Lundi 19 octobre 2009 Etude d`un ensemble

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Document 1 : Le recul des anciennes puissances européennes après la Seconde Guerre mondiale
« Je répétais à Churchill : Vous le voyez, la France se reprend. Mais quelle que soit ma foi en elle, je sais
qu’elle ne retrouvera pas sa puissance d’autrefois. Vous, Anglais, de votre côté, terminerez cette guerre
couverts de gloire. Cependant, dans quelle mesure – si injuste que cela soit- votre situation relative risquet-elle d’être diminuée, étant donné vos pertes et vos dépenses, les forces centrifuges qui travaillent le
Commonwealth et, surtout, l’ascension de l’Amérique et de la Russie, en attendant celle de la Chine ! Voilà
donc que, pour affronter un monde nouveau, nos deux anciens pays se trouvent affaiblis simultanément. »
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre – Tome III, Plon, Paris, 1959.
Document 2 : La formation des élites locales
a) Gandhi (1869 – 1948)
Issu d’une famille de notables hindous, Gandhi
entreprend des études de droit à Londres en 1888 et
devient avocat. Il séjourne en Afrique du Sud, où il
défend les droits de la minorité hindoue. Partisan de
la contestation non-violente et de la désobéissance
civile, il est une grande figure du mouvement
indépendantiste indien. Il meurt assassiné en 1948.
b) Léopold Sédar Senghor (1906 – 2001)
Originaire d’une famille sénégalaise aisée de
commerçants, il passe son baccalauréat à
Dakar, puis poursuit ses études au lycée Louisle-Grand à Paris en khâgne où il fut le
camarade de Georges Pompidou. Agrégé de
grammaire, il devient professeur. En 1934, il
fonde avec Aimé Césaire le concept politique
et culturel de négritude. En 1945, il devient
député
du
Sénégal
à
l’Assemblée
constituante, puis, en 1959, ministre. De 1960
à 1981, il est président du Sénégal. Il est élu à
l’Académie française en 1981.
Document 3 : Le témoignage d’Ahmed Ben Bella, soldat indigène durant la Seconde Guerre mondiale
Ben Bella, héros de l’armée française, cité deux fois à l’ordre de l’Armée et
de son régiment, décoré par De Gaulle en juillet 1944, est un des
fondateurs du FLN (Front de Libération Nationale) en 1954 et le 1er
président de la République algérienne indépendante en 1962.
Il témoigne ici de son enrôlement dans l’armée française :
« L’occupation de l’Afrique du Nord par les Alliés laissait présager qu’on
allait mobiliser les réservistes. Je fus appelé au cours de l’été 1943 et versé
au 6ème tirailleur algérien à Tlemcen. Quel contraste avec le 141ème de
Marseille ! Au 6ème tirailleur, l’inégalité entre gradés algériens et gradés
français était flagrante. Deux mess distincts pour les deux catégories
d’officiers, deux « popotes » séparées pour les sous-officiers. Nos assiettes
n’avaient pas le droit de fraterniser avec les assiettes des Français de grade
égal. Nos verres n’avaient pas le droit de trinquer avec les leurs, même si
les leurs contenaient du vin et les nôtres de l’eau. Je passe sur la gêne et
les humiliations que cette ségrégation entraînait. Les Algériens la
supportaient de plus en plus mal. Pour les peuples sous domination
coloniale, l’année 1940 avait éclaté comme un coup de tonnerre. L’Histoire
sortait de ses voies traditionnelles et, tout d’un coup, s’arrêtait. Les
frontières étaient franchies, les Etats s’écroulaient, tout était remis en
cause. Nous sentions que l’Algérie ne pouvait pas rester à l’écart des
grands bouleversements du siècle. Nous avions l’impression de nous
réveiller d’un grand sommeil et de nous redresser à demi, la main appuyée
sur le sol qui avait appartenu à nos pères. »
Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Gallimard, Paris, 1965.
