Groupe traduction PHARMATERM Bulletin terminologique de l’industrie pharmaceutique Volume 13, n° 4, 2002 Quand les fonctions s’emmêlent : dysfunction, disorder et trouble Les termes du champ sémantique de « maladie » sont omniprésents dans les textes médicaux et constituent souvent un casse-tête terminologique. Il sera ici question de trois termes qui ont en commun la notion de mauvais fonctionnement : dysfunction, disorder et trouble. En contexte purement médical, ces termes sont le plus souvent accompagnés d’un collocatif. On verra que leurs équivalents diffèrent selon la nature de celui-ci, et qu’il est indispensable de prendre en compte la collocation dans son ensemble plutôt que le terme seul dans la recherche terminologique. Le terme dysfunction a déjà fait l’objet d’un bulletin Pharmaterm1 portant principalement sur les insuffisances rénale et hépatique. Dans le présent article, il sera question de son emploi dans d’autres contextes. Le Dorland’s le définit comme suit : « disturbance, impairment, or abnormality of the functioning of an organ2 ». En contexte, les syntagmes contenant dysfunction comportent un collocatif désignant un objet concret (soit, comme dans la définition, un organe, mais aussi un système [central nervous system dysfunction3], une région anatomique [frontal lobe dysfunction4], un tissu [endothelial dysfunction5] ou un élément subcellulaire [mitochondrial dysfunction6]), ou renvoyant à la fonction touchée (diastolic dysfunction7). En résumé, dysfunction désigne un écart de fonctionnement d’un élément physique ou d’un processus physiologique quelconque de l’orga-nisme par rapport à la normale. Dans le premier cas, le syntagme correspondant en français comprend souvent dysfonction ou dysfonctionnement. Ce dernier est défini comme suit dans le Flammarion : « néologisme médical, consacré par l’usage, désignant une perturbation ou une anomalie de fonctionnement d’un organe ou d’un système8 ». Le Manuila9 et le Garnier-Delamare10 offrent des définitions semblables et établissent la synonymie de dysfonctionnement et dysfonction. Dans l’usage, les deux termes sont employés dans une proportion à peu près égale11. Toutefois, selon Quérin, il faut accorder la préférence à dysfonctionnement, car c’est le « […] fonctionnement d’un organe ou d’un appareil, la manière dont il en [sic] fonctionne, qui peut être anormal au cours d’une maladie, et non sa fonction, c.-à-d. son rôle dans l’organisme, qui demeure évidemment inchangée (et ni bonne ni mauvaise)12 » [mots soulignés en italique dans le texte]. Par ailleurs, en plus des syntagmes contenant dysfonction et dysfonctionnement, d’autres solutions émergent selon la spécificité du contexte ou le type de dysfonctionnement. Par exemple, pour traduire thyroid dysfunction13, on trouvera dysthyroïdie14 et pour ventricular dysfunction15, défaillance ventriculaire16. Voyons maintenant les syntagmes où l’on retrouve un terme désignant la fonction touchée par le processus pathologique. Une recherche en contexte permet d’observer qu’en anglais, dans ce cas, il y a coexistence des formes avec dysfunction et disorder, la fréquence d’usage variant selon le cas : coagulation disorder17, coagulation dysfunction18, visual disorder19, visual dysfunction20. De fait, l’usage de disorder est cohérent avec l’une de ses acceptions : « a derangement or abnormality of function21 ». En français, on trouve des formes comportant soit troubles [« modification pathologique des activités de l’organisme ou du comportement (physique ou mental) de l’être vivant22 »], soit dysfonction – ou son synonyme dysfonctionnement : dysfonctionnement cognitif23, troubles cognitifs24, dysfonctionnement métabolique25, troubles métaboliques26. Un cas particulier toutefois, erectile dysfunction : on trouvera une pléthore de synonymes pour traduire ce syntagme : dysfonction érectile27, troubles de l’érection28, dysfonctionnement érectile29, troubles érectiles30, dysérection31 et insuf fisance érectile32. Donc, lorsque le traducteur est confronté à un syntagme associant dysfunction ou disorder