Les déficits jumeaux aux Etats-Unis

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Conférence d’économie de M. Stevant
Semestre de printemps 2003
Elisabeth Rosa
Les déficits jumeaux aux Etats-Unis
Déficits jumeaux (ou twin deficits) : déficit à la fois du budget et de la balance des
paiements. La théorie dite des « déficits jumeaux » pose que le déficit interne entraîne
l’existence d’un déficit externe. Ce phénomène est apparu aux Etats-Unis dans les années
1980, sous la présidence de Reagan et réapparaît depuis les années 2000, en inquiétant les
économistes et les marchés.
La théorie dite des « déficits jumeaux ».
Cette théorie part de la relation suivante : (S-I) = (G-T) + (X-M),
où S= l’épargne totale, I = l’investissement, G = les dépenses publiques, T = les impôts (soit
les recettes de l’Etat), X= les exportations et M= les importations. En clair : l’épargne qui
n’aurait pas été investie en équipements est égale à la somme du solde budgétaire et du solde
du commerce extérieur. Ainsi, l’épargne mobilisée par le déficit public réduit-elle d’autant
l’épargne disponible pour l’équipement privé (effet d’éviction interne). De plus cette identité
éclaire une relation d’interdépendance majeure entre les économies contemporaines : quand
un pays a une balance commerciale excédentaire, cela signifie qu’il prête son épargne au pays
ayant importé ses produits et dont la balance commerciale est déficitaire (effet d’éviction
externe). D’où la théorie dite des déficits jumeaux : le déficit budgétaire entraîne (mais cela
n’est pas toujours vérifié) un déficit externe. Ainsi de l’économie US dans les 1980’s, qui a
compensé l’insuffisance de son épargne interne par un apport d’épargne externe. Elle a donc
partiellement troqué l’effet d’éviction interne entraîné par sa politique économique de déficit
budgétaire, contre un effet d’éviction externe supporté par les autres économies et l’on peut
dire qu’il n’y aurait jamais eu de déficit commercial américain sans excédent commercial
allemand et japonais pendant les 1980’s.
Les « twin deficits » américains dans les années 1980
La politique économique de Reagan marque une véritable rupture avec la période précédente.
En 1981, Reagan lance l’Economic Recovery Act : il s’agit, sous l’influence des « supply
siders » (partisans de l’offre, dont fait partie Arthur Laffer), de diminuer la place de l’Etat
dans l’économie. Les « supply siders » prévoient effet qu’une baisse des impôts provoquera
une incitation pour les entreprises et les entrepreneurs à plus travailler et créera donc une
augmentation des recettes fiscales. Ainsi, par l’Economic Recovery Act, les impôts sur le
revenu et les taxes sur les entreprises diminuent-ils de 23% entre 1981 et 1983. Il est
également prévu que les dépenses gouvernementales doivent baisser, notamment par
l’élimination du gaspillage. Ce programme est censé conduire à une économie plus efficace,
dont le taux de croissance à long terme serait plus rapide.
Cependant, du fait d’une absence de baisse réelle des dépenses gouvernementales (le Congrès
n’a pas baissé les dépenses dans une proportion suffisante pour compenser la baisse des
impôts, l’incitation des entreprises à travailler plus de façon à ce que les baisses d’impôts
s’autofinancent n’a pas été effective, et les dépenses militaires ont augmenté de manière
exponentielle suite au retour de la guerre froide), le déficit budgétaire américain s’est accru.
De plus, depuis 1979, la politique de la Fed, menée par Paul Volcker, vise à combattre
l’inflation et donc consiste en une contraction monétaire. Cette contraction monétaire entraîne
une hausse des taux d’intérêts et une appréciation du dollar, ce qui ne favorise pas les
exportations américaines et crée un déficit de la balance commerciale, aggravé par le déficit
interne. Au milieu des 1980’s, les USA connaissent donc un double déficit interne et externe.
