse s’avère toujours comme un des pays avec le plus haut taux de change réel. Comme cette analyse se base seulement sur la cherté d’un seul bien sa représentativité est douteuse. Mais en prenant un grand panier de biens et en comparant le taux de change réel face au DM nous trouvons à nouveau une surévaluation très forte du Franc suisse. De 1972 à 1995 le taux de change réel du Franc suisse a augmenté de 35%. Les biens en Suisse ont donc augmenté de plus de 35% en 23 ans. En analysant cette surévaluation plus en détail, on constate que c’est presque essentiellement le secteur des biens non échangeables (périssables, pas transportables,…), dont la productivité n’a pratiquement pas augmenté depuis trente ans, qui en est responsable. La productivité dans le secteur des biens échangeables s’est, elle par contre, accrue et a conduit à une augmentation du salaire réel dans ce secteur en Suisse. Afin de maintenir l’effectif de main d’œuvre requis, la Suisse a été 9 contrainte à augmenter également le salaire réel dans le secteur des biens non échangeables. Cette mesure a entraîné inévitablement une augmentation des prix des biens non échangeables, ce qui a été possible en raison de l’absence de concurrence internationale dans ce domaine. De ce fait, la Suisse est devenu un site très cher pour des firmes exportatrices qui doivent avoir une productivité élevée pour compenser ce désavantage. Une augmentation du taux de change nominal suisse par rapport à l’Euro augmenterait encore le taux de change réel et inciterait des firmes internationales à quitter la Suisse. Risque d’une encore plus grande surévaluation du taux de change suisse réel qui nuirait à l’attractivité de notre pays comme lieu de production pour des entreprises internationales La surévaluation massive du Franc suisse combiné aux incertitudes face à l’Euro me font conclure qu’un ancrage à l’Euro est la meilleure stratégie à suivre à court terme comme à long terme par la Banque Nationale Suisse. Une augmentation du taux de change réel, même de courte durée, aurait des conséquences fatales. Beaucoup d’entreprises internationales éviteraient ou quitteraient la Suisse en tant que lieu de production. Et si plus tard, le taux de change réel du Franc suisse baissait à nouveau, beaucoup d’entreprises ne reviendraient pas en Suisse, à cause de ce fameux effet de «hystérésis ». Contre une politique monétaire indépendante Les arguments pour une politique monétaire indépendante se font surtout entendre par la BNS et ses proches, qui essayent de sauver leur liberté d’action et leur emploi. Beaucoup de ces arguments ne tiennent pas la route : 10 Indépendance de la Banque Nationale Suisse Un des arguments contre l’ancrage au Franc suisse est la perte d’autonomie de la Banque Nationale Suisse. En premier lieu il existe une forte convergence des objectifs macro-économiques fixés par les autorités européennes et par les autorités suisses. La stabilité des prix est perçue comme le but de l’action monétaire par les deux parties. Leurs politiques monétaires sont aussi fort semblables : dans les deux cas, on veille à un développement des agrégats monétaires compatibles avec la stabilité des prix à moyen terme. La Suisse connaît une évolution conjoncturelle proche de celle qui a lieu dans la zone euro. La Suisse, qui exporte plus de la moitié de ses produits dans la zone euro et dont environ deux tiers en proviennent, a des liens très forts avec le reste de l’Europe. Comment alors, ce petit pays perdu au milieu de l’Europe peut-il mener une politique monétaire indépendante ? Ancrage ou pas, la BNS sera obligée de garantir un taux de change assez stable et dépendra beaucoup de la Banque Centrale Européenne. En fixant le taux de change entre l’Euro et le Franc suisse, le risque du taux de change serait au moins éliminé. La fort commerce de la Suisse avec les pays de la zone euro et la forte similarité entre les deux zones rendent impossible une indépendance de la BNS La BNS a peur que la Suisse perde son statut „d‘îlot des taux d’intérêt“ Il est très douteux que l’ancrage du Franc suisse à l’Euro produise un alignement des taux d’intérêts suisses à long terme avec ceux de l’Europe. Pour mieux comprendre ce problème nous allons examiner la provenance de cet écart. Nous estimons qu’il est formé de deux composantes : 1. La première composante de l’écart des taux d’intérêt est liée à la tendance à la hausse du Franc suisse en valeur réelle. Un ancrage permanent élimine le risque de changement de parité et cette composante disparaît ou se réduit. Un ancrage n’est cependant jamais absolument permanent ; le risque de change disparaît complètement que par la participation à une union monétaire. Un ancrage temporaire n’élimine pas intégralement le risque de changement de parité et ne fait donc pas disparaître cette composante. 