DU de thérapeutique anti-infectieuse GRENOBLE Les aminosides : le bon usage Mathilde GUILLAUME CH VOIRON 16/01/2015 PLAN Historique Structure Mécanisme d’action Pharmacocinétique Pharmacodynamie Spectre Mécanismes de résistance Indications thérapeutiques Sécurité d’emploi Modalités d’administration HISTORIQUE 1944: découverte de la Streptomycine par Waksman et Schatz à partir de Streptomyces griseus Action sur les BGN aérobies et Mycobacterium tuberculosis Prix Nobel en 1952 1949: Néomycine 1957: Kanamycine 1963: Gentamicine à partir de Micromonospora purpurea Années 1970: Amikacine, Tobramycine STRUCTURE Aminoside = Amino-glycoside Antibiotiques polyosidiques aminés (3 à 6 charges + ) Naturels ou hémisynthétiques Molécules basiques de petite taille Classification en 3 groupes selon la structure du noyau central (génine) et des sucres Groupe 1: streptidine Groupe 2: 2-desoxy-streptamine Streptomycine Néomycine, Framycetine: usage local Groupe de la Kanamycine: Tobramycine, Amikacine Groupe de la Gentamicine: Gentamicine, Netilmicine Groupe 3: spectinomycine Spectinomycine (sucre non aminé) NETROMICINE: IV ou IM IM ou IV + TOBI® (forme aérosol) Néomycine: utilisation locale (oculaire, auriculaire, vaginale), en association MECANISME D’ACTION Action rapide et bactéricide Par inhibition de la synthèse protéique Effet post-antibiotique prolongé: Par fixation irréversible sur les ribosomes Permet la poursuite de l’action de l’AB malgré la faible quantité restant dans l’organisme 1) Pénétration intracellulaire Mb externe des bactéries gram -: porines, bicouche lipidique Peptidoglycane: passage passif car molécule hydrophile Mb cytoplasmique: transport actif (gradient électro-chimique), oxygéno-dépendant 2) Inhibition de la synthèse protéique Fixation sur le ribosome: sous-unités 30S et 50S Nombreuses erreurs dans les protéines synthétisées Désorganisation et altération de la membrane cytoplasmique Pénétration en plus grande quantité de l’AB dans la bactérie Erreurs dans la synthèse protéique Empêche le transfert de l’ARNt du site A vers le site P. An illustrated revue about aminoglycosides, Abdul Rahim, WebmedCentral 2011 Pharmacocinétique Activité optimale en pH alcalin Molécules très hydrosolubles, peu liposolubles Pas d’absorption entérale Voies IV ou IM uniquement Pas voie SC car risque de nécrose cutanée Liaison protéique 20% Pic atteint en 30 à 90 min Demi-vie d’élimination 2h Volume de distribution faible (0,3 à 0,4 l/kg) Taux tissulaires < taux sériques Bonne diffusion dans cortex rénal, synoviale, sang fœtal, liquide amniotique Mauvaise diffusion dans le LCR, sécrétions bronchiques Faible diffusion cellulaire Élimination rénale sous forme inchangée (active) Paramètres modifiant la pharmacocinétique Insuffisant rénal: Augmentation pic, allongement demi-vie d’élimination Accumulation rénale Molécules facilement hémodialysables (faible PM) Nouveau-né Grande variabilité fonction de l’âge gestationnel et âge post-natal Volume de distribution plus grand, élimination plus lente Sujet âgé: élimination dp de fonction rénale Patients brûlés, d’hématologie, mucoviscidosiques, traumatisés Augmentation vol de distribution et/ou clairance Diminution concentrations sériques Pharmacodynamie Bactéricidie rapide, concentration-dépendante Activité diminuée en anaérobiose, par un pH acide et par la présence de polynucléaires et de débris cellulaires (pus +++) Activité bactéricide sur les bactéries quiescentes Craig, Scand J Infect Dis, 1991 Pharmacodynamie (suite) Effet thérapeutique maximal si pic/CMI ≥ 8 à 10 Absence d’effet inoculum Effet post-antibiotique (EPA) prolongé Phénomène de résistance adaptative après la 1ère dose (réduction vitesse de bactéricidie et EPA) Risque de sélection de mutants-R si pic/CMI < 8 Recommandations 2011 AFSSAPS, SPILF Effet post-antibiotique Intervalle de temps nécessaire aux bactéries in vitro pour croitre d’un log10 après retrait de l’AB du milieu 0,5 à 7h pour les aminosides Dépend de la concentration de l’AB, de la durée de contact, de la présence de PNN (diminué chez les souris neutropéniques) J Antimicrobs 1991 Chemother Jun;27(6):829-36. Factors affecting duration of in-vivo postantibiotic