CHAntIerS d’Art-tHérApIe | n°003 | lA reprISe à l'œuvre F Tisser les mouvements de progrédience et de régrédience Guy Lavallée Psychanalyste, membre de la Société psychanalytique de Paris. Superviseur et formateur à l’Atepp-Cefat. Il a créé, animé et théorisé des pratiques d’ateliers à finalité thérapeutique avec l’image photo et vidéo en hôpital de jour pour adolescent. en écoutant, en tant que superviseur, les étudiants en artthérapie de l’Atepp-Cefat parler de leur stage en institution, il m’est venu de parler de soins progrédients et de soins régrédients. mes propos ont, semble-t-il, intéressé… les intéressés. Je vais donc essayer d’en dire aujourd’hui un peu plus.[1] [1] Je remercie toutes celles et ceux qui m’ont donné de la clinique à partager et à penser. 42 Chantiers.indd 42 19/04/13 16:25 FOndAtIOnS & perSpeCtIveS | guy lavallée - tisser les mouvements de progrédience et de régrédience Je vais d’abord citer le regretté michel Fain, psychanalyste rigoureux, créatif et original et aussi un des créateurs de l’ecole de psychosomatique de paris, à qui je dois cette intuition. michel Fain m’a écrit un jour, que la succession des mouvements de progrédience et de régrédience était garante de la vie psychique et somatique. Cela mérite qu’on s’y attarde ! J’en ai déduit, et cela recoupait et clarifiait mes propres intuitions, que tout soin psychique doit nécessairement faire place à ces deux mouvements. Définissons le mouvement de progrédience le moi vigile vise l’objet dans une position projective-active, il cherche à agir sur le monde. le mouvement psychique est centrifuge. la temporalité s’ancre dans le présent pour tendre vers l’avenir. l’attention, la conscience et la recherche du principe de réalité dominent. le moi, s’il parvient à une réalisation effective va se faire octroyer par son Surmoi le droit à l’estime de soi. C’est le règne du langage maîtrisé et plus généralement des processus et des symbolisations secondaires. le monde devrait pouvoir reconnaître ces réalisations. le gain narcissique est alors au rendez-vous. Définissons maintenant le mouvement de régrédience le moi se laisse aller à une position réceptive-passive. A partir de l’actuel il se tourne vers le passé. les symbolisations primaires (images motrices, tactiles, sonores, et visuelles) sont préférées aux symbolisations secondaires langagières. le mouvement pulsionnel est centripète. le moi peut entrer en état de rêverie, dans un état intermédiaire entre l’état vigile et le sommeil, l’attention peut être suspendue ou flottante. Il peut y avoir circulation entre le conscient et l’inconscient. C’est donc le lieu des transformations psychiques. le moi tente de se recentrer sur lui-même, sur son monde intérieur, où il peut s’installer. Il ignore le monde extérieur mais il serait heureux qu’un autre bienveillant (le thérapeute) le reconnaisse dans cette position, qui ne permet pas toujours des réalisations effectives, sources d’estime de soi. 43 Chantiers.indd 43 19/04/13 16:25 CHAntIerS d’Art-tHérApIe | n°003 | lA reprISe à l'œuvre F Position de principe pour penser le soin ma position de principe est la suivante : dans toute institution de soin, dans toute pratique d’atelier, on doit pouvoir repérer les deux mouvements de progrédience et de régrédience, dans leur mise au service du patient pour soutenir un processus de soin. Si l’un des deux mouvements manque, on n’est plus dans le soin. la progrédience maintenue de force dépossède le patient au profit du narcissisme des soignants et de l’institution, les productions n’ont plus de valeur auto-représentative pour le patient : il ne s’agit plus de soin mais de rééducation aliénante. la régrédience mal comprise et favorisée à l’excès amène une régression qui ne sera pas profitable au patient : il végète, se chronicise, délire ou se déprime. Il nous faut donc admettre