cambrai et le cambrésis vus du passé - cyclo

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CAMBRAI ET LE CAMBRÉSIS
VUS DU PASSÉ
Développement documentaire de la randonnée URFA du 5 juin 2010 effectuée par
Jean-Marie CZAPRAGA, Pierre GOUBET, Alain GRUMELARD, Rémy VOLPI
Ce texte n’engage que son auteur, Rémy VOLPI
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
I AU MILIEU DE NULLE PART
II UNE VILLE ANCIENNE
1 La période gallo-romaine
2 Du chaos des invasions à la mise en place de l’ordre féodal
3 De l’an mille à aujourd’hui : les forces à l’œuvre
A L’irruption d’un ordre nouveau : le monde de l’économie
● Apparition des libertés communales
● Développement du commerce au long cours
B Des luttes dynastiques aux luttes nationales : le panier de crabe pérenne
● Vers l’an mille
● Le cas de la Flandre
● Dislocation des Dix-Sept Provinces ou Pays-Bas espagnols
a) Partition entre protestants indépendants et catholiques fidèles à l’Espagne
b) Partition du sud entre roi d’Espagne et roi de France
● XVIII-XIXème siècle : création des identités nationales et ses conséquences
C Les prémices de la guerre moderne, Cambrai, 1917
4 Quelques réflexions
III RESSORT CASSÉ
1 Monuments : de beaux restes méconnus
● Le château de Selles
● Le beffroi de Cambrai
● La Citadelle
● La Porte de Paris
● L’Hôtel de ville
● Le château d’Havrincourt
● Le château d’Esnes
● L’abbaye de Vaucelles
2 Cambrai vue en 1917
3 Démographie
4 L’économie
5 Cambrai et l’aviation
IV EN GUISE DE CONCLUSION
p. 3
p. 10
p.16
p. 16
p. 22
p. 28
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p. 28
p. 29
p. 33
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p. 34
p. 41
p. 41
p. 45
p. 49
p. 49
p. 52
p. 54
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p. 61
p. 63
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INTRODUCTION
Mettant à contribution son expertise cartographique et la connaissance de la terre natale de ses
parents, Pierre Goubet nous a fait découvrir Cambrai et ses environs au cours d’un circuit
cyclotouristique de 85 km effectué le 5 juin 2010, sous un soleil radieux.
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Jean-Marie Czapraga, en plus d’avoir illustré notre périple par de nombreuses et belles photos
s’ajoutant à celles de Pierre, nous a montré ce parcours vu du ciel grâce à son GPS couplé à
Google Earth.
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Pour ne pas être en reste, je voudrais montrer ce pays vu du passé.
Je connaissais Cambrai pour m’y être rendu à plusieurs reprises, vers la fin du second
millénaire, pour affaires. Concentré sur celles-ci, je n’avais guère prêté attention à Cambrai et
au Cambrésis, et j’en gardais le souvenir vague d’une ville ancienne, au ressort cassé, située
au milieu de nulle part.
Les trois clochers de Cambrai
M’étant quelque peu penché entre-temps sur l’histoire1, j’ai depuis un autre regard. Toutefois,
pour être honnête, je dois préciser que, européen de naissance, mon point de vue historique
n’est pas celui de l’Éducation nationale. C’est celui de l’histoire tout court, hors images
d’Épinal réductrices et ethnocentriques. Mais, après deux guerres mondiales, n’est-il pas
temps d’admettre que l’histoire n’a de sens que considérée globalement et non du point de vue
partial de la gloire de la France (ou de celle de l’Italie, ou de celle de la Russie) ?
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Rémy Volpi, Mille ans de révolutions économiques, L’Harmattan, 2002
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I AU MILIIEU DE NULLE PART
Ville de 33000 habitants, ressortissant au département du Nord, Cambrai est située à la limite
nord du bassin parisien, entre, à l’est les collines de la Thiérache et de l’Avesnois, et au nordouest les collines de l’Artois. Son altitude est de 41 mètres, soit plus bas que les deux régions
mentionnées : Bapaume, dans l’Artois est à 100 mètres d’altitude et Avesnes sur Helpe à 143
mètres. À ce titre, le « seuil du Cambrésis » facilite la communication entre le nord et le sud.
Cambrai se trouve à 65 km de Lille, à 48 km d’Arras, à 180 km de Paris, à 300 km de
Londres, et à 120 km de Bruxelles. Le canal de Saint-Quentin, le canal du Nord, les
Autoroutes A1, A2 et A26, empruntent tous ce passage entre le bassin de la Seine et les
plaines du Nord.
Le canal de Saint-Quentin (92,5 km) assure la jonction entre l'Oise, la Somme et l'Escaut et
met en relation le Bassin Parisien avec le Nord de la France et la Belgique. Le canal du Nord
relie la vallée de l'Oise au canal Dunkerque-Escaut. Imaginé vingt ans après le plan Freycinet
pour promouvoir un gabarit de navigation supérieur au canal de Saint-Quentin, il a été
finalement ouvert à la navigation en 1965.
Tracé du canal de Saint-Quentin
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Vue du canal de Saint-Quentin
Canal du Nord entre Hermies et Ruyaulcourt
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Canal du Nord, près d’Havrincourt
Canal du Nord, souterrain de Ruyaulcourt (4354 mètres)
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Cela dit, il faut d’abord retenir de Cambrai deux caractéristiques fondamentales.
