Contrats et marchés publics Le droit de la commande publique, levier du plan de relance L’accélération de l’investissement public est au cœur des priorités du plan de relance de l’économie française. La célérité de ces dépenses d’investissement nécessitait un assouplissement des règles de la commande publique, dans le respect du cadre fixé par le droit communautaire. « Les marchés publics doivent rester encadrés par des règles strictes qui permettent d’éviter les abus et d’offrir une sécurité juridique aux gestionnaires publics. Mais il faut faire en sorte que ces règles ne rendent pas la passation des marchés publics trop compliquée, trop longue alors que les évènements commandent d’aller vite pour enrayer l’engrenage de la récession. » collectivités territoriales, et en facilitant le financement des contrats de partenariat. À Douai le 4 décembre 2008, le président de la République présentait en ces termes les grandes lignes du plan de relance de l’économie française. Avec l’investissement comme priorité, le chef de l’État a notamment annoncé une série de mesures favorisant l’accélération des procédures de l’achat public : relèvement des seuils, suppression de la commission d’appel d’offres pour les marchés de l’État, allègement de la publicité. Et pour soutenir la trésorerie des entreprises, autre priorité du plan de relance, un relèvement du montant des avances versées aux titulaires de marchés publics de l’État était annoncé. Dans l’optique du plan de relance de l’économie, les trois textes de décembre 2008 et la loi de février 2009 s’attachent à simplifier la commande publique pour l’accélérer (1.), à conforter la trésorerie des entreprises et à faciliter le financement des contrats de partenariat (2.). D’autres mesures qui avaient été envisagées n’ont pas été retenues (3.) ; certaines le seront sans doute prochainement. Il n’a pas fallu plus de deux semaines pour voir ces annonces inscrites en droit positif. Le 20 décembre 2008 étaient publiés au Journal officiel les trois textes mettant en œuvre ces orientations : • décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008 de mise en œuvre du plan de relance économique dans les marchés publics, • décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 relatif au relèvement de certains seuils du code des marchés publics, Alignement sur les seuils communautaires 30 • circulaire du 19 décembre 2008 relative au plan de relance de l’économie française. La loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissements publics et privés modifie également le droit de la commande publique, en simplifiant pour l’accélérer la décision d’achat au sein des La plupart de ces modifications sont issues des propositions du député Jean-Luc Warsmann, qui a remis au Premier ministre un rapport sur la qualité et la simplification du droit comportant 17 mesures pour simplifier les marchés publics. Nouvelle modification du code des marchés publics Deux jours avant les décrets « relance » était publié le décret n° 2008-1334 du 17 décembre 2008 modifiant diverses dispositions régissant les marchés soumis au code des marchés publics et à l’ordonnance du 6 juin 2005. Dorénavant, le pouvoir adjudicateur n’est plus tenu de fixer des niveaux de capacité minimaux ; pour ses marchés à bon de commande, il n’est plus tenu d’indiquer un minimum ou un maximum ; la pondération des critères en matière de maîtrise d’œuvre n’est plus une obligation ; et le champ d’application de l’article 30 du code est étendu aux transports ferroviaires. 1. La relance par une simplification des règles de l’achat public L’investissement public massif passe par une accélération de la commande publique qui doit voir sa procédure allégée, autant que le permet le droit communautaire. C’est dans cet esprit que le seuil des procédures formalisées a été aligné sur les seuils européens, et qu’ont été facilitées la passation des marchés et la décision d’acheter. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 55 - premier trimestre 2009 Contrats et marchés publics 1.1. Une augmentation des seuils 1.1.1. Pour les « petits marchés », le décret n° 2008-1356 fait passer de 4.000 euros à 20.000 euros le seuil en deçà duquel les pouvoirs adjudicateurs peuvent décider de passer le marché sans publicité ni mise en concurrence (article 28 in fine du code des marchés publics). Le montant de 4.000 euros était particulièrement bas en comparaison de ceux en vigueur dans les autres États membres de l’Union européenne. 1.1.2. Le seuil de 206.000 euros applicable aux marchés de travaux est supprimé et remplacé par le seuil communautaire de 5,15 millions d’euros (décret n° 2008-1355). Peuvent désormais être passés selon une procédure adaptée les marchés de travaux n’atteignant pas cette somme. Ces marchés pourront ainsi être attribués sans réunion obligatoire d’une commission d’appel d’offres. Les collectivités territoriales qui le souhaitent pourront néanmoins, pour les marchés atteignant un montant qu’elles estiment important, continuer à réunir leur CAO en appliquant volontairement la procédure de l’appel d’offres. 