11 2. L’explication de la deuxième composante de l’écart des taux d’intérêt est beaucoup plus compliquée. Elle repose d’une part sur l’important surplus de l’épargne helvétique. Cette plus grande offre d’argent fait baisser les taux. D’autre part, la Suisse est un lieu très attractif pour les épargnants. Le Franc suisse est prisé par les étrangers désirant répartir le risque comme monnaie refuge. La réputation de la qualité de la place financière suisse permet aussi d’expliquer partiellement le différentiel des taux d’intérêt. Le dernier point, que les Suisses évitent souvent de mentionner, est notre secret bancaire qui permet aux étrangers de ne pas déclarer l’argent investi en Suisse. Cette deuxième composante ne devrait pas être affectée par l’ancrage du Franc. La pondération de ces deux composantes de l’écart des taux d’intérêt à long terme n’est pas connue. Si l’on considère que seule la première composante pourrait être influencée par un ancrage et ceci dans une mesure probablement assez faible, on peut en conclure que l’écart des taux d’intérêt ne va pas du tout ou très faiblement se modifier. L’augmentation des taux d’intérêt en Suisse en cas d’ancrage est faible ou même inexistante Nous voyons que les arguments contre un ancrage soutenu en grande partie par la BNS sont peu convaincants. Voyons maintenant l’opinion contraire et plaidons pour une politique monétaire indépendante et contre un ancrage Qu’attendre de la politique monétaire d’un petit pays indépendant placé dans l’environnement Euro ? Il y a beaucoup d’avis à ce sujet. Après avoir fait une analyse profonde, la Banque Nationale justifie sa politique autonome par des avantages nettement plus importants et par les expériences qu’elle a fait depuis l’introduction de l’Euro. 12 Expériences Les deux premières années de fonctionnement de la zone Euro sont très encourageantes. La BNS (Banque Nationale Suisse) avait annoncé qu’elle allait interrompre de grands mouvements du Franc suisse dans la phase d’introduction de l’Euro, mais le cours est resté stable même en dehors du premier trimestre 1999. La stabilité monétaire de la Suisse au sein de la zone Euro a donc été assurée et les prévisions actuelles montrent que cette situation se maintiendra à moyen terme. Le fait que la relation de change entre le Franc et l’Euro soit plus stable que celle qui existait entre le Franc et le DM en est la manifestation la plus concrète. On peut donc dire que la cohabitation des deux monnaies s’est très bien déroulée malgré les doutes qu’on avait auparavant sur l’introduction de l’Euro. Îlot de taux d’intérêt La Suisse vit dans un environnement de taux d’intérêts nettement plus bas que celui de l’Allemagne et de ses autres voisins européens. La différence se situe selon les différentes échéances entre 1.5% et 2% environ. La récompense pour ce différentiel est la stabilité monétaire qui est garantie par la politique monétaire indépendante de la BNS. Vouloir forcer l’ajustement monétaire par un ancrage, donc une perte de l’autonomie monétaire, signifie forcer un alignement des taux d’intérêts. Un exemple d’un tel scénario a été donné au début de l’année 2000. Pendant les quatre premiers mois de cette année le taux de change entre l’Euro et le Franc suisse était presque stable. La volatilité restait dans les limites +/- 1% autour un taux de change CHF/EUR 1.60. Cette stabilité a été évaluée par les marchés comme une perte d’autonomie de la Suisse et a conduit à une réduction du différentiel des taux d’environ 80 points de base. Un accrochage qui résulterait d’une augmentation des taux d’intérêts serait fort coûteux pour notre conjoncture. A long terme, le stock de capital diminuerait à cause d’un coût (intérêts sur le capital) plus élevé. Ainsi la productivité de travail diminuerait et les revenus devraient être revus à la baisse en vue d’un alignement à une productivité diminuée. Ces deux modifications structurelles conduisent à une diminution du revenu disponible et donc à une diminution de la demande globale. L’augmentation des taux d’intérêt aurait donc un effet négatif sur le PIB. 13 De plus, cette augmentation des taux d’intérêt changerait la situation entre les débiteurs et les créanciers. Les débiteurs devraient