La première saute aux yeux en observant une carte routière :
Les routes qui relient Cambrai au Cateau-Cambrésis (N43), Cambrai à Arras (D939), et
Cambrai à Bapaume (N30) sont parfaitement rectilignes. C’est que leur tracé reprend celui de
voies romaines dont le point de départ est Bavay. Cambrai est donc une ville gallo-romaine.
La seconde caractéristique clef est que, située sur la rive droite de l’Escaut, Cambrai a
jusqu’en 1677 relevé du Saint-Empire Romain Germanique et non du Royaume.
L’Escaut (de Schelde en néerlandais) est un fleuve européen de 355 kilomètres qui traverse la
France, la Belgique et le sud des Pays-Bas, avant de se jeter en Mer du Nord. Ce fleuve prend
sa source à Gouy à côté de l’abbaye du Mont Saint-Martin, au nord de Saint-Quentin, dans
l’Aisne, à une altitude de 97 mètres.
C'est un fleuve lent et peu puissant sur lequel l'influence de la marée se fait sentir jusqu'à 160
kilomètres de l'embouchure. Auparavant, il se séparait en deux bras (Westerschelde et
Oosterschelde, de part et d’autre de la presqu’île de Walcheren en Zeeland) mais seule la
branche occidentale rejoint encore la Mer du Nord entre Breskens et Flessingue (Vlissingen)
aux Pays-Bas. Son estuaire (Westerschelde) fait jusqu'à cinq kilomètres de largeur.
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Le cours du fleuve est canalisé à partir de Cambrai qui a un port.
Port de Cambrai-Cantipré, à la jonction des deux canaux
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Le fleuve a joué un rôle capital dans l’histoire de la ville en assurant de multiples fonctions, et
d’abord en permettant dès l’Antiquité, le transport d’hommes et de marchandises vers l’aval.
Cependant, il n’était pas aménagé et traversait de nombreux marais. Avec la découverte du
charbon à Anzin en 1734, l’Escaut fut élargi et en 1780 rendu navigable de Cambrai à la Mer
du Nord. L’Escaut était également indispensable à de nombreuses activités économiques
telles que la tannerie, la meunerie, la fabrication du sel et du savon, ainsi que pour le
rouissage du lin dont le tissage représentait une des activités principales de la ville.
Tour des Arquets.
La tour des Arquets, qui date du XIVème siècle, était une porte d’eau, partie d’un ensemble défensif permettant
l’entrée de l’Escaut dans la ville et le contrôle d’inondations défensives.
L’Escaut passe ensuite par Valenciennes, puis, en Belgique, par Tournai, Audenarde, Gand et
Anvers, quatrième port européen (et dix-septième mondial). Signalons enfin aux Pays-Bas, en
aval d’Anvers, le port de Terneuzen, relié à Gand par un canal (Zeekanaal) construit de 1823
à 1827, soit avant la séparation des Pays-Bas et de la Belgique (1830, reconnue par un traité
en 1839). C’est le port maritime de Gand et à ce titre, bien que situé aux Pays-Bas, il est le
troisième plus grand port de Belgique, le second étant Zeebrugge.
En conclusion de cette première partie, il apparaît que Cambrai a de très longue date été partie
prenante d’un vaste archipel de pôles lointains au rôle structurant. Ce sont ces réseaux qui, en
l’occurrence, donnent sa pleine signification à Cambrai.
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II UNE VILLE ANCIENNE
1 La période gallo-romaine
Pour comprendre Cambrai, ville d’origine gallo-romaine, il est nécessaire, ne fût-ce que
brièvement, de se pencher sur le passé gallo-romain de la région. Et avant cela, sur son passé
gaulois.
Dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, Jules César dit que les Gaulois s'appelaient
Celtes dans leur langue, et Gaulois dans celle des Romains.
Venus des steppes d’Asie centrale, les Indo-européens s’installent en Europe septentrionale et
centrale vers la fin du néolithique. Dès le IIème millénaire, d’autres Indo-Européens
s’installent en Europe: Hellènes en Grèce, Celtes en Europe centrale, peuples italiques en
Italie. Les migrations indo-européennes devaient se poursuivre jusqu’aux IVème/ VIIème
siècles après J.C. avec l’arrivée des Germains en Europe occidentale et des Slaves dans les
Balkans (Xème siècle), derniers arrivés parmi les Indo-européens.
Le berceau des Celtes semble avoir été la région du haut Danube (Allemagne du Sud,
Bohême) dans l’actuelle Autriche. Leur culture s’étend sur toute l’Europe centrale et bien audelà du Rhin à l’époque du bronze moyen.
Le IIIème siècle avant J.C. est la période de la plus grande expansion des Celtes : ils occupent
alors l’Europe, depuis le Portugal à l’ouest jusqu’à l’Asie mineure à l’est.
Migrations et incursions gauloises.
Le grisé indique, d'après Spruner-Mencke, la plus grande extension des tribus gauloises, vers le IIIe siècle av. J.-C. Aux
principales nations indiquées, il faudrait ajouter, en Espagne, celle qui donna son nom à la Gallécie ou Galice.
