Rapport suisse encore partie de Andrée à relire

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ASSOCIATION HENRI CAPITANT DES AMIS DE LA CULTURE JURIDIQUE
FRANCAISE
COLLOQUE INTERNATIONAL
DROIT DE LA SANTE : ASPECTS NOUVEAUX
Journées suisses du 7 au 12 juin 2009
Les journées internationales de l’Association Henri Capitant se sont déroulées en 2009 en Suisse,
du 8 juin au 13 juin. Le thème des journées internationales suisses était le Droit de la santé, divisé
en quatre sous-thèmes comme à l’habitude : le statut juridique du corps humain, l’accès aux soins
et aux médicaments, la santé et la propriété intellectuelle et la personne en fin de vie.
Pierre Wessner, président du groupe suisse, ouvre officiellement les journées internationales
suisses en souhaitant la bienvenue. Il rappelle que c’est la 5e fois que les journées internationales
se déroulent en Suisse, et ce pour son plus grand bonheur. Pierre Wessner souligne que le thème
choisi, celui du droit de la santé, se prête particulièrement bien à une approche comparatiste.
L’hymne suisse proclame d’ailleurs la paix, l’amour des lois et la liberté publique, et cet amour
des lois est particulièrement bien souligné, selon lui, lors de ces journées internationales Capitant
puisque l’évolution de la société impose des réformes législatives, réformes législatives qui
constituent l’une des tâches cardinales dans un Etat de droit. Les données de fait sont certes
toujours plus complexes, spécialement peut-être dans une matière comme celle de la santé ; y
surgissent en effet des questions de conscience où le rôle du juriste est particulièrement important
puisqu’il s’agit d’imposer, dans ce domaine aussi, la règle de droit et le raisonnement juridique.
Pierre Wessner annonce que, lors de ces journées internationales, 3 cantons seront visités, celui
du Vaud, celui de Genève et celui de Neufchâtel ; il remercie d’ailleurs Monsieur Philippe Leuba,
conseiller d’Etat et chef du département de l’intérieur du canton de Vaud, de nous accueillir dans
son canton.
Le professeur Michel Grimaldi, président de l’Association internationale Henri Capitant et
professeur à Paris II, prend ensuite la parole. L’Association Henri Capitant se construit
certainement sur ces journées annuelles internationales et rassemble toujours de nouveaux
groupes venant de tous les horizons : Amérique latine, Europe, Asie mais aussi Roumanie et
Russie ou encore Afrique du nord. L’Association suit aussi de nouveaux chemins notamment
lorsqu’elle a réagi, on le sait, au rapport Doing Business où l’on tentait de mettre en concurrence
Civil law et Common law. Ces nouveaux chemins ont d’ailleurs entrainé une modification des
statuts de l’Association Henri Capitant qui ne sert plus seulement la défense de la culture
juridique française mais bien la défense de la culture juridique romaniste. L’Association Henri
Capitant a aussi décidé d’être présente dans le débat européen notamment en prenant une part
active à la refonte du Code civil français qu’il s’agisse du groupe du professeur Pierre Catala sur
les obligations ou celui du professeur Hughes Périnet-Marquet pour le projet de réforme du droit
des biens. Michel Grimaldi souligne combien le thème du droit de la santé est bien choisi pour
ces journées internationales suisses, pays qui s’avère être le siège de nombreuses organisations
humanitaires. Michel Grimaldi se réjouit dès lors de la richesse des débats qui s’annoncent et
profite déjà de l’occasion pour remercier tous les rapporteurs nationaux bien sûr, mais aussi les 4
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rapporteurs généraux des différents sous-thèmes et, enfin, le rapporteur de synthèse que nous
entendrons lors de la clôture de ces journées internationales suisses. Merci évidemment aux
organisateurs et au groupe suisse qui nous accueillent, merci aussi aux différentes universités
suisses qui ont pris part à cette manifestation.
I. Premier thème : « Le statut juridique du corps humain » ; rapporteur général :
Jaap Sijmons, Pays-Bas.
Le rapporteur général Sijmons expose que, si l’intégrité de la personne est protégée
universellement par des traités internationaux, des directives européennes ou encore le Conseil de
l’Europe, si la dignité humaine est donc reconnue partout, le corps, partie pourtant indissociable
de la personne, ne dispose pas d’un statut juridique clair, comme le démontrent plusieurs des
rapports. Le professeur Sijmons rappelle que, en droit romain, le corps humain est une chose (un
père pouvait vendre ses enfants, une personne pouvait garantir ses dettes avec son corps), tandis
que, à l’heure actuelle, le corps humain, ses éléments et ses produits sont davantage considérés
comme hors commerce. Ce corps humain, qui présente chronologiquement divers aspects allant
du fœtus, en passant par la personne pour aboutir au cadavre, peut être appréhendé
essentiellement de deux façons. Il y a la vision « le corps forme » ou la vision « le corps
fonctionnement ».
Dans la première vision, « le corps forme », le corps occupe donc un espace, une forme à laquelle
il ne peut être porté atteinte. Il s’agit là aussi de protéger l’intégrité du corps mais aussi certaines
fonctions sensorielles assurées par le corps. La deuxième vision, « le corps fonctionnement »,
présente un aspect dynamique ; ce sont les fonctions du corps, la sexualité, les fonctions
communicatives, la maîtrise de son corps, la fonction du corps et le génome humain, la fonction
du corps culturelle, en rapport avec notamment les différentes conceptions du corps adoptées par
les différentes religions. Pour un juriste, c’est davantage la vision « corps fonctionnement », le
corps assumant des fonctions, qui est prédominante.
Après cette introduction générale réalisée par le rapporteur général Sijmons, différents
rapporteurs nationaux exposent l’un ou l’autre point saillant de leur rapport.
