le point sur… Traitement du pied diabétique infecté : une approche multidisciplinaire par excellence Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 894-7 P. Darbellay I. Uçkay D. Dominguez D. Mugnai L. Filtri D. Lew M. Assal Diabetic foot infection : a multidisciplinary approach Diabetic foot infection is a frequent, multifactorial and multifacettal disease. Its management requires an interdisciplinary collaboration. Multiple medical and surgical specialties are enrolled for its prevention and treatment, for good reasons. Concomitant management by various specialists shows a significant reduction in amputation rates. We review the issues of this interdisciplinary collaboration. 894 Le pied diabétique septique est une pathologie fréquente et plurifactorielle, dont la prise en charge nécessite une collaboration multidisciplinaire. De la prévention des complications à leur traitement, de multiples spécialités sont mises à contribution. Les modèles de prise en charge par des cercles de suivi spécialisés ont montré une diminution significative des taux d’amputation. L’objectif de cet article est de revoir les bénéfices de cette collaboration dans la prévention et le traitement de l’infection du pied diabétique. maladie plurifactorielle et systémique Le diabète concerne environ 250 000 patients en Suisse.1 Les atteintes micro- et macrovasculaires secondaires en font une pathologie multi-organique. Le pied diabétique 2 en est une des complications. Le risque d’ulcération et d’infection est lié à la polyneuropathie,1,3,4 l’hyperpression plantaire,1,4,5 l’artériopathie,1 la déformation osseuse neuropathique 5,6 et l’atteinte de l’immunité cellulaire sur l’hyperglycémie.7 Le traitement du pied diabétique génère 25% des coûts 2 totaux liés au diabète.1 Ces implications sur les coûts de la santé ont augmenté l’attention qui y est accordée, et les structures de prise en charge multidisciplinaire se multiplient.8 La prise en charge est divisée en cercles de suivi et est multidisciplinaire par excellence.9 Le premier cercle représente les gate keepers du système : le médecin généraliste, l’interniste, le diabétologue et le podologue. Les spécialistes de référence en cas d’apparition de complications représentent le cercle suivant : l’infectiologue, le chirurgien orthopédiste, l’angiologue, le chirurgien vasculaire, le chirurgien plasticien, le prothésiste et le nutritionniste en sont les principaux acteurs. pathogenèse de l’infection La pathogenèse suit généralement quatre étapes. Pour chacune d’entre elles, le patient a recours à des spécialistes, qui peuvent, par leur intervention, limiter le développement du processus infectieux (figure 1) ; le mal perforant plantaire en est l’archétype : 1. les microtraumatismes d’origine mécanique ou sur des zones d’hyperpression passent inaperçus ou sont négligés en raison de l’absence de douleurs, suite à la neuropathie sensitive. L’artériopathie compromet la cicatrisation. La neuropathie réduit la réponse inflammatoire,5 et contribue à la déformation de l’architecture du pied ;5,10,11 2. des callosités, phlyctènes et ulcérations 8 se développent ; 3. ces lésions sont des portes d’entrée à l’infection. L’hyperglycémie entrave le fonctionnement des neutrophiles,7,8 et l’artériopathie compromet l’apport d’antibiotiques à la lésion. En raison de l’hyperkératose plantaire dure, l’infection se propage vers l’espace intermétatarsien où la résistance tissulaire est moindre ; 4. en cas d’évolution défavorable, l’infection peut perforer le dos du pied (mal perforant : figure 2), atteindre l’os (ostéomyélite), se propager dans les tissus (der- Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 27 avril 2011 14_17_35609.indd 1 20.04.11 09:38 • Diabète sucré • Mauvaise gestion • Non-compliance • Instruction du patient • Enseignement à l’autocontrôle • Suivi régulier • Généraliste • Diabétologue • Infirmier spécialisé • Polyneuropathie • Modifications architecturales • Chaussage adapté • Décharge des zones de pression • Podologue • Orthopédiste • Prothésiste • Hyperkératose • Anhidrose • Phlyctènes • Fissurations • Ulcérations, callosités • Soins locaux • Chaussage adapté • Podologue • Infirmier spécialisé en soins de plaies • Prothésiste • Physiothérapeute • Surinfection des lésions cutanées • Compromission vasculaire • Revascularisation • Prélèvements microbiologiques • Antibiothérapie • Chirurgien vasculaire • Infectiologue • Orthopédiste • Radiologue interventionnel • Propagation locale • Perforation du dos du pied • Ostéomyélite • Infection à distance • Débridement, drainage • Antibiothérapie • Orthopédiste • Infectiologue • Infirmier spécialisé Figure 1. Pathogenèse du mal perforant (colonne gauche), mesures préventives (centre) et soignants (colonne droite) mo-hypodermite), puis infiltrer le système vasculaire (bactériémie) et se disséminer (endocardite, infection d’implant, spondylodiscite). bilans prérequis de la prévention Bilan vasculaire Le recours à l’angiologue pour un bilan vasculaire comprend la recherche des pouls périphériques, la mesure de l’index de pression artérielle (ABI) et de la TcPO2 (pression partielle d’oxygène transcutanée). L’ABI peut être calculé au cabinet du généraliste. Les pressions systoliques sont mesurées au niveau de l’artère tibiale postérieure et de l’artère pédieuse de chaque pied à l’aide d’une sonde Doppler. La pression la plus élevée est ensuite divisée par la pression systolique brachiale la plus élevée pour obtenir l’ABI de chaque membre inférieur. Une valeur l 0,9 reflète une insuffisance artérielle, tandis qu’une valeur L 1,3 signifie la noncompressibilité des artères. En effet, chez le diabétique, la sensibilité de l’ABI diminue en raison de l’artériopathie qui peut rendre les vaisseaux peu compressibles, donnant une estimation faussement optimiste de l’état vasculaire. Une valeur de TcPO2 de 30 mmHg est considérée primordiale pour une cicatrisation après un éventuel geste chirurgical.12 La sensibilité de cet examen est diminuée par l’œdème,12 qui pourrait induire une sous-estimation de la TcPO2. En cas d’insuffisance artérielle, les possibilités de revascularisation sont explorées par angio-CT, angio-IRM ou artériographie. Un chirurgien vasculaire spécialiste de l’interprétation des études non invasives, de l’angiographie diagnostique, de la revascularisation chirurgicale et endovasculaire participe à la prise en charge. Bilan orthopédique La majorité, sinon la totalité des ulcérations neuropathiques sont liées à des zones d’hyperappui13 consécutives aux modifications architecturales du pied. On cherchera à déterminer le type de déformation, à le compenser par des supports ou chaussures spécifiquement adaptées, ou à le corriger chirurgicalement. De simples griffes d’orteil liées à la neuropathie motrice de la musculature intrinsèque génèrent des hyperappuis sous les têtes métatarsiennes ; la pression plantaire peut y être augmentée d’un facteur 10. L’arthropathie de Charcot induit des déformations osseuses caricaturales, et c’est l’ensemble du squelette du pied qui est en péril. L’étendue et la profondeur d’une infection sont évaluées dans le but de déterminer rapidement si une antibiothérapie doit être combinée à un geste de débridement chirurgical. Le bilan orthopédique repose donc sur un examen clinique détaillé des déformations statiques (osseuses), fonctionnelles (musculo-tendineuses), et évalue l’étendue et la profondeur de l’infection. Il s’appuie sur un bilan radiologique standard en charge du pied. Une imagerie complémentaire par CT-Scan ou IRM est rarement nécessaire. Microbiologie : la contribution de l’infectiologue Figure 2. Mal perforant plantaire après débridement chez un patient diabétique Photo publiée avec le consentement oral du patient. L’infection est à évoquer sur la base de signes cliniques. Le laboratoire sanguin est d’une utilité limitée en ce qui concerne la pose du diagnostic. Le frottis superficiel des ulcères peut entraîner des traitements antibiotiques inutiles, ces plaies étant colonisées par de multiples germes souvent non pathogènes.3 Les prélèvements valables sont un frottis de pus, un frottis d’abcès, une biopsie osseuse et des hémocultures. La sensibilité de la biopsie est supérieure à celle des frottis,3 et est augmentée en cas de positivité de plusieurs examens au même germe.4 La mise en évidence du germe étant inconstante, une antibiothérapie empirique est souvent nécessaire. Le recours à un infectiologue est Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 27 avril 2011 14_17_35609.indd 2 895 20.04.11 09:38 souhaitable en cas d’évolution défavorable après les premières 48 heures de traitement. Diagnostic d’ostéomyélite : le rôle-clé du radiologue et de l’orthopédiste Le diagnostic d’ostéomyélite aiguë ou chronique est un des défis de la prise en charge.14 L’exposition osseuse directe (likelihood ratio (LR) 9,2) et un test du contact osseux positif (LR 6,4) suggèrent une ostéomyélite14 sans en affirmer le diagnostic. Ce test, réalisable au cabinet, consiste à explorer le fond de l’ulcère avec une aiguille boutonnée. Le contact avec une structure solide et granuleuse, sans interposition de tissu mou au fond de la plaie, est un test positif. Un ulcère L 2 cm2 augmente la probabilité14 