teledoc le petit guide télé pour la classe 2008 2009 Espèces d’espèces Un documentaire de Vincent Gaullier et Denis van Waerebeke, À l’occasion du bicentenaire de la naissance du naturaliste avec la collaboration de Charles Darwin, ce documentaire original et didactique, Raphaëlle Chaix (2008), ponctué de petites saynètes et d’animations en 3D, coproduit par explique avec humour comment les hommes, constatant Ex Nihilo, France 5, Arte France, CNRS Images et le Muséum national d’histoire l’étonnante diversité des créatures vivantes, ont décidé de les répertorier et de les classer scientifiquement. Un naturelle de Paris. remarquable film couronné par le Grand prix Pariscience 52 min du Festival international du film scientifique l’an passé. FRANCE 5 TNT : LA NUIT DU MARDI 17 AU MERCREDI 18 FÉVRIER, 1 h 05 Auprès de mon arbre… de la vie SVT, collège, lycée Comment tout comprendre ou presque à la classification du vivant! Avec une rigueur scientifique irréprochable, beaucoup d’humour et une grande clarté, ce documentaire très pédagogique et très vivant rend compte, justement, de l’ordonnancement du vivant. Comment l’Homme a-t-il cherché y voir clair dans l’extraordinaire biodiversité de notre planète? Quels sont les principes classificatoires modernes, issus des travaux pionniers de Willi Hennig? Le film propose une représentation en 3D très réussie de l’arbre du vivant: un buisson sphérique poussant dans tous les sens à partir de ramifications communes et où toutes les extrémités correspondent à des espèces actuelles, parmi lesquelles l’Homme. Eh oui, il faudra nous y faire, Homo sapiens est l’une des 5 à 100 millions d’espèces qui peuplent notre planète! La plus complexe sans doute, mais issue, comme la crevette ou le salsifis, d’une longue, très longue succession d’innovations évolutives partagées. Le travail des systématiciens consiste donc à mettre en évidence les relations d’apparentement. Au bénéfice d’une compréhension toujours plus fine du monde vivant. Rédaction Vincent Béranger, professeur de SVT, avec la collaboration d’Hélène Pouyfaucon (CNDP) Crédit photo Ex Nihilo Édition Anne Peeters Maquette Annik Guéry Ce dossier est en ligne sur le site de Télédoc. www.cndp.fr/tice/teledoc/ Mettre de l’ordre dans tout ça ! > Comprendre les principes et les modalités de la classification phylogénétique. • Sur les 5 à 100 millions d’espèces vivantes aujourd’hui, environ 1,75 million ont été décrites à ce jour. À raison de 10000 espèces répertoriées chaque année, on estime que le nombre de celles que l’on pourra décrire dans le futur sera inférieur au nombre d’espèces qui disparaîtront. Ces valeurs vertigineuses mettent en évidence l’importance de la biodiversité que l’Homme, pour mieux l’appréhender, a cherché à ordonner. La création et l’enrichissement d’un répertoire des espèces est la première étape de cette activité d’ordonnancement. Elle met en œuvre une opération de tri qui revient à discriminer des espèces selon un critère binaire (qui a tel caractère / qui n’a pas tel caractère) en employant une clé de détermination qui permet de reconnaître une espèce : si on ne retrouve pas son nom, c’est qu’elle n’a jamais été répertoriée et décrite. Après avoir (re)défini la notion d’espèce, on rapportera (à l’aide des valeurs fournies dans le documentaire) le nombre d’espèces répertoriées au nombre estimé d’espèces vivantes actuellement, afin de mesurer l’immensité de la tâche que les systématiciens ont à accomplir. • Lorsque l’on découvre une espèce non répertoriée, on lui donne un nom en latin, selon une modalité depuis longtemps établie (Carl von Linné, Systema Naturae, 1735), qui est la nomenclature binominale. Cette espèce est ensuite classée, c’est-à-dire placée dans des groupes emboîtés dont l’emboîtement – et c’est l’argument fondamental de la classification phylogénétique – reflète le déroulement de l’évolution biologique. Le seul critère de classement en jeu est ainsi le partage, pour chaque niveau de regroupement, d’une ou plusieurs innovations évolutives (ou « caractères dérivés partagés ») : qui est le plus proche de qui ? Les groupes ainsi constitués ont alors, quelle que soit leur taille, une valeur naturelle puisqu’ils sont le reflet de l’évolution du vivant. • Dans les systèmes de classification qui ont précédé celui de la classification moderne, on relèvera des groupes artificiels fondés sur des critères de hiérarchisation parfois étonnants (les « invertébrés » par exemple, définis uniquement par quelque chose qu’ils n’ont pas, et qui, pour le coup, est