Le rapporteur français insiste sur l’ambiguïté du statut du corps tiraillé entre le sujet de droit qu’il
incarne et l’objet de droit qu’il constitue ; l’ambiguïté se révèle aussi lorsque, après avoir exprimé
dans le Code civil la non-patrimonialité du corps, sa non-violabilité, on admet ensuite, par
exemple dans le Code de la santé publique, certains actes relatifs au corps. Selon le rapport
luxembourgeois, il faut dissocier parfois le statut de la personne et celui de son corps et se rendre
compte que tantôt l’on appréhende le corps dans son entièreté tantôt seulement dans tel ou tel de
ses éléments, lorsque l’on examine le sang, le sperme, les tissus, les organes, l’ADN, .... Quant au
rapporteur canadien, il se propose de refuser cette logique binaire évoquée par le rapporteur
français entre sujet de droit et objet de droit, pour créer une catégorie intermédiaire, un concept
hybride afin de concilier le corps que l’on est, l’être, avec le corps que l’on a, l’avoir. Le corpsêtre est donc inviolable, intègre, et doit être nuancé par le corps-objet, objet d’une certaine
autodétermination, si du moins le consentement est éclairé. Le professeur Yves-Henri Leleu et
Me Gilles Genicot, rapporteurs belges, précisent que la Belgique a admis une certaine
autodétermination, voire « maîtrise » du corps, et permis divers actes juridiques que l’on peut
réaliser à propos de son corps à l’occasion de lois récentes : la loi de 2002 relative à l’euthanasie,
la loi de 2002 sur les droits du patient, la loi de 2003 sur le statut de l’embryon in vitro ; les
rapporteurs estiment que la difficulté binaire être ou avoir ne peut être un prétexte pour ne pas
légiférer. Ils ajoutent aux lois précédentes, la loi de 2007 autorisant une procréation médicalement
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assistée et la loi de 2008 sur le prélèvement du matériel humain. Le rapporteur italien, quant à lui,
revient sur cette dualité être ou avoir en soulignant que certes, en droit italien, il existe un modèle
classique où le corps de l’homme ne peut pas être une propriété puisqu’il représente l’humanité
mais il y a aussi un mouvement contraire qui admet une certaine autodétermination, où l’on
admet que le corps ou du moins les parties détachées du corps puissent être objet de propriété. Le
rapporteur tunisien constate qu’il y a, en droit tunisien, des progrès scientifiques intégrés dans une
forme de laïcité de la protection juridique, favorisant le don d’organes, assurant la protection des
données génétiques. A propos de cet aspect religieux évoqué à propos du corps, le rapporteur
suisse précise qu’il faut certes prendre une distance par rapport à la culture et à la religion mais
qu’il faut alors peut-être les remplacer par le développement d’une certaine bioéthique. Le
professeur Yves-Henri Leleu réagit alors en exposant que la situation de la Belgique est
probablement due au fait que la Belgique est un petit pays où dans les milieux médicaux tout le
monde se connait, se contrôle et donc où l’on peut escompter une déontologie responsable sans
avoir besoin de développer un droit extrêmement directif en matière bioéthique, sans entrer dans
tous les détails du droit de la bioéthique. Le rapporteur suisse reprend alors la parole en insistant
sur le statut de l’embryon et en précisant que la CEDH a refusé de se prononcer sur la nature de
l’embryon, sauf à exprimer la potentialité de l’embryon à devenir une personne humaine. En droit
suisse, on constate une multiplicité de conceptions de l’embryon in vitro, différent du fœtus,
différent de l’embryon implanté, différent de la personne.
Quittant cette grande question du statut du corps humain dans son ensemble, le rapporteur général
invite alors les différents rapporteurs nationaux à exposer les dissociations du corps humain en
évoquant ce qui peut précisément être dissocié facilement, ou non, de ce corps.
Le rapporteur colombien précise que les droits de la personne ne s’étendent pas de façon
homogène aux différents éléments du corps lorsque ceux-ci en sont dissociés. Lorsque la
dissociation est aisée, l’autonomie de la volonté, la commercialisation apparaît comme plus
probable. Le rapporteur suisse rappelle alors qu’un artiste suisse a pu vendre son corps pour une
somme de 150.000 €, corps présentant un tatouage. Surgit ensuite la question de la vente du
corps dont le rapporteur néerlandais rappelle la contrariété à l’ordre public aux Pays-Bas. Les
rapporteurs belges Yves-Henri Leleu et Gilles Genicot précisent que le corps est une chose mais
point une chose comme toutes les choses. Le corps circule, en tout cas presque, dans le
commerce juridique et il présente un certain statut particulier du fait de cette circulation. Il faut
évidemment organiser cette circulation des parties du corps dans le respect de la dignité humaine
et de l’intégrité de l’espèce ; avec un contrôle mais à la marge. Est ensuite évoquée la question du
clonage ; le clonage reproductif semble interdit dans tous les pays et puni pénalement. En
revanche, le clonage thérapeutique n’est pas nécessairement interdit dans certains pays telle la
Belgique ou encore les Pays-Bas. En revanche, des pays comme la France ou la Tunisie semblent
interdire le clonage même thérapeutique.
II. Second thème : « L’accès aux soins et aux médicaments », rapporteur général :
Anne Laude, France.
Le rapporteur général était le professeur Anne Laude de l’Université René Descartes, Paris V. Les
débats eurent de nouveau lieu à l’Université de Lausanne, sur le site de Dorigny. Le professeur
Anne Laude souligne tout d’abord l’inégalité inacceptable entre les pays riches et les pays
pauvres quant à l’accès aux soins et aux médicaments. Inégalité flagrante résultant de la pauvreté
et donc de la malnutrition, de l’accès à l’eau potable, du manque d’infrastructures sanitaires, …
Pourtant le droit à la protection de la santé ou au meilleur état de santé possible se trouve
consacré dans de nombreux instruments internationaux tel l’article 12 du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Est indispensable une solidarité des Etats
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dans l’accès aux soins et aux médicaments, solidarité qui doit émerger dans le cadre de structures
internationales et apparaître de deux façons, à savoir permettre aux personnes des pays pauvres
d’avoir accès aux dispensaires et aux médicaments, accès physique, mais aussi une solidarité
financière de telle sorte que ce soit une solidarité économique en évitant les freins financiers.