à un collocatif désignant une fonction physiologique, il vaut mieux vérifier au cas par cas quel équivalent est le plus utilisé selon le contexte. Continuons à explorer les syntagmes contenant disorder. Tout d’abord, la deuxième acception du terme renvoie à un état de maladie, qu’elle soit physique ou mentale : « a morbid physical or mental state33 ». Disorder constitue en fait un générique de disease (« any deviation from or interruption of the normal structure or function of a part, organ, or system of the body as manifested by characteristic symptoms and signs […]34 ») et est le plus souvent accompagné d’un adjectif ou d’un complément qui indique soit l’élément physique touché par le processus morbide (cardiovascular disorder35, gastrointestinal disorder36), soit le type d’atteinte mentale (panic disorder37, bipolar disorder38). En français, dans le cas d’un état morbide physique, le terme générique de « maladie » est affection, qui est défini comme suit : « atteinte de l’organisme ou trouble des fonctions physiologiques ou psychiques39 ». Un bon exemple pour illustrer cet emploi se trouve dans la définition de la mucoviscidose (cystic fibrosis). En anglais, on la caractérise comme suit : « an autosomal recessive disorder of infants, children, and young adults in which there is widespread dysfunction of the exocrine glands […]40 », alors qu’en français, elle est définie comme une « affection héréditaire transmise selon le mode récessif autosomique, dans laquelle les glandes à mucus sécrètent un liquide abondant [et] trop visqueux […]41 ». Il convient donc d’utiliser ici affection transmise selon le mode récessif autosomique pour rendre autosomal recessive disorder. Selon les contextes, on trouve également d’autres formulations : atteinte mitochondriale42, dyshémoglobinose43, etc. Par ailleurs, la situation est différente s’il s’agit d’une atteinte mentale. En effet, en psychiatrie, l’emploi de trouble est généralisé : il compose le plus souvent le nom des maladies mentales (ttroubles bipolaires44, trouble panique45) et de leurs grandes classes (ttroubles psychiatriques46, troubles mentaux47). Dans cette spécialité, l’emploi de trouble est sans ambiguïté. Qu’en est-il de trouble? On le définit comme : « a condition of physical distress or ill health48 ». Le terme est un quasi-synonyme de disorder et de dysfunction, mais revêt un caractère plus vague que ces derniers. Il est souvent utilisé dans des contextes où l’on fait allusion à un état pathologique non précisé : « Erectile problems were most strongly associated with prostate trouble, […]49 », ou encore pour décrire des symptômes expliqués par le patient : « Thirty-five percent of the subjects recalled “respiratory trouble before age 16” despite denying prior asthma50. » Les syntagmes comprenant trouble sont le plus souvent composés avec un terme désignant une fonction physiologique (memory trouble51) ou un organe (bowel trouble52, heart trouble53). Même si la collocation « organe + trouble » n’est pas aussi explicite, elle révèle, dans bien des cas, une atteinte fonctionnelle sousentendue. En français, la facilité porterait à traduire trouble par son homographe trouble, mais voilà le piège dans lequel il ne faut pas tomber. La forme au singulier est impropre affection, car elle n’englobe pas et constitue un calque de l’anglais dans le sens d’a le sens de fonctionnement défectueux que portent les syntagmes composés avec trouble. On ne dira pas « le patient présente un trouble cardiaque », mais bien une cardiopathie ou encore des troubles cardiaques, ce dernier syntagme soulignant les manifestations fonctionnelles qui touchent l’organe. On retrouve donc différents équivalents de trouble, qui marquent une certaine gradation : manifestations , troubles et atteinte . Manifestations désigne plutôt des symptômes ou des signes, et on le trouve, par exemple, dans le contexte d’effets secondaires de médicaments : « Lors des études de phase I, […] ses effets secondaires les plus fréquents consista[ie]nt en des manifestations cutanées […]54 ». Troubles, quant