Eléments sur le Lieutenant Kijé de Prokofiev

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Eléments sur la suite symphonique pour orchestre op.60 ; Lieutenant Kijé de Prokofiev
Le Lieutenant Kijé a été écrit en 1933 pour la bande son d’un film de propagande qui dénigrait un empereur Russe, Paul
1er , ce film qui eut un grand succès en 1934.
Prokofiev en a tiré une suite pour orchestre en deux versions possibles (avec ou sans chanteurs).
La musique de film est un genre dans lequel Prokofiev est très à l’aise, qu’il défend. « Qu’il ne faille pas, dit-il, lorsqu’on
est compositeur faire la fine bouche devant musique de film ou considérer celle-ci comme un gagne pain »
Pièce qui se divise en 5 tableaux, ayant pour titre :
- Naissance de Kijé
- Romance
- Noces de Kijé
- Troïka
- Enterrement de Kijé
Après avoir longtemps mené une vie brillante et cosmopolite, Prokofiev éprouve le désir, au début des années trente,
de retrouver sa terre natale. La Russie, cependant, est devenue l'URSS, et une fois le compositeur rentré définitivement,
en 1938, on ne l'autorisera plus jamais, pendant les quinze ans qui lui resteront à vivre, à quitter le pays. Prokofiev
imagine-t-il, en 1934, qu'on puisse lui réserver un pareil traitement ?
Car dès cette époque, pour le séduire, les commandes officielles abondent ; elles concernent, pour la plupart, des
musiques de scène et de film. Parmi celles-ci, la musique d'un film de Feinzimmer intitulé Lieutenant Kijé, inspiré de
Youri Tinianov.
Le compositeur y voit «l'occasion de (s)'essayer à un sujet soviétique et de mettre à l'épreuve le public soviétique». Il
précise : «Je m'intéresse à un sujet qui défendrait les éléments positifs, les aspects héroïques de la construction
socialiste, le nouvel homme, la lutte pour triompher des obstacles.»
L’Argument (narration) s’appuie sur une nouvelle écrite par l'écrivain soviétique Iouri Tynianov :
La Russie sous le règne de Paul Ier (1796-1801).
Une erreur de transcription dans un document militaire fait apparaître le nom d'un lieutenant qui n'existe pas (la
traduction parfois adoptée, Lieutenant Néant, permet de comprendre la nature de cette méprise). Mais nul n'ose
l'avouer au tsar. Il s'ensuit un personnage fantôme, qui sert de prête-nom en diverses circonstances. Le jour où le tsar
voudra faire la connaissance de cet officier exemplaire, on lui annoncera sa mort, et assistant à l'enterrement d'un
cercueil vide, le tsar dira : “Mes meilleurs hommes s'en vont” !»
Créé par une faute d'orthographe dans un document officiel, le lieutenant Kijé est exilé, gracié, marié, promu général et
enterré en grande pompe, sans que personne l'ait jamais vu. Pas même sa femme.
Symbole de l’abstraction tragique du pouvoir absolu.
L'action, située au XVIIIe siècle mais tout à fait adaptée au XXe, est pourtant d'une ironie mordante, et on peut se
demander quelle est la part de la candeur et celle de l'ironie dans le comportement de Prokofiev en 1934, et plus encore
dans sa décision, en 1938, de se plier aux oukases esthétiques soviétiques dont il sera plus tard lui aussi la victime.
Nostalgie irrémissible de la géographie ou aveuglement devant l'histoire ?
Prokofiev, conscient de la valeur de cette musique conçut une suite symphonique (Une autre version de la suite fait
intervenir aussi un baryton.) La Naissance de Kijé, qui se déroule dans une ambiance de caserne et cite le thème
mélancolique du lieutenant fantôme, précède une Romance qui reprend la chanson russe «La Colombe grise gémit»
orchestrée de manière burlesque. Le Mariage de Kijé est une page de fausse majesté qui alterne avec un thème joyeux
confié au cornet à piston. La Troïka qui suit est une chanson de hussard accompagnée par des grelots de traîneau
(piano, harpe, cloches). Pour l'Enterrement de Kijé, retour à la musique militaire du début, mais sur le mode tragicomique ; tous les thèmes précédents passent en revue, rapidement, l'existence de l'officier factice.
Cette musique à la fois nostalgique et gouailleuse, toute soviétique qu'elle fût par son origine, fera son chemin aux
États-Unis : dès 1937, l'Orchestre Symphonique de Boston l'interprétera sous la direction de Serge Koussevitzky
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