Idéalement, il conviendrait de posséder une assurance maladie mondiale ou de prévoir une taxe de
solidarité. Il faut relever qu’il existe déjà un certain nombre de mécanismes qui visent à renforcer
dans les différents pays l’égalité financière des citoyens devant l’accès aux soins et aux
médicaments. Citons à cet égard le développement d’une couverture-maladie pour chaque
individu en soulignant qu’une assurance-maladie publique est développée par de nombreux pays,
qu’existent aussi d’autres mesures plus circonscrites telle la diminution du prix de certains
médicaments notamment par le biais des médicaments génériques ou encore la limitation des
honoraires des professionnels de la santé. Il demeure que des progrès doivent encore être réalisés
car les inégalités ne cessent de s’accroître.
S’entament alors les discussions entre les différents rapports nationaux.
Le premier sous-thème abordé est celui de la valeur du droit à la protection de la santé. Si
notamment, le Canada et la Suisse ne consacrent pas ce droit directement dans la Constitution, en
revanche, on le retrouve dans la Constitution belge et dans le droit français. En Belgique, à la
différence de la France, il est tout à fait possible que la Cour constitutionnelle soit saisie par des
particuliers attaquant en annulation telle loi ou tel décret qui violerait le droit constitutionnel à la
protection de la santé ou à l’aide médicale. Le contentieux subjectif peut également amener à ce
que soit posée une question préjudicielle à ce propos.
Le deuxième sous-thème est celui des rapports entre la liberté et la santé. Le droit français affirme
ainsi et proclame les droits des malades et les droits du patient à consentir à l’acte médical et à
revenir à tout moment sur son consentement. Toutefois, le Conseil d’Etat a estimé que, en cas
d’urgence, à propos d’acte de survie, le médecin pouvait passer outre l’absence de consentement.
Le droit québécois mentionne aussi expressément les droits du patient et notamment le droit de
choisir le professionnel mais dans la limite des ressources existantes. La même liberté est
affirmée dans le droit libanais. Quant au droit belge, le rapporteur Jacques Fierens, professeur aux
FUNDP et à l’Université de Liège, avocat, précise que la loi de 2002 sur les droits du patient
dispose que le patient a droit à la prévention, au traitement et au soulagement de la douleur ; il a
le libre choix du professionnel et droit à l’information du médecin y compris l’information
financière. Le droit suisse reconnaît aussi les droits du patient, tels le droit à l’information, à
l’accès au dossier médical et ces droits sont garantis et protégés par la jurisprudence. En
Amérique du sud, on remarquera que la Colombie tente surtout de garantir les qualités d’accès à
la médecine et qu’au Brésil, ce n’est qu’après la constitution de 1988 que naît le droit à la santé,
non point dans un Code mais dans des dispositions éparses ; on organise un système de santé
publique, unique pour les Brésiliens et un accès aux soins et aux médicaments. Précisément sur
cette question de l’accès aux soins et aux médicaments, on soulignera que, en Amérique du sud,
le principe est d’augmenter progressivement la protection du droit de la santé et de le jumeler à un
principe de non-regressivité. Le droit belge à cet égard, évidemment, présente une situation plus
positive mais on doit constater que si 99% des citoyens belges ou résidents réguliers en Belgique
ont accès aux soins et aux médicaments, il reste une exception majeure que sont les étrangers en
séjour irrégulier. Ils n'ont droit qu’à l'aide médicale urgente dans le cadre de l'aide sociale. A cet
égard, la Suisse est plus protectrice puisqu’elle protège également les étrangers illégaux.
Enfin, le troisième sous-thème aborde la question des couvertures des soins de santé car il faut
constater une augmentation de la partie qui reste à charge du patient, élément qui entrave le libre
accès. Le rapporteur suisse doit relever à cet égard des franchises de plus en plus élevées et des
quotes-parts de participation du patient qui peuvent augmenter, par exemple, si le patient ne
choisit pas un médicament générique. Le droit belge connaît le système du ticket dit modérateur
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représentant 25% généralement pour les médecins généralistes et entre 35 et 40% pour les
médecins spécialistes mais, malgré cela, une partie de la population postpose ou renonce à des
soins de santé. Le droit libanais connaît aussi des couvertures mais avec des variables ; quant au
droit colombien, il connaît aussi le ticket modérateur variant entre 25 et 50% mais il y a une prise
en charge totale de 100% par l’Etat lorsqu’on se trouve dans le régime subventionné. En France,
l’on peut constater qu’on essaie de responsabiliser le patient afin de lutter contre le nomadisme
médical et il existe aussi tout un système qui impose de passer obligatoirement par un médecin
traitant avant de pouvoir aller chez un spécialiste sinon le remboursement sera moindre et, en
outre, le médecin généraliste pourra augmenter ses honoraires. Reste enfin la question des files
d’attente et du délai pour se faire soigner ; le rapporteur canadien précise qu’un arrêt de la Cour
suprême a affirmé que le droit à l’accès à la santé devait se faire dans un délai raisonnable en
soulignant que le gouvernement canadien est contraint d’augmenter les différents traitements qui
peuvent être assurés par des services privés sans pénalisation car il faut constater une pénurie de
ressources notamment dans certaines spécialités liées probablement à l’étendue du territoire
canadien. Le rapporteur général précise à cet égard qu’il existe une proposition de directive
européenne qui vise à favoriser la mobilité des patients en Europe et notamment à assurer le
remboursement du patient à hauteur du remboursement qu’il obtiendrait dans son pays d’origine ;
la directive précise d’ailleurs que si le délai de soins est trop long, il est possible pour le
ressortissant d’aller se faire soigner à l’étranger et de se faire rembourser. Au Brésil, les hôpitaux
publics sont totalement surchargés, ce qui donnent aux médecins finalement le pouvoir de choisir
ceux qui vont être soignés ; quant à la Bulgarie, le système prévu pour l’instant de remboursement
est tellement favorable qu’il ne pourra guère durer longtemps. En France, la féminisation de la
profession de médecin et d’infirmière, le numerus clausus des spécialités en médecine, la liberté
d’installation font qu’on rencontre une pénurie dans certaines régions, à tel point que l’on a prévu
ou que l’on tente de prévoir des incitants financiers ; ainsi, il existe un projet pour faciliter le
financement des études par des autorités dites locales qui pourront bénéficier de l’étudiant devenu
médecin pendant 5 ans dans le village qui a financé en partie les études.