Composé de peuples indépendants, ce monde celtique se caractérise par une langue, un mode
de vie, une économie, un art et des pratiques religieuses très semblables. Ils sont bons
agriculteurs et bons artisans, en particulier en métallurgie. C'est probablement leur incapacité
à s'unir et à fonder des entités politiques plus vastes que la cité ou la confédération de peuples
qui les a perdus.
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Tout à l’inverse, le monde romain se présente comme une extraordinaire machine à intégrer.
Alors que les Grecs et les Phéniciens se disséminent en colonies lointaines tournant le dos aux
populations autochtones, les Romains considèrent que les peuples qu’ils affrontent – ou
côtoient - ont vocation à devenir romains. Pour cela, ils relient par des routes terrestres ou
maritimes, ils créent des infrastructures identiques aux leurs - arènes, aqueducs, cités avec
égouts et rues se croisant à angle droit - au motif d’offrir la « paix romaine ». Les Romains
conquièrent peu à peu, à partir du IIIème siècle avant J.C. l’Italie du Nord (la Gaule
cisalpine), puis l’Espagne, puis le sud de la Gaule. C’est en 58 avant J.C. que Jules César
entreprend la conquête « des » Gaules. « Les » Gaules, car les Romains avaient subdivisé la
Gaule transalpine en Gaule lyonnaise, ou celtique au centre, Gaule Belgique au nord, Gaule
aquitaine au sud-ouest, et Gaule narbonnaise, province romaine depuis 118 avant J.C.
« Les Gaulois sont séparés des Aquitains par le cours de la Garonne, des Belges par la Marne
et la Seine. Les plus braves de tous ces peuples sont les Belges, parce qu'ils sont les plus
éloignés de la civilisation et des mœurs raffinées de la Province, parce que les marchands vont
très rarement chez eux et n'y importent pas ce qui est propre à amollir les cœurs, parce qu'ils
sont les plus voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin et avec qui ils sont
continuellement en guerre », dit Jules César.
Jules César, à défaut d’avoir le triomphe modeste, avait le génie de la formule concise. Il
résumera sa guerre éclair en trois mots, encore gravés deux millénaires plus tard dans la
mémoire collective : « Veni, vidi, vici », je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.
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Les Nerviens étaient l'un des peuples gaulois ou belges du nord/nord-est de la Gaule (Gaule
belgique dans la terminologie romaine). Le territoire nervien comprenait les provinces
modernes belges du Hainaut, du Brabant (wallon et flamand), plus au nord, la province
d'Anvers et encore plus au nord, la province hollandaise du Brabant du Nord, ainsi qu'en
France le Sud et l'Est du département du Nord, où se trouve l'actuelle Bavay et deux oppida
celtiques : Flaumont-Waudrechies et Estrun. Leurs voisins : tout au nord, les berges du Rhin
étaient tenues par les Bataves (germaniques) ; à l'ouest, séparés par l'Escaut, les Ménapes et
les Atrébates (celtiques) ; à l'est les Éburons (celtiques); au sud-est les Aduatiques
(germaniques), au sud les Rèmes (celtiques) et les Viromanduens (celtiques) au sud-ouest
Parlant de lui à la troisième personne, Jules César décrit le sort qu’il réserva aux Nerviens, en
54 avant J.C. « Il marcha contre les Ambiens [cf. Amiens, nom actuel de leur capitale], qui
mirent aussitôt leurs personnes et leurs biens à sa discrétion. Au territoire de ces derniers
touchait celui des Nerviens. César s'informa du caractère et des mœurs de ce peuple, et apprit
que chez eux tout accès était interdit aux marchands étrangers ; qu'ils proscrivaient l'usage du
vin et des autres superfluités, les regardant comme propres à énerver leurs âmes et à amollir le
courage ; que c'était des hommes barbares et intrépides ; qu'ils accusaient amèrement les
autres Belges de s'être donnés au peuple romain et d'avoir dégénéré de la valeur de leurs
pères ; qu'ils avaient résolu de n'envoyer aucun député, et de n'accepter aucune proposition de
paix….Après cette bataille, où la race et le nom des Nerviens furent presque entièrement
anéantis, les vieillards, que nous avons dit s'être retirés au milieu des marais avec les enfants
et les femmes, instruits de ce désastre, ne voyant plus d'obstacles pour les vainqueurs ni de
sûreté pour les vaincus, sur l'avis unanime de ceux qui survécurent à la bataille, envoyèrent
des députés à César et se rendirent à lui. Rappelant le malheur de leur pays, ils dirent que le
nombre de leurs sénateurs se trouvait réduit de six cents à trois seulement, et que de soixante
mille hommes en état de porter les armes, il en restait à peine cinq cents. César voulut user de
clémence envers ces infortunés suppliants, pourvut soigneusement à leur conservation, leur
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rendit leur territoire et leurs villes, et enjoignit aux peuples voisins de ne se permettre envers
eux et de ne souffrir qu'il leur fût fait aucun outrage ni aucun mal ».
Après leur intégration à l'Empire romain, les Nerviens ont servi dans l'armée romaine. Ils
furent rassemblés dans des cohortes nerviennes. Celles-ci servaient le long du Rhin et le long
du mur d'Hadrien en (Grande) Bretagne. Selon Tacite c'étaient des troupes d'élite.