à lui, sous-entend l’existence de manifestations signalant une fonction perturbée : les syntagmes respiratory trouble et breathing trouble55 pourraient ainsi être rendus par troubles respiratoires56 », mais on trouve également les équivalents difficultés respiratoires57 et gêne respiratoire58, qui désignent plus particulièrement les manifestations des troubles. Atteinte met l’accent sur le fait que l’organe est peut-être déjà touché plus irrémédiablement. Dans un cas où liver trouble59 renvoit à une atteinte tissu- laire de l’organe (à une hépatite par exemple), on pourrait utiliser atteinte hépatique60. Enfin, lorsqu’il s’agit de traduire les dires du patient, l’équivalent problème est possible et rend bien le niveau de langue non spécialisé utilisé par le patient : « […] des médicaments qu’elle dit prendre quotidiennement pour un “ problème respiratoire ” […]61 » Pour conclure, la recherche d’équivalents pour dysfunction, disorder et trouble repose sur une analyse de leur collocatif et du contexte et ne peut être résolue que par l’examen du terme seul. La détermination de la nature des termes associés, à savoir s’ils évoquent une fonction physiologique ou un élément physique, se révèle être une aide précieuse dans le choix du meilleur équivalent. L’auteure tient à remercier Sylvie Vandaele, professeure adjointe au Département de linguistique et de traduction à l’Université de Montréal, pour ses conseils judicieux et son Tête du syntagme Équivalents français soutien. Collocatif 1a) élément physique Ex. : mitochondrial thyroid + dysfunction dysfunction dysfunction 1b) élément physique + trouble skin respiratory liver trouble trouble trouble Ex. : 1c) élément physique Ex. : mitochondrial hemoglobin 2a) processus, fonction physiologique Ex. : disorder disorder + dysfunction + disorder dysfonctionnement mitochondrial dysthyroïdie manifestations, troubles, atteinte (+ adjectif) (composante fonctionnelle) manifestations cutanées troubles respiratoires atteinte hépatique affection, atteinte (+ adjectif) nom spécifique de l’affection affection, atteinte mitochondriale dyshémoglobinose dysfonctionnement, dysfonction, troubles (+ adjectif) cognitive dysfunction ou dysfonctionnement, troubles + cognitif(s) disorder erectile dysfunction ou dysfonction, dysfonctionnement, troubles, disorder insuffisance + érectile(s), troubles de l’érection, dysérection 2b) processus, fonction physiologique Ex. : + disorder dysfonctionnement, dysfonction (+ adjectif) memory respiratory + trouble trouble trouble troubles (+ adjectif) troubles de la mémoire troubles, difficultés, gêne, problème(s) (non spécialisé) + respiratoire(s) 3) état physique morbide + disorder (peu importe le collocatif) affection Ex. : autosomal recessive affection autosomique transmise selon le mode récessif 4) type d’atteinte mentale Ex. : bipolar panic disorder + disorder disorder disorder troubles, trouble (+adjectif) troubles bipolaires trouble panique Geneviève Audet L’auteure tient à remercier Sylvie Vandaele, professeure adjointe au Département de linguistique et de traduction à l’Université de Montréal, pour ses conseils judicieux et son soutien. Références 1 Pharmaterm, vol. 10, n° 2, 1999, 4 p. 2 Dorland’s Illustrated Medical Dictionary, 29e édition, Philadelphie, W.B. Saunders Company, 2000, p. 553. 3 Canadian Medical Association Journal, vol. 166, nº 13, 2002, p. 1685. 4 Brain Injury, vol. 15, nº 5, 2001, p. 377. 5 Diabetes, vol. 51, nº 7, 2002, p. 2282. 6 Lancet, vol. 360, nº 9328, 2002, p. 219. 7 Herz, vol. 27, nº 2, 2002, p. 92. 8 Dictionnaire de médecine Flammarion, 6e édition, Paris, Médecine-Sciences, Flammarion, 1998, p. 292. 9 Manuila, L. et coll. Dictionnaire médical, 8e édition, Paris, Masson, 1999, p. 150. 10 Garnier, M., Delamare, V. et coll. Dictionnaire des termes de médecine, 26e édition, Paris, Maloine, 2000, p. 242. Sur un échantillon de 140 occurrences recueillies dans les titres d’articles en français indexés dans Medline, on trouve 69 occurrences de dysfonctionnement et 71 occurrences de dysfonction. 