Au Liban, on constate un excès de médecin. Plus de 12.000 médecins, 1 pour 300 habitants et
aucune pénurie de pharmacie. Il faut souligner qu’il n’y a aucune ou peu de féminisation de la
profession de médecin et un système qui impose d’exercer d’abord dans certaines zones rurales et
ensuite seulement librement sur tout le territoire. Le même excès de diplômés se rencontre en
Colombie où là aussi on tente d’imposer des systèmes de services sociaux pendant une certaine
durée.
La journée du mercredi 10 juin fut, comme à l’habitude, une période de transition, une journée
culturelle. Lundi, après les sessions de travail, nous avions visité le musée olympique de
Lausanne où Monsieur Jean-Christophe Bourquin, conseiller municipal de la ville de Lausanne,
nous a accueillis ; mercredi nous nous dirigions vers la ville de Genève pour visiter, cette fois, le
musée de la Croix-Rouge. Nous y entendîmes une conférence brillante du professeur Marco
Sassoli, sur le thème « la Genève humanitaire et le droit international public ». Nous primes le
chemin du retour vers Lausanne en profitant d’une croisière magnifique.
III. Troisième thème : « La santé et la propriété intellectuelle », rapporteur
général : André Puttemans, Belgique.
Le jeudi 11 juin place de nouveau au travail pour le troisième thème : « La santé et la
propriété intellectuelle ».
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Le rapporteur général de ce thème était le professeur Andrée Puttemans, professeur à
l’Université Libre de Bruxelles. Il est à noter que cette journée de travail se déroulait cette fois
au château de Neufchâtel où nous accueillait le professeur Pierre Wessner.
Dans une introduction, le rapporteur général dresse les bases de la propriété intellectuelle
mais aussi quelques bases scientifiques nécessaires pour comprendre la suite du propos. Les
bases sont les suivantes : les brevets ont deux berceaux, à savoir Venise au 14e siècle et la
Grande-Bretagne aux environs du début du 17e siècle. En France, il fallut attendre un décret
révolutionnaire pour qu’il soit affirmé que toute découverte, dans tous les genres d’industrie,
est la propriété de son auteur en notant certes que précédemment quelques privilèges furent
accordés de façon arbitraire et d’ailleurs tout à fait révocable. Au niveau des définitions, on
définira le brevet comme le titre légal de propriété intellectuelle ayant pour objet une
invention, tandis qu’une invention peut être définie comme une solution technique donnée à
un problème. Le brevet ne confère pas un droit d’exploitation mais bien un droit
d’interdiction : il permet d’interdire à quiconque, sur le territoire de protection, d’exploiter
l’invention pendant la durée de protection. L’opportunité d’admettre des brevets portant sur
des médicaments a été longuement mise en doute, jusqu'à et en ce compris d’ailleurs
l’adoption de l’accord ADPIC (annexé à l’accord instituant l’OMC - Organisation Mondiale
du Commerce) qui, notamment, impose à tous les Etats membres (notons e.a. l’absence de la
Russie) la brevetabilité des médicaments.
Après cette introduction, différents thèmes vont être abordés en sollicitant successivement les
interventions des différents rapporteurs nationaux.
Sur le premier thème, celui de la brevetabilité des produits pharmaceutiques en général, le
rapporteur général précise d’abord qu’il convient de bien distinguer les brevets de produits de
ceux de procédés. Des brevets de produit donnent des droits exclusifs portant sur le produit et
tous les procédés permettant de le fabriquer tandis que les brevets de procédé ne concernent
que le procédé qui ne doit pas nécessairement générer un produit nouveau ; il faut souligner
que pendant longtemps, en matière de médicaments, un grand nombre de pays n’attribuaient
que des brevets de procédé et non des brevets portant sur des médicaments eux-mêmes. Alors,
sur précisément cette question des brevets de médicaments, le rapporteur général précise
qu’en Union Européenne, un certificat complémentaire de protection des médicaments peut
être octroyé, qui ajoute jusqu’à 5 ans à la durée normale de protection pendant 20 ans. Ce
certificat est destiné à compenser la durée des procédures d’autorisation de mise sur le marché
des médicaments. Elle s’interroge sur les situations hors Europe.
Le rapporteur suisse précise qu’il existe également un certificat complémentaire de 5 ans, ce
qui n’existe pas au Canada. Au Brésil et en Colombie les brevets de produits pharmaceutiques
n’existent que depuis 1994 et la durée est là de 10 ans ,avec une seule possibilité de
renouvellement sur demande de 10 ans. On ajoutera que ne sont pas brevetables, dans de
nombreux Etats, les méthodes de diagnostic thérapeutique ou encore chirurgicales mis en
œuvre. On notera qu’il semblerait que cette exclusion des méthodes du domaine du brevet
n’existe pas aux Etats-Unis. Il faut toutefois reconnaître que la différence entre ces fameuses
méthodes et les procédés qui, eux, sont brevetables est parfois ténue. Le rapporteur colombien
souligne qu’en Colombie aussi il y a exclusion des méthodes de diagnostic thérapeutique et
chirurgicales pour la simple raison que les activités professionnelles du médecin doivent
pouvoir être exercées.
Quant à cette question des brevets des médicaments, le rapporteur général Andrée Puttemans
interroge les rapporteurs pour voir si, selon leur droit, il est possible d’obtenir un brevet pour
une nouvelle application d’un médicament connu.
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A cet égard, le rapporteur français souligne qu’il vient d’être admis que l’on puisse protéger
une molécule déjà connue, mais la protéger à nouveau parce que l’on vient de découvrir ses
effets pour une nouvelle maladie telle que, par exemple, les effets du minoxidil conçu au
départ pour les problèmes cardiaques et dont il s’est révélé, ensuite, qu’il avait des effets
bénéfiques au niveau des problèmes de calvitie.
