DIU européen de Nutrition clinique et métabolisme Lyon 23 mars 2011 Nutrition médicalement assistée en fin de vie: repères éthiques Professeur Jean-Claude Melchior, MD, PhD Commission d’Éthique de la SFNEP Département de médecine aiguë spécialisée Hôpital R. Poincaré, 92380 Garches, France C.H.R.P.C. U.V.S.Q. Historique de la nutrition artificielle (gravure italienne du XIV siècle) Le devoir de nourrir et d’abreuver Un malade « nécessairement » assoiffé et affamé La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie • Après l’affaire Vincent Himbert (2003) • La loi du 22 avril 2005 instaure le droit à l’arrêt des traitements qui paraîtraient inutiles, disproportionnés et n’ayant pas d’autre buts que le maintien artificiel de la vie • Le Monde (6 février 2006) « laisser mourir…de faim » • Les traitements ne doivent pas être poursuivis par obstination thérapeutique déraisonnable (Leonetti) La ou les « nourritures » • Fonction physiologique: – Macronutriments – Micronutriments Energie +++ besoins de l’organisme • Fonction symbolique: – Affective – Sociale plaisir Enjeu de vie et de mort Enjeu de santé et de • Le rêve est la nourriture de l’âme • Les aliments sont la nourriture du corps Manger 1 seule fonction avec 2 principes (antinomiques ou complémentaires?) Plaisir = Alimentation La cène prémonitoire du Nirvana ? Besoin vital = Nutrition Survie, jeûne et dénutrition 0 10 Morbidité infectieuse 20 Atteinte fonctionnelle 30 jeûne 1/2 jeûne létalité Survie, jeûne et dénutrition 0 10 Morbidité infectieuse 20 Atteinte fonctionnelle 30 Agression +jeûne jeûne 1/2 jeûne létalité Sens et contre sens de la Nutrition • On ne meurt pas de soif, mais de déshydratation (en moins d’une semaine) • On ne meurt pas de faim, mais éventuellement de dénutrition jeûne 1/2 jeûne létalité La nutrition est-elle un traitement ? • Le droit à l’alimentation est indissociable de la charte internationale des droits de l’homme. Ce droit est universel. • Ce droit a 2 composantes: disponibilité et accès. • Toute personne, y compris les handicapés et les malades en phase terminale doivent avoir accès à une alimentation adaptée et suffisante (J. Ziegler, Nations Unies, 2004). • En cas d’incapacité du malade à s’alimenter seul, l’alimentation devient un soin prodigué par autrui (A.M. Paillet, Sénat). • Ce soin peut devenir un traitement (technologie de la nutrition artificielle ?). Pour la loi, la Nut. artificielle est un traitement • De quel traitement s’agit-il ? La nutrition: quel type de traitement? • Les traitements spécifiques: exemple de la chimiothérapie, des corticoïdes, des antibiotiques, des ARV etc… • Les thérapeutiques de suppléance visent à pallier à la défaillance d’une fonction vitale: dialyse, ventilation assistée, transfusions, hydratation… • Les traitements symptomatiques: confort, douleur • La nutrition est une thérapeutique de suppléance, mais peut participer aux traitements de confort. • La nutrition peut être un traitement spécifique: immunonutrition par exemple, nutrition parentérale du Wasting Syndrome du VIH Enjeux et Buts de la Nutrition artificielle • Corriger une dénutrition existante et ses effets délétères • Suppléer la fonction vitale qu’est l’alimentation lorsque celle-ci ne peut être assurée par le malade • Compléter l’alimentation orale si celle-ci ne peut couvrir à elle seule les besoins du malade De l’utilité de la nutrition artificielle en fin de vie • Maintenir ou restaurer un bon état nutritionnel paraît essentiel pour des raisons médicales et psychologiques • Le maintien de la nutrition et de l’hydratation limite les risques de confusion mentale par déshydratation • La qualité de vie est très étroitement dépendante de l’état nutritionnel • La survie est corrélée à l’état nutritionnel et à sa dégradation • La poursuite de la nutrition artificielle peut allonger la survie, mais est-ce souhaitable ? • Sans nutrition