en quelque sorte désigné comme devant être acquis). On fera ensuite énoncer le critère de classement de la phylogenèse afin de révéler dans ce cadre l’importance des travaux de Charles Darwin (De l’origine des espèces, 1859) ainsi que la valeur naturelle des groupes d’espèces qu’elle permet de construire. Et l’Homme dans tout ça ? > Avec des élèves de Tle S et de 1re ES, situer Homo sapiens dans le monde du vivant. • Une représentation qui rend bien compte de la classification du vivant est celle d’un buisson sphérique, sans tronc, qui croît dans toutes les directions. L’extrémité des rameaux est occupée par les espèces vivantes actuelles. Les extrémités qui n’atteignent pas la périphérie correspondent à des espèces éteintes ; aux embranchements (ou « nœuds » des rameaux) sont situés les ancêtres communs aux espèces qui leur sont postérieures, le nœud central étant occupé par le dernier ancêtre commun universel. Les scientifiques ont pu, en quelque sorte, établir les portraits-robots de ces ancêtres, chez qui des innovations évolutives sont apparues. Et « LUCA » (Last Universal Common Ancestor), organisme doté de propriétés d’autonomie qui définissent la vie, est l’horizon ultime de l’arbre de la vie. • On demandera aux élèves de confronter l’image du buisson sphérique (représentée dans le film de façon dynamique, grâce aux images de synthèse) au principe de la classification phylogénétique, afin de valider cette représentation. On justifiera notamment le fait que progresser vers le nœud central du buisson revient à remonter dans le temps et donc dans l’histoire de la vie en passant par des innovations évolutives. • Afin de déterminer la place de l’Homme parmi les êtres vivants, on relèvera, sous la forme d’une représentation graphique simple de groupes emboîtés, le détail de la classification de l’espèce Homo sapiens, du groupe le plus restreint, celui du genre Homo, au plus large, celui des eucaryotes. On précisera dans chaque ensemble le nom du groupe, la ou les innovation(s) évolutive(s) le définissant ainsi que la période à laquelle l’innovation s’est mise en place. • Homo sapiens, de la branche des eucaryotes, et Pyrococcus, de celle des archées, sont tous deux situés à des extrémités de rameaux très éloignés l’un de l’autre mais à égale distance de « LUCA ». On expliquera en quoi ces deux espèces, bien que présentant des degrés de complexité très différents, ont le même degré évolutif, qui se traduit par des stratégies de vie différentes. « Qui partage quoi avec qui ? » Questions à Guillaume Lecointre, systématicien Depuis quand s’est imposée cette représentation du monde vivant comme un buisson sphérique poussant dans tous les sens à partir de trois branches qui ont elles-mêmes une origine commune? Il s’agit d’une bonne représentation, visuelle et pédagogique, mais vous pourriez aplanir cette sphère et avoir une représentation en deux dimensions. Le contenu d’informations, en termes de relations de parenté, serait le même. L’important est de bien comprendre que la construction de l’arbre du vivant est fondée sur l’apparentement évolutif et sur lui seul. L’image de la sphère est efficace parce que, dans une sphère, il n’y a pas de haut, pas de bas, et pas de jugements de valeur associés à ce haut et à ce bas. Prenez l’arbre de Haeckel, que l’on voit dans le film. Cet arbre, qui ressemble à un chêne, est un mélange de discours de faits (des branches étroitement liées entre elles et porteuses de noms d’ensembles) et de discours de valeurs (l’homme est en haut en vertu d’un certain anthropocentrisme). Les arbres phylogénétiques modernes se bornent à montrer qui partage quoi avec qui. S’il y a une hiérarchie, elle n’est pas de valeurs ; elle reflète simplement la distribution des attributs à travers le vivant. C’est une hiérarchie d’emboîtements mais pas une hiérarchie de valeurs. En quoi la classification phylogénétique a-t-elle été un bouleversement conceptuel? Il a fallu attendre la diffusion des travaux de Willi Hennig, dans les années 1960, pour que ce bouleversement conceptuel ait lieu. Avant, on faisait d’abord des classifications, qui étaient souvent héritées de celle de Linné (datant du XVIIIe siècle) et avaient un « cahier des charges » extrêmement complexe et multiforme (on parlait d’ailleurs de «systématique éclectique»), et ensuite on cherchait ce que l’on appelait les «affinités» entre les groupes. Dans cette logique là, on avait des relations d’ancêtres à descendants entre de grands groupes. On disait: «les poissons descendent des invertébrés», «les