que dans le soin il s’agit bien d’accoupler ces deux mouvements qui s’opposent pour les intriquer dans une dynamique qui soit spécifique à chaque patient : vous voyez que nous avons là deux concepts et tout un programme qui permettent de penser le soin. Deux exemples de soins progrédients Le soin psychosocial dans un quartier défavorisé, une association liée à la mairie emploie des art-thérapeutes. le projet est clairement de soigner un tissu social où des migrants de provenance hétérogène, tous très isolés, sont majoritaires. les mamans qui parlent mal français, souvent en costume traditionnel, viennent avec leur petite fille scolarisée, parlant français, habillée à l’européenne (les petites filles sont en somme le guide et l’interprète de la mère). elles travaillent ensemble à un projet de fresque en mosaïque qui viendra se placer sur le mur d’un bâtiment municipal. Il s’agit clairement de marquer un terrain anonyme d’une fresque qui serait la leur. mais comment cette fresque peut-elle être la leur puisque le projet est largement conçu, initié et porté par les art-thérapeutes ? les art-thérapeutes ont prévu à l’intérieur de la fresque collective des endroits où une sorte de brique décorée, personnelle à chaque couple mère-fille, sera intégrée. Au sein de ce projet progrédient cette pièce 44 Chantiers.indd 44 19/04/13 16:25 FOndAtIOnS & perSpeCtIveS | guy lavallée - tisser les mouvements de progrédience et de régrédience est l’objet régrédient. la mère apporte la couleur, les formes, la matière de son pays d’origine et communique ainsi à sa fille quelque chose de son passé (régrédience temporelle et formelle), elles échangent autour de cette pièce. le lien mère-fille se modifie dans une sorte de reconnaissance mutuelle de leur complémentarité. la trace dans l’œuvre collective vaut appropriation de l’ensemble, il y a ré-intrication des investissements narcissiques du migrant liés à sa culture d’origine et des nouveaux investissements objectaux de la modernité européenne. Ici, au sein d’un projet progrédient de soin social, une dimension régrédiente a sa place ; nous sommes bien dans le soin. Les petits garçons agités les petits garçons agités se retrouvent en masse dans les structures de soins ; même si cette agitation, sur le long terme, va s’avérer souvent peu pathologique, elle les exclut. Ils ont souvent été des « bébés non-câlins », comme le dit mon collègue gérard Szwec, fuyant le giron maternel au lieu de s’y réfugier. Ils sont des gêneurs, on les dit violents, ils ne peuvent pas se poser pour penser et manquent d’insight. Ce sont les mal-aimés des pédagogues, des éducateurs, des art-thérapeutes et des « psy ». Ils courent dans tous les sens, chahutent, ne comprennent ni l’art ni la psychologie, ils semblent incapables d’un mouvement régrédient. Il y a donc à réfléchir sur les objets médiateurs à mettre à leur disposition. en tout cas ces objets médiateurs doivent être à dominante progrédiente. maîtrise sur le monde, techniques, utilisations d’outils, objets « utiles » à symbolique masculine, etc. Avec du talent, on arrive à stabiliser leurs investissements dès qu’ils deviennent significatifs pour eux, ils se contiennent alors tout seuls et montrent la détresse présente derrière les conduites de fuite permanente de leur réalité psychique. On peut alors percevoir des liaisons progrédientes-régrédientes. Ainsi, un petit garçon très agité, stabilisé par la construction d’une maison en bas-relief avec des morceaux de bois, en vient à vouloir mettre des gouttières au toit de sa maison. Or, l’art-thérapeute apprend qu’il fait encore… pipi au lit. la gouttière qui récolte et canalise l’eau est une belle solution symbolique à son problème de pipi au lit ! le 45 Chantiers.indd 45 19/04/13 16:25 CHAntIerS d’Art-tHérApIe | n°003 | lA reprISe à l'œuvre F mouvement régrédient (la pensée