Le déficit budgétaire exprimé en pourcentage du PIB est donc le suivant :
1980 : 1,8% ; 1981 : 2% ; 1982 : 3,5% ; 1983 : 5,6% ; 1984 ; 4,5%, tandis que le déficit
externe atteint 2,7% du PIB en 1984. L’Administration Clinton engage, à partir de 1993,
une réduction du déficit public en arrêtant les baisses d’impôts et en contrôlant les dépenses.
Le retour des déficits jumeaux sous l’Administration Bush Junior.
Actuellement, le problème des déficits jumeaux se pose à nouveau car aux déficits courants
accumulés par les USA pendant les 1990’s, s’ajoute un important déficit budgétaire depuis le
début de l’administration Bush.
Le déficit des paiements courants ne cesse en effet de s’élever depuis 2001. Il est passé de
420Mds $ en 2001 à 460Mds $ en 2002, il est actuellement de 5% du PIB et il pourrait
atteindre les 6% du PIB en 2006. Le déficit budgétaire, lui approche 4% du PIB.
Cette situation est aggravée par la hausse des dépenses militaires pour la guerre en Irak (le
budget militaire américain est, pour 2003, de 400Mds $, c’est-à-dire l’équivalent de celui,
cumulé, de l’ensemble des autres Etats de la planète) , ainsi que par la baisse des impôts. Le
président Bush a en effet décidé début 2003, toujours selon une logique de « supply sider »,
de baisser les impôts en éliminant l’imposition des dividendes perçus par les particuliers, en
baissant les taux des tranches imposables et en supprimant en grande partie l’impôt sur les
successions. Ce plan, dit de « croissance et d’emploi » prévoit 670 milliards $ d’allègement
d’impôts d’ici 2013.
Cette situation d’augmentation des déficits (financés par le reste du monde) a été rendue
possible grâce à la position particulièrement favorable dont jouissent les Américains. Le
dollar, en effet, rend possible la hausse quasi infinie des déficits et permet de financer ces
déficits, puisque les USA ont le privilège exclusif d’emprunter dans leur propre devise et la
possibilité de dévaluer leur dette.
Les inquiétudes face aux déficits jumeaux actuels.
Ce retour des « twin deficits » pose plusieurs problèmes.
Sur le plan interne, d’abord. En laissant filer les déficits, l’administration Bush prive le
Congrès de toute marge de manœuvre pour déterminer les dépenses de l’Etat des prochaines
années. De plus le poids de la dette risque de devenir insupportable pour la société US à partir
de 2010, quand la génération du « baby boom » partira en retraite.
Sur le plan externe, ensuite. Se pose d’abord un problème structurel, puisque la croissance
US repose sur des déficits et possède de ce fait une base très artificielle. Le deuxième
problème est celui de la soutenabilité de la dette et il est dû à la dégradation de la position
monétaire internationale des USA. La dette externe des USA augmente en effet de 2Mds de $
par jour depuis quelques années, ce qui signifie qu’ils ont un énorme besoin de financement
de leur déficit chaque jour. Le poids de la dette atteint 20% du PIB en 2001 et pourrait
représenter 40% du PIB en 2007d’après le FMI. Selon Christian de Boissieu, les marchés ont
commencé à s’inquiéter de la non-soutenabilité des déficits jumeaux US au printemps 2002
et, « au-delà d’un certain niveau, l’appréhension concernant les déséquilibres l’emporte sur
l’optimisme quant aux performances de l’économie. ». Ainsi le apports de capitaux au titre
des investissements directs et des achats d’actions (motivés par la florissante « nouvelle
économie ») se sont presque taris pour les 1ers et ont fortement diminué pour les seconds.
A tous ces problèmes s’ajoute l’appréciation de l’Euro ces derniers mois et sa tendance à
s’imposer de plus en plus comme monnaie d’échange pour les transactions internationales, ce
qui rend plus difficile l’émission de $ pour financer le déficit courant US.
Cette politique s’accompagne du maintien du $ à un bas niveau afin de faciliter la reprise de
l’activité et le financement budgétaires. Mais, étant donné la relative mauvaise santé de la
demande internationale, le risque est plutôt (et c’est ce que craignent les pays de l’UE) que les
Etats-Unis exportent une tendance déflationniste, via la baisse du dollar.
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