effect for aminoglycosides against gram-negative bacilli. Fantin B. Break-points (EUCAST) (Concentrations critiques) actualisation 2015 Gentamicine/netilmicine/tobramycine Staphylocoques S si CMI ≤ 1 mg/l R si CMI > 1 mg/l Entérobactéries S si CMI ≤ 2 mg/l R si CMI > 4 mg/l P. aeruginosa, A. baumannii S si CMI ≤ 4 mg/l R si CMI > 4 mg/l Amikacine S si CMI ≤ 8 mg/l R si CMI > 16 mg/l GENTAMICINE, TOBRAMYCINE et NETILMICINE Paramètres pharmacocinétiques proches. AMIKACINE CMI plus élevées, nécessitant des concentrations sériques plus élevées. SPECTRE Spectre large +++: staphylocoques, entérobactéries, pseudomonas, etc… Espèces bactériennes naturellement résistantes streptocoques et entérocoque: résistance de bas niveau, synergie avec les bétalactamines et glycopeptides bactéries anaérobies stricts (Bacteroides, Clostridium spp, …) Bactéries intracellulaires (Chlamydia spp., Legionella pneumophilia, Mycoplasma spp) Stenotrophomonas maltophilia , Burkholderia cepacia, Alcaligenes xylosoxidans Particularités de spectre CG+: gentamicine et netilmicine sont les plus actives Entérobactéries: les 4, sauf Providencia spp: amikacine Serratia marcescens: tobramycine moins efficace BLSE: S genta 50%, S amikacine 70% Pseudomonas aeruginosa: tobramycine ++ Acinetobacter baumannii: amikacine, tobramycine Mycobactéries: streptomycine, amikacine Streptocoques et entérocoques Comité de l’Antibiogramme de la Société Française de Microbiologie (CA-SFM) : Résistance naturelle de bas niveau à tous les aminosides, qui n’empêche pas d’obtenir un effet synergique bactéricide entre un aminoside et une pénicilline ou un glycopeptide. Pour les souches présentant un haut niveau de résistance (CMI > 128 mg/l) à la gentamicine : aucun aminoside ne peut être utilisé Recommandations 2011 AFSSAPS, SPILF MECANISMES DE RESISTANCE 1) Altération de la cible Résistance acquise Rare Mutation chromosomique du site ribosomal R spécifique (pas de classe) Ex: streptomycine 2) Défaut de perméabilité de la paroi bactérienne Résistance naturelle Bactéries anaérobies Modification du LPS chez les BGN (Pseudomonas) Résistance de bas niveau des streptocoques (métabolisme anaérobie préférentiel) Résistance acquise Modification des porines Altération du transport actif Efflux actif (résistance de bas niveau à tous les aminosides, ex du pseudomonas) 3) Modification enzymatique de l’AB Résistance acquise Mécanisme le plus fréquent Nombreuses enzymes (3 classes), spécifiques d’un ou plusieurs aminosides Gènes portés par des plasmides ou transposons (diffusion) Résistance de haut niveau Ex chez les staphylocoques: Modification d’une fonction OH ou NH2 essentielle pour l’interaction avec le ribosome En 2008: 6,5% 8,2% 20% 2008: 17,8% 2011: 20% 16,7% 2008: 29,9% 41,5% PRINCIPALES INDICATIONS THERAPEUTIQUES Recommandations 2011 AFSSAPS, SPILF Chocs septiques non documentés ttt probabiliste des infections à risque (nosocomiales tardives, sur corps étranger) Sujets à risque (ID en sepsis sévère, nouveau-nés, mucoviscidose) Infections à certaines bactéries (documentées ou suspectées) Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter spp., entérobactéries sécrétrices d’une céphalosporinase (Serratia spp., Enterobacter spp., Citrobacter spp.), certaines infections à entérocoques ou à streptocoques oraux et du groupe B, Endocardites infectieuses à CG+ et à Bartonella spp Infections à Listeria monocytogenes. Indications limitées dans le temps En début de traitement, quand l’inoculum est potentiellement élevé et qu’il existe des incertitudes sur l’efficacité du traitement Pour une durée ≤ 5 jours, en raison de leur rapport bénéfice /sécurité d’emploi Arrêt à 48-72h dans la majorité des cas En association le plus souvent Synergie bactéricide Prévention de l’émergence des résistances Élargissement du spectre d’activité Indications particulières Monothérapie: rare, certaines infections urinaires en cas d’allergie aux Mycobactéries: β-lactamines ou de résistance aux C3G Amikacine: ttt de certaines mycobactéries atypiques, tuberculoses MDR (en association +++) Spectinomycine 2g IM: indication en 2e intention dans l’urétrite à gonocoque (reco AFSSAPS 2008) Ttt locaux: méningites, ventriculites Pas d’intérêt des aminosides dans les infections à Pneumocoque Strepto A Haemophilus influenzae Particularités pédiatriques But des aminosides: synergie et bactéricidie rapide Utilisation: Infections néonatales Pyélonéphrites sévères Septicémies Bithérapies ou monothérapies? BMJ 2004: βlactam monotherapy versus βlactam-aminoglycoside combination therapy for sepsis in immunocompetent patients: systematic review and meta-analysis of randomised trials ; Mical Paul and al. 64 études, 7586 patients Pas d’avantages de l’association sur les infections à BGN (1835 patients), ni sur les infections à P. aeruginosa (426 patients) (patients non neutropéniques) Pas de différence sur la survenue de résistances Néphrotoxicité plus fréquente avec l’association Fig 2 All cause fatality… Fig 3 Clinical failure Fig 4 Bacteriological failure Fig 6 Adverse events: nephrotoxicity Patients neutropéniques: recommandations IDSA 2010 Endocardites infectieuses: recommandations ESC 2009 BMR, Pseudomonas BMJ 2004: pas d’avantage bithérapie vs monothérapie Lancet Infect Dis 2004; 4:519–27 Bithérapie entraîne diminution mortalité mais inclusion de monothérapies par aminosides. Recommandations AFSSAPS, SPILF 2011 Cependant, le bénéfice réel des associations est difficile à mettre en évidence en clinique en raison de l’existence de nombreux facteurs confondants : variabilité du terrain, niveau des défenses immunitaires, gravité du tableau clinique, germes en cause, modalités de prescription du traitement (en particulier des aminosides). Sécurité d’emploi Contre-indications Absolues: allergie aux AB de la famille des aminosides myasthénie Relatives Utilisation concomitante de polymyxines par voie parentérale ou de toxine botulique Femme enceinte: utilisation uniquement si nécessaire (gentamicine); évaluer fonction auditive du NN Allaitement: gentamicine et tobramycine possibles Interactions médicamenteuses Éviter l’association avec tous produits néphrotoxiques et/ou ototoxiques Potentialisation possible de l’action des curarimimétiques, myorelaxants, anesthésiques généraux (risque de blocage neuro-musculaire, paralysie respiratoire) Toxicité Toxicité rénale et auditive Index thérapeutique étroit Toxicité corrélée à la durée traitement (> 5-7 jours) Rénale Toxicité liée à la Cmin Toxicité indépendante de la Cmax Évolution généralement favorable des IRA induites par les aminosides Toxicité rénale et auditive rare chez le nourrisson et l’enfant Cochléovestibulaire Pas de preuve d’une corrélation à la Cmax Atteinte cochléaire irréversible, non appareillable Réactions allergiques mineures, résolutives à l’arrêt du ttt Facteurs de risque de toxicité • Cirrhose grade B ou C de Child-Pugh (contre-indication) • Age > 75 ans • Néphropathie préexistante ou concomitante • Déshydratation, hypoalbuminémie, hypovolémie, états de choc, insuffisance ventriculaire gauche • Association avec un traitement diurétique • Associations avec : o néphrotoxiques: IEC, AINS, vancomycine, amphotéricine B, colimycine, ciclosporine, les produits de contraste iodés… o ototoxiques: vancomycine, furosémide, cisplatine… Modalités d’administration Dose unique journalière (IV 30 minutes) Injection IVD contre-indiquée Ne pas mélanger dans la perfusion avec les béta-lactamines (risque de précipitation) Voie IM possible mais à éviter (vitesse de résorption variable selon le site d’injection Voie SC non recommandée (pb cinétiques, nécrose) Dose unique journalière: rationnel Nombreuses méta-analyses en faveur Optimisation Pk/Pd Gradient tissulaire favorisant les passages tissulaires Efficacité clinique identique Toxicité comparable voire inférieure (saturation du transporteur des aminosides) Diminution du risque d’émergence de résistance Cas particulier des endocardites: 2 à 3 inj/j, sauf streptocoques Dose unique journalière Eur. Journal of Pharmaceutical Sciences 2012 Efficacy, nephrotoxicity and ototoxicity of aminoglycosides, mathematically modelled for modelling-supported therapeutic drug monitoring . Sander Croes and al. Blood concentrations of aminoglycosides in mg/L for OD (solid line), TD (dotted line) and continuous simulated infusions (dash-dotted