novembre 1942, le tournant de la guerre

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LA HAUTE-GARONNE
À TRAVERS SES ARCHIVES
LA SECONDE GUERRE MONDIALE (1)
Anne THOUZET
et Gilles BERNARD
Professeurs d'histoire-géographie chargés du Service éducatif
avec le concours de
Evelyne REGAN
adjoint administratif principal
et
Pascal GASTE
attaché de conservation du patrimoine
Archives départementales
de la Haute-Garonne
1996
TABLE DES DOCUMENTS
LA QUESTION DU RAVITAILLEMENT
Doc. 1
Doc. 2
Doc. 3
Doc. 4
Doc. 5
Doc. 6
Lettre du Syndicat départemental de la boulangerie de la Haute-Garonne (7 septembre 1939).
Lettre du maire de Corronsac au préfet de la Haute-Garonne (19 septembre 1939).
Carte individuelle d'alimentation, modèle présenté aux services départementaux, de type "E"
destiné aux enfants.
Feuille de "coupon d'échange", modèle destiné au second trimestre. (voir l’original)
Feuille de tickets, modèle destiné au mois de juillet. (voir l’original)
Lettre du directeur départemental du Ravitaillement Général de la Haute-Garonne au ministre
de l'Agriculture et du Ravitaillement (25 septembre 1942).
PROPAGANDE ET CENSURE
Doc. 7
Doc. 8
Doc. 9
Doc. 10
Doc. 11
Extrait du Bulletin de France (30 septembre 1941).
Extrait de Combat (15 mai 1943).
Editorial censuré de La Dépêche (19 janvier 1942). (voir l’original)
Extrait d'une liste d'ouvrages à retirer des bibliothèques publiques (16 juillet
1941).
Liste de films interdits et notice sur les films de propagande du secrétariat
général de l'Information et de la Propagande (27 février 1941 et 2 septembre
1941).
Doc. 12
Lettre de René Bousquet (5 octobre 1942).
NOVEMBRE 1942, LE TOURNANT DE LA GUERRE
Doc. 13
Doc. 14
Doc. 15
Compte rendu de la journée du 10 novembre 1942 par la commission de
Contrôle téléphonique de Toulouse.
Texte d'Adolf Hitler (11 novembre 1942).
Convoi de déportés et livraison de ressortissants allemands (28 et 30
novembre 1942).
LES LETTRES DE MONSEIGNEUR SALIÈGE, ARCHEVÊQUE
DE TOULOUSE
Doc. 16
Doc. 17
Doc. 18
Sur la personne humaine (23 août 1942). (voir l’original)
Sur la mission de la femme dans un pays civilisé (23 avril 1944).
Sur le monde ouvrier (5 juin 1943).
A PROPOS DU S.T.O.
Doc. 19
Doc. 20
Lettre du secrétaire général à la Police, René Bousquet, aux préfets
(16 février 1943). (voir l’original)
Extrait du Journal officiel contenant les ordonnances du Kommandant des
Heeresgebiets Südfrankreich concernant la zone côtière méditerranéenne
(15 février 1944).
LA QUESTION DU RAVITAILLEMENT
Document 1 - Lettre du Syndicat départemental de la boulangerie de la Haute-Garonne (7
septembre 1939).
Document 2 - Lettre du maire de Corronsac au préfet de la Haute-Garonne (19 septembre 1939).
Dès la déclaration de guerre, au mois de septembre 1939, la mobilisation générale perturbe la
production et la livraison du pain puisque les boulangers sont au front ainsi que certaines camionnettes qui
assuraient le portage du pain à domicile. Dans les faubourgs de Toulouse, des lettres anonymes dénoncent les
boulangeries qui livrent encore le pain alors que les autres ont perdu leur moyen de transport, mais le
syndicat départemental ne parvient pas à imposer l'interdiction du portage du pain. Dans certaines
communes rurales, les maires se plaignent de ne pas avoir de boulangerie sur place et de connaître de graves
difficultés d'approvisionnement en pain. Pour faire .face au manque de boulangers, l'autorité administrative
puise aussitôt dans les camps où s'entassent les réfugiés espagnols, mais hésite à employer d'anciens
militants républicains trop marqués politiquement.
