Vie de l`université : Cédric Villani, Henri Poincaré et la pensée

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vie de l'université / LNA#62
Cédric Villani, Henri Poincaré
et la pensée mathématique
Par Caterina CALGARO
Maître de conférences en mathématiques,
Université Lille 1
Cédric Villani (médaille Fields 2010) s’est adressé à un auditoire de 1200 personnes, dont 900 lycéens et élèves de classes
préparatoires, dans le cadre d’une conférence qui a eu lieu à Lille le 19 septembre dernier.
E
n direction de ces jeunes, Villani affirme que les
scientifiques et les mathématiciens sont des éléments
indispensables au progrès de toute société, même si leurs
contributions restent souvent invisibles aux yeux de tous. À
ceux qui pensent que le métier de scientifique est difficile
et peu valorisant, malgré les longues études nécessaires, il
répond que c’est un métier utile et intellectuellement stimulant,
où l’on est sûr de trouver du travail, puisqu'en France il y a
actuellement un déficit de 50 000 ingénieurs.
Villani a choisi de communiquer sa passion pour la recherche
et les mathématiques à travers la présentation de l’œuvre
d’Henri Poincaré, dont on célèbre cette année le centenaire
de la mort. À la question « Comment réfléchit un mathématicien ? », Poincaré répondait : « La pensée n’est qu’un éclair
au milieu d’une nuit ; mais c’est cet éclair qui est tout ».
Villani ajoute que le monde est comme un océan rempli de
grands mystères, avec quelques îlots de connaissances qui
permettent de faire progresser les technologies.
Dans l’ouvrage Science et Méthode, Poincaré illustre le rôle
de l’intuition dans le raisonnement mathématique par
l’épisode célèbre du marchepied. Dans cet exemple personnel,
il montre comment un long et ardu travail, qui pourrait se
révéler stérile, peut avancer grâce à une découverte survenant
fortuitement au cours d’une illumination soudaine. Villani
affirme également que, bien qu’un raisonnement mathématique soit parfaitement vérifiable, car fait d’étapes simples
qui s’enchaînent logiquement les unes après les autres, le
cerveau humain, donc celui d’un mathématicien aussi, a
besoin de comprendre en terme d’idées, d’images, d’analogies,
d’émotions, de rapports et de relations.
Henri Poincaré, meilleur mathématicien de son époque,
personnage public et homme très cultivé, était aussi un être
humain sujet à des erreurs. Son erreur la plus célèbre et
la plus glorieuse est celle qui concerne le mouvement des
astres et la stabilité du système solaire. Le problème posé
à l’époque était de savoir si les petites perturbations intrinsèques au mouvement des planètes pourraient, un jour,
provoquer une collision entre des planètes, ou si une main
divine empêche cela, comme l’affirmait Newton. Laplace,
Lagrange et Gauss avaient prouvé que le système solaire restera
stable pendant au moins un million d’années, mais le
mathématicien veut toujours aller plus loin.
En 1889, lors d’un concours lancé par le roi Oscar II de
Suède, Poincaré montre dans un premier temps qu’un
système très simple, formé de trois corps dont un de masse
presque nulle, est un système stable et, grâce à ce mémoire, il
reçoit le prix du concours. Mais, à la publication de l’article
dans la revue scientifique Acta Mathematica, le mathématicien
relecteur trouve des erreurs dans le raisonnement de Poincaré.
Afin de compléter sa démonstration parfois intuitive, Poincaré
retravaille sur le problème et il découvre une erreur de taille
qui fait s’effondrer tout son raisonnement, conduisant à une
conclusion à l’opposé de sa première affirmation : Poincaré
met en évidence un mécanisme d’instabilité du système
solaire, avec des trajectoires imprédictibles sur des grands
temps, à cause de toutes petites erreurs sur la condition initiale. Ce sera la naissance de la théorie du chaos, très populaire quand on pense à « l’effet papillon », et la naissance
de la théorie des systèmes dynamiques, champ dans lequel
travaillent encore des centaines de scientifiques à travers le
monde.
Une belle illustration de la vision de la recherche que Cédric
Villani propose dans son livre, Théorème vivant 1 : « Le cycle
de la recherche mathématique est comme un tunnel noir
qui caractérise le début d’un projet de recherche ; après le
noir vient une petite lueur fragile et puis, si tout va bien, on
démêle le fil et c’est l’arrivée au grand jour. Souvent cette
phase survient d’un seul coup, mais parfois c’est une autre
histoire… ».
Retrouvez cette conférence sur le site lille1tv.univ-lille1.fr.
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Éd. Grasset, Paris, 2012.
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