12 Quérin, S., Dictionnaire des difficultés du français médical, Saint-Hyacinthe, Paris, Edisem, Maloine, 1998, p. 66. 13 Archives of Internal Medicine, vol. 162, nº 7, 2002, p. 773. 14 Annales d’Endocrinologie, vol. 61, nº 6, 2000, p. 524. 15 New England Journal of Medicine, vol. 347, nº 3, 2002, p. 161. 16 Archives de Pédiatrie, vol. 5, nº 1, 1998, p. 93. 17 Lupus, vol. 9, nº 7, 2000, p. 484. 18 Journal of Cardiothoracic & Vascular Anesthesia, vol. 13, nº 4, suppl. 1, 1999, p. 2. 19 European Journal of Cancer, vol. 36, nº 14, 2000, p. 1788. 20 Epilepsia, vol. 42, nº 4, 2001, p. 525. 21 Dorland’s Illustrated Medical Dictionary, op. cit., p. 528. 22 Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, p. 2323. 23 Revue Neurologique, vol. 157, nº 8-9, 2001, p. 1131. 24 Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique, vol. 48, nº 5, 2000, p. 459. 25 Revue Neurologique, vol. 155, nº 9, 1999, p. 729. 26 Virologie, vol. 5, nº déc., 2001. 27 Annales d’Urologie, vol. 27, nº 3, 1993, p. 122. 28 Ibid. 29 Annales d’Urologie, vol. 32, nº 2, 1998, p. 77. 30 Revue Médicale de Liège, vol. 55, nº 5, 2000, p. 454. 31 Progrès en Urologie, vol. 8, nº 4, 1998, p. 537. 32 Revue du Praticien, vol. 51, n° 4, 2001, p. 353. 33 Dorland’s Illustrated Medical Dictionary, op. cit., p. 528. 34 Dorland’s Illustrated Medical Dictionary, op. cit., p. 511. 35 Heart, vol. 77, 1997, p. 264. 36 American Journal of Medical Genetics, vol. 98, n° 1, 2001, p. 70. 37 Depression & Anxiety, vol. 12, n° 2, 2000, p. 59. 38 Expert Opinion on Investigational Drugs, vol. 10, n° 4, 2001, p. 661. 39 Manuila, L. et coll., op. cit., p. 10. 40 Dorland’s Illustrated Medical Dictionary, op. cit., p. 673. 41 Garnier, M., Delamare, V. et coll., op. cit., p. 541-542. 42 La Presse Médicale, vol. 21, n° 27, 1992, p. 1279. 43 Pédiatrie, vol. 45, n° 6, 1990, p. 379. 44 Annales médico-psychologiques, vol. 159, n° 8, 2001, p. 554. 45 Espérance médicale, vol. 8, n° 69, 2001, p. 61. 46 L’Encéphale, vol. 28, n° 3, 2002, p. 191. 47 Annales médico-psychologiques, vol. 160, n° 3, 2002, p. 210. 48 Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, Merriam-Webster Incorporated, http://www.m-w.com/cgi-bin/dictio49 Journal of Epidemiology & Community Health, vol. 53, n° 3, 1999, p. 144. 50 Journal of Allergy & Clinical Immunology, vol. 88, n° 6, 1991, p. 870. 51 Journal of Aging & Health, vol. 7, n° 2, 1995, p. 163. 52 Mayo Clinic Proceedings, vol. 75, n° 9, 2000, p. 907. 53 Morbidity & Mortality Weekly Report, vol. 50, n° 7, 2001, p. 120. 54 Bulletin du cancer, vol. 87, n° 12, 2000, p. 873. 55 Chest, vol. 113, n° 2, 1998, p. 351. 56 Réanimation, soins intensifs, médecine d’urgence, vol. 12, n° 5, 1996, p. 238. 57 La Presse Médicale, vol. 31, n° 19, 2002, p. 880. 58 Annales d’Oto-Laryngologie et de Chirurgie Cervico-Faciale, vol. 117, n° 5, 2000, p. 321. 59 Lancet, vol. 359, n° 9302, 2002, p. 211. 60 Revue internationale de pédiatrie, n° 242, 1994, p. 25. 61 Médecins du Monde France, http://www.mdm-international.org/international/pages/medroissy.htm. 11 Mise en page et reproduction — Imprimerie Mackay Inc. Dépôt légal — 1er trimestre 1990 ISSN 0847 513X Nous remercions Christiane Martineau, term. a., pour sa collaboration à la rédaction du bulletin Pharmaterm. Copyright© 2002 Tous droits réservés. Le contenu de cette publication ne peut être reproduit en tout ou en partie sans le consentement écrit du Groupe traduction. Les opinions exprimées dans cette publication n’engagent en rien Les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada. Ont collaboré à ce numéro de Pharmaterm : Denise Bérubé, Astra Zeneca Canada Inc. Johanne Brisson, Astra Zeneca Canada Inc. Marina de Almeida, Wyeth-Ayerst Canada Inc. Nadine Tabib, Pfizer Canada Inc. Abonnement : 20 $ par année (4 numéros) Pour l’abonnement, veuillez vous adresser à : Suzanne Mongrain, CCPE/CFPC, 3489, rue Ashby, Saint-Laurent (Québec) H4R 2K3 ou [email protected] Pour toute autre question, prière de communiquer avec : Marina de Almeida, Wyeth-Ayerst Canada Inc., 1025, boul. 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