Document 3 - Carte individuelle d'alimentation. Modèle présenté aux services départementaux, de
type "E", destiné aux enfants.
Le 1er mars 1940, le Journal Officiel publie le décret du 29 février 1940 relatif au recensement de
la population et à la distribution des cartes de rationnement. L'expérience de la Première Guerre
mondiale permet au gouvernement de prendre rapidement les dispositions concernant l'"arrière" en temps de
guerre. On peut lire :
"Article 2 - Toute personne résidant en France est tenue de faire avant le 1er avril
1940 une déclaration portant les indications qui seront fixées par un arrêté ministériel
(,..). Cette déclaration est déposée à la mairie de la commune où le déclarant avait sa
résidence le 1er mars 1940. Une carte nominative et intransmissible sera délivrée à
chaque déclarant. '
,
Article 3 - La production de la carte ou des titres auxquels elle donne droit, sera exigée
des consommateurs ou acheteurs, qui voudront obtenir les denrées, objets ou produits
pour lesquels cette obligation sera édictée (...)".
L'arrêté du 9 mars 1940, publié au Journal Officiel le 10 mars 1940, précise les obligations
incombant aux consommateurs et à l'administration. L'article 8 répartit les consommateurs en catégories
d'après leurs besoins : "(...) le Catégorie E. - Enfants des deux sexes âgés de moins de trois ans ; 2e Catégorie J.Enfants des deux sexes de trois à douze ans révolus ; 3e Catégorie A.- Consommateurs des deux sexes de
douze à soixante-dix ans, ne se livrant pas à des travaux de force ;
4e Catégorie T.- Consommateurs des deux sexes de douze à soixante-dix ans se livrant à un travail pénible
nécessitant une grande dépense de force musculaire (...)
5e Catégorie C.- Consommateurs des deux sexes à partir de douze ans et sans limite d'âge, se livrant
personnellement et professionnellement aux travaux agricoles (...) 6e Catégorie V.- Consommateurs des deux
sexes de plus de soixante-dix ans dont les occupations ne peuvent autoriser le classement en catégorie C."
Ces catégories de consommateurs sont modifiées en octobre 1940 : la catégorie J est divisée en Jl (de
3 à 6 ans) et J2 (de 6 à 12 ans) ; et la catégorie T se limite aux consommateurs de 14 à 70 ans. En juin
1941, on crée les J3 (de 13 à 21 ans), ce qui porte la catégorie T de 21 à 70 ans, et limite la catégorie C aux
consommateurs de plus de 21 ans.
Document 4 - Feuille de "coupon d'échange" (modèle destiné au second trimestre).
VOIR L’ORIGINAL
Document 5 - Feuille de tickets (modèle destiné au mois de juillet).
VOIR L’ORIGINAL
Les coupons mensuels donnent droit aux tickets pour obtenir les produits rationnés. Coupons
d'échange et tickets sont obtenus à la mairie de la commune de résidence. Chez les commerçants, le
consommateur présente les tickets qui donnent le droit d'acheter un produit, ainsi que la somme d'argent
correspondant au prix. Toutefois, les stocks disponibles conditionnent les livraisons aux consommateurs, et
les commerçants ne peuvent (ou ne veulent, marché noir oblige...) pas toujours honorer les tickets. La
pénurie de denrées et les livraisons irrégulières chez les commerçants obligent en ville les
consommateurs à des "queues" longues et matinales qui ne se terminent pas toujours par la satisfaction
des besoins.
La loi du 23 octobre 1941, publiée au Journal Officiel du 22 novembre 1941, précise l'organisation
du ravitaillement aux niveaux national, régional et départemental. Dans le cadre d'un plan général de
ravitaillement, on détermine les stocks et les besoins nationaux par produits. Le principe est de prélever
leurs surplus aux régions et départements excédentaires pour les distribuer aux régions et départements
réputés déficitaires. Avant cette loi, le plan général de ravitaillement était appliqué par les organisations
socio-professionnelles. Avec la loi, l'encadrement administratif est imposé et les représentants des
professions sont désormais "choisis non pas en raison de l'importance de leurs affaires mais uniquement
en raison de leur compétence propre et de l'aide qu'ils sont susceptibles d'apporter à l'administration".