Document 4 : L’ONU et la question coloniale
« Chapitre XI – Déclaration relative aux territoires non-autonomes. Article 73 :
Les membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires
dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de
la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée
l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et
de sécurité internationales établi par la présente Charte et, à cette fin :
a) d’assurer, en respectant la culture des populations en question, leur progrès politique, économique
et social, ainsi que le développement de leur instruction, de les traiter avec équité et de les
protéger contre les abus ;
b) de développer leur capacité de s’administrer elles-mêmes, de tenir compte des aspirations
politiques des populations et de les aider dans le développement progressif de leurs libres
institutions politiques. »
Extrait de la Charte des Nations Unies – San Francisco, 26 juin 1945.
Document 5 : Les Américains face à la colonisation
Pendant la Seconde guerre mondiale, Elliott Roosevelt s’adresse à son
père, F. D. Roosevelt, président des Etats-Unis :
- « […] Je sais que la question des colonies est importante, mais après
tout elles appartiennent à la France. Comment pouvons-nous, nous
autres, parler de ne pas lui rendre ?
Roosevelt me regarda et dit :
F.D. Roosevelt et son fils Elliott
- Qu’est-ce à dire qu’elles appartiennent à la France ? En vertu de quoi le
Maroc, peuplé de Marocains, appartient-il à la France ? Ou bien
considérons l’Indochine. Cette colonie est maintenant au pouvoir du
Japon. Pourquoi le Japon était-il si sûr de conquérir ce pays ? Les
indigènes y étaient si opprimés qu’ils se disaient : « Tout vaut mieux que
de vivre sous le régime colonial français ! ». Un pays peut-il appartenir à
la France ? En vertu de quelle logique, de quelle coutume ? […] Quand
nous aurons gagné la guerre, je travaillerai de toutes mes forces pour
que les Etats-Unis ne soient pas amenés à accepter aucun plan
susceptible de favoriser les ambitions impérialistes de la France, ou
d’aider, d’encourager les ambitions de l’empire anglais. […] On ne peut
lutter contre la servitude fasciste et en même temps ne pas libérer sur
toute la surface du globe les peuples soumis à une politique coloniale
rétrograde. »
E. Roosevelt, Mon père m’a dit…, Flammarion, Paris, 1947.
DST D’Histoire (3 h)
Terminale S1 (Mme Antelmi)
Lundi 19 octobre 2009
Etude d’un ensemble documentaire
Les facteurs de l’émancipation des peuples
dépendants : la décolonisation après la Seconde
Guerre mondiale, un processus inéluctable ?
1ère PARTIE : Questions
Document 1
En quoi la Seconde Guerre mondiale bouleverse-t-elle la hiérarchie des puissances mondiales ? Quel est l’impact
dans les colonies ?
Document 2
Où et comment se forment les élites locales ? Quel rôle vont-elles jouer dans le processus de décolonisation ?
Document 3
Quel rôle ont joué les troupes coloniales durant la Seconde Guerre mondiale ? Pourquoi Ben Bella parle-t-il de
ségrégation ? Quels sont les sentiments provoqués par cette ségrégation et en quoi cela va-t-il provoquer une
rupture dans les relations entre les métropoles et leurs colonies.
Document 4
Comment l’ONU envisage-t-elle l’évolution des empires coloniaux ? Au nom de quel principe ?
Document 5
Quelle position défend F. D. Roosevelt face au colonialisme ? Quels sont ses arguments ?
2ème PARTIE : Réponse organisée
A l’aide des informations tirées des documents et de vos connaissances, rédigez une réponse organisée et
argumentée au sujet posé.
Etude d’un ensemble documentaire (correction)
Les facteurs de l’émancipation des peuples dépendants : la décolonisation après la Seconde Guerre
mondiale, un processus inéluctable ?
1ère PARTIE : Questions
Document 1
Ici, De Gaulle souligne l’affaiblissement des métropoles dû à la Seconde Guerre mondiale : « Nos deux anciens pays se trouvent
affaiblis simultanément ». En effet, les Etats colonisateurs sortent épuisés d’une guerre qui a accéléré le déclin de l’Europe : « Je
sais qu’elle ne retrouvera pas sa puissance d’autrefois ». Les pertes humaines, les coûts exorbitants de cette guerre et les
destructions massives provoquent des difficultés importantes : « Votre situation relative risque-t-elle d’être diminuée, étant
donné vos pertes et vos dépenses ». De plus, la Collaboration, le système concentrationnaire nazi remettent en cause le prestige
et la suprématie du vieux continent. Ainsi, en 1945, les métropoles ont du mal à restaurer leur autorité dans les colonies et n’ont
plus les moyens de leur puissance. Cette première place perdue pour l’Europe ne va pas rester vacante et deux pays vont
désormais l’occuper : les Etats-Unis et l’URSS, grands vainqueurs de ce conflit mondial (« L’ascension de l’Amérique et de la
Russie »). La hiérarchie des puissances est donc profondément bouleversée. Les mouvements de libération nationale vont donc
profiter de l’affaiblissement de l’Europe pour agir et vont pouvoir bénéficier du soutien des deux Grands, fortement opposés au
colonialisme.
