Affection longue durée ? Transports limités !

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Affection longue durée ?
Transports limités !
Depuis un an, la prise en charge des frais de transport dans
le cadre d’une affection longue durée est réservée aux
patients atteints de certaines déficiences ou incapacités.
Cette nouvelle mesure, appliquée avec zèle par certaines
caisses d’assurance maladie, contrevient au principe de
solidarité et pourrait s’avérer contre-productive.
L
a mauvaise surprise est arrivée par
La Poste, le 14 août 2011, au domicile des parents de Sarah, une jeune
fille atteinte d’une cardiopathie. L’objet de la
lettre – « refus total » – donnait le ton, tout en
préservant le suspense. Refus de quoi ? « Monsieur, j’ai le regret de vous informer que la Caisse
primaire d’assurance maladie ne peut vous rembourser les frais de transport du 10 juin 2011
au 12 juillet 2011, en voiture particulière pour
le bénéficiaire ci-dessus désigné. » Jusqu’alors,
pourtant, ses parents avaient toujours obtenu
sans difficulté l’indemnisation des 30 km
qu’ils parcourent, avec leur voiture, trois fois
par semaine pour conduire leur fille au centre
d’action médico-sociale précoce (Camps).
Comme tous les autres patients atteints
d’une affection longue durée (ALD), Sarah
bénéficiait d’une prise en charge par l’Assurance maladie de ses frais de transport liés
à ses traitements ou à ses examens. C’est ce
que prévoit l’article R322-10 du Code de la
sécurité sociale. En fonction des besoins, le
médecin peut prescrire une ambulance ; un
transport assis professionnalisé, véhicule sanitaire léger ou taxi ; ou un moyen de transport
collectif (train, etc.) ou individuel (voiture
personnelle), comme dans le cas de Sarah,
remboursé(e) sur la base d’un barème kilométrique (entre 0,18 et 0,43 €/km).
N°707 AVRIL 2012
Mais le décret n° 2011-258 du 10 mars 2011
a changé la donne, en réservant, à partir du
1er avril 2011, dans le cadre d’une ALD, cette
prise en charge aux patients « présentant l’une
des déficiences ou incapacités définies par le référentiel de prescription mentionné à l’article
R. 322-10-1 ». Ce référentiel liste les cas dans
lesquels tel ou tel type de transport peut être
prescrit (voir encadré). En clair, ce décret vise,
comme il est rappelé dans sa partie introductive, à « réserver la prise en charge des frais de
transport des assurés en ALD aux patients dont
l’incapacité ou la déficience ne leur permet pas
de se déplacer par leurs propres moyens ».
VOITURE PERSONNELLE INTERDITE
Depuis lors, certaines caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) refusent de prendre en
charge les frais de transport lorsque le patient
utilise sa voiture individuelle ou les transports
en commun. « Pourtant le décret n’a ajouté
qu’une condition supplémentaire de déficience
ou d’ incapacité, note Julie Charpin, conseillère technique au service juridique de l’APF.
En aucun cas, il n’est exigé que les transports
se fassent exclusivement par ambulance, véhicule sanitaire léger (VSL) ou taxi. » En fait, ces
CPAM semblent considérer que si un assuré
social utilise son véhicule ou prend le bus, c’est
que, de fait, son incapacité ou sa déficience ne
sont pas suffisamment importantes pour l’empêcher de se déplacer par ses propres moyens.
Et qu’elles n’ont donc pas à prendre en charge
ses frais de transport.
Dans d’autres cas, plus rares semble-t-il, des
caisses refusent de prendre en considération
la prescription du médecin pour un transport
en VSL, au motif que le patient ne présente
pas une incapacité ou une déficience ne lui
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les frais de transport à toute une population
de patients… au risque de limiter son accès
aux soins.
Ce que constate Alain Maigne, le président
de l’association corrézienne des diabétiques.
« L’un des diabétologues du département m’a
dit que certains patients ne venaient le voir que
tous les quatre à six mois depuis que leur transport en VSL n’était plus remboursé par la Sécu,
explique-t-il. Ce sont souvent des personnes âgées,
qui n’ont pas de voiture. Elles espacent leurs visites
à l’ hôpital de Tulle ou de Brive-la-Gaillarde,
où consultent les spécialistes. » « Il est pourtant
essentiel que les diabétiques bénéficient d’un suivi
régulier, complète Christine Veinière, de l’Association française des diabétiques. Une bonne
prise en charge permet d’éviter les complications
qui coûtent cher à la Sécurité sociale : 10 % des
patients diabétiques sont à l’origine de 50 % des
dépenses de la Sécurité sociale pour le diabète.
En rognant sur les frais de transport, l’Assurance
maladie fait donc un mauvais calcul : elle économise quelques dizaines d’euros de taxi ...
Quel moyen de transport ?
permettant pas de se déplacer par ses propres
moyens.
PAS D’ÉCONOMIES POUR LA SÉCU
Les motivations du gouvernement, pour
publier ce décret, étaient financières. Il expliquait ainsi dans le dossier de presse de la loi de
financement de la Sécurité sociale pour 2011
qu’il s’agissait « avec cette mesure, de mettre fin
aux nombreuses dépenses injustifiées constatées
par les caisses d’assurance maladie en matière de
consommation de transports sanitaires » pour les
ALD. Et estimait que le décret permettrait de
faire économiser 20 millions d’euros à l’Assurance maladie.