Sous l'autorité du Secrétaire d'État au Ravitaillement, créé par la loi du 8 octobre 1940, et du Conseil
Supérieur du Ravitaillement, créé par la loi du 26 juillet 1941, on organise une structure pyramidale aux
niveaux national, régional et départemental, dans laquelle collaborent les représentants de l'État (préfets
régionaux et départementaux ; directeurs régionaux et départementaux du ravitaillement) et des
groupements d'achats constitués en sociétés anonymes par les professionnels. Cette organisation est
d'autant plus complexe qu'elle résulte d'un compromis entre un dirigisme planifié et un certain libéralisme
profitant aux affairistes. De plus, elle ne concerne ni les céréales (ONIC créé par la loi du 17 novembre
1940), ni les viandes (Comité National Interprofessionnel des Viandes créé par la loi du 27 septembre
1941), ni les produits laitiers (Comité Central des Groupements Interprofessionnels laitiers créé par la
loi du 27 juillet 1940). Bref l'organisation du ravitaillement fait naître un système qui se révèle vite
inefficace et débordé par la simplicité du marché noir.
Document 6 - Lettre du directeur départemental du Ravitaillement général dé la Haute-Garonne au
ministre de l'Agriculture et du Ravitaillement (25 septembre 1942).
Trop compliquée et inefficace, l'organisation du ravitaillement favorise le marché noir. Très au
fait des dispositions réglementaires en vigueur, le directeur départemental du Ravitaillement montre ici
les limites du dirigisme économique qu'il faut assouplir pour ne pas entretenir indirectement deux circuits
de ravitaillement, l'un légal mais qui ne satisfait pas les besoins, et l'autre "noir", et qui prospère en
toute impunité malgré les appels au civisme multipliés par les services de la propagande.
PROPAGANDE ET CENSURE
Document 7 - Bulletin de France (30 septembre 1941). Document 8 - Combat
(15 mai 1943).
La propagande en temps de guerre prend une importance particulière ; dès septembre 1939, le
ministère de l'Intérieur envoie une lettre aux préfets pour leur "rappeler la contribution très active que
peut apporter le cinématographe à l'existence morale de la Nation", faisant ressortir que "chacun garde
son sang-froid" et que "l'existence du peuple de France ne subit aucune paralysie" ; d'autres courriers
officiels insistent sur l'utilité de la propagande pour "maintenir le moral de la population". Avec Vichy, la
propagande prend un tour nettement plus politique ; elle "éclaire l'opinion publique sur l'action du
gouvernement et la prémunit contre les campagnes de désagrégation nationale" (lettre de P. Pucheu du
9 septembre 1941) ; il faut donc désormais à la fois endoctriner et répondre à l'activisme de la Résistance.
L'État Français met en place une organisation très structurée pour atteindre ces objectifs :
- Vice présidence du conseil à Vichy
- Secrétariat général à l'Information
- Service de la propagande sociale du Maréchal
- Comité à Vichy (organe : Bulletin de France)
- Délégué régional
- Délégué départemental
- Délégué d'arrondissement
- Délégué de canton
- Délégué de commune.
La pierre angulaire du système est le délégué départemental ; il exerce son autorité sur des
comités de patronage, composés de personnalités locales dont la mission est de développer la propagande et
de susciter des dons financiers. Son dispositif se complète par des comités d'action chargés de
coordonner les actes de la Légion des Combattants et des organisations paysannes, ouvrières et de jeunesse,
par des équipes de propagandistes pour prêcher dans les cantons et les communes.
Cette organisation très "étatique", enracinée dans les départements en la personne du délégué agit
donc selon une double logique : sa propre dynamique et la réponse à l'opposition clandestine.
Document 9 - Éditorial censuré de La Dépêche (19 janvier 1942), VOIR L’ORIGINAL
La censure accompagne la propagande dès 1938 ; exercée "a posteriori" et sans "contrôle
systématique" (lettre du ministre des Postes, Télégraphes et Téléphone du 22 octobre 1938), elle s'étend sous
Vichy ; la presse régionale est surveillée par les services qualifiés de la préfecture qui annotent ou corrigent les
articles.
