Genetic Suppression of Polyglutamine Toxicity in Drosophila. Parsa Kasemi-Esfarjani, et al ; Science 287, 1837 (2000) Suppression génétique de la toxicité liée aux agrégats de polyglutamines chez la drosophile Introduction : But de l’article La chorée de Huntington, comme d’autres, est caractérisé notamment par des anomalies cellulaires : des agrégats (cytosoliques et /ou nucléaires) de polyglutamines. Ceux-ci causent une toxicité engendrant une mort cellulaire. Il est donc intéressant d’utiliser cette caractéristique comme modèle pour la maladie d’Huntington. On créée donc des drosophiles transgéniques présentant un phénotype du type de cette maladie : par mutagénèse dirigée, on introduit dans le génome des séquences polyCAG, qui codent donc pour des polyglutamines. A partir de ces souches mutantes, on peut alors chercher des gènes suppresseurs par mutagénèse. On peut alors espérer enrayer la maladie par l’utilisation de ces gènes suppresseurs. Ici on en utilise 2 différents dont l’expression donne des protéines, dHDJ1 et dTRP2, qui rétablissent en partie le phénotype sauvage dans les lignées transgéniques présentant des agrégats de polyglutamines. DHDJ1 est un homologue de la protéine de choc thermique humaine 40/hDJ1, et dtRP2 est un homologue de la protéine répétée tétratricopeptide humaine. Matériel et Méthode L’approche utilisée ici consiste à réalisé un crible du génome de la drosophile pour trouver des gènes supprimant de manière dominante la toxicité de la polyglutamine. L’élément P Le gène d’intérêt est inséré dans un élément P (multi-site de clonage) avec lequel on transforme une bactérie, qui est multipliée. Le plasmide contient un gène de résistance à un Ab, ce qui permet de sélectionner les bactéries le portant. Celui-ci est alors isolé, et est alors injecté dans un embryon de drosophile. On injecte également une source de transposase (un plasmide qui contient le gène de la transposase mais qui ne peut pas s’insérer dans le génome). Pied P w+ Site de clonage r Ampi Pied P Origine de réplication On utilise un système de sélection pour repérer les lignées qui nous intéressent. On multiplie alors les drosophiles. Description et élaboration des lignées transgéniques poly-Gln Par PCR, on synthétise des polyCAG de différents types : Les normaux font 20 répétitions nucléotidiques (ce sont les témoins, chez l’homme les cas non pathologiques présentant des répétitions de 20 CAG), puis les augmentés font 127 répétitions nucléotidiques. Ce polyCAG est placé en aval d’un promoteur UAS dans un plasmide transposable (élément P), ensuite utilisé pour créer une lignée transgénique de drosophiles. Le promoteur UAS est inductible par la protéine GAL4. On place sur la construction, une séquence codant pour un épitope de l’hémagglutinine (noté HA), de façon a ce que cette séquence soit transcrite avec le polyCAG, puis traduite par la suite en épitope. On s’en servira pour un marquage des polyglutamines. On nomme cette construction UASpolyCAG_HA. 5’ 3’ Promoteur UAS Poly CAG HA Figure 1 : construction génomique incorporée dans le génome de la drosophile On crée une seconde lignée transgénique comportant une séquence GAL4 (cDNA du gène GAL4) placée en aval d’un promoteur GMR. Le promoteur GMR est une structure promotrice permettant une expression uniquement dans l’œil. Le promoteur est activé par une protéine spécifique des disques imaginaux des yeux, jouant alors le rôle de facteur de transcription au niveau du futur œil. 5’ 3’ Promoteur GMR GAL 4 Figure 2 : Construction génomique incorporée dans le génome de la drosophile On croise ensuite les mouches de la lignée transgénique comportant la construction GMR-GAL4 (on créer une lignée à partir d’une seule mouche présentant le génotype GMR-GAL4), par des mouches de lignées transgéniques comportant les séquences UAS-polyCAG_HA. On sélectionne 3 lignées de chacun des types d’insertion : 3 lignées pour UAS-20CAG et 3 lignées pour UAS-127CAG. On utilise des mouches issues de différentes lignées pour tester l’influence du fond génétique (l’endroit d’insertion peut avoir un effet sur le phénotype). Il se