Sans doute des abus existent-ils, admet le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), mais
« ils proviennent du non-respect du référentiel
de prescription pouvant donner lieu à l’inadaptation du mode de transport aux besoins réels des
personnes malades. Un contrôle plus rigoureux
des prescriptions médicales se justifie pleinement », selon le Ciss, mais pas une mesure qui
consiste tout simplement à ne plus rembourser
Le référentiel de prescription des transports, établi par l’arrêté du 23 décembre
2006, liste les cas dans lesquels les différents types de transport peuvent être
prescrits.
Un transport par ambulance peut être prescrit lorsque l’assuré présente
au moins une déficience ou des incapacités nécessitant :
- un transport en position obligatoirement allongée ou demi-assise ;
- un transport avec surveillance par une personne qualifiée ou nécessitant
l’administration d’oxygène ;
- un transport avec brancardage ou portage ;
- ou un transport devant être réalisé dans des conditions d’asepsie.
Un transport assis professionnalisé peut être prescrit lorsque l’assuré :
- présente une déficience ou une incapacité physique invalidante nécessitant
une aide au déplacement technique ou humaine mais ne nécessitant ni
brancardage ni portage ;
- présente une déficience ou une incapacité intellectuelle ou psychique
nécessitant l’aide d’une tierce personne pour la transmission des informations
nécessaires à l’équipe soignante en l’absence d’un accompagnant ;
- présente une déficience nécessitant le respect rigoureux des règles d’hygiène
ou la prévention du risque infectieux par la désinfection rigoureuse du véhicule ;
- ou est soumis à un traitement ou ayant une affection pouvant occasionner des
risques d’effets secondaires pendant le transport.
Lorsqu’un transport par ambulance ou un transport assis professionnalisé
« ne peuvent être prescrits », « seul peut être prescrit » un moyen de transport
individuel ou collectif.
AVRIL 2012 N°707
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mais pourrait ensuite avoir à
dépenser plusieurs milliers d’euros
pour soigner des patients qui n’auraient pas été suivis correctement. »
Un autre biais existe, comme
l’avait souligné, en février 2011,
l’Union nationale des organismes d ’a ssura nce sa nté
complémentaire (Unocam), qui
avait été saisie par le gouvernement pour avis sur son projet de
décret : « Son impact en termes
d’ économies demeure peu clair, étant donné le
risque de report vers des transports plus onéreux
mais pris en charge à 100 %, au détriment de
l’usage du véhicule personnel et des transports en
commun, aujourd’ hui remboursés. » (1)
Le cas de Françoise l’illustre jusqu’à la caricature. Avant le 1er avril 2011, cette femme
sévèrement handicapée se rendait chez son
kiné quatre fois par semaine avec son propre
véhicule, conduit par une de ses auxiliaires
de vie. Mais l’Assurance maladie refusant
désormais de lui rembourser les 18 km parcourus aller-retour, son médecin lui a prescrit
un transport en taxi, auquel elle a droit étant
donné son incapacité… « Au final, cela n’arrange personne : c’est moins pratique pour moi ;
et cela coûte plus cher à la Sécu. C’est une aberration ! », déplore-t-elle.
...
LE CONSEIL D’ÉTAT SAISI
L’Association des accidentés de la vie (Fnath),
le Ciss et un patient atteint d’une ALD ont
déposé, en mai 2011, devant le Conseil d’État,
un recours en annulation du décret du 10 mars
2011. Pour eux, ce texte porte en effet atteinte
au 11e alinéa du préambule de la Constitution,
selon lequel la Nation garantit à tous « la protection de la santé ». Il « constitue un obstacle
supplémentaire dans l’accès aux soins ». Surtout
qu’il s’ajoute à d’autres mesures réglementaires
qui augmentent également le reste à charge :
la diminution du taux de remboursement des
médicaments, l’augmentation du forfait journalier, etc.
N°707 AVRIL 2012
(1) Avis relatif à un projet de
décret modifiant les conditions
de prise en charge des frais
de transport pour les patients
reconnus atteints d’une ALD.
Le patient insuffisant rénal qui s’est associé au
recours y détaille sa situation financière. En
y incluant les 647,88 € de frais de transport
pour se rendre douze fois par an en consultation transplantation au CHU, qui lui étaient
jusqu’alors remboursés par la Sécurité sociale,
les dépenses de santé restant à sa charge – y
compris le prix de la complémentaire santé,
représentent désormais 9,3 % des revenus
annuels du ménage. Dans un précédent
arrêt, le Conseil d’État avait admis le principe que les sommes laissées à la charge des
assurés ne devaient pas dépasser une certaine
part de leurs revenus, sous peine de « méconnaître les exigences du 11e alinéa du préambule
de la Constitution ». « En lui présentant un cas
concret, nous voulons amener le Conseil d’État à
préciser le seuil de reste à charge admissible [tant
de % des revenus d’un ménage], ce qu’ il n’a
pas fait jusqu’alors », explique l’avocat Karim
Felissi, conseiller national de la Fnath.
Les sages devraient rendre leur arrêt dans le
courant de l’année. En attendant, les assurés
qui reçoivent une décision de refus peuvent
la contester en saisissant la commission de
recours amiable de leur caisse primaire, dans
les deux mois suivant la réception du courrier. C’est ce qu’on fait les parents de Sarah…
et ils ont obtenu gain de cause. Bien sûr,
chaque cas est différent, mais cela vaut la peine
d’essayer ! ●
Texte Franck Seuret
Illustrations Antoine Chereau
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