Le rapporteur général s’interroge ensuite sur les cas où il est possible qu’un brevet soit utilisé
même sans l’accord du breveté et elle précise qu’il existe dans de nombreux pays une
exception pour la recherche ; elle interroge les différents rapporteurs nationaux sur ce point.
Le rapporteur suisse confirme que cette exception existe expressément depuis la révision de la
loi suisse sur le brevet mais était déjà défendue par le passé en doctrine. Aux Pays-Bas, il y a
une exception aussi pour les recherches purement scientifiques ; en Belgique, on a formulé la
règle autrement en disant que l’exception ne valait pas lorsque les fins étaient exclusivement
commerciales ce qui entraîne que l’exception pourrait valoir lorsque les fins sont mixtes (de
recherche et commerciales).
Venons-en à présent au second thème, « La brevetabilité du vivant et spécialement de
l’humain ». On notera d’ailleurs que la brevetabilité du vivant date d’il y a un certain temps
puisque, dès le 19e siècle, Louis Pasteur obtenait un brevet suite à ses travaux de sur la levure.
Commençons précisément par la brevetabilité du vivant non humain.
Le rapporteur général précise de nouveau qu’en vertu de l’accord ADPIC sur le vivant non
humain, les Etats membres peuvent exclure de la brevetabilité les végétaux et les animaux
autres que les micro-organismes. Qu’en est-il au Canada ? La cour suprême a eu à connaître
d’une demande de brevet concernant une souris transgénique. La souris était-elle brevetable ?
La souris est-elle une invention ? Ce que la cour suprême n’a pas admis. Il a d’ailleurs été
affirmé au Canada, par le bureau de l’office des brevets, qu’il ne pouvait pas y avoir de brevet
sur les organes et tissus qui proviennent de l’animal. On notera qu’en Colombie, il n’est
pareillement pas possible de breveter le vivant. Quant au vivant humain, et spécialement
évidemment les questions concernant l’ADN humain, le rapporteur général explique qu’un
vaste consortium international a reçu une somme importante pour procéder à la lecture de la
séquence complète de l’ADN humain, ce que le consortium a réalisé. L’UNESCO a d’ailleurs
affirmé à cet égard que le génome humain, ensemble d’instructions de gènes pour créer et
faire fonctionner les cellules, fait partie intégrante du patrimoine de l’humanité. Le rapporteur
français exprime l’idée qu’en France, on a plutôt opté pour un système non brevetable du
corps humain et des découvertes des gènes sauf peut-être lorsqu’un élément peut être isolé.
Cela démontre la peur de la France de breveter du vivant, situation quelque peu délicate face à
des pays comme les Etats-Unis qui brevètent énormément. Au Canada, il est possible d’avoir
un brevet sur le gène humain, c’est notamment ce qui s’est passé à propos d’une séquence
particulière apte, ou en tout cas prédisposant, à un développement du cancer. En droit suisse,
la distinction entre une invention brevetable et une simple découverte non brevetable est
également délicate. Enfin, le rapporteur général remarque que tous les procédés de clonage
humain, s’ils peuvent éventuellement faire l’objet de recherches, sont exclus de la
brevetabilité.
Le troisième sous-thème de ce thème « Propriété intellectuelle et la santé » concerne « Les
relations Nord-Sud dans les rapports entre santé et propriété intellectuelle ».
Le rapporteur général rappelle que l’accord ADPIC impose un système de licence obligatoire
par laquelle le breveté est obligé de donner l’autorisation à d’autres de fabriquer et de
commercialiser son médicament pour l’approvisionnement du marché interne du licencié.
Suite à un grand scandale relatif à la fabrication en Afrique du Sud de versions génériques de
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médicaments sous brevet dans le domaine du VIH/SIDA, un amendement à l’Accord ADPIC
a été adopté, qui permet la fabrication du médicament par le licencié en vue de son
exportation vers des pays en crise sanitaire, ne disposant d’aucune infrastructure dans le
domaine pharmaceutique. Il y a donc une liste de pays admissibles à l’importation mais donc
à des conditions très lourdes.
Au Canada, une loi de 2004 prévoit l’octroi d’autorisations afin de produire des médicaments
génériques malgré le brevet existant et ce pour être envoyés dans certains pays. Cela concerne
une série de médicaments considérés comme essentiels par l’OMS et cela concerne une liste
de pays qui peuvent profiter de cette exception. Au Brésil, on a également mis en œuvre
l’accord ADPIC et donc imposé une licence obligatoire en interne tout en étant que pour
certains malades du SIDA, dès 1996, certaines destinations se sont trouvées être gratuites pour
ces maladies. Le rapporteur général interroge les différents rapporteurs nationaux sur le
problème de la bio piraterie, concernant des plantes accaparées par de grandes firmes au
détriment des populations indigènes. Or, il existe une convention de Rio de 1992 qui impose
une répartition équitable des profits entre pays d’origine et exploitants. A cet égard, c’est
spécialement les rapports du Brésil et de la Colombie qui sont intéressants, puisque ces pays
connaissent une extrême biodiversité ; il y a dans ces pays des lois de protection. Le
rapporteur général Andrée Puttemans, précise qu’en Belgique on a ajouté une condition de
forme pour le brevet qui doit toujours mentionner l’origine géographique d’une substance
d’une matière biologique, à condition – a-t-on malheureusement ajouté – qu’elle soit connue.
Le même principe est adopté en Suisse avec d’ailleurs des sanctions pénales si de fausses
informations ont été fournies ; ces amendes pénales ne sont toutefois pas en rapport avec les
profits financiers envisageables et envisagés.
Le quatrième thème qui a retenu l’attention lors de cette troisième journée est celui des
médicaments génériques et de l’implication éventuelle des règles de la concurrence. Pour
l’instant, le problème des médicaments génériques concerne essentiellement des médicaments
pour lesquels le brevet est expiré ; pour les médicaments génériques, on ne doit refaire
qu’une partie du processus administratif pour obtenir une autorisation de mise sur le marché,
afin qu’il soit commercialisable dès le premier jour d’expiration du brevet initial. Or, si l’on
doit faire des recherches sur le médicament générique pour qu’il soit efficace dès le premier
jour d’expiration du brevet, c’est donc que les tests avant seront réalisés par un contrefacteur.
