Pierre Bourdieu selon Pierre Carles La sociologie est un sport

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Pierre Bourdieu selon Pierre Carles La sociologie est un sport de combat
A 70 ans, le sociologue Pierre Bourdieu continue de livrer combat avec la pensée
dominante. Une " prise de tête " filmée avec dévotion par Pierre Carles.
Au cinéma, le genre documentaire est devenu une denrée rare. Au fil du temps, il s'est
transformé en produit télé dont certaines chaînes sont d'ailleurs aujourd'hui très friandes.
Pourtant, si vous souhaitez vraiment savoir en quoi la sociologie est un sport de combat,
inutile d'attendre une éventuelle diffusion à la télévision.
Le nouveau film de Pierre Carles n'y passera sans doute jamais. Et pour cause !
Depuis le missile que Pierre Carles a osé lancer sur les pratiques journalistes de la
télévision dans son précédent documentaire, « Pas vu, pas pris », ce « vilain petit canard
» du petit écran en est définitivement banni. Ce qui n'empêche pas « La sociologie est un
sport de combat » de provoquer un engouement peu commun auprès du public. La parole
confisquée trouve souvent un écho particulier dès qu'elle s'échappe.
Cette parole, c'est celle de Pierre Bourdieu, un sociologue français, célèbre pour ses
études sur l'éducation et de la culture. Un chercheur et un penseur à qui Pierre Carles
voue une admiration indéniable, au point de lui consacrer deux heures et demi et de
transformer sa caméra dénonciatrice en porte-voix bienveillant.
Refus du néo-libéralisme
Dangereux virage que Pierre Carles négocie sans se faire trop de frayeur, misant
finalement davantage sur le personnage et en ne dévoilant que quelques aspects
vulgarisés de ses idées. Ainsi, à l'issue du film, le profane en saura un peu plus des
thèses de Pierre Bourdieu. L'essentiel en tout cas : le refus du néo-libéralisme comme
unique modèle de pensée.
Lors du premier round, on découvre le " militant ", acquis à la cause d'un José Bové,
réquisitionné comme figure emblématique.
Deuxième round : Pierre Boudieu au bureau, dans son quotidien de travail, où l'on
surprend avec malice les conflits amusés avec sa secrétaire ou ses aveux
d'incompréhension devant les textes de Godard. Balayer les idées reçues Les rounds
s'enchaînent : conférences, débats, réunions. Bourdieu par-ci, Bourdieu par-là, Bourdieu
partout, seul sur le ring.
Et on s'aperçoit rapidement que le combat n'aura pas lieu, faute de combattants. Pourtant,
peu à peu, s'installe un dispositif qui nous donne à penser, à réfléchir, à refuser
d'extrapoler et à balayer idées reçues et messages dominants. Le travail du sociologue se
laisse approcher : « L'outil, c'est la technique statistique. il s'agit ensuite de comprendre
les constantes. »
Il n'est pas meilleure pédagogie que celle qui s'appuie sur des exemples concrets.
Pourquoi les filles sont-elles meilleures que les garçons à l'école ? Bourdieu fournit une
réponse. La caméra l'écoute, presque religieusement, exposer sa thèse de l'économie du
bonheur : le néo-libéralisme se base sur la dissociation du social et de l'économie.
Or le social, c'est de l'économie, ça a un coût. La misère se paye.
Par un montage habile, Pierre Carles parvient à enraciner le message, au prix parfois de
contorsions scénaristiques sur les limites humaines de son idole.
L'exigence de rendre compte le plus précisément possible de la complexité du monde
rend parfois le sociologue muet : « Il faut parfois accepter que la réflexion n'aboutisse pas
forcément à une solution ».
Leçon d'humilité.
Entre complicité et complaisance, Pierre Carles brosse un portrait sans doute trop
unilatéral et qui aurait tendance à présenter Bourdieu comme l'unique représentant
légitime de la sociologie.
Pourtant, la sincérité du personnage valait sûrement la mise en oeuvre de ce
documentaire préventif, pas forcément toujours passionnant, mais diablement instructif.
Gilles DURAND
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