Document 2
Les élites locales se forment des les écoles et universités des métropoles comme c’est le cas pour Gandhi, parti étudier à
Londres, ou Senghor, venu au lycée Louis-le-Grand à Paris après son baccalauréat passé à Dakar. Les études supérieures sont
pour ces élites le moyen de se former intellectuellement afin de se forger des armes idéologiques, des arguments solides.
Notons, que Gandhi a suivi des études de droit et est devenu avocat, ce qui l’a aidé à défendre la cause des peuples opprimés
par le système colonial. Se réclamant des principes européens des Lumières, ces individus ont pu retourner les idéaux de liberté
et d’égalité contre les colonisateurs.
Ils vont s’efforcer de rassembler autour de leurs idées les communautés indigènes et vont jouer le rôle de leader charismatique
comme ce fut le cas pour Gandhi au sein du parti du Congrès ou pour Senghor, qui a mené une brillante carrière politique. Portevoix des peuples dépendants, ils ont ainsi ouvert la voie de l’indépendance.
Document 3
Les troupes coloniales ont joué un rôle de premier plan durant la Seconde Guerre mondiale, notamment avec les FFL pour la
Libération de la France comme le souligne Ben Bella : « L’occupation de l’Afrique du Nord par les Alliés laissait présager qu’on
allait mobiliser les réservistes ». Le film Indigènes, par exemple, montre l’épopée d’une troupe coloniale en Italie puis en France.
Ben Bella souligne la ségrégation dont faisait l’objet les combattants des troupes coloniales, considérés comme des soldats de
seconde ordre et ne disposant pas des mêmes droits que les combattants français. La séparation des uns et des autres et les
humiliations constantes étaient de mise : « Deux mess distincts pour les deux catégories d’officiers […] Nos assiettes n’avaient
pas le droit de fraterniser avec les Français de grade égal ». Cette situation était, évidemment, très mal perçue et vécue par les
soldats coloniaux et le sentiment d’humiliation et donc d’injustice s’est propagé rapidement au sein des troupes : « Je passe sur
la gêne et les humiliations que cette ségrégation entraînait ».
La rancœur s’est aussi doublée d’une prise de conscience : les combattants des troupes coloniales estiment être en droit de
disposer de la liberté après avoir combattu pour celle des métropoles. Conscients du déclin de l’Europe, cette guerre sonne pour
eux l’heure de l’indépendance comme le pressent Ben Bella : « Pour les peuples sous domination coloniale, l’année 1940 avait
éclaté comme un coup de tonnerre. […] Les Etats s’écroulaient, tout était remis en cause. […] Nous avions l’impression de nous
réveiller d’un grand sommeil. ». La rupture est donc irréversible entre les colonies et les métropoles.
Document 4
Dès sa création en 1945, l’ONU prend position face au problème colonial. Ainsi, dans sa charte, il est clairement annoncé le
retrait progressif de l’autorité européenne dans les colonies afin d’aboutir à l’indépendance : « De développer leur capacité de
s’administrer elles-mêmes […] De les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques ». Il est donc
instamment demandé aux métropoles d’œuvrer dans le sens de l’émancipation et de lever leur tutelle politique sur ces
territoires.