Il a donc fallu créer une exception dite exception Bolar qui permet effectivement de faire ces
tests sur les génériques pour qu’ils soient efficaces dès l’expiration du brevet original. On
retrouve cette même exception en Suisse et au Canada ; il y a également des essais de
bioéquivalence entre le médicament originaire et le générique qui peuvent être réalisés avant
l’expiration du brevet sans aucun risque d’être condamné pour contrefaçon. On notera
d’ailleurs que certaines firmes pharmaceutiques tentent d’éviter la création de médicaments
génériques en déposant des brevets secondaires un peu « faciles ». Le rapporteur général
Andrée Puttemans clos ce dernier thème de la propriété intellectuelle et la santé en rappelant
que la publicité comparative entre le médicament originaire et le médicament générique est
généralement admise puisqu’il y a un critère objectif permettant de faire la différence et qui
justifie la publicité comparative : le prix tout simplement. Et à chaque fois, dans les cas de
jurisprudence connus, lorsque le producteur du générique a été attaqué par la firme du
médicament originaire, le producteur du générique a gagné.
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IV. Quatrième thème : « La personne en fin de vie », rapporteur général : Olivier
Guillod, Suisse.
Vendredi 12 juin, le dernier thème à être abordé est celui, délicat, de « La personne en fin de
vie ». Nous sommes de retour à l’Université de Lausanne, toujours sur le site de Dorigny.
Le rapporteur général était suisse : le professeur Olivier Guillod, professeur et membre de
l’Institut du Droit de la santé à l’Université de Neufchâtel. Le rapporteur général entame son
introduction en annonçant que tout a une fin, y compris la vie. Il s’agit donc d’analyser les
soins et respect de la volonté du patient en fin de vie et 13 rapports nationaux ont été fournis
sur ce sujet.
C’est incontestablement un sujet sensible, ayant provoqué d’ailleurs dans certains pays des
crises institutionnelles et de graves tensions. C’est un sujet qui permet aussi de mettre en
relief la hiérarchie des valeurs, à savoir la valeur protection de la vie en opposition éventuelle
avec la valeur de respect du droit à l’autodétermination. Ce sujet, selon le rapporteur
national, a certainement pris une acuité particulière aujourd’hui à cause des progrès médicaux,
des droits des patients, de l’érosion de certains dogmes sociétaux et culturels, de l’évolution
des droits de l’homme, plaçant, d’ailleurs, le droit à l’autodétermination parmi les droits
suprêmes, de l’occultation de la mort dans les sociétés occidentales où il faut admettre que la
mort, aujourd’hui, est vue comme un phénomène honteux, .... Le rapporteur général précise
que, selon lui, dans ce domaine, il faut se garder de croire que l’on a nécessairement la bonne
solution ; il faut faire preuve d’humilité. Il faut aussi prêter attention à la terminologie
employée. Ainsi l’euthanasie passive consisterait, selon le rapporteur général, en
l’interruption des mesures de survie artificielles ou la renonciation à administrer un traitement
propre à prolonger la vie, le refus de soins. L’euthanasie active indirecte consiste à
administrer des médicaments antalgiques pouvant raccourcir la durée de la vie, ce que l’on
appelle aussi la sédation terminale. L’euthanasie active directe consiste à poser un acte
intentionnel mettant directement fin à la vie, ce qu’on appelle aussi le meurtre par
compassion. Il y a enfin l’assistance au suicide c'est-à-dire simplement aider une personne
ayant exprimé la volonté de se suicider. Toute une série de questions se posent : peut-on
arrêter un traitement ou une alimentation spécialement quand le patient ne sait pas exprimer
sa volonté ? Une personne peut-elle demander de l’aide pour mettre fin à ses jours ? Face à
une personne qui le demande faut-il créer une exonération du meurtre par compassion ? Fautil faire une différence entre les patients psychiques et les patients physiques ?
Brièvement, le rapporteur général relève que, dans les rapports, tous les pays reconnaissent le
droit du patient d’accepter ou de refuser le traitement mais parfois à des conditions fort
différentes, notamment de capacité, de majorité. Il existe aussi certainement, dans les
différents pays, des mécanismes pour aider les incapables, qu’il s’agisse de désigner le
représentant légal, le médecin, la famille, les proches, un représentant privé désigné à
l’avance. Les directives anticipées peuvent avoir des valeurs tout à fait différentes : soit elles
ne sont pas reconnues du tout, soit elles ne sont considérées qu’un indice parmi d’autres, soit,
enfin, dans certains pays, elles ont une valeur contraignante. Dans tous ces rapports aussi, il
importe de rechercher l’attitude des différents pays par rapport aux 4 procédés évoqués :
euthanasie passive, active indirecte, active directe et assistance au suicide et, là aussi, on doit
constater que les conditions divergent ; par exemple, pour l’euthanasie passive, certains
exigent que la volonté soit actuelle ; d’autre permettent l’expression anticipée. Dans certains
pays, elle est punie pénalement mais de moins en moins. Sur l’euthanasie active indirecte, les
pays diffèrent notamment selon qu’il faut ou non l’accord du patient ou de la personne
habilitée à décider ; certains encore l’interdisent ou la punissent pénalement. En matière
d’euthanasie active directe, on retrouve une incrimination dans tous les pays mais certains
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connaissent des exonérations à certaines conditions strictes fixées par la loi ou par la
jurisprudence ; par la loi : la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg ; par la jurisprudence : la
Colombie. On doit aussi souligner que, lorsque certains pays ne connaissent pas l’exonération
de principe, on relève une certaine clémence des juges, ce qui est une autre façon de
réglementer. Enfin, l’assistance au suicide connait généralement une incrimination à titre
général mais, en Suisse, par exemple, l’incrimination ne vaudra que si l’auteur poursuit un
mobile égoïste. Dans d’autres pays comme le Benelux, l’exonération a lieu aux mêmes
conditions que l’euthanasie active directe. Il est clair que ce sont l’euthanasie active directe et
l’assistance au suicide qui posent dans tous les pays le plus de difficultés.
