Polynômes invariants sous le groupe alterné 1 Le cas

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Préparation Agrégation Externe UPMC 2006-2007
Matthieu Romagny
Polynômes invariants sous le groupe alterné
(version longue)
Soit A un anneau commutatif unitaire et n ≥ 2 un entier. Le groupe symétrique Sn
agit sur l’anneau de polynômes A[X1 , . . . , Xn ] en permutant les variables. On appelle
polynôme symétrique un polynôme invariant pour cette action, et semi-symétrique un
polynôme invariant pour l’action du groupe alterné An . Le théorème fondamental des
fonctions symétriques dit que les polynômes symétriques sont les polynômes en les fonctions symétriques élémentaires S1n , . . . , Snn . Et qu’en est-il pour l’anneau des polynômes
semi-symétriques ? Son calcul est classique lorsque A = C et donne lieu à un développement qu’on peut mettre dans plusieurs leçons. De plus il présente une certaine originalité
si on le traite en caractéristique 2 ou même sur un anneau A général.
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Groupes opérant sur un ensemble. Exemples et applications.
Groupes finis. Exemples et applications.
Groupe des permutations d’un ensemble fini. Applications.
Algèbre des polynômes à n indéterminées (n ≥ 2). Polynômes symétriques. Applications.
Le cas classique (2 inversible dans A)
Rappelons que la fonction symétrique élémentaire de degré i en n variables est
X
Sin =
Xα1 . . . Xαi
{α1 ,...,αi }
Nous aurons besoin aussi du polynôme de Vandermonde défini par
Y
Vn =
(Xi − Xj )
i>j
Certains polynômes, comme Vn , sont invariants sous le groupe alterné mais pas sous le
groupe symétrique tout entier, car une permutation impaire change Vn en −Vn .
Théorème : On suppose 2 inversible dans A. Alors l’anneau des polynômes semisymétriques est A[S1 , . . . , Sn , Vn ].
La preuve classique est dans [Gob], ou [AB] tome II, page 722. Dans ces deux références
l’anneau A est un corps de caractéristique nulle, mais la preuve fonctionne aussi bien avec
un anneau factoriel dans lequel 2 est inversible. Reprenons-la rapidement.
Preuve : D’abord, soit on tient pour acquis le fait que l’anneau des polynômes symétriques
est A[S1 , . . . , Sn ], soit, et c’est mieux dans le cadre d’un développement d’agreg, on le
redémontre (la meilleure démonstration que je connaisse est celle de [LS] car elle n’utilise
qu’une récurrence simple). Ensuite on prend un polynôme semi-symétrique F et, ayant
choisi une permutation impaire σ, on pose P = F + σF et Q = F − σF . (Il est facile
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de vérifier que P et Q ne dépendent pas du choix de σ.) Bien sûr P et Q sont semisymétriques. Si τ est une permutation impaire, un calcul immédiat donne
τ P = τ F + τ σF = σ(σ −1 τ )F + (τ σ)F = σF + F = P
τ Q = τ F − τ σF = σ(σ −1 τ )F − (τ σ)F = σF − F = −Q
car les permutations entre parenthèses sont paires. En particulier si on choisit τ = (12)
on a Q(X2 , X1 , . . . ) = −Q(X1 , X2 , . . . ). En écrivant Q comme un polynôme en X1 et X2
à coefficients polynômes en les autres Xi , on voit qu’il est divisible par X1 − X2 . Si on
choisit τ = (ij) on obtient de même que Q est divisible par Xi − Xj , donc finalement par
Vn (ici la factorialité est bien utile...). En conclusion Q = Vn R, et il est clair que R est
invariant sous Sn , donc F = 12 (P + Q) = 12 P + 12 Vn R (rappel : 2 est inversible !).
Complément possible : Posons B = A[S1 , ..., Sn ] et C = A[S1 , ..., Sn , Vn ]. Le polynôme
Σn := (Vn )2 est invariant sous Sn donc dans B. Si on se sent de le faire, on peut
compléter le développement en montrant que, plus précisément, l’anneau des polynômes
semi-symétriques C est isomorphe à B[T ]/(T 2 − Σn ) comme B-algèbre. (Dans tous les
cas, lire ce complément peut servir à anticiper une question du jury.)
Pour cela on montre d’abord que l’écriture F = P + Vn Q avec P, Q symétriques est
unique. Cela revient à vérifier que si P = Vn Q avec (P, Q) ∈ B 2 , alors P = Q = 0.
Or en appliquant une permutation impaire à l’égalité P = Vn Q on obtient P = −Vn Q.
Donc P = Q = 0. Il en découle que C est un B-module libre de rang 2 avec pour
base {1, Vn }. Dès lors l’application B[T ] → C qui à T associe Vn induit un morphisme
surjectif B[T ]/(T 2 − Σn ) → C entre deux modules libres de même rang, c’est donc un
isomorphisme.
Remarque : L’argument « τ Q = −Q ⇒ Q est divisible par X1 − X2 » ne marche pas
dans le cas où 2 n’est pas inversible. Cependant on peut donner un argument direct et
plus rapide (même dans le cas où 2 est inversible) qui le court-circuite. Voir le paragraphe
suivant...