payer plus pour leurs dettes et les créanciers en profiteraient. Cela signifierait un alourdissement rapide de la charge des dettes hypothécaires, qui est une charge importante pour les ménages suisses. En plus de cela ce serait un poids supplémentaire pour les budgets publics puisque l’état est le plus grand débiteur en Suisse. Par contre, les grands créanciers comme les caisses de pensions profiteraient de cette situation. Les différentiels des taux sont aussi un bon indicateur de l’attractivité du marché financier suisse : Attractivité du marché financier suisse L’autonomie du Franc suisse est primordiale pour un marché financier suisse compétitif. Avec la quasi-stabilité du taux de change et la perte de la volatilité du Franc, qui donnaient l’impression d’une perte de liberté de la BNS, le volume des émissions de titres en Francs suisses s’est réduit. De plus, la baisse de la volatilité du Franc entraîne une diminution de la demande de ce dernier comme monnaie de diversification. Selon la théorie des portefeuilles, un investisseur peut diversifier le risque en détenant des titres peu corrélés. Si le Franc se conduit dans des limites étroites autour de l’Euro il ne peut plus être vu comme catégorie indépendante. La diminution de la demande de Franc suisse entraîne une diminution de la liquidité sur le marché du capital en Franc suisse (volumes échangés et volume d’émissions en Francs suisses diminuent). Vu l’importance du marché financier pour la Suisse, les coûts d’un ancrage seraient relativement élevés. Histoire de stabilité et de succès de la Suisse avec une BNS autonome Normalement, l’objectif d’un ancrage est d’attacher une monnaie faible à une monnaie stable en vue de diminuer les attentes d’inflation. On cherche à gagner la crédibilité de la politique monétaire et on aimerait importer de la stabilité monétaire et économique. Dans le cas de la Suisse la problématique est inversée et les implications d’un ancrage doivent être mises en question. Pour les pays comme l’Italie, l’Espagne ou le Portugal, 14 la participation à l’union monétaire européenne signifie une inflation réduite, des taux d’intérêts plus bas (coûts de capital plus bas), une croissance économique plus élevée et un taux d’emploi plus élevé. Puisque la Suisse a battu les états faisant partie de l’UE au niveau des indicateurs macro-économique dans les décennies passées (inflation, taux d’emploi, finances de l’état, endettement et déficit budgétaire), elle par conséquent plutôt de l’instabilité. Autonomie de la BNS Il est vrai qu’une grande similitude peut être observée au niveau des évolutions conjoncturelles entre la Suisse et la zone Euro. Des études scientifiques soutiennent ce fait. De plus, la BCE (Banque Centrale Européenne) donne à sa politique monétaire les mêmes objectives que la BNS. Etant donné ces similarités, il n’est pas étonnant que la BNS se donne souvent une orientation similaire à celle de la BCE, mais cela ne veut pas dire que la BNS copie les décisions prises par la BCE. Si on examine la politique monétaire suisse des dernières années, on peut constater que la BNS a mis à profit sa marge de manœuvre exécutée de manière autonome. Ainsi, entre l’été 1992 et l’été 1993, la BNS a assoupli sa politique monétaire plus rapidement que la banque centrale allemande. C’est pour cette raison que les taux d’intérêts sur le marché monétaire ont baissés plus vite en Suisse qu’en Allemagne. La BNS poursuit une politique monétaire plutôt expansionniste qui tient compte de l’évolution de la conjoncture en Suisse. Elle prend ainsi en considération les difficultés économiques spécifiques que la Suisse affronte depuis plusieurs années, difficultés qui se manifestent sous la forme de mutations structurelles plus douloureuses que dans les autres pays européens. Il est improbable que la Suisse se rapproche à moyen terme excessivement des conditions économiques de la zone Euro, elle ferait donc bien de ne pas sacrifier son autonomie. 