Le rapporteur général termine son introduction par quelques questions ouvertes : faut-il
vraiment légiférer si l’on sait qu’on ne saura de toute façon pas tout régler ? Faut-il s’en
remettre à d’autres formes de normativité ? Quels sont les risques pour le futur ? Existe-t-il
des groupes vulnérables ? Existe-t-il un risque de pression économique ou sociale ?
S’ensuit ensuite une table ronde entre les différents rapporteurs français, espagnol, canadien,
luxembourgeois, suisse, italien, belge, colombien, roumain et russe.
Une première série de questions vise les mécanismes juridiques de prise de décision. Toutes
les personnes capables peuvent accepter ou refuser un traitement mais quid des mineurs ? En
droit belge, si le principe est que le mineur verra ses droits exercés par les parents ou le tuteur,
il existe une exception importante qui précise que le patient mineur doit être associé à la
décision selon son âge et, en outre, si le patient peut apprécier raisonnablement ses intérêts,
alors c’est lui-même qui décidera, éventuellement malgré le véto de ses parents. On peut
constater que cet âge auquel le patient pourrait apprécier raisonnablement ses intérêts se situe
généralement aux environs de 15 ou 16 ans. Dans le rapport roumain, la limite est mise à 14
ans ; en deçà de 14 ans, c’est le parent ou le tuteur et de 14 à 18 ans, ce sont les enfants qui
décident avec l’autorisation des parents ou du tuteur. Au Canada, c’est aussi cet âge de 14 ans
qui semble représenter la limite. Au-delà de 14 ans et plus, les parents ne peuvent passer
outre la décision du mineur parce qu’il est présumé apte à prendre cette décision. Au
Luxembourg, il convient de faire une différence entre la loi sur l’euthanasie qui ne vise que
les majeurs tandis que la loi sur les soins palliatifs, y compris la sédation terminale,
concernerait toute personne et donc un patient mineur pourrait, dans ce cadre, avoir droit à la
mort, pour autant qu’il soit capable de discernement. Quant au rapport italien, la Constitution
prévoyait le droit de refuser le traitement mais cela n’était guère appliqué. Selon un arrêt de la
Cour de cassation, on pourrait choisir d’arrêter le traitement si la situation est irréversible et si
l’intéressé a exprimé une volonté certaine en ce sens ; le mineur pouvait être représenté par
ses parents ou son tuteur, mais les deux conditions doivent être rencontrées, situation
irréversible et volonté certaine en ce sens. Le rapport suisse précise qu’il n’y a pas de loi
générale sur les droits des patients mais des législations cantonales. Le mineur peur refuser
seul le traitement s’il a le discernement et même contre la volonté de ses parents en notant
que, pour les mineurs ayant atteint un âge proche de la majorité, le discernement est présumé
et que, entre 10 et 16 ans, le discernement doit au contraire être apprécié tout à fait
concrètement. Le rapport colombien énonce que, à défaut d’urgence, le médecin ne peut
intervenir à propos d’un mineur sans le consentement des parents, mais, dans la jurisprudence
on note le respect de la décision de l’enfant à partir de 5 ans, et ce même contre la décision
des parents.
Il y a une deuxième question toujours à propos de ces mécanismes juridiques de prise de
décision, à savoir le sort que le droit réserve aux directives anticipées. Selon le rapporteur
français, le patient peut désigner une personne de confiance ou donner des directives
anticipées mais, en toutes hypothèses, ce ne sont que des avis donnés au médecin. En droit
espagnol, on admet aussi les directives anticipées mais il faut avoir 18 ans et il faut
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l’intervention d’un notaire et de témoins qualifiés. Au Canada, il peut y avoir des directives
anticipées ; on peut désigner un mandataire mais ce mandat doit être dûment homologué, la
jurisprudence préférant les directives anticipées qui ne sont pas faites trop à l’avance, qui sont
donc faites en connaissance de cause, lorsque l’on connait la maladie et ses conséquences. En
droit italien, il n’y a aucune législation mais un juge a accepté un document contenant des
directives anticipées. On notera toutefois qu’il y a un projet de loi sur ce point en Italie qui
prévoit la possibilité de rédiger des directives mais qui s’avèrent ne plus être obligatoires pour
le médecin si les développements thérapeutiques ne correspondent plus à ce qui était visé dans
les directives. En Suisse, le Code civil a été modifié, bien qu’il ne soit pas encore en vigueur
sur ce point, pour prévoir la possibilité de directives anticipées par des personnes capables de
discernement avec obligation de respecter ces directives par les médecins sauf si ces
directives violent les dispositions légales et sauf, également, si le médecin relève des
circonstances que cela ne correspond plus à la volonté du patient. On notera encore sur la
durée de ces directives, qu’en droit français il y a une péremption des directives au bout de 3
ans et, en droit belge, elles ne sont valables que pendant 5 ans ; les autres pays, généralement,
prévoient un système de publicité mais point de péremption.
Le deuxième grand thème rassemble toutes les questions spécifiques aux situations de fin de
vie. En droit russe, toutes les formes d’euthanasie sont interdites mais il y a un article en sens
contraire qui énonce que le patient a le droit de refuser les soins. Il y a donc contradiction ; la
jurisprudence devra trancher. En droit italien, le refus des soins est possible d’après la Cour de
cassation mais le médecin doit être sûr de la volonté en ce sens. En droit français, il n’y a pas
dépénalisation de l’euthanasie mais un encadrement législatif de la fin de vie; l’euthanasie a
été condamnée par l’ordre des médecins et par la justice pénale ; quant au refus de soins, il
doit figurer au dossier médical (loi dite Léonetti). Au Canada, on évite les termes d’euthanasie
passive et d’euthanasie active indirecte ; on parle de décision médicale. Dans le rapport
luxembourgeois, l’euthanasie active indirecte est admise dans la loi sur les soins palliatifs.
