Le syndrome de la traversée thoraco

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Ann. Kinésithér., 1984, t.
© Masson,
Paris,
11, n° 3, pp. 83-88
1984
Le syndrome de la traversée
thoraco-brachiale et sa rééducation
"
J.Y. BOUCHET, C. RICHAUD, A. FRANCO
Consultation d'Angiologie et École de Masso-kinésithérapie, CH.R. u., F38043 Grenoble Cedex.
Le Syndrome de la Traversée ThoracoBrachiale (STTB) s'exprime par des douleurs
névralgiques des membres supérieurs et/ou par
des signes artériels et veineux. Il est dû à la
compression du paquet vasculo-nerveux au
niveau du défilé thoraco-brachial.
Il représente un motif de consultation très
fréquent en médecine quotidienne.
Huit fois sur dix la rééducaiton suffit à
soulager les patients et permet de réduire le
nombre des interventions de résection de la
première côte.
Introduction
Le Syndrome de la Traversée ThoracoBrachiale (STTB) représente un concept global
regroupant les problèmes de compression des
éléments neurologiques et vasculaires du hile du
membre supérieur. Déjà connus, ces symptômes
sont regroupés par Rob et Standeven (11). C'est
devant l'importance du facteur physiopathologique commun que représente la compression de
la première côte que Roos (12) propose en 1966
sa résection par voie transaxillaire. Peet (8) de
la Mayo Clinic propose en 1956 un protocole
de rééducation. En France les travaux de
Mercier et coll. (7) ont relancé l'intérêt de la
question.
Les symptômes sont dus à la compression du
paquet neurovasculaire dans le défilé thoracoTirés à part: J.Y.
BOUCHET,
à l'adresse ci-dessus.
brachial par des éléments osseux, musculaires
ou ligamentaires. Cette compression peut être
congénitale : côte cervicale ou son équivalent
ligamento-fibreux; ou acquise: chute du moignon de l'épaule plutôt chez la femme, ou
hypertrophie musculaire du sous-clavier ou du
petit pectoral chez un travailleur de force. Le
traumatisme du rachis cervical ou du moignon
de l'épaule peut également être incriminé.
Expression clinique
Le syndrome de la traversée thoraco-brachiale
s'exprime de façon très variable selon que le nerf,
l'artère ou la veine ont été comprimés. Mais les
formes associées sont très fréquentes.
La compression du plexus brachial se manifeste par une douleur, un engourdissement, une
paresthésie et une fatigabilité du membre supérieur. Une atrophie musculaire peut être notée
à la main. La douleur s'étend parfois à l'épaule
et à la région cervicale en un tableau évoquant
une névralgie cervico-brachiale. L'irradiation
douloureuse vers le thorax ou les céphalées ne
,sont pas rares. Paresthésies,et engourdissement
correspondent le plus souvent à une topographie
cubitale exprimant l'atteinte plexuelle du tronc
secondaire inférieur et s'exprimant en distalité
sur les quatrième et cinquième doigts. Ces signes
sont déclenchés ou accentués par l'abduction du
bras.
Les signes artériels incluent douleur, fatigabilité, et sensation de refroidissement du bras,
véritable claudication intermittente positionnelle
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du membre supérieur. Le phénomène de
Raynaud peut exprimer l'atteinte du sympathique et la gangrène distale les embolies cruoriques
ou plaquettaires d'une lésion anévrysmale de
l'artère sous-clavière due au microtraumatisme
répété d'une côte cervicale.
La compression veineuse provoque une douleur avec sensation de gonflement du membre
supérieur, turgescence veineuse en particulier du
moignon de l'épaule, doigts gourds et boudinés
le matin au réveil et parfois cyanose du membre.
Ces signes de compression intermittente (syndrome de Pagett-von Schroetter) peuvent précéder une véritable thrombose veineuse sousclavière ou « phlébite d'effort ».
La répartition des formés cliniques est différente selon le recrutement des spécialités et si
les STTB vasculaires représentent la majorité des
cas observés en angiologie médicale ou chirurgicale, les formes neurologiques peuvent chez
certains atteindre 90 % du recrutement (5).
Diagnostic
LES MANŒUVRES CLINIQUES
Aux manœuvres classiques (7) d'hyperabduction (Wright), des scalènes (Adson) et du
« garde:-à-vous » (Eden), on peut ajouter et
préféreria manœuvre du « chandelier» décrite
par Roos et rapportée par Beaujean (1) (fig. 1).
Le patient effectue une centaine de mouvements
a
de fermeture-ouverture des mains les bras en
abduction, rotation externe, coudes fléchis à 90°.
L'observation peut ainsi mettre en évidence des
signes de compression artérielle, veineuse et
neurologique uni ou bilatéraux dont l'intensité
est proportionnelle au nombre de mouvements
supportés: a) ischémie et pâleur de la paume;
b) cyanose du bras et turgescence des veines du
moignon de l'épaule; c) douleur névralgique
rapidement insupportable de l'épaule et du
membre supérieur. Si le patient effectue sans
difficultés 100 mouvements, cela n'exclut pas la
compression anatomique mais tend à réduire son
rôle dans la genèse des symptômes.