15 Conclusion pour une indépendance de la politique monétaire La BNS, en menant une politique monétaire autonome, sert le plus efficacement les intérêts généraux du pays. Si elle maintient sa propre politique monétaire, elle est également en mesure de tenir compte des besoins particuliers de la population et de l’économie suisse. Mais la BNS ne peut conduire une politique monétaire autonome et efficace que si elle laisse fluctuer librement le cours du Franc. Il est alors possible que le Franc suisse se revalorise dans des proportions indésirables et qu’il cause des dommages à l’économie suisse, mais la BNS n’est pas désarmée face à ce genre d’évolution. Avec une stratégie autonome, la BNS garde sa bonne réputation qu’elle a acquis pendant des années en vue de pouvoir garantir une stabilité monétaire. Si elle axe sa politique monétaire sur la stabilisation des cours de change, elle doit veiller à ne pas relâcher trop fortement les rênes monétaires pour ne pas créer un nouveau potentiel inflationniste. Contre un ancrage du Franc suisse à l’Euro Cette partie attaque les deux avantages principaux mentionnés par les partisans de l’ancrage du Franc à l’Euro et démontre ainsi qu’une politique monétaire indépendante telle qu’elle est aujourd’hui est la meilleure solution. L’argument disant que l’élimination du risque de change et l’arrêt de la pression historique sur le Franc suisse pèseraient plus fort que les inconvénients de l’ancrage ne peut pas être soutenu tel quel ! Volatilité du taux de change Un premier argument souvent utilisé pour un ancrage du Franc suisse est la volatilité des taux de changes qui diminuent les échanges internationaux et donc réduit les avantages économiques d’une séparation internationale du travail. Mais la question est : « combien les fluctuations des taux de changes réduisent-ils vraiment les échanges internationaux ? » Des recherches empiriques montrent que la volatilité des taux de change n’a qu’un effet mineur sur les échanges internationaux pour la Suisse. 16 D’une part les exportateurs peuvent relativement simplement se protéger contre les risques de change sur le marché financier. D’autre part, si on regarde la chose avec une vision à long terme, on pourrait même dire que les pertes et les gains de change s’égalisent à la longe. Donc l’élimination du risque de change n’est pas un argument très fiable. En plus on doit constater que le risque de change n’est qu’un des divers facteurs de risque que les entreprises internationales doivent prendre en compte et qu’il est donc, dans ce contexte relativement petit comparé aux autres. Si on compare la situation actuelle avec la situation avant l’Euro on voit que le risque de change a déjà diminué par définition avec l’introduction de l’Euro, car les monnaies les plus volatiles de l’Europe ont disparu. Si la zone Euro se révèle être, sur la durée, la zone de stabilité monétaire visée par le Traité de Maastricht, la Suisse vivra dans un environnement monétaire de qualité supérieure. En plus, les pays européens ne sont plus capables de chercher un avantage compétitif temporel en dépréciant leur monnaie. Un autre argument pour l’ancrage serait les différents effets indirects de la volatilité des taux de changes sur notre économie. Dans cette argumentation on souligne l’effet hystérésis, qui aurait un effet négatif sur la structure des marchés. En gros, l’effet hystérésis signifie que les entreprises ne réagissent pas aux petites fluctuations de taux aux niveaux des décisions d’entrée ou de sortie de marché car les coûts de la réalisation d’une telle décision sont élevés. Ainsi les entreprises ayant quitté les marchés étrangers à cause d’un taux de change défavorable n’essayeraient plus d’entrer à nouveau et cela même si le niveau de change était de nouveau favorable. De même, les investissements directs qui ont été retiré de la Suisse ne seront plus réinvestis même si le Franc suisse était de nouveau évalué correctement. Cette argumentation qui veut que la volatilité des taux de change dérange inutilement nos chances d’exportations et les investissements directs en Suisse est pourtant peu convaincant : si les entreprises ne réagissent pas aux petites fluctuations, cela veut aussi dire que nos entreprises vont rester dans les marchés étrangers et que les investissements directs restent dans la Suisse si la situation et temporairement défavorable ! L’effet hystérésis ne peut donc être utilisé comme argumentation valable en faveur d’un ancrage. 