latente du pipi au lit) s’est lié au mouvement progrédient (la construction de la gouttière). Au passage, je voudrais noter que derrière les tentatives de rejet et de rabaissement des femmes, souvent pénible pour elles, il y a chez ces petits garçons une immense idéalisation de la femme-mère qu’ils doivent combattre pour ne pas en être anéantis. S’ils peuvent, petit à petit, se laisser aller à la tendresse, on découvre alors un besoin d’amour maternel énorme resté en suspens. Ces petits patients peuvent très bien évoluer et développer des capacités d’insight inattendues. A l’Atepp-Cefat, le mémoire de fin d’étude de Caroline Bourgeac rend compte d’un travail d’art-thérapie réussi avec un petit garçon de ce type. dois-je rappeler que daniel pennac fut un cancre ? [2] la voie régrédiente, parce qu’elle passivise le moi, peut être insupportable pour nombre de patients et pas seulement masculins. On doit donc les y conduire avec tact et respect de leurs défenses progrédientes. Faut-il également rappeler l’acting resté célèbre de margaret little, collègue et patiente de Winnicott ? Confrontée à un Winnicott qui la pousse un peu vite dans la voie régrédiente, elle se lève du divan, jette par terre et brise le vase [3] précieux de Winnicott ! vous avez dit violent ? Deux exemples de soins régrédients Ici, les exemples abondent. par mesure de confidentialité, je vais brosser un portrait composite d’une petite fille en période de latence, bien comme il faut, bonne élève, très brillante verbalement, ayant des parents attentionnés. elle excelle dans la progrédience. Il se peut qu’elle ait déjà été en psychothérapie. elle est adressée à un art-thérapeute : par exemple parce qu’elle a des insomnies et des cauchemars sans images. lors de sa première séance, l’art-thérapeute lui demande de choisir dans l’atelier (très bien achalandé) son support d’expres[2] Cf. son livre Chagrin d’école, gallimard, 2007. [3] d.Winnicott, Jeu et réalité et margaret little, Des états limites, ed. des Femmes, 1991. 46 Chantiers.indd 46 19/04/13 16:25 FOndAtIOnS & perSpeCtIveS | guy lavallée - tisser les mouvements de progrédience et de régrédience sion. elle demande à travailler la terre marron. d’emblée, la petite fille bien propre sur elle, choisit un matériau « sale », le matériau le plus régrédient : la terre. le matériau le plus marqué par l’analité est là, accessible, palpable, mais au début, elle ne peut y toucher et travaille la terre à distance, avec des outils… notons que l’atelier d’art-thérapie est un lieu de symbolisation primaire donc potentiellement régrédient. Ici la petite fille a trop facilement trop de mots, le sens est coupé de ses racines pulsionnelles et la thérapie verbale a précédemment « patiné ». Il peut arriver que l’on découvre un monde de représentation de choses visuelles peu symbolisable, raréfié, inapte à soutenir la figuration du rêve et délié du langage. On peut faire l’hypothèse que l’art-thérapie permettra peut-être une réconciliation représentation de chose représentation de mot, psyché corps, moi pulsions. On peut espérer que la petite fille aura moins peur de se laisser passivement aller dans le sommeil ; ses rêves, désormais figurables, mémorisables, racontables, partageables, lui permettront d’échapper au registre de la terreur sans représentation. un exemple maintenant, extrait du champ des « médiations thérapeutiques ». Je l’emprunte à mon successeur à l’hôpital de jour pour adolescent du C. e. m. qui a repris mon atelier vidéo. mon collègue me parle d’un adolescent qui est un autiste qui a bien évolué. Il est scolarisé à mi-temps et revient le reste du temps à l’hôpital de jour. la personne qui est en lien avec l’école me décrit sa scolarisation : elle est extrêmement contraignante. les enseignants ne lui passent rien, ses capacités sont débordées, le registre de contrainte sent