ni hydratation, l’organisme s’affaiblit vite et la léthargie s’installe. Efficacité (démontrée ou Probable) de l’assistance nutritionnelle Nutrition orale impossible, insuffisante ou inefficace pour une période prolongée (définitivement) • dysfonction oropharyngée, intestin court, malabsorption, obstruction digestive • coma, neuropathies, prématurité Nutrition orale impossible, insuffisante ou inefficace chez les malades agressés (infections, cancers, traumatismes) Chirurgie majeure pour les malades sévèrement dénutris Chirurgie digestive carcinologique (immuno nutrition) Transplantation médullaire Insuffisance rénale dialysée Souba W. N Engl J Med 1997; 336: 41-8 Indications à la nutrition artificielle: • 4 paramètres doivent guider l’indication à la Nutrition artificielle: – Le degré de Dénutrition – Le niveau des Ingesta – L’hypermétabolisme (protéolyse accrue de 250 g/jour de muscle) – L’existence de perte digestives Le degré de dénutrition, la perte de poids Mais aussi IMC < 18 90% 95% (% du poids de forme) Perte Faible (-5%) Dén utrit sévè ion re 18 < C M I rs u o j u o t s Mai Dénutrition modérée Non dénutri 35 40 30 (g/L) Choix entre nutrition entérale et parentérale • A efficacité égale, la nutrition entérale (NE) 1) maintient mieux la trophicité de l’intestin, 2) améliore les fonctions d’absorption et barrière, 3) a moins de complications, et 4) coûte moins cher que la nutrition intraveineuse. • Une seule contre-indication absolue à la voie entérale : occlusion intestinale ou péritonite N. entérale et N. parentérale Comparaison de coûts p < 0,001 ns Hamadoui E et al JPEN 1990; 14: 501-7 Quelques règles simples de bonne pratique de la nutrition artificielle En cas de dénutrition sévère, la renutrition doit être prudente et progressive Le niveau des apports doit être adapté aux ingesta résiduels Le rapport bénéfice/risque de la nutrition artificielle doit être évalué La nutrition artificielle doit toujours tenir compte d’une réflexion éthique, parfois délicate et « sans solution toute faite » Comment choisir la voie d’abord en nutrition entérale? Durée prévisible courte < 4 à 6 semaines? Oui Sonde nasogastrique Non Discuter gastrostomie Sonde naso gastrique Détail fixation Opsite transparent Gastrostomie standard Bouton de gastrostomie Comment calculer les besoins en nutrition entérale chez l’adulte Ce que tous les mélanges nutritifs de NE ont en commun • Les mélanges “artisanaux” sont au musée • Les mélanges industriels sont liquides, stériles, dans des poches plastiques scellées→ ↓risque septique • Stockables (fermés) 6 mois à température ambiante • Stables 24h une fois ouverts • Sans lactose, sans gluten, supplémentés en éléments trace polymériques isocalorique +++ En fin de vie, limiter à 20 kcal/kg/j meilleur confort, meilleure tolérance meilleur bénéfice/risque Modalités et rythme de la NE: 12h ou 24h, pompe ou non ? La NE cyclique nocturne permet : • un apport oral complémentaire dans la journée • le maintien d ’un exercice physique • Permet l’alternance physiologique circadienne entre « vaches grasses » et « vaches maigres » En revanche, la NE continue : • permet un débit plus lent qui réduit le risque de reflux, donc d’inhalation • est donc indiquée chez les patients très dénutris, alités, agressés, ou à l’intestin « fragile » La pompe (débit régulier) est préférable à la gravité Nutrition entérale: complications - inhalation bronchique +++ - diarrhée: réduire le débit, chercher une autre cause Comment prescrire une nutrition parentérale ? Indications de la nutrition parentérale en Médecine: Voie préférentielle: nutrition entérale par sonde+++ Nutrition parentérale: impossibilité ou intolérance N.ent. Sténose digestive supérieure occlusion intestinale organique vomissements répétés malabsorption majeure défaillance circulatoire Nut. entérale + Nut. parentérale: non indiquée en fin de vie En pratique : démarche logique de prescription Objectifs nutritionnels Émulsion lipidique ou non ? Crédit volume Avec ou sans électrolytes Voie centrale ou périphérique Nutrition parentérale exclusive ou complémentaire ? Choix des produits disponibles Position du cathéter pour la Nutrition parentérale totale Extrémité du Cathéter à la Jonction VCS-OD Les apports énergétiques non protéiques Glucose : 1g apporte 4 Kcal Lipide : 1 g apporte 9 Kcal Proportions recommandées Dénutrition chronique État stable 60% Glucose 40% Lipides Dénutrition aiguë état inflammatoire 70% de Glucose 30% de Lipides Apport maximal de glucose : 5g/kg/j Apport maximal de lipides : 1g/kg/j En fin de vie, 15 à 20 kcal/kg/j suffisent à apporter confort et à limiter les effets délétères de la dénutrition Estimation des besoins azotés État stable 0,15 à 0,2 g N/kg/j 0,9 – 1,2 g AA Agressé dénutri 0,35 g N/kg/j 2,2 g AA Récupération 0,25 à 0,3 g N/kg/j 1,5 – 1,8 g AA Estimation à partir de l’azote urinaire (en l’absence d’Ins. rénale) Protéines oxydées = Urée urinaire (mmol/24h) / 5,4 En fin de vie 0,5 à 1 g AA /kg/jour Une contrainte : des apports azotés élevés imposent des volumes importants 3000 2500 volume (mL) 2000 1500 1000 500 0 0 2 4 6 8 10 azote (g) 12 14 16 18 Les produits disponibles : les mélanges Flacons séparés ternaires Glucose Acides aminés Mélanges binaires Flacons Poches TC Poches BC Vamine® G Totamine® G Aminomix® Clinimix® LP Mix®….. Médianut®….. Lipides sans ions Mélanges Flacons Kabiven® PeriKabiven® Structokabiven® Olimel® Periolimel® NuTRIflex® Lipide sans ions Avec ou sans ions Aucun produit ne contient d’éléments traces ++ Nutrition parentérale: vitamines et oligo éléments Pour tout mélange ternaire en nutrition parentérale il faut ajouter extemporanément vitamines et OE: - une ampoule de Cernévit - une ampoule de Decan Même pour une courte période +++ Les complications de la nutrition parentérale Elles ne sont pas inéluctables: Voie d’abord: Bien connaître les indications Bien évaluer les besoins Bien connaître les produits Bien surveiller le traitement (clinique, biologie) Rédiger et suivre les procédures infections (choix des sites, procédures écrites) thromboses accidents mécaniques troubles du rythme si mauvaise position perturbations glycémiques perturbations ioniques (le plus souvent par défauts) perturbations volémiques (surcharge) carences en vitamines et oligoéléments apport énergétique excessif apport lipidique excessif cholestase vésiculaire (NPTprolongée) Démarche éthique et processus décisionnel à propos de la nutrition en « fin de vie » Ou comme le disait Joseph Conrad: « la question n’est plus comment être guéri mais comment vivre » Place de l’éthique clinique Amélioration des soins et des thérapeutiques – survie plus longue à des affections graves et invalidantes – meilleure connaissance des effets de la dénutrition personnes handicapées de + en + dépendantes, survie plus longue indications élargies de la nutrition artificielle traitement abstention acharnement négligence éthique clinique Principes d’éthique en nutrition • Principe de bienfaisance et de non-malfaisance – traiter mais pas à n’importe quel prix • Principe d’autonomie du patient – le droit de choisir revient au patient • Principe de futilité – permettre de mourir ≠ euthanasier (mettre fin à la vie délibérément et rapidement par compassion) • Principe de justice – proposer à tous le traitement 2 homonymes ! Limites éthiques en nutrition Ethos : coutumes, mœurs éthique = science de la morale Limites étiques en nutrition Ektikos : continu, persistant étisie = maigreur extrême Le double effet Limites éthiques en nutrition De l’obstination déraisonnable = ne pas s’acharner Limites étiques en nutrition à l’abstention thérapeutique = ne pas négliger La nutrition médicalement assistée: thérapeutique comme les autres ? • Triple regard, triple point de vue: – Perception