En marge de cet éditorial, on peut lire : "Article dont le ton et les précisions annonçant la disette
la hausse des prix etc... ne peuvent qu'alarmer l'opinion publique. Ne peut être visé par la censure. Si la
direction décide de le laisser paraître, ce ne peut être que sous sa responsabilité personnelle et exclusive".
L'article paraît le 20 janvier 1942 après modifications.
Document 10 - Extrait d'une liste d'ouvrages à retirer des bibliothèques publiques (16 juillet 1942).
La censure s'étend à tous les supports. L'État Français, par la voie d'une commission
interministérielle communique aux préfets des listes de livres à exclure des bibliothèques. Les thèmes
éliminés sont soit politiques soit "décadents" : "II a paru nécessaire, en vue de contribuer à l'action du
gouvernement contre le communisme et en faveur du relèvement moral de la Nation de faire retirer des
bibliothèques publiques (...) tous les ouvrages de tendances politiques extrémistes, ou contraires aux
notions fondamentales de la morale" (lettre de l'amiral de la Flotte, Darlan, à Messieurs les préfets, datée
du 4 avril 1941).
Document 11 - Liste des films interdits (27 février 1941).
Notice sur les films de propagande du secrétariat général de l'information et de la
propagande (2 septembre 1941).
Le cinéma apparaît comme un support privilégié de la propagande et une préoccupation majeure
de la censure : "La production attentivement contrôlée par le commissariat général constitue l'un des
modes d'information le plus efficace et dont l'action est la plus directe sur l'esprit public" (lettre de J.
Giraudoux du 23 septembre 1939). "Le cinéma est incontestablement le meilleur moyen d'amener le
public à une idée, de lui faire comprendre certains problèmes, de lui faire admettre des raisonnements justes
(...) (il est) en tête des moyens de propagande avant la radio aveugle et la presse muette et inanimée (notice
du service du cinéma du secrétariat général de l'information, Vichy, 28 août 1941).
Les responsables interdisent la projection de certains films, parfois provisoirement. C'est le cas le
21 octobre 1939, où 51 œuvres sont retirées pour subir des coupures ("Nana", "La bête humaine", "Le jour se
lève").
Vichy ordonne la saisie de films "anti-allemands", "anti-nationaux", ou encore "licencieux". Le
service général de l'information adresse aux préfets le 2 août 1941 une liste "de films de propagande
nationale pouvant être mise à la disposition des comités départementaux", à la condition notamment que
l'emprunteur envoie en retour une note sur la réaction du public.
La notice du 28 août sus-citée précise entre autres les directives suivantes :
- axer le programme sur une idée force
- prévoir une partie récréative pour éviter la saturation
- terminer par la Marseillaise (version orchestrale, "coupée d'un éloquent appel du Maréchal").
En outre, quelques conseils doivent permettre de remplir la salle :
- envoyer des invitations aux personnalités
- créer des dépôts de cartes d'invitation faciles d'accès pour le public
- si le nombre de cartes retirées était insuffisant, combler la salle avec
"des grands élèves des lycées et collèges".
Ainsi, jouant tantôt sur la censure tantôt sur la propagande, Vichy tente de guider et de contrôler l'opinion et
la culture cinématographique.
Document 12 - Lettre de René Bousquet (5 octobre 1942).
Tous les documents jugés indésirables peuvent être saisis. En ce qui concerne les émissions
radiophoniques le Journal officiel de l'État Français publie la loi suivante datée du 28 octobre 1940 :
"Art. 1er.- Est interdite la réception, sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au
public, des émissions radiophoniques des postes britanniques et, en général, de tous
postes se livrant à une propagande anti-nationale.
Art. 2.- Toute infraction aux présentes dispositions sera punie d'une amende de 16 à 100
fr. et d'un emprisonnement de six jours à six mois, ou de l'une des deux peines
seulement.
Il pourra en outre, être procédé à la saisie administrative des postes de réception."
Un an plus tard une nouvelle loi (du 28 octobre 1941) étend l'interdiction et accentue la
répression :
"Art. 1er.- Est interdite la réception ou l'audition, en quelque lieu que ce soit, public ou
privé, des émissions radiophoniques britanniques ou des autres postes, étrangers ou non,
se livrant à une propagande anti-nationale.