la rééducation, il y répond en faisant semblant dans la soumission. dans l’atelier vidéo, il cherche donc à transformer la rééducation aliénante en une visée progrédiente dont il serait le Sujet. Il demande à jouer un journaliste qui lit des nouvelles devant la caméra. droit comme un « I », sérieux comme un pape, les mains posées sagement à plat sur la table, il regarde la caméra droit dans les yeux comme un « pro ». la visée progrédiente est évidente, il s’identifie à un journaliste. mon collègue cherche à le détendre, à lui donner plus de liberté, mais le garçon ne veut rien savoir : l’auto-contrainte sert une organisation obsessionnelle serrée, assez caractéristique du post-autisme. 47 Chantiers.indd 47 19/04/13 16:25 CHAntIerS d’Art-tHérApIe | n°003 | lA reprISe à l'œuvre F Je m’enquiers de ce que dit le patient devant la caméra. mon collègue me dit alors qu’il lit, mais que lit-il ? le journal ? eh bien non ! C’est là que se situe le mouvement régrédient, car ce qu’il lit ce sont… les aventures de Barpapapa ! Cette série animée pour les tout petits ! Cette série, notons-le, met en scène des personnages qui se transforment magiquement, ils changent de forme pour résoudre tous les problèmes et répondre au désir des enfants : de véritables médiums malléables, aptes à produire une régrédience topique !!! Retour sur la théorie Je viens d’employer un nouveau mot en parlant de régrédience topique, il me faut donc approfondir et préciser encore la théorie en revenant à Freud. Freud distingue trois modes de régression qu’avec michel Fain je nomme, vous l’avez compris, régrédience pour les processualiser. 1 – la régrédience formelle C’est le terrain électif de l’art-thérapie. Il s’agit de passer des modes de symbolisation secondaire, c’est-à-dire essentiellement le langage, à des modes de symbolisation primaire, par exemple l’image. Je parle de symbolisation parce que pour mobiliser le stade anal, par exemple, il n’est pas nécessaire que le patient peigne avec ses excréments, comme l’a fait mary Barnes dans son Voyage à travers la folie. Il peut tout simplement investir significativement la terre, comme cette petite fille dont je viens de parler. 2 – la régrédience temporelle Il s’agit de revenir en arrière dans le temps. ne pas rester prisonnier de l’actuel est à la portée de tout thérapeute qui le pense nécessaire. par exemple, dire au patient : « et avant… !? » est une relance banale, sans danger, qui renvoie au passé. 3 – la régression topique et là, je n’emploie pas tout de suite le mot régrédience parce qu’il s’agit d’un changement de système psychique, d’un changement d’état du psychisme. par exemple, passer de l’état de veille à l’état de sommeil est une 48 Chantiers.indd 48 19/04/13 16:25 FOndAtIOnS & perSpeCtIveS | guy lavallée - tisser les mouvements de progrédience et de régrédience régression topique maximum. C’est donc une zone de transformations psychiques importantes : c’est dans un état de régression topique qu’une de mes patientes en analyse, au bord du suicide, put passer selon son dire : « du désir de mourir au désir de dormir ». le Voyage à travers la folie de mary Barnes, qui dura 5 ans, est une régression topique à haut risque qui lui permit de « remonter » transformée. mais pourtant, il existe bien une régrédience topique. par exemple, l’état de rêverie de matisse qui, dessinant des lys qu’il a disposés sous ses yeux, découvre après coup qu’il a en fait dessiné les clématites de son passé qui [4] lui tenaient tant à cœur . la régrédience topique consiste donc en un état psychique particulier, de rêverie flottante, fluctuante, zone intermédiaire entre l’état vigile et l’état de sommeil, zone de l’informe dirait Winnicott. Il s’agit de permettre une circulation entre le conscient et l’inconscient. Cet état mental particulier d’abandon du contrôle conscient permet, sous