17 Problèmes avec l’appréciation du Franc suisse Ici il faut différencier fluctuations et tendances. Jusqu’ici la modeste tendance d’appréciation sur le Franc suisse et la pression compétitive qui en résultait pour la Suisse n’a pas dérangé la Suisse. Une augmentation de la productivité a été stimulée. Par contre, les poussées qui se répétaient avaient des influences très négatives. La forte appréciation du Franc pendant les années 92 et 95 a visiblement ralenti la conjoncture Suisse. Mais un ancrage du Franc peut-il vraiment interrompre la pression historique sur le taux de change réel ? On aimerait ici parler des causes des tendances d’appréciation d’une monnaie qui a été étudié par Balassa (1964) et Samuelson (1964) mais sans entrer trop dans les détails car il s’agit seulement de vous donner plusieurs idées sur la même matière. En gros, cette théorie montre qu’à long terme, une monnaie s’apprécie en termes réels vis à vis d’autre monnaie si la différence entre la croissance de la productivité du secteur d’exportation (biens échangeables) et la croissance de la productivité du secteur intérieur (bien non échangeables) est plus grande à l’intérieur de ce pays qu’à l’étranger. Une tendance d’appréciation qui reflète une différence dans l’évolution des productivités représente un équilibre économique. Le secteur d’exportations faisait partie des secteurs économiques forts de la Suisse pendant les 25 dernières années et ne faisait pas l’objet d’une contraction. Ça nous montre que l’évolution de la tendance représente les différentiels de productivité et non pas une surévaluation. En utilisant cette théorie, la politique monétaire et le système des taux de change n’ont pas d’influence sur le taux de change réel. On ne peut donc rompre la tendance d’appréciation du franc par la fixation des taux de changes nominaux si l’appréciation a des causes réelles. Spéculations dans un régime fixe Un rattachement unilatéral du Franc à l’Euro par la déclaration d’une parité ne serait pas perçu par les marchés comme une solution définitive. Puisque la Suisse ne fait pas partie de l’Union Européenne, l’accrochage unilatéral du Franc suisse risque d’apparaître comme une décision qui pouvait plus tard faire l’objet d’une révision ou ajustement de la parité. Au lieu de calmer la situation une fixation des taux de change 18 pouvait provoquer de nouvelles spéculations sur une réévaluation du Franc suisse si l’ancrage n’est pas crédible et ne semble peu durable. Les adhérents à une fixation unilatérale des taux de change ne voient pas de problèmes avec cela. Ils disent que puisqu’il s’agit (à présent) d’une tendance d’appréciation du Franc, la Banque Nationale peut soutenir le taux de change fixe en émettant des Francs suisses contre des devises étrangères d’une manière théoriquement illimitée. Une telle argumentation peut solutionner le problème des taux de change nominaux, mais si une politique monétaire expansive persiste trop longtemps, la Suisse se trouvera sous une forte pression d’inflation. De plus, le but traditionnel de la politique de la BNS était jusqu’ici la stabilité des prix plutôt que le maintient d’un niveau de taux de change nominal. Petite conclusion On peut dire qu’il n’y a pas une seule bonne solution pour la Suisse. Notre Banque National devra s’adapter, mais il faut qu’elle profite de sa liberté d’action, sinon ça ne donne aucun sens de rester en dehors de la zone Euro. 19 Sources et Bibliographie : Ballensperger E., Fischer A. und Jordan T. « Soll die Schweizerische Nationalbank den Franken an den Euro binden ? » Aussenwirtschaft, Heft I 1999, Zürich : Rüegger Brunetti A. & Hefeker C. « Soll der Schweizer Franken an den Euro gebunden werden?» Aussenwirtschaft, Heft IV1998, Zürich : Rüegger Feldstein M., « EMU and International Conflict » Gehrig B., « Schweizerische Geldpolitik im Europäischen Umfeld » Schweiz. Zeitschrift für Volkswirtschaft und Statistik Vol.133 1997, « Inselwährung Franken – Optionen für die SNB » WWZ News Nr. 25 Februar 1999, exposé disponibles sur le site Internet de la BNS : « Moving among currency giants - a Swiss perspective » 16. January 2001 Krugmann P., « International Economics » New York 1994 Rich G., exposés disponibles sur le site Internet de la BNS : « La politique monétaire suisse au milieu de la zone Euro, une indépendance illusoire ? » 19 Mai 1999, « Globalisierung und Euro : Die künftige Rolle der Schweizerischen Nationalbank » 2. Internationales Banking Forum 2000 Zürich, « Schweizerische Geldpolitik : Autonomie oder Anpassung an Europa ? 3. April 2000, « Unabhängige Geldpolitik inmitten der Eurozone 29. November 2001 Roth J.P., exposés disponibles sur le site Internet de la BNS : « Franc suisse : monnaie européenne » 20 novembre 1998, « Le Franc suisse au cœur de l’Euroland » 20 avril 1999, « La politique de la BNS dans le nouvel environnement monétaire international » 11 avril 2000, « L’Euro : un défi pour l’économie suisse » 17 septembre 2001 UBS Group Economic Research Studies, « Die Zukunft des Schweizer Frankens » octobre 2000 Sites Internet : www.snb.ch (Banque Nationale Suisse) www.dff.admin.ch 20