CONDUITE A TENIR DEVANT UN ERYTHEME NOUEUX FILALI-ANSARY N., TAZI-MEZALEK Z. MOHATTANE A. L’érythème noueux est une éruption dermo-hypodermique aiguë non spécifique. Elle est caractérisée par un aspect et une évolution qui lui sont propres. L’intérêt de ce syndrome est qu’il peut être en rapport avec de nombreuses causes, obligeant le clinicien à en rechercher l’étiologie afin de proposer un traitement adéquat. Sur le plan épidémiologique, les femmes sont plus souvent atteintes que les hommes avec un sex-ratio de 3 à 7 femmes pour 1 homme. C’est une manifestation du sujet jeune, l’âge de survenue étant le plus souvent entre 20 et 40 ans. Il existe un facteur saisonnier, car l’érythème noueux survient plus souvent en hiver. La physiopathologie est actuellement inconnue. Il existe un terrain prédisposant, attesté par l’existence de formes familiales (6 % des cas) et la grande fréquence de l’HLA B8 (50 %). Le mécanisme invoqué est celui d’une hypersensibilité d’origine infectieuse, médicamenteuse ou au cours d’une maladie inflammatoire. DIAGNOSTIC POSITIF L’érythème noueux est souvent facile à reconnaître cliniquement dans sa forme typique. 1 - Forme typique Elle associe des signes généraux dominés par la fièvre, les arthralgies, un syndrome inflammatoire biologique et une éruption dont on distingue trois phases. La phase pré-éruptive comporte la fièvre et les arthralgies sans manifestations cutanées, posant ainsi des problèmes diagnostiques. Puis les lésions dermatologiques apparaissent : c’est la phase éruptive, suivie en quelques jours à quelques semaines par la phase résolutive avec disparition complète des lésions. A. L’éruption Il s’agit de nouures qui présentent les caractères suivants : • Morphologie : ce sont des nodosités palpables en relief par rapport aux téguments voisins auxquels elles sont e n châssées, arrondies ou ova l a i res, ayant une taille m oyenne de deux centimètres, mal limitées, fe rmes voire dures, peu mobiles par rapport aux plans profonds, inflammatoires. • To p ographie : sch é m atiquement, leur répartition est b i l at é rale et symétri q u e. Elles intéressent les faces antéro-internes des jambes, et respectent les cuisses et le dos de pied. L’atteinte des membres supérieurs, du visage et du cou est rare. • Evolution : elle se fait par poussées successives, réalisant un aspect polymorphe avec des lésions d’âges différents, chaque nouure passant par les couleurs de la biligénie avant de disparaître sans laisser de traces (ni cicatrice, ni atrophie ...) en 10 à 20 jours. La durée totale de l’éruption varie de 3 à 10 semaines. B. Signes associés à l’éruption On peut observer une fi è v re d’intensité va ri abl e, des arthralgies, des adénopathies périphériques et parfois une atteinte oculaire à type d’iritis, d’uvéite, de conjonctivite, ou d’épisclérite, la présence de signes digestifs qui fera rechercher une colite inflammatoire. C. Le syndrome inflammatoire biologique La vitesse de sédimentation est accélérée, souvent supérieure à 80 millimètres à la première heure. On peut voir une hyper-leucocytose à polynucléaires neutrophiles, une élévation du fibrinogène et des alpha2 globulines et une anémie inflammatoire. Le reste des perturbations biologiques permettra d’orienter la recherche étiologique. D. Histologie Elle réalise l’aspect d’une hypodermite aiguë septale avec respect de l’épiderme, inflammation périvasculaire discrète du derme superficiel, inflammation aiguë en foyers à prédominance périvasculaire du derme profond et surtout des s epta interl o bu l a i res du tissu adipeux hy p o d e rm i q u e. L’atteinte veinulaire est modérée, limitée à une turgescence Clinique Médicale ”A” - Hôpital AVICENNE - RABAT Médecine du Maghreb 1999 n°76 FILALI-ANSARY N., TAZI-MEZALEK Z. MOHATTANE A. 26 endothéliale sans nécrose ni thro m b o s e. Il n’y a pas d’adiponécrose, par opposition aux panniculites. 2 - Formes cliniques Elles sont très nombreuses et peuvent concerner tous les aspects cliniques de l’EN. Discrète : les nouures sont peu nombreuses, les signes généraux atténués ou absents. Inflammatoire : avec confluence des lésions et extension concentrique. Prolongée : extension en périphérie, guérison au centre. A rechutes : où les poussées se succèdent à quelques jours d’intervalle. Récidivante : survenue d’une éruption plusieurs mois ou plusieurs années après l’épisode final. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL La présentation derm at o l ogique de plusieurs affections peut prêter à confusion avec un érythème noueux. C’est là l’intérêt de la biopsie cutanée profonde. L’histologie n’est pas spécifique de l’étiologie de l’érythème noueux, mais elle permet souvent d’éliminer les autres causes d’hypodermite subaiguë ou chronique. Ainsi, les pro blèmes diagnostiques rencontrés sont les suivants : Au stade de début Réaction à une piqûre d’insecte. Erysipèle : surtout dans les formes dégradées après plusieurs poussées. Les phlébites superficielles : elles siègent sur les trajets veineux, tels les faces latérales des jambes. Elles sont dures et irrégulières, ont une évolution fibreuse, et apparaissent dans un contexte d’insuffisance veineuse chronique. Les phlébites nodulaires : elles se voient surtout au cours de la maladie de Behcet. Elles siègent sur les trajets veineux, et n’ont pas une évolution contusiforme. L’histologie montre la prédominance d’une vascularite avec atteinte veineuse. A un stade évolué En dehors des hématomes provoqués, le problème diagnostique se pose avec les autres hypodermites : L’érythème induré de Bazin : il atteint le sujet de sexe féminin ayant des antécédents de tuberculose. Il se localise Médecine du Maghreb 1999 n°76 à la partie inférieure de la face postérieure des jambes sous forme de placards violacés. La peau est froide. Au plan histologique, il s’agit d’un infiltrat inflammatoire banal ou tuberculoïde entourant une veine thrombosée. Les nodules sous-cutanés des va s c u l a ri t e s telles la périartérite noueuse. Ils siègent sur les trajets artériels des m e m b res. Ils sont d’âges diff é rents et ont tendance à l’ulcération et à la nécrose. Les nodules des embolies des cristaux de cholestérol : se voient essentiellement au cours de la maladie athéromat e u s e, lors de l’utilisation des anticoagulants ou d’une mobilisation iatrogène des plaques. Ils s’associent à un livédo, un purpura ou une gangrène distale d’un orteil. Les sarcoïdes hypodermiques : ce sont des nodules froids sous-cutanés réalisant un aspect en peau d’orange. La cy t o s t é at o n é c rose cutanée nodulaire : il s’agit de nodules sous-cutanés inflammatoires, associés parfois à des douleurs osseuses ou même des arthrites évoluant dans un contexte d’altération de l’état général. Une pancréatite chronique y est souvent associée. La panniculite aiguë fébrile récidivante de Web e rChristian : elle se manifeste par des nodules inflammatoires chez la femme d’âge moyen au niveau des zones riches en tissu adipeux (cuisses, bras, région fessière, abdomen), accompagnés de fièvre et d’arthralgies. Ces nodules peuvent se fistuliser et laissent souvent place à une atrophie cupuliforme. La lipogranulomatose de Rothman-Makaï : elle atteint l’enfant avec prédilection. Elle ne s’accompagne pas de fi è v re et ne laisse aucune cicat rice par opposition au Weber-Christian dont elle réalise un aspect similaire. Son étiologie est inconnue. Les panniculites des maladies systémiques : elles sont observées au cours du lupus érythémateux systémique, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérodermie et la dermatopolymyosite. Localisées le plus souvent sur les extrémités, les lésions sont inflammatoires et peuvent évoluer vers l’ulcération en laissant une cicatrice atrophique. Les panniculites physiques : on distingue celles qui sont dues au froid, celles qui sont dues à l’injection de produits huileux dans un but thérapeutique ou esthétique, ou encore celles qui surviennent à la suite de traumatisme chez les sujets obèses. Les panniculites infectieuses : elles sont rares et ont été décrites au cours d’infections à Pseudomonas, à Staphylocoque doré, de la tuberculose ou d’infections fongiques systémiques. CONDUITE A TENIR… DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE Dans 25 % des cas, aucune étiologie n’est retrouvée. L’infection streptococcique : +++ Elle est retrouvée 1 fois sur 5. Ni la clinique ni la biologie n’en sont spécifiques. Pour la retenir, on se base sur des a rguments cliniques : cara c t è re très infl a m m at o i re ou confluent des lésions, rechutes ou récidives rythmées par les épisodes d’infections ORL ; et sur des arguments biologiques : isolement du streptocoque bêta-hémolytique du groupe A dans la gorge (il existe cependant des porteurs sains) et présence d’anticorps anti-streptococciques. La tuberculose C’est la première cause à évoquer dans notre contexte. L’érythème noueux fait classiquement partie du tableau de primo-infection. La présence d’autres signes aide au diagnostic comme la fièvre, les sueurs nocturnes, l’altération de