amphibiens descendent des poissons», «les reptiles descendent des amphibiens», «les mammifères descendent des reptiles»… Donc, on parlait de groupes d’ancêtres et de descendances entre grands groupes. Deux erreurs logiques étaient commises. D’abord, on assignait une vie évolutive à un groupe entier (or, les groupes, c’est nous qui les pensons, ils ne sont pas dans la nature, ils n’ont pas de vie évolutive au sens biologique du terme). Deuxièmement, on ne faisait pas la distinction entre «qui descend de qui?» et «qui est plus proche de qui?». Eh bien le bouleversement majeur, c’est l’inversion de ces deux procédures: la charrue avant les bœufs puis les bœufs avant la charrue! Dorénavant, on met en évidence les relations d’apparentement entre les espèces et, seulement après, on fait la classification, qui n’est que phylogénétique. Qu’entendez-vous par «qui n’est que phylogénétique»? Avant les années charnières dont je parle, la systématique devait rendre compte des affinités mais aussi des sauts écologico-adaptatifs. C’était une grande épopée, si vous voulez. On laissait les poissons dans un groupe, même s’ils n’ont aucun attribut qui leur soit absolument propre, car on disait que les poissons sont les vertébrés qui n’ont pas fait la sortie des eaux. C’est-à-dire qu’on les mettait ensemble, non pas par rapport à quelque chose qu’ils ont en propre, mais par rapport à quelque chose qu’ils n’ont pas fait! La classification phylogénétique met dans un groupe seulement des espèces qui sont le plus étroitement apparentées entre elles car elles partagent des attributs en propre, des attributs qu’on ne retrouve pas en dehors du groupe. Ainsi, on ne parle plus de « poissons » dans la classification moderne. Une truite est plus apparentée à vous qu’elle ne l’est à un requin; un requin est plus apparenté à vous qu’il ne l’est à une lamproie car le requin et vous avez la mâchoire, tandis que la lamproie n’en a pas. La truite et vous, vous avez le pariétal, le maxillaire, le prémaxillaire, le dentaire et le frontal en commun; le requin, lui, n’a pas ces os. Exit aussi les «invertébrés»! Qu’est-ce que vous avez dit d’un ver de terre ou d’un escargot quand vous avez dit qu’ils n’ont pas de vertèbres? En fait, vous ne parlez pas du ver de terre ou de l’escargot. Vous parlez du point de référence qui est en dehors du groupe: vous parlez de l’Homme. C’est l’Homme qui a des vertèbres. Avoir des groupes complets, avec des attributs qui les signent, c’est ce qu’il y a de plus opératoire et de plus intelligible! Y compris pour nos élèves. Les classifications antérieures, très compliquées, n’étaient pas enseignées par une pédagogie de la découverte. On les assénait («Il y a des invertébrés»…). On ne disait jamais comment elles étaient faites, largement en fonction de la position centrale que l’homme se donnait dans l’univers. Comment expliquer ça en tant que démarche scientifique? Il y avait un non-dit que nous, classificateurs professionnels, avons décidé de mettre au jour. Dans une (Suite page 4) Une expédition pour élargir le répertoire du vivant Santo 2006 est une expédition scientifique destinée à dresser l’inventaire de la flore et de la faune de l’île de Santo au Vanuatu, dans le Pacifique sud. Plus d’une centaine de spécialistes, venus d’une quinzaine de pays, se sont impliqués sur le terrain pendant cinq mois, entre août et décembre 2006, explorant tous les types d’habitats (grands fonds marins, récifs, grottes, eau douce, montagne, canopée forestière). Les communautés biologiques insulaires sont des systèmes plus simples, avec un nombre plus limité d’espèces que les systèmes continentaux. Les îles tropicales sont donc des sites d’études privilégiés pour analyser la composition des faunes et des flores : elles présentent à la fois le foisonnement d’espèces des écosystèmes tropicaux et l’appauvrissement relatif des îles. Couvrir de manière représentative, sinon exhaustive, la biodiversité d’une grande île tropicale est donc à la fois un objectif exaltant et réaliste. « Qui partage quoi avec qui ? » (suite) Questions à Guillaume Lecointre, systématicien Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, est chercheur au département « Systématique et évolution » dont il est le directeur. Il travaille sur les relations évolutives entre les êtres vivants et plus particulièrement sur les relations d’apparentement entre les téléostéens (« poissons osseux » ou « poissons modernes » pour les profanes), groupe constitué d’environ 25 000 espèces, soit la moitié des espèces de