Le principe important qui soutient cet objectif est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Document 5
F. D. Roosevelt est fermement opposé au colonialisme et s’engage à régler ce problème une fois la guerre achevée, notamment
auprès des Français et des Britanniques : « Quand nous aurons gagné la guerre, je travaillerai de toutes mes forces pour que les
Etats-Unis ne soient pas amenés à accepter aucun plan susceptible de favoriser les ambitions impérialistes de la France, ou
d’aider, d’encourager les ambitions de l’empire anglais. ». Pour lui, le sol appartient au peuple originaire du lieu et il ne
comprend pas qu’une autorité étrangère puisse s’octroyer le droit d’administrer des colonies : « En vertu de quoi le Maroc,
peuplé de Marocains, appartient-il à la France ? ». Le colonialisme est synonyme de servitude et d’oppression, et il ne serait pas
cohérent d’avoir lutté contre les régimes tels ceux de l’Axe et de ne rien faire contre le système colonial : « On ne peut lutter
contre la servitude fasciste et en même temps ne pas libérer sur toute la surface du globe les peuples soumis à une politique
coloniale rétrograde. ».
2ème PARTIE : Réponse organisée
La période d’émancipation des peuples colonisés qui s’ouvre en 1945, est le fruit de plusieurs facteurs qui, se conjuguant les uns
les autres, donnent un caractère irréversible à ce contexte de décolonisation.
Quels sont les facteurs qui expliquent que le processus de décolonisation était inéluctable après la Seconde Guerre mondiale ?
La Seconde Guerre mondiale a eu des effets dévastateurs dans les métropoles. Les grandes puissances européennes sont
affaiblies après le conflit : ruinés, meurtris, ternis les Etats européens ont perdu de leur rayonnement et de leurs richesses et ont
du mal à restaurer leur autorité dans les colonies. Comme le souligne De Gaulle dans ses mémoires, la guerre a accéléré le déclin
de l’Europe et la suprématie perdue ne peut être retrouvée. Ainsi, les mouvements indépendantistes vont-ils trouver dans ce
contexte la faille nécessaire à la réalisation de leur but : l’indépendance. De plus, les combattants des troupes coloniales qui ont
lutté pour la victoire des Alliés (comme l’Algérien Ben Bella) expriment un vif ressentiment face à l’attitude humiliante des
métropoles qui les ont considérés comme des soldats de rang inférieur. Ils réclament la liberté après avoir combattu pour celle
de l’Europe.
Le contexte international d’après-guerre est très propice à la décolonisation. En effet, trois forces se conjuguent afin de
démanteler le système colonial. Tout d’abord, l’ONU qui, dans sa charte constitutive de 1945, énonce le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes et exhorte les puissances coloniales à œuvrer pour l’indépendance des peuples opprimés par le
colonialisme. La mise en œuvre progressive de l’autonomie dans ces territoires est un objectif important pour cette jeune
institution. Les deux Grands, eux aussi, déclarent leur soutien aux mouvements d’indépendance. Les Etats-Unis, ancienne
colonie, y voient le reflet de leur propre histoire. Le président américain, Roosevelt assimile la lutte indépendantiste à la lutte
antifasciste tandis que les Soviétiques y trouvent une analogie de la lutte des classes. Dans le nouveau contexte de Guerre
froide, la décolonisation est aussi un enjeu, pour les Etats-Unis et l’URSS, qui vise à attirer les futures jeunes nations dans sa
sphère d’influence.
L’essor des mouvements de libération nationale après la Seconde Guerre mondiale est le résultat de l’éveil des consciences
nationales. Des élites indigènes, formées dans les écoles et les universités des métropoles, se forgent des armes intellectuelles
redoutables. Eduqués à la source des idéaux européens, comme la liberté et l’égalité, ces personnalités deviennent des
protagonistes de premier plan dans l’histoire de la décolonisation et de vrais leaders charismatiques capables de rassembler
autour d’eux et de mener une action collective. Les mouvements nationalistes connaissent donc une nouvelle impulsion en 1945
sous la houlette de ces élites. Ce fut le cas Pour Gandhi en Inde, Ho Chi Minh en Indochine, Sukarno en Indonésie, Bourguiba en
Tunisie ou Senghor au Sénégal.
Ainsi, tous ces éléments constituent-ils des facteurs puissants qui ont enclenché la dynamique de la libération pour les peuples
colonisés après la Seconde Guerre mondiale. Tantôt négociée, tantôt violente, la décolonisation amorcée est une voie sans
aucun retour possible. Toutefois, une fois la liberté acquise, les jeunes nations doivent affronter des problèmes épineux de
reconstruction politique, économique, sociale et même culturelle dont certains stigmates subsistent encore aujourd’hui.
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