LES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
Les radiographies du thorax et du rachis
cervical révèlent parfois une côte cervicale ou
une apophysomégalie transverse de C7.
L'exploration
fonctionnelle
vasculaire
confirme par le Doppler et la pléthysmographie
la compression sous-clavière artérielle et/ou
vemeuse.
L'électromyogramme avec étude étagée des
vitesses de conduction nerveuse en particulier
entre les creux sus et sous-claviculaires est
indispensable pour affirmer la compression
nerveuse (13).
L'artériographie statique et dynamique par
injection humérale rétrograde· ou cathétérisme
fémoral permet d'appréciér l'intégrité ou l'atteinte anévrysmale de l'axe sous-clavier, le siège
de la compression dynamique et les éventuelles
b
Fm. 1. - Manœuvre du « chandelier ». Le sujet effectue 100 mouvements:
a) de fermeture des mains, b) d'ouverture des mains.
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-.
complications emboliques du lit d'aval. Néanmoins il s'agit d'un examen long, coûteux et
agressif qui doit être réservé aux patients pour
lesquels on envisage une intervention. L'introduction de l'angiographie numérisée, beaucoup
plus légère et permettant des examens ambulatoires, change actuellement ces restrictions.
La phlébographie humérale bilatérale réalisée
en cas d'atteinte veineuse confirme la compression veineuse sous-clavière ou axillaire et peut
révéler une thrombose aiguë ou séquellaire.
LE DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Il se pose avec les névralgies cervico-brachiales qui nécessitent un eXamen neurologique
précis et une bonne analyse radiologique statique
et dynamique du rachis cervical.
Le syndrome du canal carpien s'exprime
plutôt par des acroparesthésies nocturnes, mais
ces symptômes sont très souvent présents au
cours du STTB. L'examen neurologique et
l'EMG font la part des deux atteintes associées
dans 40 % des cas.
Les artériopathies et les thromboses veineuses
du membre supérieur également associées au
STTB sont précisées par l'étude clinique, fonctionnelle et radiologique.
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Rééducation
MÉTHODES
La rééducation (3, 4, 9, 10) est indiquée
systématiquement mais elle risque d'aggraver les
lésions si elle est trop violente. Les exercices ne
doivent jamais déclencher ou augmenter les
douleurs au cours ou après les séances. Elle
s'adresse à des patients qui. présentent des
manifestations . douloureuses plus ou moins
gênantes sur le plan fonctionnel.
L'interrogatoire révèle une augmentation de
la gène ou des douleurs lors de l'élévation des
membres supérieurs ou lors de l'abaissement des
épaules (port d'une charge, bras tendus le long
du corps).
L'inspection montre des troubles de la statique vertébrale avec une tendance à l'augmentation des courbures et surtout un enroulement
et un abaissement des épaules. Cette attitude
s'accompagne soit d'une amyotrophie globale de
la ceinture scapulaire soit au contraire, mais
c'est beaucoup plus rare, d'un tonus musculaire
important avec un raccourcissement des rotateurs internes de l'épaule (grand pectoral, grand
rond, grand dorsal).
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Traitement
Les moyens thérapeutiques comportent les
médications, la rééducation et la chirurgie.
Les médications sont essentiellement représentées par les antalgiques et les anti-inflammatoires au cours des poussées douloureuses.
Les méthodes chirurgicales proposées en cas .
d'échec de la rééducation (6) sont actuellement
surtout représentées par la résection de la
première côte et des structures ligamentofibreuses qui réduisent l'espace du défilé thoracobrachial. Roos, promoteur de ce procédé univoque quelque soit l'élément comprimé préconise
une voie d'abord transaxillaire qui présente
également des avantages esthétiques.
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FIG. 2. - Éducation posturale: recherche d'une diminution des
courbures vertébrales.
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Le type respiratoire est généralement costal
haut.
Dans toutes les atteintes compressives· du
défilé thoraco-brachial, il semble exister un
dénominateur commun morphostatique et morphodynamique de la région vertébro-scapulaire.
C'est certainement cette constatation qui a fait
élaborer à Peet (8) un protocole de rééducation
unique pour tous les patients.
Le but de ce traitement est de lutter contre
la chute des moignons des épaules en renforçant
essentiellement les muscles suspenseurs.
En préalable. à ce type de rééducation, nous
recherchons deux objectifs :
- Une éducation posturale qui vise à faire
prendre au sujet conscience d'un placement
vertébral et scapulaire correct, c'est-à-dire d'une
diminution des courbures vertébrales et d'un
désenroulement des épaules (fig. 2). Les exercices sont effectués en position couchée, puis
assise, puis debout. La correction est conservée
durant toute la séance et autant que possible au
cours des activités socio-professionnelles.
- Une rééducation respiratoire avec l'apprentissage d'une respiration de type abdominodiaphragmatique (fig. 3).
