insuffisance cardiaque

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insuffisance cardiaque
par Didier Fassin
L'insuffisance cardiaque est l'incapacité du coeur à assurer la circulation du sang et
l'oxygénation des tissus. Il est important de savoir la reconnaître dès les premiers
symptômes et de la traiter avant la défaillance complète du coeur. De plus,certaines
maladies comme l'hypertension artérielle ou le rhumatisme articulaire aigu entraînent
des maladies cardiaques et peuvent être prévenues par des moyens simples qu'il
faut connaître.
Les mécanismes de l'insuffisance cardiaque
Le coeur est un muscle (myocarde), contenu dans un sac (péricarde) et qui comporte
quatre valves (endocarde). Il reçoit le sang veineux en provenance des viscères et
du cerveau au niveau des cavités droites. Le ventricule droit éjecte ce sang
veineux, par l'artère pulmonaire, dans les poumons où se fait l'échange du gaz
carbonique (qui est soufflé à l'expiration) contre de l'oxygène (qui provient de l'air
inspiré). Le sang ainsi oxygéné va dans les cavités gauches ; il est éjecté par le
ventricule gauche dans l'aorte et les artères périphériques, pour alimenter les
membres, les viscères, le cerveau (cf. schéma n° 1).
Lorsque le muscle cardiaque devient défaillant, le retentissement se fait d'abord en
amont:

ainsi, quand le ventricule gauche n'éjecte plus suffisamment de sang, il se
produit un engorgement dans les poumons, qui se traduit d'abord par un
essoufflement (dyspnée), puis par un passage d'eau dans les alvéoles (oedème
pulmonaire) ;