Art. 2.- Dès la constatation d'une infraction au présent décret, le préfet peut prendre à
l'égard du contrevenant une mesure d'internement administratif et, si la réception ou
l'audition des émissions a lieu dans un café, bar, hôtel, restaurant, salon de thé, théâtre,
cercle, salle de réunion ou dans tout autre établissement ouvert au public, prononcer la
fermeture du dit établissement pour une durée pouvant atteindre six mois.
Dans tous les cas, il est procédé à la saisie administrative des appareils.
Art. 3.- Toute infraction au présent décret est punie d'une amende de 200 à 10 000 Fr et
d'un emprisonnement de 6 jours à 2 ans ou de l'une de ces deux peines seulement.
En outre, le tribunal peut prononcer pour une durée de un mois à six mois, la fermeture
des établissements désignés à l'article 2.
Dans tous les cas, il ordonne la confiscation des appareils saisis.
Art. 4.- Le présent décret est applicable à l'Algérie."
La radicalisation de l'appareil législatif induit l'évolution des événements et la désobéissance ; la lettre de
René Bousquet du 5 octobre 1942 le confirme et montre bien les limites de l'efficacité politique du
gouvernement de Vichy.
NOVEMBRE 1942, LE TOURNANT DE LA GUERRE
Des représentants de l'Allemagne nazie résident en "zone libre" dès avant novembre 1942.
Dans la région toulousaine, sans compter la représentation diplomatique, il faut loger dans des hôtels les
militaires chargés de surveiller l'application des accords d'armistice en ce qui concerne la production
aéronautique et le trafic des aérodromes. Le débarquement américain en Afrique du nord le 8 novembre
1942 suscite une certaine fébrilité dans l'opinion publique que les Allemands vont chercher à calmer
pendant que leurs troupes traversent la "zone libre", puis s'y installent.
Document 13 - Compte rendu de la journée du 10 novembre 1942 par la commission de Contrôle
téléphonique de Toulouse.
• L'état de l'opinion publique est surveillé au jour le jour par les services préfectoraux. Le
téléphone, encore peu répandu, et au fonctionnement manuel, permet de contrôler facilement les élites
essentiellement urbaines dont les communications doivent passer par les opératrices des PTT.
L'occupation de la "zone libre" ne semble avoir surpris personne, et la plupart des conversations
traduisent la volonté de s'adapter aux nouvelles conditions de vie que la présence allemande ne manquera pas
de créer.
Dans les jours qui suivent le 11 novembre 1942, les services préfectoraux chargés de sonder le
courrier constatent que la proportion d'allusions aux événements d'Afrique du nord est stable autour de 20
%. Les opinions "neutres", mais manifestant une certaine inquiétude, sont aussi nombreuses que celles
qui sont favorables aux Américains, loin devant les jugements qui condamnent le débarquement.
Ainsi, le dépouillement de quelque 3785 lettres dans la journée du 14 novembre 1942 révèle 598 allusions à
l"'agression contre l'Afrique du nord", et les extraits relevés sont classés en :
"NEUTRALITÉ" : Diverses marques rétrospectives de l'étonnement causé par "... cette
cascade ahurissante d'événements ...". Une minorité a tendance à regretter "... la
quiétude brusquement rompue...". "... on s'était à la longue installé dans le provisoire de
la défaite !...". La majorité n'en déclare pas moins "... qu'il vaut mieux assister à ce
bouleversement de la situation ... susceptible, à son avis, de rapprocher l'heure de la
paix."
De nombreux commentaires sur la position "tragique de la France... coincée de tous les
côtés..." et sur son "humiliation" : "... nous sommes devenus le paillasson du monde
entier !...".
Le retrait des troupes vers l'intérieur nord africain rassure les correspondants : "... on a
assez parlé de l'honneur, si on savait de que! côté il se trouve ! ... on y perd la tête ...
enfin, nos soldats ne se font plus massacrer, c'est le principal !...".
La fréquence est grande, de ce flottement des esprits, des questions se posent : "... qui
faut-il croire ? ... chacun peut-être a raison ... et ne sont-ils pas tous d'accord entre eux
malgré l'apparence ?...".