l’état général, la notion de contage, le virage récent des tests tuberculiniques, la présence d’un chancre d’inoculation avec adénopathie médiastinale à la ra d i ograp h i e pulmonaire et la kérato-conjonctivite phlycténulaire. On peut également retrouver une tuberculose pulmonaire ou extra-pulmonaire évolutive. La sarcoïdose L’érythème noueux en est un mode de révélation fréquent, et est retrouvé en particulier au cours du syndrome de LOFGREN qui y associe une anergie tuberculinique, des adénopathies médiastinales et des arthralgies. La radiographie pulmonaire, complétée par une tomodensitométrie et le lavage broncho-alvéolaire avec comptage des lymphocytes sont indiqués. Le diagnostic de certitude reste cependant histologique lorsqu’on retrouve sur une biopsie bronchique ou des glandes salivaires accessoires un granulome épithélio-giganto-cellulaire sans nécrose caséeuse. Les yersinioses L o rs de cette infection, des manife s t ations dige s t ive s précèdent l’éruption sous forme d’une diarrhée avec douleurs abdominales avec même parfois un tableau pseudochirurgical. La coproculture n’est que rarement positive. Le diagnostic est sérologique, et repose sur l’augmentation du taux d’anticorps spécifiques à 15 jours d’intervalle. Il s’agit de Yersinia enterocolitica pour l’adulte, et de Yersi-nia pseudotuberculosis chez l’enfant. 27 La lèpre Elle réalise un EN dans la forme lépromateuse multibacillaire. Il ne s’agit pas à proprement dire d’une hypodermite, mais d’une vascularite à complexes immuns provoquée par une infection, un stress ou des modifications thérapeutiques. Il peut s’y associer des œdèmes, une névrite aiguë, une iridocyclite, une polyarthrite ou encore une glomérulonéphrite. Autres maladies infectieuses Chlamydiae, mycoplasme, rickettsie, brucella, histoplasma, MNI, hépatite B, rougeole, grippe, paludisme, toxoplasmose, trypanosomiase. Les colites inflammatoires L’EN est une lésion classique de la maladie de Crohn et de la recto-colite hémorragique. Il précède rarement les manifestations digestives. Autres maladies systémiques Maladie de Behcet, polyarthrite rhumatoïde, lupus érythém ateux disséminé, maladie de Ta k ayasu, maladie de Horton. Le contexte clinique permet souvent de poser le diagnostic. Causes médicamenteuses et toxiques Cyclines, triméthoprime, phénacétine, salicylés, pyrazolés, amiodarone, sels d’or, D-pénicillamine, contraceptifs oraux, iodures, bromures. L’imputabilité est cependant difficile à prouver le plus souvent. Les affections malignes exceptionnellement Maladie de HODGKIN, Lymphome malin non Hodgkinien, leucémie aiguë my é l o ï d e, leucémie ly m p h o ï d e chronique, ou encore carcinome rénal. CONDUITE PRATIQUE En l’absence d’orientation clinique, un premier bilan à la recherche des causes les plus fréquentes doit être entrepris. Il doit comporter une radiographie pulmonaire de face, une IDR à la tuberculine, une numération-formule sanguine, une vitesse de sédimentation, le dosage des ASLO avec étude du prélèvement de gorge et une sérologie des Yersinia. En cas de récidive, il faut refaire le bilan initial avec orthopontomogramme et incidence de BLONDEAU à la recher- Médecine du Maghreb 1999 n°76 FILALI-ANSARY N., TAZI-MEZALEK Z. MOHATTANE A. 28 che d’un gîte streptococcique méconnu, une sérologie des chlamydiae et des mycoplasmes. Il faut également rechercher une cause médicamenteuse ou une cause rare par une surveillance radio-clinique étalée dans le temps. Le traitement doit être étiologique avant tout. En attendant, un traitement symptomatique peut être mis en œuvre : le repos en décubitus et la contention veineuse sont recommandés. On peut avoir recours aux anti-inflammatoi- res après avoir éliminé un érysipèle, à la colchicine ou à l’iodure de potassium. CONCLUSION L’érythème noueux est une affection de diagnostic clinique. Ses étiologies sont nombreuses, dominées par la tuberculose et l’infection strep t o c o c c i q u e. Il faut cep e n d a n t s’acharner à retrouver l’étiologie dans les cas récidivants au cas par cas, afin de proposer un traitement adéquat. BIBLIOGRAPHIE 1 - MAZUY A. Erythème noueux in : Diagnostics difficiles en Médecine Interne. P : 49-59. Ed. MALOINE, 1990, PARIS. 2 - DOUTRE M. S. Erythème noueux. Revue du praticien. 1996, 46, 517-519. Médecine du Maghreb 1999 n°76 3 - GROSSHANS E. Hypodermites et panniculites in : Traité de Médecine Interne. P : 737-739. ED. Médecine-Sciences / FLAMMARION, 1996, PARIS. 4 - DEGOS R. Les infiltrats hypodermiques. P : 572-582. FLAMMARION, 1981, PARIS.