C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 47 21 novembre 2001 1172 Recherche sur les maladies polygéniques J. Philippe Introduction La recherche sur les maladies polygéniques (hypertension artérielle, dyslipidémie, obésité, diabète, etc.) devra prendre un nouveau tournant avec le début de ce millénaire. Les maladies polygéniques constituent un groupe de maladies fréquentes caractérisées par l’implication de multiples gènes dont l’influence est plus ou moins fortement modulée par l’environnement. Les méthodes classiques d’identification des gènes basées sur le concept de la génétiques inverse (reverse genetics), c’est-à-dire de l’analyse de liaison ou de déséquilibre de liaison et de clonage positionnel ont permis des développements spectaculaires pour l’identification des gènes impliqués dans les maladies mendéliennes. Malheureusement, ces méthodes ont montré leur limite dans l’identification des gènes en cause dans les maladies polygéniques, plus fréquentes et plus complexes. Si l’on considère que l’homme possède environ 30–40 000 gènes fonctionnels dans son génome et que des variations fonctionnelles peuvent exister dans chacun de ces gènes, on comprends mieux la difficulté à faire un lien réel entre variation génique et maladie. Même si certains des gènes identifiés par la génétique inverse peuvent expliquer un petit pourcentage des maladies relativement fréquentes, le cancer du sein (BRCA-1 et BRCA-2), le cancer du colon (FAP, HNPCC) et le diabète (MODY-1, -2, -3, -4, -5, etc.), il n’en reste pas moins que le bilan actuel de la génétique des maladies non mendéliennes est un semi-échec et que des stratégies nouvelles doivent être développées [1, 2]. Avec l’achèvement du séquençage du génome humain, le développement d’outils informatiques et de nouvelles technologies de biologie moléculaire, il est probable que les conditions soient réunies pour que les maladies polygéniques perdent une partie de leur mystère. L’identification de tous les gènes du génome et de leurs variations fonctionnelles pourrait permettre l’étude de l’impact de ces variations sur le phénotype d’intérêt. La génomique fonctionnelle associée à la protéomique devrait aussi améliorer nos connaissances sur la fonction des gènes et leurs effets sur l’organisme. Malgré ce constat tempéré sur l’impact de la recherche dans l’élucidation des maladies polygéniques, le but de cet article est de faire le point sur les développements réalisés durant la dernière décennie sur la génétique de quatre maladies chroniques, le diabète de type II, l’hypertension artérielle, les dyslipidémies et l’obésité. Références 1 Weissman SM. Genetic bases for common polygenic diseases. Proc Natl Acad Sci 1995;92:8543–4. 2 Risch NJ. Searching for genetic determinants in the new millennium. Nature 2000;405:847–56. Diabète de type 2 Correspondance: Prof. Dr Jacques Philippe Division d’Endocrinologie et Diabétologie Département de Médecine interne HUG CH-1211 Genève 14 Le diabète de type 2 n’est pas une maladie unique mais plutôt un groupe de maladies métaboliques génétiquement hétérogènes qui partagent comme point commun, l’elevation de la glycémie. L’étiopathogénie est inconnue mais comprend très probablement des anomalies au niveau de la sécrétion et de l’action de l’insuline. La nature familiale, la différence marquée de prévalence selon les populations et les taux de concordance entre les jumeaux monozygotiques et dizygotiques suggèrent fortement que les gènes jouent un rôle important dans la sur- venue de la maladie. De nombreuses études chez l’homme et l’animal indiquent cependant que de multiples facteurs de l’environnement interviennent aussi dans la survenue du diabète, particulièrement le poids corporel et l’âge. En outre, les facteurs génétiques sont probablement multiples et d’une importance variable [1]. Cette complexité, multiples facteurs en cause et polygénicité, retarde considérablement la caractérisation des gènes impliqués dans le diabète. C U R R I C U LU M Quel a été I’apport de la génétique dans la compréhension du diabète? La génétique a apporté une contribution à la compréhension d’une certaine forme de diabète de type 2, le «Maturity-Onset Diabetes of the Young» (MODY). Cette forme de diabète que l’on pensait auparavant homogène peut être déclenchée par l’anomalie d’au moins sept gènes différents. Le MODY est une maladie autosomale dominante (la composante génétique est donc plus facile à déterminer) qui représente environ 2–5% des diabètes