Victime d’une conjuration un mois après s’être fait nommé dictator perpetuus, Jules César
meurt assassiné en 44 avant J.C. C’est son petit-neveu et fils adoptif, Octave, âgé de 19 ans,
qui prend la relève (« la valeur n’attend pas le nombre des années » oppose-t-il à ses
détracteurs, phrase qui fera école). Il finit par se faire nommer en 27 Augustus, empereur avec
les pleins pouvoirs. Le pouvoir impérial est une délégation, une mission confiée à un individu
théoriquement choisi ou accepté par le peuple romain et le Sénat. Auguste procède à toute
sorte de réformes bénéfiques pour Rome, dont il ne manquera pas de se flatter. « J’ai trouvé
une Rome de briques et laissé une Rome de marbre ».
Entre autres, il réorganise la Gaule Belgique en trois subdivisions : la Gaule Belgique au sens
strict, la Germanie inférieure et la Germanie supérieure, Reims (Durocortorum, capitale de la
tribu celte des Rémes) étant la capitale de la province entière. Il fait de Bavay (Bagacum),
située à la limite de la Gaule Belgique et de la Germanie inférieure le chef-lieu de la Civitas
Nerviorum, entité territoriale et administrative de la province de la Gallia Belgica. Sept voies
partant de Bavay furent aménagées sous le règne d'Auguste ou de Tibère, afin d'améliorer les
communications et donc la sécurité dans ces territoires extrêmes de l'Empire. Une série de
localités, déjà existantes ou crées ex nihilo connurent alors une croissance rapide, comme
villages-étapes ou relais. Bavay devint un carrefour économique et stratégique au sein du
système routier romain. De Bavay partaient en particulier une voie vers Cologne (Colonia
Claudia Ara Agrippinensium, colonie de l’impératrice Agrippine, capitale de la Germanie
inférieure), par Tongres, ainsi qu’une autre vers le port militaire de Boulogne-sur-Mer (Portus
Itius), tête de pont de la présence romaine en Grande Bretagne, par Tournai, Wervicq et
Cassel (Castellum menapiorum, place forte des Ménapiens).
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Ces deux voies, de Bavay à Tongres et de Bavay à Boulogne par Tournai, Wervicq, Cassel,
joueront par ailleurs un rôle majeur avec les invasions franques ultérieures : on pense que,
étant fortifiées, elles seraient l’explication de la division linguistique de la Belgique actuelle
(carte ci-après). Au nord de ces deux voies, la présence franque majoritaire aurait formé la
culture flamande, y compris dans la France actuelle où l’ancienne séparation entre les
francophones et les néerlandophones correspond à la vallée de l’Aa. Au sud de cette ligne, les
la langue des Francs, dominants mais minoritaires numériquement, ne s’est pas imposée, de
sorte que la culture gallo-romaine s’est maintenue, non sans être toutefois influencée à des
degrés divers par l’apport germanique.
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Belgique actuelle
D’une manière générale, avec les conquêtes romaines, la langue celte disparaît par
acculturation et soumission à l'Empire romain, hormis dans les îles britanniques et
particulièrement au Pays de Galles, en Écosse et en Irlande. Conquis par les Romains, les
Gaulois révèlent en effet une étonnante facilité d’assimilation en adoptant peu à peu certains
aspects du mode de vie romain, pour aboutir à la civilisation gallo-romaine, métissage des
deux cultures.
L’empire romain atteint son apogée au second siècle après J.C. Sa frontière (le limes), faite de
murs bâtis, de fossés, de forts, de forteresses, de tours de guets et d’habitations civiles, s’étend
sur 5000 kilomètres depuis la côte atlantique au nord de la Grande-Bretagne (le mur des
Antonins, situé au niveau de Glasgow), traversant l’Europe jusqu’à la mer Noire, et de là
jusqu’à la mer Rouge et l’Afrique du nord pour revenir à la côte atlantique.
Avec ces conquêtes, le centre de gravité politique et économique de l’empire se déplace
progressivement vers l’est. À la fin du IIIème siècle de notre ère, Dioclétien établit la pratique
de la division de l’autorité entre deux empereurs, un dans la partie occidentale de l’Empire et
l’autre dans sa partie orientale, afin de mieux gérer le vaste territoire.
En 313, par l’édit de Milan, l’empereur Constantin légalise le christianisme, jusqu’alors
proscrit. En 330, il fonde la seconde Rome, Constantinople, puis il se convertit au
christianisme. Constantinople, en quelques décennies, devient une des plus grandes
métropoles, grâce à son rôle politique et à ses activités économiques, tandis que Rome
décline. Et en 395 l'empereur Théodose impose le christianisme comme religion officielle et
unique. Dès lors, l’Eglise chrétienne primitive se coule dans le moule administratif romain et
se veut catholique, c’est-à-dire, comme l’empire romain dont elle est partie prenante,
universelle.