de même, quand le ventricule droit à son tour ne fonctionne plus correctement, le
sang veineux stagne dans les tissus, d'où un gros foie douloureux et des
oedèmes des jambes.
Un coeur insuffisant ne parvient plus à éliminer l'eau et le sel: la diurèse baisse et il
y a une surcharge hydrosodée.
Ce n'est que quand le débit de sang éjecté par le ventricule gauche est très diminué
que la tension artérielle commence à baisser, avec même apparition de signes de
choc, lorsque les tissus ne reçoivent plus de sang oxygéné (cf. schéma n° 2).
Les principales causes de maladies cardiaques
Chez le nourrisson et le petit enfant, ce sont avant tout les malformations cardiaques
(cardiopathies congénitales, avec le plus souvent un passage anormal de sang entre
les cavités droites et gauches); le seul traitement est chirurgical lorsque la tolérance
est mauvaise malgré la Digitaline mais il s'agit de techniques complexes qui ne
peuvent être pratiquées que dans quelques centres de chirurgie cardiaque africains.
Chez l'adolescent et l'adulte jeune, le rhumatisme articulaire aigu est la première
cause. A la suite d'une angine à streptocoques, méconnue ou négligée, se produit
une atteinte d'abord articulaire (douleurs et signes inflammatoires), puis cardiaque
(donnant des maladies des valves cardiaques, presque toujours valves aortique ou
mitrale). Ces valves, devenue rétrécies ou au contraire fuyantes, provoquent à la
longue une inefficacité du coeur. Les cardiopathies rhumatismales sont plus
fréquentes en Afrique du Nord qu'en Afrique Noire et dans les villes que dans les
zones rurales.
Plus rarement, à cet âge, on trouve des cardiopathies tropicales (fibrose
endomyocardique, endocardite fibroplastique, maladie du sommeil, paludisme, etc.).
Chez la femme, la grossesse vient souvent aggraver et décompensé une maladie
cardiaque jusque-là inconnue ou peu gênante. Il faut donc expliquer à une jeune
femme porteuse d'une cardiopathie que la grossesse peut être dangereuse pour elle
et pour l'enfant à venir.
Un tableau particulier est la myocardite du post-partum: quelques semaines après
l'accouchement (chez des femmes ayant déjà eu plusieurs grossesses, survient une
insuffisance cardiaque dont la cause est ignorée; des embolies (caillots de sang
dans les vaisseaux des poumons ou des viscères) surviennent; la guérison se fait
souvent sans séquelles, mais après chaque accouchement, il y a risque de récidive.
Chez l'adulte d'âge mûr et le vieillard, c'est l'hypertension artérielle qui est le plus
souvent en cause.
Elle s'associe parfois à une maladie coronarienne
(rétrécissement des artères qui nourrissent le coeur), qui est beaucoup plus rare
qu'en Europe.
Enfin, à tous les âges, on rencontre des myocardites anémiques: l'anémie
profonde (par manque de fer, hémorragie, drépanocytose, etc.) entraîne une
mauvaise oxygénation du myocarde et une insuffisance cardiaque. Nous
n'étudierons ici que l'insuffisance cardiaque de l'adulte.
Les premiers signes
Quelle que soit la cause, il existe certains symptômes qui doivent faire évoquer une
insuffisance cardiaque débutante:
1.
Surtout l'essoufflement (dyspnée): c'est habituellement le premier signe;
d'abord uniquement dans les efforts importants (course, marche), il devient ensuite
permanent (même au repos); ce qui est caractéristique alors est le soulagement
relatif en position assise (le malade suffoque lorsqu'il est allongé).
2.
Dans les cas plus graves, il existe des poussées réalisant des crises
d'étouffement: ou bien, crise d'asthme, ou bien oedème du poumon, avec une
angoisse, une toux, des crachats mousseux et intarissables; il faut traiter d'urgence
avec des diurétiques. La radio, lorsqu'elle est possible, montre un gros coeur avec
des images floconneuses des deux poumons.
3.
Dans certains cas, c'est un gros foie douloureux soit à l'effort (point de côté
droit), soit en permanence, qui attire l'attention. Il s'associe à une dilatation des
veines du cou. Il existe également des oedèmes des membres inférieurs: gonflement
des pieds, des chevilles et des jambes qui prennent le godet (lorsqu'on appuie avec
le doigt, l'empreinte reste marquée par un creux pendant plusieurs secondes).
Quel que soit le tableau, un signe doit être recherché; la tachycardie ou accélération
de la fréquence du coeur (le pouls est fréquemment entre 100 et 150 par minute).
Habituellement un coeur insuffisant ne donne pas de douleurs. Les sujets jeunes
qui se plaignent de douleurs comme des pointes dans la poitrine, mais qui n'ont pas
d'essoufflement, peuvent le plus souvent être rassurés après avoir été examinés
attentivement; ces symptômes très fréquents sont liés à une anxiété ou à une
contrariété; ils cèdent sous de petites doses de tranquillisants.
Par contre, chez l'insuffisant cardiaque vrai (essoufflement), la survenue de douleurs
doit faire rechercher deux causes:
1.
Une embolie pulmonaire (caillot dans une artère pulmonaire) surtout chez la
femme qui vient d'accoucher, chez un sujet qui vient d'être opéré, ou chez une
personne âgée qui reste au lit; il faut alors donner des anticoagulants (à l'hôpital).
2.
Une angine de poitrine (les artères coronaires qui alimentent le coeur sont
bouchées), surtout chez l'homme de plus de quarante ans; la douleur n'est pas
comme une piqûre mais comme un serrement de la poitrine; il faut faire un
électrocardiogramme quand on le peut et donner de la Trinitrine à croquer et à faire
fondre sous la langue.
Les signes tardifs
Si l'on ne traite pas dès l'apparition des premiers symptômes, et même parfois
malgré le traitement, on peut aboutir au tableau de défaillance cardiaque globale:
1.
Essoufflement permanent, empêchant la position allongée et le moindre
effort; parfois des crises d'étouffement aggravent encore l'état respiratoire.
2.
Gros foie douloureux qui s'accompagne de veines dilatées du cou,
d'oedèmes des membres inférieurs et d'une réduction du volume des urines qui
deviennent foncées.
3.
État de choc enfin, qui survient lorsque le coeur ne parvient plus à éjecter
suffisamment de sang dans les tissus: le pouls est très rapide, la tension artérielle
s'abaisse au- dessous de 10, les extrémités (mains et pieds) sont froides, il n'y a plus
d'urines et le sujet fait des malaises. Le coeur est très rapide (tachycardie). Si l'on
dispose d'un stéthoscope, on entend des crépitants (comme un feu de bois) à la
base des deux poumons; au niveau du coeur on entend un rythme rapide, souvent
irrégulier, avec parfois des souffles.
Dans tous ces cas, où il y a risque vital, le transfert à l'hôpital est nécessaire pour
faire un électrocardiogramme, une radio pulmonaire, et une échographie cardiaque
pour donner un traitement approprié (en particulier de l'oxygène) et pour avoir une
meilleure surveillance.
Le traitement
A.
Dans les formes chroniques, lorsqu'il existe un essoufflement isolé ou un
gros foie douloureux ou des jambes gonflées, le meilleur traitement est le régime
sans sel et le repos allongé. Ce traitement amène toujours une amélioration.
Parfois, il est insuffisant, et on doit alors associer des digitaliques et des
diurétiques:

Digitaline: 1/2 ou 1 comprimé tous les deux jours; si on a des gouttes : 5 gouttes
= 1 comprimé; si on a de la Digoxine, même nombre de comprimés (l'avantage de
la Digoxine est d'agir plus vite).

Lasilix: 1 à 2 comprimés tous les deux jours (1 comprimé = 40 mg) ; on lui
associe en général du potassium (2 cuillerées à soupe ou 2 comprimés de
chlorure de potassium par comprimé de Lasilix).
B.
Dans les poussées aiguës d'insuffisance cardiaque, avec en particulier crise
d'étouffement (oedème pulmonaire), il faut:
asseoir le malade et le calmer,
 lui donner de l'oxygène (4 à 8 litres par minute),
 lui injecter 1 ou 2 ampoules de Lasilix intraveineux sauf si la tension artérielle est
au-dessous de 8,
 lui injecter 1 ampoule de Cédilanide ou de Digoxine intraveineuse lente,
 lui faire fondre 1 comprimé (à renouveler après quinze minutes) de Trinitrine sous
la langue,
 la Théophylline n'est généralement pas efficace.
Si ce traitement ne suffit pas, si l'état s'aggrave et si la tension n'est pas inférieure à
8:
 refaire deux à quatre ampoules de Lasilix intraveineux,
 ou faire une saignée veineuse en retirant en quelques minutes 1/2 litre de sang
par une grosse veine du bras.
De toutes façons, le traitement doit être poursuivi, après transfert, en milieu
hospitalier, car il est souvent difficile.
C. Quelques cas particuliers:

Rhumatisme articulaire aigu : il faut associer au traitement des injections
intramusculaires de Pénicilline-retard (Benzathine-Pénicilline ou Extencilline: 1,2
million d'unités par mois).

Hypertension artérielle: il faut traiter l'hypertension qui a de toutes façons
tendance à diminuer lorsqu'il y a insuffisance cardiaque.

Myocardie anémique : il faut corriger l'anémie en apportant du sang et du fer, et
traiter la cause de l'anémie.

La chirurgie cardiaque est pratiquée dans peu de centres africains; pour un
rétrécissement mitral, une opération à coeur fermé, relativement peu risquée,
suffit souvent; pour les autres maladies des valves cardiaques, il faut une
chirurgie à coeur ouvert qui est difficile et nécessite un équipement coûteux.
La prévention
La survenue des maladies cardiaques n'est pas toujours inéluctable: certaines
d'entre-elles peuvent être prévenues:

Le rhumatisme articulaire aigu peut être évité, au moins en partie par le
traitement des angines par la Pénicilline ; une injection de 1,2 million d'unités
d'Extencilline suffit pour guérir une angine et prévenir la maladie cardiaque. Si
celle-ci existe déjà, on peut encore en prévenir l'aggravation en donnant une
injection mensuelle d'Extencilline (même dose).

L'hypertension artérielle aussi doit être dépistée et traitée avant queue ne
donne une insuffisance cardiaque. La prise de la tension fait partie du travail de
l'infirmier; une tension supérieure ou égale à 16 nécessite un traitement adapté et
une surveillance.
En conclusion
L'insuffisance cardiaque doit être diagnostiquée par l'infirmier dès les premiers
symptômes: l'essoufflement à l'effort, puis permanent, est le meilleur signe précoce.
Il faut alors traiter par le régime sans sel et le repos, auquel on ajoute souvent de la
Digitaline et des diurétiques. Dans les formes graves, il y a un risque vital et il faut
commencer un traitement d'urgence, avant d'envoyer à l'hôpital.
La sévérité des maladies cardiaques doit inciter à intégrer, dans les programmes de
soins de santé primaires, la prévention du rhumatisme articulaire aigu et de
l'hypertension artérielle.
Développement et Santé, n°49, février 1984
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