En ce sens, "l'énigme. Darlan" influence parfois le doute ou les réticences.
REPROBATION : Toujours caractérisée par la véhémence dirigée, à la fois, contre
l'agresseur "... qui prend le masque jésuistique du pseudo-libérateur..." et contre les
Français qui "... par stupidité, paresse d'esprit ou nostalgie front populaire... " attendent
le salut de ces "étranges alliés".
Assez rares sont les diatribes allant jusqu'à préconiser la collaboration militaire avec
l'Axe pour la défense de l'Empire.
Plus nombreuses celles accusant l'armée d'Afrique de "... n'avoir que fait semblant de
résister ... d'avoir suivi bien mollement l'ordre du Maréchal...".
APPROBATION : Les approbateurs suivent avec passion les progrès Américains en
Afrique française et se félicitent de certaines défections "retentissantes". Pour eux
également, l'armée n'a opposé qu'une résistance "de pure forme", ce qui les satisfait,
nombre d'entre eux se plaisant à voir bientôt dans ces troupes "... le noyau des forces
nationales prêtes à reconquérir la patrie...".
Rendant aux "collaborateurs" les invectives reçues, ils expriment leur conviction que "...
l'Allemagne et l'Italie sont condamnées...", qu'elles sont ... maîtresses en apparence de
l'Europe, mais encerclées et prisonnières en fait...".
Il semble que l'occupation de la zone libre n'est pas étrangère à l'accroissement des
témoignages pro-anglo-saxons, beaucoup de correspondants tirant un apaisement à leur
rancœur, des espoirs mis dans l'action des adversaires de l'Axe.
Document 14 - Texte d'Adolf Hitler (11 novembre 1942).
Ce document est un tract ramassé par les Renseignements Généraux de la région de Toulouse le 13
novembre 1942, et transmis au préfet régional avec la note suivante : "Le Commissaire principal, chef du
Service Régional des Renseignements Généraux à Monsieur le Préfet Régional - Cabinet J'ai l'honneur de vous rendre compte d'une distribution de tracts effectuée dans les rues de Toulouse depuis le
début de l'après-midi par trois hommes dont un militaire allemand en uniforme.
Ces tracts reproduisent l'appel du Chancelier Hitler au peuple français. On signale qu'à 15 heures une diffusion
très abondante a été faite rue d'Alsace. L'automobile, traction avant marque Citroën, immatriculée sous le N°
9324 R.L. 4 est conduite par un civil.
Un soldat allemand et un autre civil effectuent le jet des tracts sur la voie publique. Cette initiative n'a
provoqué jusqu'ici aucun incident. Ci-joint un modèle du tract (...)"
Document 15 - Convoi de déportés et livraison de ressortissants allemands (28 et 30 novembre 1942).
Dans un texte non daté, le préfet régional de Toulouse, Cheneaux de Leyritz, fait connaître aux
représentants de l'administration "la volonté du Gouvernement qui tient tout à la fois qu'un effort loyal
soit fait en vue d'éviter tout incident mais que soit
LES LETTRES DE MONSEIGNEUR SALIÈGE
Document 16 - Lettre sur la personne humaine (23 août 1942). VOIR L’ORIGINAL
Document 17 - Lettre sur la mission de la femme dans un pays civilisé (23 avril
1944).
Document 18 - Lettre sur le monde ouvrier (5 juin 1944).
Monseigneur Saliège est connu pour sa protestation du 23 août 1942 : sa "Lettre sur la personne
humaine" semble le dissocier de l'Église de France et le rapprocher de la Résistance. On peut donc se
demander quel a été le sens de son action. Pour y parvenir, il faut la replacer dans la vie et dans la logique
pastorale de l'archevêque de Toulouse.
Jules Géraud Saliège naît le 14 février 1870 à Mauriac dans le Cantal. Prêtre enseignant au
séminaire de Pleaux de 1895 à 1925, puis évêque de Gap pendant trois ans, il devient archevêque de
Toulouse le 6 décembre 1928. Il a été choisi par le Nonce pour son expérience de l'Action Catholique à Gap
et parce qu'il s'est tenu à l'écart de la querelle de l'Action Française qui a été particulièrement violente à
Toulouse.
f
Monseigneur Saliège recherche l'équilibre entre l'action et la prière ; il essaie de diffuser ses idées par
tous les moyens de communication dont il dispose, notamment la Semaine Catholique et la lecture en chaire.