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2 Du chaos des invasions à la mise en place de l’ordre féodal
Au IIIème siècle après J.C. les Francs, peuple germanique, franchissent le Rhin et
s’implantent solidement en Gaule belgique. Placés devant le fait accompli, les Romains en
font des « fédérés », c’est-à-dire des alliés militaires dont la tâche est de lutter de concert avec
l’armée romaine contre les autres envahisseurs qui commencent à se manifester. En 406, les
Vandales franchissent le Rhin gelé et pénètrent dans l’empire où rien ne les arrête : Mayence,
Trèves sont détruites, et en suivant les voies romaines, les Vandales mettent à mal Tournai,
Arras, Amiens, Reims. En 409, ils atteignent l’Espagne (ils donneront leur nom à
l’Andalousie), en 429 ils atteignent l’Afrique du nord, et s’installent à Carthage, d’où, en 455,
ils partent piller Rome. Dans le même temps, déferlent les Angles, les Jutes, en Grande
Bretagne et les Huns sur le continent. Puis viendront au VIème siècle les Wisigoths, les
Ostrogoths, les Lombards, les Burgondes, les Saxons. Au VIIIème siècle, c’est le tour des
Arabo-islamiques, et aux IXème et Xème siècles, celui des Vikings (en décembre 880, ceuxci pilleront Cambrai qui ensuite agrandira ses fortifications). En crise sévère, l’empire romain
d’Occident tombe en 476. Celui d’Orient tombera près de mille ans plus tard, en 1453.
Pour revenir à notre région, les Francs occupent Tournai en 432 et Cambrai en 435. Les
Saxons au VIème siècle s’implantent des deux côtés de la Manche, comme en attestent les
toponymes se terminant en ton en Grande Bretagne et en thun dans le Boulonnais
(Wadenthun, Landrethun, Baventhun, Baincthun, Terlincthun, Alincthun, Verlincthun,
Fréthun, etc.).
Bavay est détruite dès les premières invasions germaniques et ne recouvrera jamais son
importance de la période gallo-romaine. Le chef-lieu administratif gallo-romain des Nerviens
est transféré à Cambrai (Camaracum).
Bavay, ruines gallo-romaines
Les Francs, et plus précisément les Mérovingiens, vont jouer un rôle déterminant pour
l’Europe que nous connaissons. C’est Clovis (466-511), fils de Childéric roi des Francs
saliens de Tournai, qui, après avoir battu à Soissons en 486 le Romain Syagrius, devient le
premier roi des Francs. Son territoire, initialement cantonné entre Tournai et Cambrai, s’étend
alors du Rhin à la Loire, puis s’agrandit au sud par l’annexion du territoire des Wisigoths.
Le fait capital pour la suite est l’alliance de fait passée entre les Francs et l’Église romaine par
le baptême de Clovis à Reims en 496, reconduction logique de l’alliance des Francs et de
l’Empire romain. Les Francs sont désormais le bras armé de l’Église, héritière de l’Empire. À
ce titre, ils participent à l’essor de l’évangélisation des populations. À l'époque mérovingienne
apparaissent les premières églises, d'abord chapelles funéraires. Des monastères et abbayes
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sont construits, souvent aux abords de rivières. Dans ces édifices vivent des moines qui se
sont engagés par des vœux à suivre une certaine règle autorisée par l’Église. On s’y consacre
au travail, agricole ou artisanal. Les monastères sont généralement des exploitations agricoles
modèles qui sont dupliquées à la manière des franchises du monde actuel. À partir du VIème
siècle, on assiste à une multiplication des monastères. Ils sont également des lieux de
conservation et de transmission de la culture latine. En outre, ils forment des clercs, c’est-àdire des administrateurs dont l’ordre guerrier des Francs, analphabète et brutal, a besoin pour
gérer ses acquis. Car les princes barbares n’ont aucune idée d’un État dont ils seraient
responsables, ils vivent dans un domaine jusqu’à épuisement des réserves, puis cherchent
ailleurs d’autres ressources. Chaque ethnie garde sa propre législation, selon le système dit de
la personnalité des lois. Les invasions ont anéanti en Occident la culture antique et ne l’ont
pas remplacée. Seule l’Église sauvera, en l’adaptant, l’héritage gréco-latin. Et la conversion
des Francs au christianisme contribuera en Gaule à la fusion des Germains et des GalloRomains, à en rendre inapplicable le principe de la personnalité des lois. Une société
nouvelle, sur-métissée, différente selon les lieux, se constituera alors en Occident.
S’agissant des langues, du Vème au IXème siècle, en Gaule du Nord, la langue gallo-romaine
et le germanique cohabitent souvent. De même, la zone des parlers germaniques s'étend vers
le sud et l'ouest. La majeure partie de l'Alsace, une très grande partie de la Lorraine, la
Flandre, le Boulonnais sont gagnés au germanique avant que celui-ci recule par endroits au
Moyen Âge. Il était même de mode de donner aux enfants des prénoms germaniques, mode
qui se perpétua, puisqu'au IXème siècle neuf personnes sur dix portent un prénom d'origine
franque (exemples « Charles », « Louis », « Guillaume », « Richard » et « Robert »). Les
Mérovingiens, puis les Carolingiens, sont bilingues. Hugues Capet, qui était de mère saxonne,
élu roi des Francs en 987 suite au décès accidentel du dernier carolingien, semble avoir été le
premier souverain de France à avoir eu besoin d'un interprète pour bien comprendre le
francique ou certains de ses dialectes. Cela dit, les langues germaniques étaient à déclinaisons,
comme le latin, le grec, ou bien encore les langues slaves. Aussi n’est-il pas exact de
considérer que plus tard, c’est par révérence pour le latin que l’allemand normé, le
Hochdeutsch qui a été d’abord la langue des chancelleries, se serait doté de déclinaisons,
comme d’un faux-nez : celles-ont toujours constitué l’âme des parlers germaniques et étaient
même en nombre supérieur (huit cas au lieu de cinq).