1.2. Un allègement de la procédure de passation Suppression des commissions d’appel d’offres de l’État 1.2.1. Les commissions d’appel d’offres sont supprimées pour les marchés de l’État, de ses établissements publics, des établissements publics de santé et des établissements médico-sociaux (décret n° 2008-1355). Cette mesure est compatible avec les directives européennes qui ne prévoient pas ce type de commission. Par souci de sécurité juridique, les personnes compétentes pour signer ces marchés pourront néanmoins continuer à réunir pour avis une commission, en tant que de besoin. Cette consultation facultative pourra en conséquence être réservée aux marchés ou accords-cadres d’une certaine technicité, d’un certain montant ou présentant certaines caractéristiques. 1.2.2. La formalité de la double enveloppe disparaît (décret n° 2008-1355). La procédure de l’appel d’offres ouvert est ainsi simplifiée, les documents relatifs à la candidature et ceux relatifs à l’offre étant désormais placés par les candidats dans une même enveloppe. Cette mesure est destinée à assurer une meilleure sécurité juridique des candidats puisque cette règle de présentation formelle des dossiers de candidature et d’offres était susceptible, en cas d’erreur, d’invalider la candidature. Cette mesure est notamment favorable aux entreprises qui ne disposent pas de moyens suffisants pour la préparation formelle de leurs dossiers, ce qui est le cas des PME. Désormais, au cours d’une même séance, l’autorité compétente, qui est la commission d’appel d’offres dans le cas des marchés locaux, examine la recevabilité des candidatures et choisit l’offre économiquement la plus avantageuse, le travail préparatoire d’enregistrement des plis et de tri de leur contenu étant préalablement réalisé par les services administratifs. 1.2.3. La négociation des marchés passés selon une procédure adaptée est encouragée (décret n° 2008-1355, article 36). L’article 28 du code précise désormais expressément que ces marchés peuvent faire l’objet d’une négociation « sur tous les éléments de l’offre, notamment sur le prix ». Les pouvoirs adjudicateurs devront toutefois veiller à la traçabilité des discussions, afin de pouvoir démontrer, le cas échéant, que le principe d’égalité entre candidats a bien été respecté. Le pouvoir adjudicateur est libre aussi d’exclure toute négociation, et peut l’indiquer dans son avis d’appel public à la concurrence ou son règlement de la consultation, notamment s’il craint que la perspective d’une négociation n’incite les candidats à ne pas présenter d’emblée leur meilleure offre. 1.2.4. L’article 69-II du code prévoit désormais que la procédure du dialogue compétitif est applicable aux marchés de conception-réalisation passés pour des opérations de réhabilitation de bâtiments (décret n° 2008-1355, article 38). 1.2.5. La saisine de la commission des marchés publics de l’État (CMPE) prévue à l’article 129 du code est désormais facultative pour tous les marchés de l’État, quel qu’en soit le montant (décret n° 2008-1355, article 39). Les collectivités territoriales qui le souhaitent pourront également consulter cette commission, dès qu’un arrêté aura précisé les modalités de cette saisine. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 55 - premier trimestre 2009 31 Contrats et marchés publics Le maire peut se voir déléguer le droit de passer tous les marchés, quel qu’en soit le montant 1.2.6. Les entités adjudicatrices concluant des contrats de partenariat peuvent recourir à une procédure négociée spécifique pour tous les projets excédant un seuil défini par décret, fixé aujourd’hui à 5,15 millions d’euros (loi du 17 février 2009, article 16). Cette disposition, aujourd’hui mieux rédigée, avait été censurée par le conseil constitutionnel pour son caractère inintelligible (décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008 sur la loi relative aux contrats de partenariat). de passation. La délibération chargeant ainsi l’exécutif local de souscrire un marché déterminé comporte obligatoirement la définition de l’étendue du besoin à satisfaire et le montant prévisionnel du marché. 1.3. Un allègement de la procédure de décision Le plan de relance entend renforcer la trésorerie des entreprises. Cela passe notamment par une réduction des délais de paiement des marchés et un régime des avances plus favorable. Les investissements les plus lourds passeront par la conclusion de contrats de partenariat, il fallait donc en faciliter le financement. L’article 10 de la loi du 17 février 2009 modifie le code général des collectivités territoriales (CGCT) afin de permettre à ces collectivités d’accélérer la prise de décision en matière de marchés publics. 