2
Le cas général
Le 2 qui pose problème
s’explique bien sûr par 2 = [Sn : An ]. Introduisons le polynôme
Q
symétrique Θn = i>j (Xi + Xj ). Lorsque 2 n’est pas inversible il n’est plus vrai que Vn
engendre l’anneau des polynômes semi-symétriques : en fait, si car(A) = 2, on a +1 = −1
donc Vn = Θn est symétrique. On va maintenant s’affranchir de l’hypothèse 2 ∈ A× . Pour
A quelconque, on peut considérer le polynôme
Wn =
1
(Vn + Θn )
2
Il est à coefficients dans Z : c’est la même chose que de dire que Vn ≡ Θn mod 2. Enfin
comme une permutation impaire transforme Vn en −Vn , elle transforme Wn en Θn − Wn .
Exemples : W2 = X ; W3 = XZ 2 + ZY 2 + Y X 2 + XY Z ; W4 = . . .
Voici quelques remarques sur les calculs dans A[X1 , . . . , Xn ]. Lorsque A est un anneau
factoriel, par exemple un corps, il est clair que les polynômes Xi − Xj (i > j) sont des
irréductibles distincts. En conséquence, si un polynôme en n variables est divisible par
2
tous les Xi − Xj il est divisible par le polynôme de Vandermonde. En fait, si A est
quelconque (pas nécessairement factoriel ni même intègre), il est facile de vérifier par des
calculs directs que cette affirmation reste vraie.
Lemme : Soit A un anneau quelconque.
(a) Xi − Xj est non diviseur de zéro dans A[X1 , . . . , Xn ].
(b) Si F (..., Xi , ..., Xi , ...) = 0, l’indéterminée Xi étant aux places i et j, alors F est
divisible par Xi − Xj .
Preuve : Faites-la en exercice avec ces quelques indications : considérez F comme un
polynôme en Xi et Xj à coefficients des polynômes en les autres indéterminées. Pour (b)
utilisez la division euclidienne de F par rapport au polynôme Xi − Xj , de degré 1 en Xi
(voir [Lang] pour la division euclidienne dans A[X] (A quelconque) par un polynôme de
coefficient dominant inversible).
Théorème : Soit A quelconque. L’anneau des polynômes semi-symétriques est
A[S1 , . . . , Sn , Wn ]
Preuve : Nous utilisons le lemme à répétition et indiquons juste si c’est (a) ou (b).
Soit F un polynôme semi-symétrique. Soit τ une permutation impaire, il est clair que
F ∗ = F − τ F est indépendant du choix de τ . En effet si τ 0 est aussi impaire,
F − τ 0 F = F − τ (τ −1 τ 0 )F = F − τ F
puisque τ −1 τ 0 est paire. En particulier, pour σ = (ij) on a F ∗ = F − σF divisible par
Xi − Xj d’après (b). Choisissons l’ordre lexicographique sur l’ensemble des couples (i, j)
tels que 1 ≤ j < i ≤ n. Partant de F ∗ = (X1 − X2 )Q1 , on suppose par récurrence sur N
qu’il existe QN tel que


Y
F∗ = 
(Xi − Xj ) QN
(i,j)≤N
Soit (u, v) le N + 1-ème couple. Comme Xu − Xv divise F ∗ , alors QN s’annule lorsqu’on
fait Xu = Xv , d’après (a). Donc Xu − Xv divise QN par (b). Après n(n − 1)/2 étapes on
obtient F ∗ = Vn Q. Il est clair que Q est défini de manière unique (par (a)) et invariant sous
le groupe symétrique tout entier (encore (a)). Pour finir, nous vérifions que le polynôme
semi-symétrique P = F − Wn Q est aussi symétrique. Soit σ une permutation impaire, on
a F − σF = F ∗ = Vn Q et σWn = Θn − Wn = Wn − Vn . Alors,
σP = σF − σWn · σQ = σF − (Wn − Vn )Q = F − Wn Q = P
Ceci termine la démonstration.
Complément possible : Posons B = A[S1 , ..., Sn ] et C = A[S1 , ..., Sn , Wn ]. Rappelons
que le polynôme Σn := (Vn )2 est symétrique. En remplaçant Vn par 2Wn − Θn dans
l’égalité (Vn )2 = Σn on déduit l’équation d’intégralité satisfaite par Wn :
(Wn )2 − Θn Wn =
3
1
Σn − Θ2n
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Cette égalité montre d’ailleurs que le polynôme symétrique ∆n = 14 (Σn − Θ2n ) est à
coefficients dans Z. Si on se sent de le faire, on peut compléter le développement en
montrant que, plus précisément, C est isomorphe à B[T ]/(T 2 − Θn T − ∆n ) comme Balgèbre.
Pour cela on montre que l’écriture F = P + Wn Q avec P, Q symétriques est unique.
Supposons qu’on ait P = Wn Q avec (P, Q) ∈ B 2 . En appliquant une permutation impaire
à cette égalité on obtient P = (Θn − Wn )Q = (Wn − Vn )Q. Ceci joint à P = Wn Q donne
P = Q = 0. Il en découle que C est un B-module libre de rang 2 avec pour base
{1, Wn }. Dès lors l’application B[T ] → C qui à T associe Wn induit un morphisme
surjectif B[T ]/(T 2 − Θn T − ∆n ) → C entre deux modules libres de même rang, c’est donc
un isomorphisme.
Bibliographie :
[AB] Arnaudiès, Bertin, Groupes, Algèbres et Géométrie, tome II, Ellipses.
[Gob] Goblot, Algèbre commutative, Masson.
[Lang] Lang, Algèbre, Dunod.
[LS] Leichtnam, Schauer, Exercices corrigés de Mathématiques posés aux oraux XENS, Algèbre I, p. 53, Ellipses.
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