vertébrés vivant aujourd’hui. À consulter, le site de Guillaume Lecointre, abrité par celui du Muséum. http://www.mnhn.fr/glecointre/ index.html (Suite de la page 3) pédagogie par la découverte, rien de plus simple que de faire renouer avec l’observation et de faire mettre en ensembles, sur la base d’attributs vraiment observés chez les bestioles, et pas de considérations qui tiennent à la métaphysique et dont on ne peut pas s’emparer en cours de sciences. Le périmètre de la science est métaphysiquement neutre, dans ses objectifs et dans ses méthodes. La métaphysique est tout aussi légitime mais elle relève d’un autre périmètre. Que veut dire «phylogénétique»? C’est la genèse des lignées. Le mot a été forgé au XIXe siècle, alors que l’on ne connaissait pas le gène. «Phylogénétique» ne veut pas dire «qui est fondé sur la génétique». Cela n’a rien à voir. Mais il se trouve que la classification phylogénétique a bénéficié dans la période récente des apports de la génétique. L’ADN a été utile pour les classificateurs? Oui, ça donne la possibilité de faire des comparaisons entre des organismes que l’on n’arrivait pas à comparer. On a eu accès à une nouvelle source de caractères, les caractères moléculaires. Ça permet d’aller plus loin dans la profondeur de l’arbre de la vie. L’anatomie comparée saturait. La divergence génétique entre une eubactérie et une archée, qui sur le plan anatomique se ressemblent, est 200 fois la divergence génétique entre une grenouille et vous. Avec l’anatomie comparée, nous nous sentions très différents d’une grenouille… et nous ne voyions guère de différences entre les bactéries, qui cachent bien leur jeu! Ce que nous posons à nos séquences d’ADN, ce sont des questions de systématiciens : qui est plus proche de qui? Voilà notre question. Peut-on voir des espèces en train de se créer? Oui, des mises en place d’interstérilité, on en voit. Par exemple, il y a 500 ans, les Portugais ont amené des souris sur l’île de Madère et il y a eu une accélération des phénomènes chromosomiques chez ces souris : maintenant, on a cinq espèces de souris distinctes. Dans la nature, on voit ces choses se faire, et puis en laboratoire, alors là! Il ne faut pas oublier de dire que l’évolution s’expérimente. Chez les éleveurs et les horticulteurs depuis au moins 10000 ans. Et il n’y a pas plus grands expérimentateurs de l’évolution que la recherche biomédicale et la recherche phytosanitaire. Car pourquoi faut-il inventer sans cesse de nouveaux antibiotiques et de nouveaux pesticides? Parce que ces produits sont devenus inefficaces. Si vous ne prenez pas votre traitement antibiotique jusqu’au bout, vous n’éradiquez pas la souche qui vous rend malade et vous sélectionnez (c’est de la sélection naturelle!) des variants résistants à l’antibiotique, qui étaient ultraminoritaires dans la population, et maintenus ultraminoritaires. Vous donnez à ces variants la possibilité de se redéployer et de reconstituer une population, cette fois-ci hégémonique. C’est un fait évolutif : tout simplement variation-sélection. L’évolution, ça fait partie de la vie de tous les jours. Propos recueillis par Roger Foucher et Hélène Pouyfaucon. Pour en savoir plus • LECOINTRE Guillaume (dir.), Comprendre et enseigner la classification du vivant, Belin, coll. « Guide Belin de l’enseignement », 2008. • LECOINTRE Guillaume et LE GUYADER Hervé, Classification phylogénétique du vivant, Belin, 2006. • « L’Évolution des espèces », TDC, n° 946, CNDP, 15 décembre 2007. http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.asp?l=tdc-n-946-15-decembre-2007&prod=48802 • « Bêtes et hommes », TDC, n° 939, CNDP, 1er septembre 2007. http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.asp?l=tdc-n-939-1er-septembre-2007&prod=19100 • Un DVD du CNDP sur la classification du vivant, à paraître au 4e trimestre 2009 dans la collection «Dévédoc», avec des suggestions pédagogiques pour l’école, le collège et le lycée à partir de séquences audiovisuelles et de films. • Le logiciel Phylogène, à télécharger gratuitement. http://www.inrp.fr/Acces/biotic/evolut/phylogene/accueil.htm • Phyloboîte, autre logiciel incontournable à télécharger gratuitement. http://pedagogie.ac-toulouse.fr/svt/serveur/lycee/perez/Phyloboite/Html/ • Enfin, pour rire, Classification systématique du vivant extraterrestre (2006, 10 min), un court métrage savoureux de Denis van Waerebeke, également réalisateur du documentaire Espèces d’espèces. http://www.6nema.com/cargo/court-metrage/classification_systematique_du_vivant_extraterrestre-1043