d’une ostéomyélite sous-jacente tandis qu’une inflammation périlésionnelle ou au bilan sanguin ne la modifie pas.14 Comme pour toute ostéomyélite infectieuse, le gold standard reste la biopsie osseuse avec confirmations histologique et microbiologique dans plusieurs prélèvements.3,4,14 En cas de doute, un avis infectiologique s’impose. La biopsie de l’orteil est souvent difficile à réaliser au vu de l’insuffisance artérielle concomitante mettant en péril la cicatrisation du site de biopsie ; et portant même le risque d’aggraver l’ischémie locale. Pratiquement, cet examen est peu réalisé, l’indication à une antibiothérapie ou à une prise en charge chirurgicale reposant sur d’autres critères. L’alternative reste le diagnostic radiologique. La radiographie conventionnelle suffit 3,4 pour le diagnostic d’ostéomyélite chronique, montrant des lyses osseuses distales des orteils. L’IRM 3,14 est l’examen le plus sensible, mais pêche par son manque de spécificité. Par exemple, une inflammation osseuse lors d’une infection des tissus mous adjacents est probablement la traduction d’une ostéite d’accompagnement, mais ne devrait pas être prise en considération seule pour définir les modalités du traitement. Notamment, il n’est pas clair si une ostéite d’accompagnement nécessite des durées de traitement antibiotique prolongées comme c’est le cas dans l’ostéomyélite sans altération osseuse ou non liée au pied diabétique. Les scintigraphies au Technetium et aux leucocytes manquent de spécificité, en particulier en cas de pied de Charcot, ou en postopératoire,14 et ne sont plus utilisées dans la pratique quotidienne. traitement : une approche step-by-step Rétablir les conditions locales Une prise en charge multidisciplinaire 8,9 a montré une amélioration de la survie et une réduction du taux d’ulcération, d’amputation et des coûts à long terme.8 En effet, un modèle néerlandais a montré qu’une prise en charge multidisciplinaire adoptée pour tout patient diabétique a un rapport coût-efficacité favorable, avec une réduction des taux d’ulcération et d’amputation de 50-60%.8 Le traitement du pied diabétique septique est limité par l’atteinte vasculaire.4 La première étape consiste à rétablir les conditions locales d’une cicatrisation, en assurant l’apport de nutriments, d’oxygène et d’antibiotiques au site de l’infection. C’est le travail du chirurgien vasculaire ou du radiologue interventionnel. Les déficits nutritionnels ralentissent la guérison des ulcères de pression,15 imposant parfois la 896 consultation du nutritionniste. Le diabétologue, en optimalisant le contrôle glycémique, améliore le fonctionnement des neutrophiles.7,8 Le prothésiste est consulté pour confectionner une attelle ou un chaussage adapté évitant toute zone d’hyperappui pathologique. Les soins locaux du pédicure-podologue visent à diminuer l’hyperkératose. Choix de l’antibiothérapie L’indication à une antibiothérapie ne dépend pas de la présence de bactéries, mais repose sur la présence de pus ou d’au moins deux des manifestations suivantes : rougeur, chaleur, tuméfaction ou induration, douleur.3 Il n’y a pas d’indication à traiter un ulcère non infecté.3 Le choix de l’antibiothérapie empirique est laissé au premier cercle, en respectant les règles suivantes : 1. Il n’y a pas d’évidence en faveur d’une administration topique, seule ou en combinaison. Les experts proposent indifféremment une administration orale ou intraveineuse.3,4 2. Le traitement est ciblé sur l’antibiogramme (si disponible), avec le spectre le plus restreint possible.3,4 La question de la couverture de tous les germes mis en évidence en microbiologie versus une antibiothérapie ciblée est débattue.4 Les infections sévères peuvent être polymicrobiennes, associant des germes Gram-positifs, des pathogènes Gram-négatifs et des anaérobes dans les cas graves ou ayant bénéficié d’un traitement antibiotique préalable.3,4 Lors d’une situation d’antibiothérapie préalable, il est difficile de distinguer un vrai pathogène d’un colonisateur sélectionné par l’antibiotique précédent. A noter que la «fenêtre antibiotique» idéale avant tout prélèvement microbiologique est considérée d’au moins deux semaines. L’antibiothérapie empirique se choisit en fonction de la sévérité de l’infection. Une approche graduelle est préconisée pour les infections non sévères, avec couverture des Gram-positifs 3,4 virulents tels le staphylocoque doré ou le streptocoque,4 par exemple par de la clindamycine ou de l’amoxicilline/acide clavulanique. En cas d’évolution défavorable à 48 heures, nécessitant un élargissement du spectre (couverture des Gram-négatifs et anaérobes stricts), le patient est référé à un infectiologue. 