de type 2 et qui survient souvent avant l’âge de 25 ans [2]. Actuellement, six gènes ont été mis en cause dans la survenue du MODY et tous impliquent un défaut de secrétion d’insuline au niveau de la cellule β (voir tableau). Cependant, il existe des patients MODY qui n’ont pas d’anomalie de ces 6 gènes, ce qui suggère l’existence d’autres gènes impliqués dans cette maladie [2]. En Suisse, il est possible de faire l’analyse diagnostique des gènes les plus souvent en cause dans le MODY (glucokinase et HNF-1α). Cette analyse nécessite cependant un conseil génétique approprié. L’apport du diagnostic génétique dans cette forme de diabète, aussi bien pour sa prise en charge que pour les répercussions médicales et psychologiques pour le patient, demeure inconnu [3]. Des mutations dans le génome mitochondrial ont aussi été associées au diabète. Comme le génome mitochondrial est hérité de la mère, ce diabète est transmis par la mère. La mutation la plus fréquemment en cause est retrouvée en position 32343 du gène codant pour l’ARN Forum Med Suisse No 47 21 novembre 2001 1173 de transport de la leucine. La même mutation peut aussi être associée au syndrome MELAS (myopathie mitochondriale, encéphalopathie, acidose lactique et accidents vasculaires cérébraux). Le diabète mitochondrial est souvent associe à une surdité et résulte d’un déficit sévère de la sécrétion d’insuline dont les caractéristiques cliniques peuvent être similaires au diabète de type 1 [1]. Pour ce qui est du diabète de type 2 commun, celui de la personne adulte obèse, la génétique n’a pour l’instant pas apporté de progrès majeurs. Il est probable que plusieurs anomalies génétiques contribuent à la survenue du diabète de type 2 commun; il est aussi probable que des gènes identiques mais aussi différents puissent être impliques dans une maladie hétérogène dont les caractéristiques cliniques apparaissent similaires. En considérant que l’homme possède environ 30–40 000 gènes, leurs multiples variations et le fait que la variation génétique est aussi due à l’apport de multiples gènes, chacun ayant un effet modeste, tout ceci dans le contexte d’un syndrome hétérogène illustre la difficulté du problème de la génétique du diabète de type 2 commun. Plusieurs gènes candidats ont été étudiés avec des résultats encore peu convaincants; parmi ceux qui pourraient être en cause, on peut citer les gènes codant pour des protéines impliquées dans la signalisation intracellulaire de l’insuline (IRS) et dans la protéolyse (calpaine) [4, 5]. Un travail considérable reste donc à faire pour déterminer les gènes réellement impliqués dans le diabète, dont la caractérisation devrait permettre une meilleure médecine prédictive et préventive ainsi que de mieux cibler nos traitements. Tableau 1. Genes associés au le «Maturity-Onset Diabetes of the Young» (MODY). Gène Fonction Caractéristiques chiniques Glucokinase Enzyme limitant de la glycolyse transformant le glucose en glucose-6-phosphate Diabète peu sévère ou intolérance au glucose, complications chroniques rares HNF-1α Facteur de transcription impliqué dans l’activation du gène de l’insuline Diabète sévère nécessitant souvent un traitement à l’insuline HNF-4α Facteur de transcription impliqué dans l’activation du gène de HNF-1α, d’enzymes de la glycolyse et du transport du glucose Diabète de sévérité variable Pdx-1 Facteur de transcription impliqué dans l’activation du gène de l’insuline Diabète peu sévère HNF-1β Facteur de transcription fonctionnant en partenaire de HNF-1α Diabète d’intensité variable, problèmes rénaux, malformations génitales BETA 2 Facteur de transcription impliqué dans l’activation du gène de l’insuline Diabète d’intensité variable C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 47 21 novembre 2001 1174 Références 1 Perinutt AM, Hattersley AT. Searching for type 2 diabetes genes in the postgenome-era. TEM 2000;11:383–93. 2 Doria A, Plengvidhya N. Recent advances in the genetics of maturityonset diabetes of the young and other forms of autosomal dominant diabetes. Cur Opin Endo Diab 2000; 7:203–10. 3 Dussoix P, Vaxillaire M, lynedjan PB, Tiercy JM, Ruiz J, Spinas GA, et al. Diagnostic heterogeneity of diabetes in the young adult. Diabetes 1997; 46:622–31. 4 Shalev A. Insulin receptor substrate2-α new candidate gene for NIDDM? Eur J Endocrinol 1998;139:263–4. 5 Perinutt MA, Bemal-Nfizrachi E, Inoue H. Calpain 10: the first positional cloning of a gene for type 2 diabetes. J Clin Invest 2000;106: 819–21.