du malade – Perception de la famille – Perception des soignants • Si personne ne conteste les décisions médicales de poursuite ou d’arrêt de certains traitements (la dialyse par exemple) car symboliquement ces traitements appartiennent au corps médical, la nutrition, dans sa symbolique n’a que secondairement été médicalisée (la mère nourricière…) • L’arrêt de l’alimentation artificielle peut être interprété comme un abandon, voire comme une euthanasie active, puisque cette interruption de traitement va conduire au décès du patient Perception du malade • • • • • • • Elle varie selon qu’il accepte ou non la nutrition artificielle Autonomie du patient: il peut souhaiter ou refuser la nutrition artificielle Ne plus s’alimenter annonce la mort Certains veulent pouvoir espérer, lutter jusqu’au bout il doit connaître le rapport « bénéfices/contraintes » Malade déjà en nutrition artificielle au moment du passage en soins palliatifs: la limitation des soins signe sans équivoque le renoncement • Débuter la nutrition à ce stade peut induire un espoir • La cachexie est un symbole tangible de la mort: on peut l’accepter comme un renoncement ou vouloir la refuser et souhaiter mourir avec un corps « digne » Perception de l’entourage • Elle peut varier entre le refus de l’acharnement thérapeutique et la nécessaire empathie envers le mourrant • Dans une situation de fin de vie, où « il n’y a plus rien à faire », pour les proches, nourrir c’est faire quelque chose • Sentiments de culpabilité à l’idée d’interrompre la nutrition • Manger, s’alimenter, se nourrir (même artificiellement), c’est continuer de vivre • Découvrir et/ou accompagner des directives avancées • Rôle de la personne de confiance • La nutrition artificielle n’est peut-être pas un traitement comme les autres (mère nourricière) Perception des soignants • Devoir de nourrir et d’abreuver un mourant nécessairement assoiffé et affamé à leurs yeux +++ • Nourrir, par n’importe quel moyen serait un impératif moral • Les infirmières: nutrition = plaisir, sollicitude, prendre soins • Certains estiment cependant que l’inconfort d’une nutrition (orale, entérale) devenue pénible, est important • Mais la nutrition artificielle est-elle douloureuse ? • Le médecin cherche l’opérationnel: est-ce efficace ? • Nourrir en toute fin de vie n’est pas bénéfique (A) • Maintenir une hydratation en fin de vie n’est peut-être pas bénéfique (B) Processus de délibération et démarche collégiale décisionnelle • Information: – – – – Bénéfices, conséquences, risques de la nutrition artificielle Possibilité d’arrêt de la nutrition médicalement assistée Conditions du mourir (où, comment ?) Lieux de soins et de réalisation de la nutrition artificielle • Temporalité: – Vivre le temps pour chaque acteur: passé, présent, futur ? • Équité et justice distributive: – Discerner le bon, le bien et le juste – En cas de nutrition artificielle, préférer la voie entérale à la voie parentérale • Discerner et positionner soigner et prendre soins Le choix éclairé revient au patient traitement Nutrition artificielle abstention thérapeutique Soins Compassion accompagnement Le patient est parfois incapable d’exprimer un choix proches Négligence X Personne de confiance Directives avancées familles Loi Leonetti X Acharnement soignants Souhaits antérieurs L’entourage et les proches consultés doivent être en harmonie avec les décisions thérapeutiques mais ne doivent pas porter le poids des décisions de mise en route ou d’arrêt de la nutrition artificielle. Conclusions La démarche en éthique clinique: Respect de la personne par reconnaissance de ses choix, de ses droits et de ses projets prise en compte de son identité, de ses habitudes de vie et de son histoire personnelle Questionnement positionnement passif quotidien permanent et pas un L’Alimentation-hydratation assistée peut contribuer à l’humanisante finalité (M-J Thiel)