Pour en revenir à Cambrai, Vaast d'Arras, qui avait initié Clovis au christianisme, dirigera
pendant plus de quarante ans les deux diocèses d'Arras et de Cambrai. Saint Géry (550-626)
fait construire en 595 sur le point culminant de Cambrai, le Mont-des Bœufs, les monastères
de Saint-Médard et Saint-Loup, dédiés après sa mort à Géry lui-même. L’espace qui les
séparait accueillait les marchés. Sous l'impulsion d’Aubert de Cambrai (né en 633) évêque de
Cambrai et d'Arras des zones sont évangélisées telle Hénin-Beaumont avec la fondation en
668 de l'abbaye Notre-Dame d'Hénin-Liétard.
C’est près de Cambrai, à l’issue de la bataille de Vinchy (aujourd’hui Les-Rues-Des-Vignes)
qu’en 717 le pouvoir franc passe des Mérovingiens aux Carolingiens par la victoire du maire
du palais Charles Martel sur les partisans du souverain mérovingien. Le petit-fils de Charles
Martel, Charlemagne, portera le royaume des Francs à son apogée : 32 années de guerres lui
permettent d'édifier un formidable empire consolidé par une bonne administration et enjolivé
par une activité culturelle et artistique brillante. Charlemagne protège les évêques et les
prêtres dans son royaume, il force les Saxons à se convertir. Il rend aussi un grand service au
chef suprême des chrétiens, le pape, en envoyant une armée défendre Rome contre les
Lombards. À Noël de l’an 800, en reconnaissance, et par souci de pérenniser la protection en
magnifiant Charlemagne, le pape le couronne empereur, c’est-à-dire qu’il le reconnaît comme
le successeur des anciens empereurs romains. Ce titre est le principe fondateur du Saint
Empire romain germanique, cette fiction d’empire romain, en fait, plus exactement
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chrétien, qui ne prendra fin qu’en 1806. Il est généralement méconnu des Français.
Après la mort de Charlemagne (814), l’empire franc est partagé entre ses trois petits-fils aux
termes du Traité de Verdun en 843.
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Charles le Chauve hérite de la partie occidentale, clairement délimitée à l’est par les
quatre cours d’eaux, Escaut, Meuse, Saône et Rhône, à l’ouest par l’océan et au sud par
l’Ebre. C’est l’origine de la France actuelle. Cambrai, située sur la rive gauche de l’Escaut
n’en fait pas partie, au contraire de Tournai située en rive droite.
La partie médiane, tout en longueur puisqu’elle s’étend des rives néerlandaises de la Mer du
Nord aux possessions byzantines du sud de l’Italie, échoit à Lothaire. La partie orientale, entre
Rhin et Elbe, et entre la Mer du Nord et les Alpes, échoit à Louis le Germanique.
Dans un premier temps, le titre d’empereur est porté par le souverain de la partie médiane
Mais dès 855, ce territoire s’émiette en une Lotharingie, de la Mer du Nord aux Vosges (c’est
la future Lorraine, Lutringen en allemand), une Bourgogne, de la haute Saône à la
Méditerranée, et enfin, en une Italie. Ces territoires, à qui échappent en 924 la couronne
impériale, passent progressivement sous la souveraineté de la partie orientale.
Celle-ci, sous la dynastie des rois saxons héritiers de la tradition franque, s’impose comme fer
de lance de la chrétienté contre les pays slaves d’entre l’Elbe et l’Oder, dont ils entament la
conquête et l’évangélisation, et comme rempart de l’Occident contre les Hongrois. En
récompense de sa protection, Othon 1er est couronné empereur par le pape en 962, dans le
droit fil du couronnement de Charlemagne.
Le partage de Verdun ne marque donc pas de rupture au niveau du concept impérial. Les
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nouveaux empereurs sont les continuateurs de l'Empire carolingien. Ils prétendent, comme
eux, à l'universalité, c'est-à-dire au gouvernement de tout l'Occident chrétien. L'empereur
germanique exerce, de façon théorique, son autorité sur tous les territoires chrétiens de
l'Europe occidentale. L'empereur apparaît, du point de vue de l’Église, comme le premier des
princes occidentaux.
C’est une institution boiteuse par nature. Seul peut être couronné empereur le roi
d’Allemagne, élu, selon la tradition franque, par ses pairs. En tant que roi, il règne
théoriquement sur le territoire (Regnum Teutoricum) dit de l’empire, situé à l’est de la
frontière des quatre cours d’eau, Escaut, Meuse, Saône, Rhône, composé plus tard de quelque
350 États. Ce territoire est appelé empire parce que les électeurs du roi d’Allemagne,
empereur potentiel, en relèvent exclusivement. Il appartient au pape de couronner empereur le
roi élu d’Allemagne, les électeurs étant trois princes ecclésiastiques, et quatre princes laïques.
Quant à l’autorité impériale, elle demeure une simple présidence morale de l’Occident. Mais
celle-ci peine à s’imposer y compris sur le territoire allemand. Il ne s’agit donc pas de
l’empereur d’Allemagne, expression ambiguë non dépourvue de malice puisque connotant
inévitablement le moderne Kaiser Guillaume II. C’est en fait l’empereur de la chrétienté
d’Occident, ce qui est tout autre chose.
