Pourquoi les poursuites contre les médecins se multiplient?

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Poursuites judiciaires
Pourquoi les poursuites
contre les médecins se multiplient?
Ambiguïté et jugements passés divergent créant une brèche que les patients et les avocats tenteront d’exploiter
Par Simon Aubin
Autrefois très limitées, les poursuites judiciaires intentées par un patient contre
son médecin sont de plus en plus
fréquentes. Bien que l’on soit encore loin
d’un « fléau », on peut se demander si
cette montée de recours peut s’expliquer
par une moins grande tolérance des
patients face aux erreurs ou accidents
médicaux, un rejet de l’image du
médecin « sauveur et parfait » ou la tentation de suivre l’exemple de nos voisins
américains. Mais encore, la responsabilité civile vous touche tous sans exception
et le droit québécois en la matière est très
complexe et rempli d’ambiguïtés. Tentons
d’en apprendre davantage pour mieux
vous protéger.
Le médecin, de par sa responsabilité personnelle, assume quatre grandes catégories d’obligations face à son patient. La
première consiste à obtenir le consentement libre et éclairé du patient avant une
intervention médicale (sur la nature, les
risques et le déroulement de l’intervention), ce qui entraîne le devoir de satisfaction d’information. La seconde est de
poser un diagnostic juste sur la condition
du patient. La troisième est de lui prescrire et administrer un traitement
adéquat tandis que la quatrième est de
respecter le secret professionnel. En droit
québécois, la première (celle du devoir
de satisfaction d’information) est de loin
celle qui provoque le plus de poursuites
judiciaires contre des médecins. En effet,
les cas de jurisprudence divergent et des
écoles de pensée s’affrontent sur le sujet
depuis des années, créant une brèche
énorme pour les juristes et les patients à
la recherche de compensations pour les
malaises subis suite à une rencontre avec
leur médecin.
En 1980, la Cour suprême du Canada
rendit deux arrêts de principe qui ont
grandement modifié les conséquences
légales de la satisfaction du devoir d’information. Avant ce jugement, le médecin
était dans l’obligation de communiquer à
son patient ce qu’un médecin
raisonnable aurait jugé bon de lui faire
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part, définissant par le fait même la conduite des professionnels de la santé à
partir de celle qu’aurait adoptée un
médecin raisonnable. Cependant, les
arrêts de la Cour suprême vinrent modifier cette donne, rendant l’obligation d’information à partir du point de vue et des
besoins du patient (et non du médecin).
En d’autres mots, le médecin est désormais dans l’obligation de communiquer
au patient toutes les informations qu’un
patient raisonnable dans la même situation aurait désiré qu’on lui communique.
Ainsi, le travail du médecin est plus
ardu, puisqu’il présuppose une certaine
subjectivité et une empathie vis à vis du
patient. Par exemple un usager, en raison d’une expérience personnelle ou
familiale passée, aurait peut-être refusé
une intervention quelconque s’il avait
pris connaissance des facteurs de risque
similaires à ceux vécus dans cette
expérience, tandis qu’un autre les aurait
ignorés.
Depuis ces arrêts de la Cour suprême, la
jurisprudence en fait la base de ses
jugements. Cependant, la Cour d’appel
a précisé à quelques occasions que ces
arrêts devaient être suivis avec une certaine prudence. En effet, augmentant
l’ambiguïté sur le sujet, elle indique qu’il
est préférable de tenir compte non
seulement de l’information qu’un
médecin raisonnable aurait du communiquer à son patient, mais aussi de tenir
compte des caractéristiques propres à
chaque individu, à la lumière des connaissances du patient, et de lui fournir
l’information nécessaire et individualisée. Quant au contenu de cette obligation de renseignement, les échanges
avec le patient doivent contenir de façon
objective et précise la nature de l’intervention médicale, les conséquences
plausibles suite à l’opération et les
risques opératoires et post-opératoires.
Il est intéressant de noter que les
risques exceptionnels et les risques
communs à toutes les interventions
n’ont pas à être dévoilés. Les chirurgies
esthétiques ne présentant pas de véritables caractéristiques thérapeutiques, le
médecin les pratiquant a un devoir de
divulgation d’information grandement
accru et se doit d’expliquer au patient
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Un exemple concret
Selon un article paru dans le quotidien La Presse le 10 novembre 2004, un
homme serait décédé suite à une infection à la bactérie Chlostridium difficile à
l’Hôpital Général Juif de Montréal après avoir subi une opération à la hanche.
La famille du défunt poursuit maintenant le Dr John Antoniou (praticien lors de
l’opération) et l’établissement médical pour 980 000 $. Toujours selon ce même
article : « S’il (M. Jacques Rouleau, patient) avait été mis au courant des risques
encourus pour cette opération, nécessaire mais non urgente, il ne se serait pas
présenté à l’hôpital, a indiqué Me Haman (l’avocat de la famille). Les médecins
ont le devoir d’informer leurs patients des risques encourus. Or, M. Rouleau n’a
jamais accepté de prendre le risque d’être soumis à la bactérie C. difficile
puisqu’il n’a jamais été avisé. » L’article de conclure : « D’après Jean-Pierre
Ménard, avocat spécialisé en droit médical, la poursuite intentée par la famille
de Jacques Rouleau, basée sur le consentement à l’opération, risque d’être difficile. ‘Selon la jurisprudence, on considère que le médecins n’est pas obligé de
divulguer les risques d’infection communs à toutes les opérations’. »
les circonstances ou inconvénients
beaucoup plus rares. Finalement, selon
les professeurs Kouri et Philips-Nootens,
le médecin doit mentionner au patient
« la possibilité de se faire soigner plus
rapidement dans une autre institution ».
Le consentement du patient doit aussi
être continu et peut être retiré à tout
moment lors d’une intervention médicale, si des circonstances non envisagées surviennent par exemple. Le
médecin doit cesser son opération si
l’usager retire son consentement. Par
contre, le traitement du médecin peut
être poursuivi et passer outre à l’obtention d’un nouveau consentement si le
fait de reporter l’opération crée des dangers supérieurs.
Nous aborderons lors de prochains article la relation entre le médecin et l’établissement médical, nous analyserons les
lois en vigueur sur la médecine privée
au Canada en tenant compte du code
de déontologie des médecins, en plus
de suivre avec attention les poursuites
judiciaires suite aux infections à la bactérie C. difficile. ⌧
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