3. Les infections sévères à type de dermo-hypodermite foudroyante, fascéite, gangrène étendue, ou infection à répercussion systémique (fièvre, frissons) sont à référer précocement, ainsi que les ostéomyélites, tant en ce qui concerne le choix des molécules que l’évaluation de la durée du traitement. Chirurgie orthopédique La revascularisation et le traitement antibiotique sont insuffisants s’ils ne sont pas couplés à des soins locaux comprenant le nettoyage de la plaie, le débridement des callosités et des tissus nécrotiques, et une décharge.3 Ces soins sont à réaliser par une équipe spécialisée. Un avis chirurgical est requis en présence d’un abcès, d’une infection avec atteinte osseuse ou arthrite septique associée, d’une nécrose étendue ou d’une gangrène.3 En revanche, la nécrose sèche de petite taille et l’ostéomyélite chronique asymptomatique sont des indications chirurgicales facultatives. La nécrose sèche est prise en charge par des infirmiers spécialistes des plaies. Les indications franches à l’ampu- Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 27 avril 2011 14_17_35609.indd 3 20.04.11 09:38 tation sont une douleur ischémique réfractaire, des complications septiques dangereuses 3 ou un pied dysfonctionnel et non appareillable du fait de ses déformations majeures. Le niveau d’amputation est le plus distal possible,3 en fonction du bilan vasculaire, des possibilités secondaires d’appareillage prothétique, des flexums articulaires préexistants et de la capacité fonctionnelle résiduelle du patient après la chirurgie. Le médecin traitant, le physiothérapeute spécialisé en rééducation et l’infirmier spécialiste du schéma corporel sont une aide à la décision. Pour les consultations ambulatoires, les patients peuvent être adressés le lundi après-midi au secrétariat de Chirurgie orthopédique au numéro de téléphone suivant : 022 372 78 25. Implications pratiques > La pathogenèse du mal perforant étant plurifactorielle, la prise en charge en est multidisciplinaire, diminuant ainsi le taux d’ulcérations, d’amputations et les coûts à long terme > La prise en charge du pied diabétique se fait selon le modèle prévention des récidives Les patients à risque doivent être éduqués en ce qui concerne les facteurs de risque et l’importance des soins du pied, incluant l’auto-inspection et la surveillance, l’hygiène quotidienne, l’utilisation d’un chaussage adapté, le bon contrôle glycémique et la reconnaissance précoce des lésions nécessitant une prise en charge spécialisée. Le généraliste et le diabétologue inspectent le pied à chaque visite 8 en guettant l’apparition de signes d’insuffisance artérielle, de neuropathie et les modifications cutanées et architecturales du pied (pied de Charcot, orteils en griffe). Ces signes cliniques sont une indication à référer le patient au cercle de spécialistes suivant. consultation multidisciplinaire : un exemple local Il existe au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) une consultation spécialisée d’orthopédie septique hebdomadaire qui réalise annuellement 11 500 pansements septiques, 370 consultations multidisciplinaires et 210 consultations d’appareillage. En dehors du personnel paramédical spécialisé dans les soins de plaies, un chirurgien orthopédiste assure le suivi des lésions, en collaboration étroite avec un prothésiste, un physiotérapeute spécialisé et un infirmier spécialiste du schéma corporel. Un infectiologue est dédié au service, ainsi qu’un diabétologue et un médecin interniste de référence. de cercles de suivi. Le diabétologue, le médecin généraliste et le podologue sont les gate keepers du système > En cas d’apparition de complications de type lésions cutanées, déformation, ulcération ou infection, le patient doit être référé au deuxième cercle de suivi que représente une consultation multidisciplinaire spécialisée (chirurgiens orthopédiques et vasculaires, diabétologue, infectiologue, infirmiers de plaie, physiothérapeutes spécialisés) Adresse Drs Pauline Darbellay et Lucia Filtri Service de médecine interne générale Dr Ilker Uçkay Pr Daniel Lew Service des maladies infectieuses Drs Ilker Uçkay, Dennis Dominguez et Mathieu Assal Service d’orthopédie et de traumatologie de l’appareil moteur Dr Damiano Mugnai Service de chirurgie cardiovasculaire Dr Lucia Filtri Service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition HUG et Faculté de médecine Université de Genève 1211 Genève 14 [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] Bibliographie 1 Felix B. 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