Lorsqu'il rédige la Lettre sur la personne humaine, les autorités de Vichy ont pris la décision de livrer
des juifs internés dans la zone libre ; deux convois sont partis des camps de Noé et de Récébédou le 8
août (338 personnes) et le 10 août 1942 (280 personnes). L'archevêque de Toulouse a appris les faits et
il veut réagir contre ces départs et contre les conditions inhumaines dans lesquelles ils sont effectués.
Sa conscience, respectueuse des principes de la doctrine catholique le conduit donc à dénoncer la
violation des droits naturels, ceux du "genre humain" ; cela n'engage que lui, puisqu'il ne cite ni le Maréchal,
ni le gouvernement, tandis que ses invocations à la France dégagent la responsabilité de ses habitants.
Malgré les pressions, Monseigneur Saliège maintient sa décision de faire lire sa lettre en chaire le 23 août,
puis le 30 août, acceptant seulement de modifier deux expressions : "des scènes d'épouvanté" devient
"des scènes émouvantes", "ces horreurs" se transforme en "ces erreurs".
La Lettre sur la personne humaine a un retentissement considérable, fruit d'une lecture politique que
sans doute son auteur a sous-estimée. Il y aura d'autres protestations mais celle du 23 août demeurera la
plus retentissante parce qu'elle est la première. Monseigneur Saliège sera promu Compagnon de la Libération
le 7 août 1945.
Cependant l'Archevêque de Toulouse est avant tout un ecclésiastique de son temps, marqué par le
christianisme social qui transparait dans ses nombreuses lettres pastorales, une forte personnalité imposant
la vision personnelle de sa mission.
A PROPOS DU S.T.O.
Document 19 - Lettre du secrétaire général à la Police, René Bousquet, aux préfets (16 février 1943).
VOIR L’ORIGINAL
Les défections sont nombreuses, et les Offices de placement allemands exigent des autorités de
Vichy qu'elles organisent une recherche efficace des réfractaires au Service du Travail Obligatoire
(S.T.O.). Prendre le maquis après avoir touché les indemnités de route constitue une escroquerie, un
préjudice moral, mais cette pratique se généralise en prenant à défaut le code pénal.
En mars 1943, le préfet de la région de Toulouse, Cheneaux de Leyritz, écrit au colonel commandant
ème
la 17 Légion de gendarmerie et à l'Intendant Régional de police à Toulouse pour se plaindre du nombre
élevé de "défaillants" qui refusent de partir au titre de la Relève :
(...) "il me paraît indispensable, écrit-il, que vos Services apportent la plus grande activité dans la
recherche des ouvriers faisant l'objet des arrêtés préfectoraux d'internement, ou figurant sur les listes des
recherches qui vous sont transmises par mes soins. Il leur appartient, notamment, de se livrer à des recherches
effectives en utilisant tous les moyens mis à leur disposition et non d'attendre passivement que le hasard
amène les intéressés entre leurs mains."
Face au manque de zèle des agents locaux de la force publique, et aux lacunes du code pénal, il ne
reste que l'internement administratif pour les "défaillants" arrêtés ou l'appel au sens moral pour les autres :
(...) "les ouvriers désignés, ordonne Cheneaux de Leyritz, seront invités à signer, au moment de la remise
de la réquisition, l'engagement d'honneur de déférer à cet ordre. En cas de refus, leur carte d'alimentation leur
serait retirée et seuls leur seront laissés les tickets nécessaires à leur approvisionnement jusqu'au jour du
départ."
Document 20 - Extrait du Journal officiel contenant les ordonnances du Kommandant des
'Heeresgebiets Sûdfrankreich concernant la zone côtière méditerranéenne (15 février 1944)
La menace d'un débarquement allié sur les côtes méditerranéennes conduit les autorités
allemandes à étendre au Sud-Est de la France le régime militaire qu'elles appliquaient déjà au littoral
atlantique. L'énumération des actes répréhensibles constitue ici une sorte d'inventaire des actions possibles de
résistance.
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