la poussée de l’hallucinatoire positif, l’émergence d’associations, de pensées incidentes, de pensées latentes inconscientes. le patient peut se laisser aller à entrer profondément en lui-même dans un double transfert, d’une part sur les modes de symbolisation proposés, d’autre part sur le thérapeute qui soutient ce mouvement. C’est dans le mouvement de régrédience réceptive qu’un sujet se rassemble sur lui-même et qu’il peut sans danger laisser entrer en lui une nouvelle expérience sous l’égide du principe de plaisir pour agrandir son moi (c’est ce qu’on appelle une introjection pulsionnelle). Si ce mouvement d’appropriation subjective n’a pas lieu, l’expérience est une intrusion, un empiètement, un trauma, le sujet y est aliéné. La régrédience topique est capitale parce qu’elle crée une zone où des transformations intrapsychiques sont possibles, comme le font les Barbapapa en se transformant physiquement : c’est donc la zone du soin par excellence. Mais c’est une zone difficile et qui paraît impossible ou dangereuse à nombre de patients. [4] notons au passage la régression temporelle qui est incluse. H. matisse, Ecrits et propos sur l’art, Hermann, 1972. 49 Chantiers.indd 49 19/04/13 16:25 CHAntIerS d’Art-tHérApIe | n°003 | lA reprISe à l'œuvre F nous voilà donc loin des fantasmes et des malentendus liés au mot régression et nous pouvons affirmer que ces trois modes de régrédience formelle, temporelle, topique, signent tout processus de soin. Favoriser la régrédience chez un patient relève du travail tranquille, discret, attentionné, délicat, à la fois empathique et distancié du thérapeute qui laisse faire, attend, relance, accompagne en se faisant oublier et en supportant les projections du patient. la pensée complexe n’est pas l’ennemie de la simplicité soutient edgar [5] morin , je vous livre donc une remarque de bon sens. Quand un patient s’est engagé dans une route en impasse, or pour moi l’impasse signe la pathologie de la solution psychique, il lui faut faire marche arrière pour en sortir (mouvement de régrédience) et ensuite chercher à tâtons un autre chemin, le frayer et s’y engager hardiment (mouvement de progrédience) ; c’est là un principe de base de tout travail thérapeutique. Ce mouvement doit nécessairement se répéter et se perlaborer pour avoir une chance de se maintenir. Une clef : le tissage des deux mouvements la partie théorique de mon exposé étant assez serrée, j’ai choisi des illustrations spectaculaires très simples, mais il aurait fallu noter une séance d’art-thérapie ou une séance de psychanalyse pour montrer les entrelacs et la processualisation subtile des deux mouvements de progrédience et de régrédience, et comment l’un accompagne l’autre ou le contredit, comment l’un émerge de l’autre et pourquoi. le lieu et le temps ne le permettant pas, je compte sur vous tous pour tenter de le faire pour vous-même, dans votre pratique. deux exemples simplissimes pour vous montrer la présence associée des deux mouvements sous forme de mini-vignette. une petite fille autiste et aveugle est assise à côté de l’art-thérapeute ; [5] pensée complexe, du latin complexus dit morin : « ce qui est tissé ensemble ». e. morin, Introduction à la pensée complexe, eSF, 1990, et en livre de poche : coll. points. 50 Chantiers.indd 50 19/04/13 16:25 FOndAtIOnS & perSpeCtIveS | guy lavallée - tisser les mouvements de progrédience et de régrédience elle ne parvient pas à modeler la terre qu’elle a en main. l’art-thérapeute l’installe sur ses genoux, la petite fille peut alors se saisir de la terre pour lui donner une forme. Ici on peut parler d’une contenance régrédiente (le giron de l’art-thérapeute), permettant le mouvement progrédient du modelage. un second exemple simplissime tiré, cette fois, de ma pratique de psychanalyste. Au cours de la même séance, un patient qui part à la