peut que certaines lignées expriment mieux les polyglutamines que d’autres. Après les croisements, on se retrouve avec des mouches exprimant GAL4 au niveau des yeux et comportant la construction UAS-PolyCAG_HA. GAL4, dont la transcription est induite par des facteurs de transcription présents au niveau de l’œil, va coder pour la protéine GAL4, qui va alors activer le promoteur UAS. Le promoteur UAS activé va permettre la transcription de PolyCAG_HA, qui va être transcrit en polyGln_épitopeHA. Induction de la transcription Facteur de transcription spécifique de l’œil 5’ 3’ GMR GAL 4 Transcription de GAL4 ARNm Gal4 Protéine Gal4 Traduction de l’ARNm Gal4 Induction de la transcription 5’ 3’ UAS Poly CAG HA Transcription ARNm Poly CAG HA Traduction Polyglutamine avec épitope HA Figure 3 : Chaine de réaction aboutissant à la synthèse des polyglutamines dans les lignées transgéniques Etude des gènes suppresseurs On crée des lignées transgéniques par insertion d’éléments P, dans les cellules germinales (voir protocole mutagénèse avec élément P), que l’on croise avec les individus des lignées possédant un phénotype type Huntington (agrégats de polyglutamine). 7000 séquences autosomales sont insérées dans des éléments P, que l’on utilise pour la création des lignées transgéniques. Seulement quelques lignées engendrées par ce croisement sont intéressantes. Deux principaux types se démarquent : on a observé 29 lignées qui perfectionnaient la dégénérescence, et 30 qui tendaient à réduire la pathologie. Dans cet article nous sont rapportés les résultats pour les deux premières lignées pour lesquelles les effets de suppression ont été directement confirmés : Lignée EU3500 et lignée EU3220. Résultats Description et élaboration des lignées transgéniques poly-Gln Pour les lignées 20Q : On a un phénotype sauvage Pour les lignées 127Q : on trouve un phénotype montrant des agrégats au niveau des remnants des rétines. On se sert alors d’une de ce type de lignée pour réaliser la recherche de gènes suppresseurs. Etude des gènes suppresseurs Les deux gènes suppresseurs n’agissent pas de la même façon. Technique d’études On utilise différentes techniques pour visualiser les différents phénotypes : - Microscopie électronique à balayage Microscopie photonique : observation de l’aspect extérieur de l’œil, immunomarquage de coupes histologiques Microscopie photonique Aspect extérieur On observe simplement les yeux de drosophile au microscope photonique, on peut alors apprécier l’intensité de coloration des pigments rouge. Cette coloration est telle car la drosophile exprime le gène w+, de phénotype rouge, sauvage. Immunomarquage L’épitope HA pourra être reconnu par des anticorps dirigé contre l’hémagglutinine : on réalisera donc un immunomarquage de coupes histologiques d’œil, utilisant des anticorps primaires anti-HA, puis des anticorps secondaires fluorescents, pour mettre en évidence la présence ou non d’amas de polyglutamines chez les drosophiles. Les anticorps secondaires utilisés sont flanqués par FITC (Fluorescein isothiocyanate). La fluorescéine absorbe les radiations bleues (max 490nm) et restitue une fluorescence verte (max 520nm). On réalise également un immunomarquage DAPI (Di aminido phényl indol) qui permet un marquage non spécifique de tous les noyaux. On peut alors localiser les corps cellulaires sur les coupes. Eclairé en lumière violette (max 372nm), il émet une fluorescence bleue (max 456nm). Microscopie électronique à balayages On observe les yeux par microscopie électronique à balayage après avoir utilisé des techniques de fixation adaptées. La colonne A constitue le contrôle négatif : on utilise la lignée GMR-Gal4, aussi pour montrer que l’insertion de la séquence (GMR-Gal4) n’influe pas sur le phénotype, et surtout parce que GRM-Gal4 est présent dans toutes les lignées. La colonne B constitue le contrôle positif : elle présente le phénotype des lignées GMR-Gal4 associé à UAS-127Q. On voit très nettement une malformation de l’œil (mise en évidence par toutes les méthodes d’observation, comparées au contrôle négatif), une absence de pigmentation et