Le traitement médical optimal de l`ischémie critique chronique et la

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Le traitement médical optimal de l'ischémie critique chronique et la prévention
secondaire de l'athérothrombose.
Bruno Tribout, Stéphane Dupas, Marie-Antoinette Sevestre-Piétri.
Médecine Vasculaire, Hôpital Sud, CHU Amiens
[email protected]
Mise au point présentée à la 1ère journée interrégionale de pathologie vasculaire Nord-Pas de
Calais-Picardie du réseau HTA-VASC consacrée à l'ischémie critique des membres inférieurs.
Lille, le 4/12/2002.
Introduction
L'artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) au stade d'ischémie critique
chronique est grevée d'une mortalité à un an de 19 % dans la cohorte prospective ICAI
italienne comprenant 1560 patients (Bertele 99). Compte tenu de cette surmortalité
cardiovasculaire, le traitement médical optimal de l'ischémie critique chronique fait appel à
l'association des traitements individuellement validés dans la prévention secondaire de
l'athérothrombose. Cette association s'intitule polychimiothérapie de l'athérothrombose et
fait appel à différentes classes pharmacologiques : béta-bloquants, inhibiteurs de l'enzyme de
conversion, anti-hypertenseurs, statines, antiplaquettaires.
Surtout les patients en ischémie critique nécessitent une restauration du flux sanguin
grâce à une revascularisation, afin d'obtenir la cicatrisation des troubles trophiques, soulager
les douleurs ischémiques et permettre le sauvetage du membre. Le traitement médical chez les
patients pouvant bénéficier d'une revascularisation vise la prévention des évènements
cardiaques ischémiques péri-opératoires et le maintien de la perméabilité des pontages (Hiatt
02).
L’hospitalisation nécessaire pour la prise en charge de l’ischémie critique chronique
peut aussi être mise à profit pour un sevrage tabagique. Pour cela on aura recours à
l’administration de nicotine percutanée ou perlinguale, et aux antidépresseurs inhibiteurs de la
recapture de la noradrénaline et de la dopamine comme le bupropion (Hiatt 02).
Dans cette mise au point, nous comparerons le bénéfice spécifique et indépendant de
chacun des traitements au cours de l'artériopathie oblitérante des membres inférieurs,
débattrons du rapport bénéfice-risque de l'administration des béta-bloquants et des
antihypertenseurs au cours de l'AOMI au stade d'ischémie critique chronique, évaluerons
l'impact potentiel du cumul des différents traitements pour aboutir au concept de
polychimiothérapie et aux recommandations pratiques.
Béta-bloquants
Dans l'essai de Poldermans, furent inclus 112 patients devant subir une chirurgie
vasculaire aorto-iliaque majeure et qui présentaient une échocardiographie de stress à la
dobutamine pathologique. Les patients furent randomisés en un groupe contrôle ouvert versus
un groupe recevant un β 1-bloquant cardiosélectif, le bisoprolol qui fut débuté au moins 7
jours avant l'intervention afin d'obtenir une fréquence cardiaque entre 50 et 60 par minute.
Lors du suivi à 30 jours péri-opératoires le bisoprolol permet de réduire les décès de cause
cardiaque et les infarctus du myocarde non fatals [3,4 % versus 34 % ; p= 0,001] avec 3
patients à traiter pendant 1 mois pour éviter un événement (Poldermans 99). Le bénéfice
persiste lors du suivi à 22 mois [15,3 % versus 60,4 % ; p= 0,001] (Poldermans 01).
Les patients atteints d'ischémie critique chronique sont susceptibles de subir une
chirurgie de revascularisation et de tirer bénéfice d'un β -bloquant péri-opératoire. Ce point
de vue est conforté par l'analyse des facteurs de risque prédictifs de complications cardiaques
péri-opératoires survenant au décours d'une chirurgie non cardiaque que sont : l'angor et
l’antécédent d'infarctus du myocarde [Odds Ratio= 2,4] ; l'insuffisance cardiaque congestive
[OR= 1,9] ; la chirurgie vasculaire (si intrapéritonéale, intrathoracique ou sus inguinale) [OR=
2,8] ; le diabète (particulièrement si insulino-requérant) [OR= 3] ; l'insuffisance rénale (si due
au diabète et/ou à l'hypertension) [OR= 3] ; le statut fonctionnel altéré du fait de l'insuffisance
coronaire ou de l'insuffisance cardiaque (marche inférieure à 4 pâtés de maisons, montée
inférieure à 2 escaliers) [OR= 1,8]. Les indications d'un β-bloquant péri-opératoire sont la
présence d'au moins un facteur de risque et/ou une hypertension non contrôlée (Fleisher 01).