1.3.1. Le maire, le président du conseil général et le président du conseil régional peuvent désormais, par délégation de leur assemblée délibérante, être chargés en tout ou partie, et pour la durée de leur mandat, de prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l’exécution et le règlement des marchés et des accordscadres, ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget de la collectivité. Des délais de paiement réduits, des avances augmentées La possibilité de délégation à l’exécutif local est ainsi généralisée à tous les marchés, sans limitation de montant. Il en résulte que des marchés d’un montant important comme les marchés de travaux légèrement inférieurs à 5,15 millions d’euros peuvent désormais être passés sans délibération de l’assemblée délibérante ni décision de la commission d’appel d’offres. L’assemblée délibérante n’est bien sûr pas tenue d’accorder cette délégation à l’exécutif local, et peut la limiter à des marchés n’excédant pas un montant qu’elle détermine. 1.3.2. Dans l’hypothèse où l’exécutif local n’a pas reçu de délégation généralisée à tous les marchés, l’assemblée délibérante doit autoriser la passation de certains marchés. L’article 10 de la loi modifie le CGCT qui dispose expressément que cette autorisation de l’assemblée délibérante peut intervenir avant ou après la procédure 32 2. La relance par un meilleur financement des titulaires de marchés et de contrats de partenariat 2.1. Des mesures en faveur de la trésorerie des entreprises 2.1.1. Le délai de paiement des marchés publics est raccourci (article 98 du code). Le décret n° 2008-407 du 28 avril 2008 avait déjà abaissé à 30 jours le délai global de paiement des marchés de l’État et de ses établissements autres qu’industriels et commerciaux. Les collectivités territoriales vont progressivement se voir appliquer ce même délai (décret n° 2008-1355, article 33). Depuis le 1er janvier 2009, le paiement de leurs marchés doit intervenir dans un délai de 40 jours. Ce délai sera ramené à 35 jours à compter du 1er janvier 2010, et à 30 jours à compter du 1er juillet 2010. 2.1.2. Une mesure temporaire prévoit que des avances plus importantes seront versées aux titulaires de marchés. Par dérogation à l’article 87 du code, une avance peut être accordée lorsque le montant du marché est supérieur à 20.000 euros. Cette mesure s’applique aux marchés en cours d’exécution et à ceux notifiés au plus tard le 31 décembre 2009 (décret n° 2008-1355, article 43). Le montant de l’avance est porté à 20 % du montant du marché (au lieu de 5 %) pour tous les marchés publics de l’État d’un montant compris entre 20.000 et 5 millions d’euros et notifiés le 31 décembre 2009 au plus tard, les avances dans les marchés Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 55 - premier trimestre 2009 Contrats et marchés publics d’un montant supérieur étant laissées à la discrétion des pouvoirs adjudicateurs. Les titulaires de marchés en cours peuvent obtenir un complément d’avance de manière à atteindre les 20 %. Une enveloppe budgétaire d’un milliard d’euros est prévue pour l’application de cette mesure (circulaire du 19 décembre 2008). 2.2. Des dispositions pour faciliter le financement des contrats de partenariat Mieux financer les PPP La loi du 17 février 2009 apporte des modifications au régime juridique des contrats de partenariat afin de faciliter le montage financier des projets les plus lourds et dont le financement peut présenter des difficultés. 2.2.1. L’article 12 de la loi assouplit le régime de la cession de créance. Le titulaire d’un contrat de partenariat peut désormais céder la totalité de ses créances. L’acceptation de cette cession par la personne publique contractante est toutefois limitée à 80 % du montant, et suppose que celle-ci ait constaté que les investissements ont été réalisés conformément aux prescriptions du contrat. 2.2.2. Par dérogation aux dispositions de l’ordonnance n° 2004-559 sur les contrats de partenariat, et pour une période limitée aux années 2009 et 2010, la personne publique peut autoriser les candidats à un contrat de partenariat à présenter une offre dont les modalités de financement présentent « un caractère ajustable », c’est-à-dire une offre sans bouclage financier définitif. Le candidat pressenti pour être attributaire devra présenter le financement dans un délai fixé par la personne publique (loi du 17 février 2009, article 13). Dans sa décision n° 2009-575 du 12 février 2009, le Conseil constitutionnel juge notamment que cette disposition « ne saurait avoir pour effet de permettre au candidat pressenti de bouleverser l’économie de l’offre de partenariat ». 2.2.3. La définition du contrat de partenariat énoncée à l’article 1er de l’ordonnance du 17 juin 2004 précitée est modifiée pour permettre à l’entreprise titulaire de ne prendre en charge qu’une partie du financement de l’opération et d’autoriser ainsi le cofinancement public de l’opération projetée. Si le partenariat est conclu avec une collectivité territoriale, le financement définitif du projet doit toutefois être majoritairement assuré par le titulaire du contrat, sauf pour les projets d’un montant supérieur à un seuil fixé par décret (loi du 17 février 2009, article 14). 