Cette institution est le fondement de la féodalité, qui repose sur le schéma hiérarchique d’une
société intégriste chrétienne, avec au sommet Dieu, son représentant sur terre le pape et son
bras séculier l’empereur, puis les rois et leurs vassaux, guerriers liés par l’hommage,
promesse de fidélité et de devoirs faite au seigneur par son vassal, puis le peuple. L’évêque
Gérard de Cambrai définit clairement en 1024 le système féodal constitué de trois ordres où
les uns prient, les autres combattent, et les autres encore travaillent : « La classe des prêtres,
délaissant les affaires de ce monde puisqu’elle s’occupe de Dieu, a des obligations envers les
combattants qui lui donnent, en toute sécurité, les loisirs nécessaires à la vie sacerdotale. La
même classe a des obligations envers les cultivateurs qui lui procurent, par ses travaux, la
nourriture dont le corps a besoin. Les cultivateurs, de leur côté, sont élevés jusqu’à Dieu par
les prières des prêtres et sont défendus par les armes des combattants. De même, les
combattants sont nourris par les revenus des campagnes et reçoivent l’aide du produit des
impôts, tandis que les prières des hommes pieux, qu’ils protègent, font expier les méfaits des
armes ». Notons l’inexistence des négociants.
Othon accorde à l’évêque de Cambrai les pouvoirs temporels sur la ville, pouvoirs étendus en
1007 à tout le Cambrésis. La ville de Cambrai et le Cambrésis sont dès lors une principauté
ecclésiastique, comme celle de Liège, indépendante mais rattachée au Saint-Empire, tandis
que le pouvoir spirituel de l’évêque s’exerce sur un immense diocèse qui s’étend sur toute la
rive droite de l’Escaut, jusqu’à Mons, Bruxelles et Anvers. À cet égard, et incidemment, la
ville de Tournai dépend de deux diocèses : la rive gauche relève de l’évêque de Tournai et la
rive droite de l’évêque de Cambrai.
Entrée de l’empereur Charles IV à Cambrai en 1377, en route pour la France
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Le primat de l’empereur en tant que chef séculier de la chrétienté est admis dans tout
l’Occident, même dans les pays le considérant avec le plus de méfiance, telle la France, où
l’invocation pour l’empereur ne disparaîtra du rituel de la messe qu’au XIVème siècle. De
même, François 1er sera au XVIème siècle le rival malheureux du futur Charles Quint à
l’élection impériale, et Louis XIV, après l’annexion de Strasbourg, envisagea également en
1657 sa candidature à la couronne impériale.
Ajoutons qu’au sein de la chrétienté, Rome était durant cette période la poutre faîtière de
l’ensemble de l’édifice chrétien, d’Orient comme d’Occident. Pour faire court, et abstraction
faite des querelles théologiques qui vues de loin paraissent des vétilles, il semble que ce soit la
présence insistance des prélats germaniques, nouveaux venus au christianisme, qui ait
exaspéré les représentants du christianisme des origines, grecs en particulier. Au point
d’aboutir au schisme de 1054, divorce entre l’Église catholique apostolique et romaine
organisée de manière monolithique et l’Église orthodoxe, elle aussi universelle, mais
structurée tout au contraire en une communion d’Églises indépendantes sur le plan de
l'organisation et de la discipline et intimement liées entre elles sur le plan dogmatique.
Chacune d’elles est autocéphale, c’est-à-dire dirigée par son propre synode habilité à choisir
son primat. Elles partagent toutes une foi commune, des principes communs de politique et
d’organisation religieuse ainsi qu’une tradition liturgique commune. L’évangélisation
parallèle aidant, ce clivage perdure de nos jours : du sud vers le nord, il sépare la Croatie de la
Serbie, l’Ukraine et la Biélorussie de la Pologne, les pays baltes de la Russie, avec à l’ouest
l’alphabet latin, à l’est l’alphabet cyrillique, alphabet grec adapté aux langues slaves.
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3 De l’an mille à aujourd’hui : les forces à l’œuvre
Le second millénaire peut s’interpréter comme la mise à mal de l’ordre féodal par l’apparition
et la montée en puissance de deux phénomènes, indépendants, mais fonctionnant souvent en
s’appuyant l’un sur l’autre, et parfois en s’opposant.
L’un est l’apparition d’un ordre nouveau, celui des opérateurs économiques d’envergure qui
transformeront radicalement le monde. L’Italie y jouera un rôle moteur fondamental, en lien,
entre autres, avec les Pays-Bas (= Benelux + Nord-Pas de Calais).
L’autre est la contestation de la souveraineté de l’empereur par les rois, en particulier de
France. À cela s’ajoutent les tensions incessantes entre le pape et l’empereur, entre le pouvoir
spirituel et le pouvoir temporel. Cela donnera une logique de panier de crabes, celle du
machiavélisme de la Renaissance et de la Realpolitik du XIXème siècle, qui, avec la
concentration des acteurs en États-nations, aboutira à des conflagrations suicidaires. Les PaysBas, centre de gravité des conflits paieront un lourd tribut. Cambrai, et le Cambrésis, en
particulier au XVIème siècle, joueront un rôle clef dans les médiations entre les nombreux
protagonistes. Récemment, la Realutopie, mot forgé par le philosophe marxiste allemand
Ernst Bloch, échappatoire improbable à la Realpolitik, s’est contre toute attente imposée avec
l’avènement de l’Union européenne.