Les β-bloquants ont la réputation injustifiée d'aggraver l'artériopathie oblitérante des
membres inférieurs. La méta-analyse de 11 essais au cours de la claudication intermittente
montre que les β-bloquants cardiosélectifs ou non comparés aux contrôles n'altèrent pas la
capacité de marche, n'aggravent pas les symptômes de claudication, ne réduisent pas le temps
d'endurance à l'exercice ni le débit sanguin du mollet (Radack 91). Lors d'un essai de sevrage
d'un traitement β-bloquant cardiosélectif réalisé en crossover chez des patients avec
claudication (n= 14) ou douleurs de repos (n= 5), l'évaluation de la microcirculation cutanée
par capillaroscopie, TcPO2, laser Doppler de même que les symptômes ne sont pas modifiés
(Ubbink 03).
Inhibiteurs de l'enzyme de conversion ou IEC
Dans la cohorte de 9297 patients à haut risque cardio-vasculaire de l'essai HOPE,
43 % présentaient une AOMI. Les patients inclus n'avaient pas d'indication ou de contreindication à un IEC et présentaient une hypertension contrôlée par le traitement.
L'administration de ramipril à la dose de 10 mg/j réduit, par rapport au placebo, le risque
combiné d'infarctus du myocarde, d'accident vasculaire cérébral ou de décès cardio-vasculaire
[14 % versus 17,8 % ; p< 0,001] avec 27 patients à traiter pendant 4,5 ans pour éviter un
événement, soit une réduction du risque relatif de 22 % (HOPE 00). Le bénéfice obtenu est
indépendant des traitements administrés à l'inclusion (Yusuf 00) et apparaît supérieur à l'effet
antihypertenseur induit par l'IEC (Sleight 01).
Anti-hypertenseurs
Selon le rapport du JNC 7 Committee High Blood Pressure, une pression artérielle
systolique supérieure à 140 mmHg après 50 ans constitue un meilleur facteur prédictif de
risque cardiovasculaire que la pression diastolique. Le risque cardiovasculaire débute dès une
PA égale à 115/75 mmHg et double à chaque incrément de 20 mmHg pour la PA systolique et
de 10 mmHg pour la diastolique. La classification de l'hypertension artérielle comprend
désormais 4 stades : PA normale (< 120 et < 80 mmHg) ; pré-HTA (120-139 ou 80-89
mmHg) ; HTA au stade 1 requérant une monothérapie (140-149 ou 90-99 mmHg) ; HTA au
stade 2 requérant une bithérapie (≥ 160 ou ≥ 100 mmHg). L'objectif thérapeutique à atteindre
est une PA inférieure à 140 /90 mmHg, alors qu'en cas de diabète ou de néphropathie la PA
doit être inférieure à 130/80 mmHg. Au cours de l'AOMI toute classe d'antihypertenseur peut
être administrée, en particulier les diurétiques thiazidiques (Chobanian 03).
Dans les recommandations édictées lors des deux conférences de consensus
concernant la prise en charge de l'ischémie critique chronique, l'hypertension semble devoir
être respectée. Dans le TransAtlantic Inter-Society Consensus (TASC 00 ; S195), le maintien
d'une PA adéquate est considérée comme indispensable à la perfusion du membre en ischémie
critique. Il convient d'éviter un traitement antihypertenseur agressif sauf s'il existe une
ischémie coronaire active ou une insuffisance cardiaque congestive. Un traitement
antihypertenseur agressif expose le patient à une majoration des douleurs de repos ou à une
cicatrisation retardée des ulcères. Le Second European Consensus Document publié en 1991
propose, dans sa 10ème recommandation, de suspendre pour quelques semaines le traitement
antihypertenseur si la PA est inférieure ou égale à 180/100 mmHg.
Comme tenu du haut risque annuel de mortalité cardiovasculaire chez les patients au
stade d'ischémie critique la suspension du traitement antihypertenseur ne peut être que
transitoire.
Statines
Dans la cohorte de 20536 patients à haut risque cardio-vasculaire de l'essai HPS, 33 %
présentaient une AOMI. L'administration de simvastatine à la dose de 40 mg/j, par rapport au
placebo, diminue le LDL-cholestérol de 1 mmol/l quelque soit le niveau de LDL à l'inclusion.
La simvastatine réduit le risque de survenue du 1er événement cardio-vasculaire majeur que
sont les évènements coronariens, les accidents vasculaires cérébraux ou les revascularisations
[19,8 % versus 25,2 % ; p< 0,0001] avec 19 patients à traiter pendant 5 ans pour éviter un
événement, soit une réduction du risque relatif de 24 %. Le bénéfice obtenu est indépendant
de l'âge, des paramètres lipidiques à l'inclusion, des traitements à l'inclusion et semble être
additionnel aux autres traitements administrés (HPS 02).