2.2.4. Toujours dans un souci d’accélérer la réalisation des opérations, l’État et les collectivités territoriales peuvent charger le titulaire du contrat d’acquérir les biens nécessaires à la réalisation de l’opération, y compris, le cas échéant, par voie d’expropriation (loi du 17 février 2009, article 15). 3. L’ajournement d’autres mesures de modernisation de l’achat public Toutes les propositions du rapport Warsmann n’ont pas été reprises par les textes de décembre 2008 et février 2009, certaines n’ayant pas de lien direct avec la relance économique, d’autres ayant été écartées à ce stade. 3.1. Des mesures sans lien direct avec la relance économique 3.1.1. Le Conseil constitutionnel (décision n° 2009-575 DC du 12 février 2009) a censuré l’article 33 de la loi votée par les deux assemblées le 29 janvier 2009. Cet article habilitait le Gouvernement à édicter par ordonnance la partie législative d’un code de la commande publique. Ce code aurait du contenir les dispositions de nature législative applicables aux contrats de toute nature, à l’exception de ceux régis actuellement par le code des marchés publics. Le législateur prescrivait l’adoption d’un code en trois parties consacrées aux principes transversaux et aux règles particulières à chaque contrat, avec pour consignes l’intelligibilité de la norme, la sécurité juridique des acheteurs et la Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 55 - premier trimestre 2009 33 Contrats et marchés publics facilitation de l’accès des PME aux marchés publics. À cet effet, divers textes d’ordre législatif régissant la commande publique pouvaient être modifiés. Le code de la commande publique reporté Faisant application de sa jurisprudence sur les cavaliers législatifs, le Conseil constitutionnel a considéré l’article 33 de la loi votée comme dépourvu de lien avec les dispositions figurant dans le projet de loi, et l’a donc déclaré contraire à la Constitution. 3.1.2. Adoptée par l’Assemblée nationale sur amendement du député Warsmann, la modification de la définition du délit de favoritisme a finalement été repoussée par le Sénat. En même temps que la sanction pénale était renforcée, le caractère intentionnel du délit était expressément mentionné dans l’incrimination, afin d’éviter des condamnations pénales en dehors de toute intention frauduleuse et de faire reculer chez les praticiens de l’achat public la crainte du juge pénal, génératrice d’un surformalisme chronophage et coûteux. 3.2. D’autres mesures écartées 3.2.1. Annoncée dans le discours de Douai, la disparition du seuil français de 90.000 euros au-delà duquel est prévue une publicité au BOAMP ou dans un journal habilité à recevoir des annonces légales (article 40 du code) ne figure pas parmi les dispositions du décret du 19 décembre 2008. Les conséquences économique d’une telle mesure sur la presse régionale a conduit le Parlement à voter une disposition tendant à en évaluer l’impact. Selon l’article 11 de la loi du 17 février 2009 : « Dans un délai de six mois […], le Gouvernement adresse au Parlement un rapport étudiant les solutions les plus adéquates, pour permettre un accès aussi simple que possible aux appels publics à la concurrence pour les entreprises candidates, tout en assurant la plus grande sécurité juridique possible aux acheteurs publics. L’étude d’impact évaluera tout particulièrement les inconvénients que pourraient présenter pour la presse les réformes envisagées. » les pouvoirs adjudicateurs à mentionner, dans la liste des marchés qu’ils doivent publier en application de l’article 133 du code, les marchés en cours d’exécution. Cette disposition n’a pas été reprise par le Sénat qui l’a considérée comme relevant du domaine réglementaire. * * * La réglementation de la commande publique est un ouvrage, il est vrai, souvent remis sur le métier. Il serait toutefois abusif de parler d’un « code des marchés publics 2009 ». Les modifications de décembre 2008 et février 2009 s’attachent surtout à supprimer des contraintes non prévues par le droit communautaire ; elles s’inscrivent pleinement dans l’esprit des codes de 2004 et 2006 déjà porteurs d’un allègement des procédures et d’une responsabilisation de l’acheteur public. Le droit de la commande publique est aujourd’hui appréhendé comme un levier permettant d’agir sur l’économie française, il est permis de voir dans ces mesures un moyen d’accroître l’efficacité de l’investissement public, la commande publique y ayant gagné en simplicité comme en rapidité. Sébastien de Palmaert (Direction des affaires juridiques) 3.2.2. Reprenant une proposition du rapport Warsmann, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement tendant à obliger 34 Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 55 - premier trimestre 2009