des agrégats de polyglutamines, mis en évidence par FITC et DAPI. L’effet recherché par l’utilisation des suppresseurs est de repasser du phénotype B au phénotype A. La colonne C présente la même chose que la colonne B, avec l’ajout de l’élément P EU3500. On restaure ainsi la structure externe et la pigmentation de l’œil. Cependant, les agrégats sont présents. La colonne D présente la même chose que la colonne B, avec l’ADNc UAS-dhdJ1, c'est-à-dire seulement la partie en 3’ de l’élément P EU3500. On note ici que la structure externe de l’œil est en grande partie rétablie, mais on observe toujours, comme dans la colonne C, des agrégats de polyglutamines. On réduit donc l’effet suppresseur au gène codant pour dhdJ1, présent en 3’ de l’élément P EU3500, homologue à l’HSP40. La structure externe est mieux rétablie, il n’y a plus de noyaux dans la partie interne de la rétine, notamment visible grâce au DAPI qui montre que les noyaux restent en grande partie dans la zone périphérique. Cependant, le FITC montre que des agrégats demeurent dans l’ensemble. La colonne E présente la même chose que la colonne B, avec l’élément suppresseur P EU3200. On a encore amélioration de la structure générale de l’œil, mais la taille de l’œil n’est pas totalement rétablie. DAPI et FITC montrent une amélioration de la structure interne de la rétine, avec des dégénérescences rétiniennes. La colonne F présente la même chose que la colonne B, avec cette fois-ci l’ADNc UAS-dtpr2, correspondant à la partie 3’ du gène de l’élément suppresseur P EU3220. On montre que cette partie de l’élément P suffit à supprimer en partie la dégénérescence de l’œil. Lignée EU3500 : - Code pour HDJ1 : protéine homologue de la protéine HSP40/HDJ1 chez l’humain Domaine J en NH2 terminal (jonction) Figure 4 : Homologies entre dHDJ1 de la drosophile et HSP40/HDJ1 de l'humain. Les domaines J sont soulignés en noir. Lignée EU3220 : - Code pour DTPR2 : protéine homologue de la protéine répétée TRP2 humaine (tétratricopeptide 2) Domaine J en COOH terminal Figure 5 : Homologies entre dtpr2 de la drosophile et hTPR2 de l'humain. Les domaines J sont soulignés en noir. NH2 COOH Domaine J Figure 6 : Modèle montrant la structure des protéines HSP40/HDJ1 et HDJ2. Protéine C’est apparemment le domaine J qui est responsable de la suppression du phénotype dégénérescent. Ce domaine présent notamment sur les protéines de choc thermique, telles que HP70, semble inhiber les agrégations, ceci a été montré dans des expériences in vitro complémentaires. Le domaine J fixe des protéines, notamment ici les polyglutamines, ce qui empêche les agrégations. Ce que l’on voit par fluorescence grâce à l’FITC après suppression ne serait peut-être pas des agrégats, mais les polyglutamines liées à dHDJ1 ou à dtpr2, selon les lignées. Conclusion Par un criblage génique, on peut trouver des gènes suppresseurs ou enhancers (ici des suppresseurs). Ce qu’il faut retenir ici c’est l’utilisation de drosophiles transgéniques présentant un phénotype de type Huntington (avec des agrégats de polyglutamines), que l’on croise par des drosophiles également transgéniques, portant des éléments P insérés dans leur génome. Après le croisement, on détermine quels individus modifient le phénotype et on peut donc déterminer des suppresseurs ou des enhancers. On pourra déterminer lesquels sont les gènes impliqués dans les suppressions et ainsi envisager une possible thérapie, visant à surexprimer ces gènes, pour enrayer la toxicité liée aux agrégations. Ce genre de technique peut être aussi utilisé dans d’autres types de maladies présentant des agrégations, comme par exemple la maladie d’Alzheimer. Grâce à ce type de modèle animal, on peut par homologie mieux comprendre le mécanisme de cette maladie, et peut-être trouver un moyen de la traiter. Faire de la thérapie génique dans ce cas n’est cependant pas possible. C’est une maladie à gain de fonction, et non à perte de fonction, et il ne suffit pas d’insérer le bon gène pour la traiter. Cependant, il est possible grâce à ces résultats de trouver des pistes de recherche. Tout espoir n’est pas perdu !