line) at 7 mg kg/day versus the time in days. Also shown is the target trough level (TTL), (2 mg /L). Posologies Posologie variable en fonction de la gravité du tableau clinique, du terrain et du pathogène identifié ou suspecté Gentamicine, tobramycine, netilmicine de 3-5 mg/kg/j à 7-8 mg/kg/j Amikacine de 15-20 mg/kg/j à 25-30 mg/kg/j Infections sévères, risque d’augmentation du volume de distribution, bactéries à CMI élevée: posologies élevées Sujet âgé, FdR de toxicité rénale, infection peu sévère, CMI basses: posologies les plus basses Durée du traitement En général 48-72h (parfois une seule injection) Pas plus de 5 jours (bon compromis entre efficacité/toxicité) Utilisation prolongée dans des cas particuliers: endocardite, infections ostéo-articulaires sur matériel Importance d’utiliser les doses et les durées recommandées Surveillance du traitement Créatininémie 2 fois par semaine si ttt prolongé Fonction auditive (audiogramme) dans certains cas Dosage des aminosides Quand doser les aminosides ? Durée ≤ 3 jours •Aucun dosage sauf -Clairance créatinine < 30 ml/min: taux résiduel Durée > 5 jours • taux résiduel après 48h puis deux fois/semaine -Patient grave (réanimation): taux au 1er pic et taux résiduel Taux au pic (Cmax)=Efficacité A réaliser 30 minutes après la fin de la perfusion Permet d’adapter la dose unitaire Taux résiduel (Cmin)=prédictive de la toxicité A réaliser 24h après l’injection (juste avant l’injection suivante) Permet d’adapter l'intervalle entre deux injections Objectifs de concentration Si probabiliste : pathogènes et CMI inconnus Pic (mg/L) Résiduelle (mg/L) Genta, Tobra, Netil 30-40 < 0.5 Amikacine 60-80 < 2.5 Si CMI connue objectif : Pic ≥ 8-10 x CMI CMI: Concentration minimale inhibitrice Posologie et insuffisance rénale Rechercher d’autres alternatives thérapeutiques aux aminosides; éviter les ttt néphrotoxiques concomitants Les objectifs Pk/Pd restent les mêmes La dose unitaire est identique à celle du sujet avec une fonction rénale normale, quel que soit le degré d’insuffisance rénale Si plusieurs injections: odosage des taux résiduels pour ajuster les intervalles entre les injections (nouvelle injection que si taux résiduel < valeur cible) oSurveillance fonctions auditives +++ (Audiogramme) Insuffisance rénale et dialyse Hémodialyse intermittente ou dialyse péritonéale •Traditionnellement injection en fin de dialyse •Alternative : injection et réinjections (en fonction de la résiduelle) 2 à 4 h avant la séance (permet pour un même pic de diminuer l’exposition et donc le risque d’accumulation) Épuration extra-rénale continue •Techniques, générateurs, membranes très variables Réinjections quand résiduelle < seuil de toxicité Autres adaptations posologiques Patients > 75 ans o Pas de schéma posologique particulier, se référer à la fonction rénale Obésité o o o o Hydrosolubles et peu liposolubles Vd rapporté au poids est Posologie à calculer sur la masse maigre (risque de surdosage) Poids corrigé = poids idéal + 0,43 x surcharge pondérale Surcharge pondérale=poids total – poids idéal Particularités pédiatriques Les posologies (en mg/kg) chez le nourrisson et l’enfant sont les mêmes que chez l’adulte et la dose unique reste la règle Pour les nouveaux-nés et les prématurés, les paramètres pharmacocinétiques varient en fonction de l’âge gestationnel, d’où des adaptations de posologie et de rythme d’administration (Annexe I de la recommandation) Mucoviscidose : variations +++ des paramètres pharmacocinétiques et CMI (P. aeruginosa) généralement élevées utilisation de posologies unitaires supérieures tobramycine 10 à 12 mg/kg amikacine 30 à 35 mg/kg Particularités pédiatriques Attention à la dilution et à la quantité administrée: toute erreur minime, peut avoir un retentissement majeur sur les concentrations sériques et leur interprétation Rincer la tubulure après chaque administration, pour diminuer le risque de sous-dosage Les toxicités rénale et auditive sont rares CONCLUSION Indications limitées: infections sévères, bactéries résistantes Index thérapeutique étroit (néphrotoxicité, ototoxicité) À utiliser en association En dose unique journalière Optimiser la posologie et la durée