Antiplaquettaires
Dans la cohorte de 19185 patients à haut risque cardio-vasculaire de l'essai CAPRIE,
6452 patients (34 %) présentaient une AOMI symptomatique avec claudication, amputation,
chirurgie vasculaire ou angioplastie. L'administration de clopidogrel à la dose de 75 mg/j, par
rapport à l'aspirine 325 mg/j, réduit le risque de survenue du 1er événement cardiovasculaire
tel que l'infarctus du myocarde (IDM), l'accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique ou le
décès vasculaire [9,8 % versus 10,6 % ; p= 0,04], soit une réduction modeste du risque relatif
de 8 % sur un suivi de 1,9 ans. C'est seulement dans le groupe de patients inclus pour AOMI,
contrairement aux groupes AVC ou IDM, que le bénéfice du clopidogrel est significativement
supérieur à l'aspirine [6,7% versus 8,6% ; p= 0,003] avec 52 patients à traiter seulement
pendant 1,9 ans pour éviter un événement, soit une réduction du risque relatif de 22 %
(CAPRIE 96). Par conséquent le patient atteint d'AOMI doit recevoir en priorité comme
antiplaquettaire, le clopidogrel (Hiatt 02).
Afin de maintenir la perméabilité des pontages, on aura recours en première intention
aux antiplaquettaires, le recours aux antivitamines K sera réservé aux patients à haut risque
d'occlusion du pontage (Hiatt 02).
Impact potentiel du cumul des traitements : la polychimiothérapie de l'athérothrombose
L'impact potentiel du cumul des traitements proposé par Yusuf repose sur le constat de
l'indépendance, à savoir l'absence d'interactions entre les effets des différents traitements, et
par conséquent du bénéfice additionnel de leur association (tableau 1) (Yusuf 02).
Tableau I : Impact potentiel du cumul des traitements en prévention secondaire d'après Yusuf 2002
Risque basal
Aspirine
β-bloquants
Statines [baisse LDL= 1,5 mmol/l]
IEC
Risque d'évènements : AVC, IDM, décès cardio-vasculaire
Réduction risque relatif (RRR)
Risque absolu à 2 ans

8,0 %
25 %
6,0 %
25 %
4,5 %
30 %
3,1 %
25 %
2,4 %
Réduction cumulée du risque relatif selon la polychimiothérapie
Aspirine + β-bloquant + Statine + IEC
1 – [0,75 x 0,75 x 0,7 x 0,75]=
70 %
Arrêt du tabagisme : réduction RR= 50%
Aspirine + β-bloquant + Statine + IEC + sevrage tabac
1 – [0,75 x 0,75 x 0,7 x 0,75 x 0,5]=
85 %
Hypertension artérielle traitée : réduction RR [baisse PAsystolique= 10mmHg]= 25%
Aspirine + β-bloquant + Statine + IEC + Antihypertenseur 1 – [0,75 x 0,75 x 0,7 x 0,75 x 0,75]=
78 %
Recommandations pratiques
Le patient atteint d'AOMI au stade d'ischémie critique doit bénéficier, comme tout
sujet athérothrombotique symptomatique au niveau d'un territoire, du dépistage et du bilan
d'extension de l'athérothrombose au niveau des 5 territoires artériels : artères carotides,
artères coronaires, anévrysme de l'aorte, artères viscérales, artères des membres inférieurs
(Perdu 03).
La polychimiothérapie de l'athérothrombose est une association de médicaments
appartenant à différentes classes pharmacologiques qui doit être administrée à vie. Plutôt que
de faire appel au concept non démontré d'effet de classe, on choisira de préférence la
molécule de chaque classe dont l'effet est spécifiquement validé par un essai.
L'antiplaquettaire retenu est le clopidogrel (75 mg/j) plutôt que l'aspirine (160 mg
puis 75 mg/j). L'association de deux antiplaquettaires, le clopidogrel et l'aspirine, est indiquée
en cas d'angor instable ou d'angioplastie.
Le béta-bloquant retenu est un β1-bloquant cardiosélectif, le bisoprolol. L'indication
est d'autant plus évidente que le patient est coronarien, insuffisant cardiaque ou hypertendu.
La statine retenue est la simvastatine (40 mg/j). Celle-ci est prescrite quelque soit le
niveau initial des paramètres lipidiques.
L'inhibiteur de l'enzyme de conversion retenu est le ramipril (10 mg/j). Celui-ci est
administré à dose croissante : 2,5 mg/j pendant une semaine, 5 mg/j pendant 3 semaines, puis
10 mg/j au long cours.
Un antihypertenseur est associé afin d'atteindre l'objectif de pression artérielle avec
une PA inférieure à 140 /90 mmHg, alors qu'en cas de diabète ou de néphropathie la PA doit
être inférieure à 130/80 mmHg. Compte tenu des classes thérapeutiques déjà mises en place,
on aura recours à un diurétique thiazidique puis à un calcium bloqueur, afin d'obtenir une
synergie antihypertensive.
Conclusion
La polychimiothérapie de l'athérothrombose doit s'inscrire au sein des stratégies
thérapeutiques de l'ischémie critique chronique que sont la revascularisation chirurgicale ou
endovasculaire, l'administration d'iloprost chez les patients non revascularisables, le
traitement local des ulcères, le contrôle de la douleur, la prévention des thromboses des
pontages distaux par les anticoagulants oraux, la prévention de la maladie thrombo-embolique
veineuse durant l'immobilisation (Pedrini 03), ainsi que le sevrage tabagique (Hiatt 02).
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