Quant au rapport belge, on y lit que la loi du 28 mai 2002 dépénalise l’euthanasie à condition
que le patient soit conscient, capable et majeur, que le patient l’ait demandé par écrit et de
façon répétée, ceci étant révocable à tout moment et enfin, qu’il y ait une situation irréversible
et des souffrances dues à une situation médicale grave et incurable mais pas nécessairement
terminale. Il y a aussi des conditions de procédure, avec consultation d’autres médecins
indépendants, de délais entre l’écrit du patient et le moment où l’on procède à l’euthanasie, …
Pour le Canada, dans le Code criminel, il est inscrit que nul n’a le droit de consentir que la
mort lui soit infligée mais les juges éprouvent un certain malaise qui joue certainement lors de
la détermination de la peine. Quant au suicide assisté, il est pareillement condamné mais avec
une certaine souplesse au niveau des peines ; il existe des projets de loi sur ce point. En
France, l’euthanasie est prohibée mais il y a un décalage certain avec la pratique hospitalière.
En Espagne, l’aide au suicide connait une réduction pénale d’un certain nombre d’années à
des conditions très strictes. En Suisse, la situation est un peu particulière mais l’on ne peut pas
vraiment dire qu’il y ait un droit à l’assistance au suicide ; elle est pénalisée mais seulement
quand les motifs sont égoïstes et il est exigé que le suicidant maîtrise bien l’acte final.
Les journées se sont clôturées le vendredi 12 juin par le rapport général de Monsieur JeanLouis Baudouin, président du groupe québécois. Jean-Louis Baudouin repère deux fils
conducteurs de ces 4 journées.
Le premier fil est celui de la réappropriation par l’homme du contrôle sur son corps afin de
rester maître de son corps pour éventuellement atteindre un bien être physique et moral,
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déterminé subjectivement par chacun. Le deuxième est l’apparition de ce droit de la santé
moderne qui tente d’assurer une répartition équitable des soins dans le monde pour réduire
des inégalités choquantes.
Donc, en quelque sorte, deux fils conducteurs un peu antinomiques dans le sens où le premier
est essentiellement marqué par de l’individualisme et le second par de l’altruisme ; il convient
de tenir compte des deux fils conducteurs.
Pendant longtemps, le corps de l’homme ne lui a pas appartenu, essentiellement pour des
raisons religieuses mais la laïcisation et la reconnaissance des droits individuels font émerger
un concept d’autodétermination avec, certes, des limites que sont la dignité humaine et
l’intégrité de l’espèce. Il est admis dans de nombreux pays que l’individu dispose des parties
de son corps non essentielles à la survie et que donc le corps sauve la vie et permette de faire
des dons d’organes, dons de cellules, dons de gamètes. Quelles en sont les limites ? Le droit
ne peut que prévenir et c’est à l’éthique et à la philosophie de répondre ; l’on constate
d’ailleurs que le droit des brevets appréhende difficilement le vivant. D’un autre côté,
l’individu est un peu exproprié de sa mort aussi par la science médicale et l’on aboutit
maintenant à une obligation pour le médecin de respecter la liberté de choix des patients,
l’ampleur du phénomène dépend toutefois des pays. Il est évident que la réflexion éthique
reste sur ce premier sujet assez hésitante et éclatée d’ailleurs selon les différents pays.
D’un autre côté, il y a cette solidarité qui doit exister afin de permettre l’accès pour tous aux
soins de santé. C’est aujourd’hui une question de responsabilité collective. Il s’agit d’être
soigné dans des conditions décentes avec un contrôle de la qualité des soins. Il s’agit
d’admettre une égalité de tous à l’accès aux médicaments et d’envisager le remboursement
des coûts de santé ; les inégalités sont flagrantes.
Qu’il s’agisse de l’individualisme ou de la solidarité, le professeur Jean-Louis Baudouin
pense que tout passe finalement par la détermination du statut du corps, sujet du droit ou objet
du droit, corps qui est à la fois l’être et l’avoir ; cette division entre les personnes et les choses
n’est plus étanche et il faudra avoir plus d’imagination à l’avenir afin de sortir de ce dilemme
et d’identifier un noyau dur de valeurs universelles non négociables.
Philippe Dupichot, secrétaire général adjoint de l’Association, prend ensuite la parole et
remercie tous les organisateurs suisses pour ces magnifiques journées qui se terminent, ces
journées juridiques mais aussi culturelles, gastronomiques, humanitaires et humaines.
145 personnes étaient présentes à ces journées, 21 pays différents, un énorme réseau de
tradition civiliste qui doit s’affirmer parfois envers la mouvance anglo-saxonne et son
efficience économique.
De nombreuses journées bilatérales ou trilatérales ont aussi eu lieu et Philippe Dupichot
rappelle que, pour les années à venir, La Roumanie nous accueillera en 2010 pour parler des
Successions, le Vietnam sera notre prochain hôte en 2011 sur le thème des Professions
juridiques ; ce sera ensuite le Chili et puis probablement l’Espagne ou la Belgique et les PaysBas et, peut-être, ensuite, la Pologne.
L’Association a aussi d’autres chantiers en cours tels la réforme du droit civil français, en tout
cas la collaboration à la réforme, la collaboration au droit européen des contrats sous l’égide
de Denis Mazeaud, …, une série de chantiers qui tendent à assurer une meilleure diffusion de
la culture juridique romaniste.
Le dernier mot est prononcé par le professeur roumain Mircea Bob qui nous accueillera
l’année prochaine ; le professeur Bob souligne qu’il sera malaisé de prendre la relève après
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des journées aussi prestigieuses que celles qui viennent de se dérouler ; néanmoins, il serait
honoré de recevoir tous les membres de l’Association Capitant à Bucarest et à Cluj dans un an
en Roumanie.
Le professeur Pierre Wessner clôture cette séance en réitérant ses vifs remerciements aux
congressistes, aux rapporteurs, à tous ceux et celles qui ont collaboré à l’organisation, aux
personnes de soutien, aux universités, aux cabinets et enfin à Suzanne et Christophe Rapin qui
seront nos hôtes lors du dîner de clôture.
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