Viennent ensuite les exercices visant à tonifier
les muscles des épaules pour le cas le plus
fréquent d'une amyotrophie globale.
Le sujet est assis sur une chaise en position
corrigée :
- Il fait une élévation du moignon des épaules
contre une résistance manuelle (fig. 4a).
Pour cet exercice et les suivants, l'intensité
de la résistance permet la réalisation de dix
répétitions du mouvement. Les élévateurs des
épaules sont très puissants, la résistance est
parfois égale au poids du rééducateur!
~ Le kinésithérapeute s'oppose à une rétropulsion des épaules en appliquant la résistance
sur les omoplates (fig. 4b).
- Au niveau de la colonne cervicale, on
résiste :
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- à une inflexion latérale par une prise temporooccipitale (fig. 5a). Le mouvement est fait
alternativement vers la droite puis la gauche;
- à une rétropulsion de la tête par une prise
occipitale (fig. 5b). Si le sujet se plaint de
douleurs
cervicales,
ces exercices sont
abandonnés.
- Concernant les membres supérieurs, le
patient exécute dix abductions à 90°, puis dix
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FIG.3
FIG. 4 a
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FIG.4 b
FIG. 3. - Apprentissage d'une respiration de type abdomino-diaphragmatique.
FIG. 4. - Mobilisation contre résistance manuelle des moignons des épaules: a) élévation, b) rétropulsion.
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antépulsions également à 90°. La résistance est,
selon les cas, placée au niveau des coudes ou
des poignets (fig. 6).
On termine par un exercice plus global.
Le sujet est à une distance de l mètre environ
d'un coin de mur. Il place une main sur chaque
mur et doit rapprocher la tête de l'angle sans
bouger les pieds. La position permet de descendre la poitrine en dessous des appuis manuels.
Le travail des rotateurs internes de l'épaule se
fait en course externe.
Si on veut augmenter l'intensité, l'exercice se
fait entre deux chaises.
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Tous ces exercices sont effectués deux fois
avec un temps de repos d'environ une minute
entre chaque série. Les séances sont quotidiennes
le premier mois. Le deuxième et le troisième
mois, elles se font trois fois par semaine avec
un programme d'exercices à la maison.
Ce protocole s'adresse à la très grande
majorité des patients qui présentent une diminution globale du tonus musculaire. Pour ceux qui,
au contraire, sont déjà très musclés, mais en
position courte, les exercices sont surtout des
étirements des rotateurs internes ou des épaules.
Ces exercices sont toujours exécutés de façon
FIG. 5. - Mobilisation contre résistance
manuelle de la colonne cervicale.
a) inflexion latérale,
b) rétropulsion.
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FIG. 6. - Mobilisation contre résistance manuelle
supérieurs.
a) abduction à 90°, b) antépulsicin à 90°.
des membres
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symétrique même si les signes cliniques sont
unilatéraux. En effet, il y a souvent une
dissociation entre la clinique et les lésions
sous-jacentes. Les troubles statiques sont de
toutes façons symétriques.
RÉSULTATS
Sur une série déjà publiée (3), nous obtenons
plus de 70 % de bons résultats, c'est-à-dire une
nette diminution ou une disparition de la gène
fonctionnelle ou douloureuse. Ces résultats
correspondent à ceux de Peet (8).
DISCUSSION
Ce protocole de rééducation basé sur un
travail postural et sur un renforcement global
des muscles des épaules donne de bons résultats.
Il suscite néanmoins de nombreuses critiques
biomécaniques (2, 4, 9).
De nombreux exercices, parmi ceux proposés,
auraient tendance à fermer les différents défilés.
L'explication de Peet sur le rôle de l'horizontalisation de la clavicule dans le déclenchement des
troubles est peut-être discutable. Il est à l'origine
des nombreuses polémiques biomécaniques. Il
faut plutôt prendre en considération le contenu
des différents défilés, notamment des cordes
aponévrotiques tendues entre la clavicule et la
première'- côte et les ligaments suspenseurs de
la plèvre. Ces éléments constituent de véritables
poulies de réflexion pour le paquet vasculonerveux.
La clinique doit l'emporter sur les explications
mécaniques. C'est habituellement une dimimition du tonus musculaire qui est à l'origine des
troubles dans les STTB. La retonification globale
des muscles des épaules représente généralement
la solution au problème. Elle évite la chirurgie
dans huit cas sur dix. Ce simple fait incite à
entreprendre une rééducation systématique
avant d'envisager une attitude agressive.
Conclusion
Le syndrome de la traversée thoraco-brachiale
regroupe des symptômes divers artériels, veineux
et neurologiques, exprimant une compression à
des niveaux différents : défilé interscalénique,
pince costo-claviculaire et tunnel sous-pectoral.
Par contre, le traitement médical, kinésithérapique et chirurgical fait l'unité de la question.
La rééducation qui améliore plus de 70 % de
ces patients est entreprise systématiquement.
Son succès est lié à la régularité d'exercices
d'intensité suffisante. La prudence du médecin
et du kinésithérapeute devant des réactions
douloureuses en garantit l'inocuité.
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