retraite, oscille entre un « tout est possible » régrédient qu’il compare à la contemplation tranquille et sans but d’un coucher de soleil assis dans un fauteuil et un questionnement sur un « qu’est-ce que je vais faire ? » progrédient… et il conclut - non sans humour - la séance en disant : « le ‘qu’est que je vais faire’ ne doit pas me gâcher le ‘tout est possible’… ! » Appuyé sur ces deux exemples, on peut poser ce principe : on vérifie la qualité, la justesse et l’à-propos du mouvement régrédient en ce qu’ils permettent au mouvement progrédient de s’installer avec profit. Progrédience, régrédience et position professionnelle de l’art-thérapeute dans l’écoute du psychanalyste, dans l’œil qui écoute de l’art-thérapeute, dans notre façon d’être avec le patient, nous allons retrouver les deux modalités progrédiente et régrédiente. Je vais donc parler d’écoute régrédiente et d’écoute progrédiente. L’écoute régrédiente est centrale, elle fait appel à une position réceptive passive qui laisse entrer en nous le patient. Car comment accéder aux infinies variétés de l’autre ? la seule façon de franchir la barrière de l’altérité qui nous sépare du patient c’est bien de nous laisser modifier de l’intérieur par le patient en le laissant entrer en nous. Cette écoute réceptive-passive est donc introjective et comporte des risques pour le thérapeute. elle suppose d’avoir fait un travail sur soi pour être mise en œuvre. mais c’est la seule façon de comprendre le patient de l’intérieur et d’aller au-delà de notre inéluctable finitude qui limite notre intelligibilité de l’autre et risque toujours de laisser le patient à la porte. pour cela il faut parfois du temps, le temps qu’un patient devienne mon patient ! 51 Chantiers.indd 51 19/04/13 16:25 CHAntIerS d’Art-tHérApIe | n°003 | lA reprISe à l'œuvre Si en tant qu’artiste, on peut comme matisse vouloir dessiner des lys et finalement s’apercevoir qu’on a dessiné autre chose, mettre en place le même processus au service d’un patient, c’est-à-dire se laisser modifier en tant que thérapeute par le fonctionnement du patient, c’est un autre challenge beaucoup plus difficile encore. Quels que soient les théories et les mots employés, il s’agit toujours de supporter un état de notre petit moi qui accepte de se dessaisir de sa maîtrise sur le monde et sur l’autre, et comme vous le savez, le moi, par essence, a horreur de ça ! venons-en à l’écoute progrédiente. L’écoute progrédiente est projective-active, nous nous servons de nos apprentissages, de notre savoir, de notre expérience, pour appliquer une grille d’intelligibilité sur le patient et la situation et pour décider quoi dire, quoi faire, quoi proposer… dans l’idéal, l’écoute progrédiente devrait découler de l’écoute régrédiente, sinon il y a un risque de placage projectif d’une théorie erronée du patient ou d’une problématique personnelle. pour lier les deux mouvements d’écoute, régrédient et progrédient, en une formule, je dirais que le sensible régrédient doit pouvoir se lier à l’intelligible progrédient. pour articuler les deux mouvements en termes d’affectivité, je pourrais dire aussi qu’il s’agit de passer d’un état « d’éprouvé sans comprendre » régrédient pour le transformer en « éprouvé pour comprendre » progrédient, pour aboutir à une possibilité d’intervention ajustée au patient. Pour conclure J’espère que ma conférence projective active a bien été reçue par votre écoute réceptive passive, c’est donc vous qui aviez la position la plus difficile ! progrédience et régrédience sont deux positions fondamentales du psychisme que l’on doit pouvoir tisser ensemble pour soi-même et entre soi et l’autre, sans fin, pas seulement pour travailler avec des patients, mais plus profondément, comme le soutient michel Fain, pour nous maintenir en vie psychiquement et somatiquement. 52 Chantiers.indd 52 19/04/13 16:25