A L’irruption d’un ordre nouveau : le monde de l’économie
Le monde féodal vit initialement en économie de subsistance, sans monnaie, fonctionnant par
le troc : les domaines nourrissent et équipent les nobles, c’est-à-dire les guerriers francs, qui
paient vis-à-vis du souverain l’impôt du sang, étant à sa disposition pour combattre. Après
l’an mille, les conditions de vie s’améliorent (fin des invasions, accroissement des rendements
agricoles notamment du fait des monastères). Les villes anciennes, lieux d’échange,
reprennent vigueur, de nouvelles villes se créent.
● Apparition des libertés communales
Au début du XIIème siècle, bien que l’économie agricole reste fondamentale, les villes sont le
lieu d’une production artisanale toujours plus abondante, qui génère un volume croissant
d’échanges commerciaux nécessitant le recours à la monnaie. Ces villes attirent les artisans et
les serfs : « l’air de la ville rend libre ». Situées hors du champ de la féodalité, les villes se
constituent en « communes » auto-administrées par ses bourgeois en échange d’obligations
vis-à-vis du seigneur ou du souverain: impôt, taxes, ost (c’est-à-dire service armé, dû par
exemple à Philippe Auguste). Il s’agit des « libertés communales », symbolisées par le beffroi
aux Pays-Bas, et souvent par le palazzo della ragione (palais de la raison) en Italie.
Padoue , Palazzo della Ragione
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En Italie plus particulièrement, du fait de l’absence de souverain hormis l’empereur, la
civilisation urbaine des villes du XIIème au XIVème siècle fut marquée par l’éclosion
d’initiatives spectaculaires touchant tous les aspects de la vie sociale, économique, politique
et culturelle. Dans cet ensemble d’avancées, le mouvement communal constitue l’élément
fondamental qui contribua à façonner un monde nouveau : la société rurale et féodale jusquelà dominante laissait progressivement la place à un monde urbain, gagné par la fièvre
d’entreprendre, d’apprendre et de revendiquer des droits personnels et collectifs.
Cambrai voit naître en 958 l’une des premières communes en Europe. Elle prospère et
s’agrandit : dès le XIème siècle, ses murailles atteignent le périmètre qu’elles conserveront
jusqu’au XIXème siècle (démantelées en 1891).
● Développement du commerce au long cours
Il faut distinguer les d’activités économiques locales de celles au long cours. Le commerce à
rayon court est celui des denrées de faible valeur, à la base de la subsistance humaine. Il se
fait dans les marchés qui desservent habituellement la population dans un rayon d’une
trentaine de kilomètres. Le marché se tient régulièrement toutes les semaines. Les activités
sont strictement réglementées.
Le commerce au long cours concerne les échanges de produits à forte valeur ajoutée, et se
déroule à échelle mondiale, ou plus exactement à l’échelle du monde connu. Il nécessite la
mise en relation d’opérateurs lointains.
C’est la Via Francigena qui est considérée comme le point de départ de ces rencontres
d’opérateurs distants. Cette route des Francs permettait initialement aux pèlerins de se rendre
à Rome. Le tracé en est bien connu, car l’archevêque saxon de Canterbury, en 990, a noté
méticuleusement les 80 étapes de son voyage de Rome à Canterbury, soit 1700 kilomètres.
Ce parcours a été déclaré « grand itinéraire culturel » en 1994 par le Conseil de l’Europe.
Marchands et pèlerins voyageaient sur les mêmes routes, mais avec des buts et des étapes
différents : villes et marchés pour les premiers, monastères et lieux de culte pour les seconds.
En cela, la Via Francigena diffère des chemins de Compostelle, parcours exclusivement
destiné au pèlerinage. De nombreuses hôtelleries surgirent le long de la Via Francigena,
devenue une importante artère de croissance économique avec la reprise du commerce
international au XIème siècle.
En effet, d’une part les ports italiens n’ont jamais cessé de commercer avec Constantinople,
leur métropole nominale depuis la reconquête de Justinien au VIème siècle. À partir du
XIème siècle, les échanges maritimes reprennent vigueur, d’abord à partir d’Amalfi, vite
reléguée par Gênes, Venise, Pise, Lucques. Les Italiens importent des produits d’Orient
(épices, sucre, soieries), auxquels depuis les Croisades, les Francs ont pris goût. D’autre part,
les villes des Pays-Bas développent l’industrie du drap, c’est-à-dire du tissu de laine foulé,
produit de luxe pour l’habillement, destiné à l’exportation. La laine brute locale ne suffisant
plus, les Pays-Bas en importent d’Angleterre.par le biais de la Hanse, association de
marchands-navigateurs allemands de la Mer baltique. Une ligue de villes drapantes se met en
place : Abbeville, Amiens, Arras, Aubenton, Bailleul, Beauvais, Bruges, Cambrai, Châlons en
Champagne, Dixmude, Douai, Gand, Huy, Lille, Montreuil-sur-Mer, Orchies, Péronne,
Poperinge, Reims, Saint-Quentin, Saint-Omer, Tournai, Valenciennes, Ypres. En Italie du
nord, à la même époque, se développe l’industrie des futaines (tissus de lin) et du drap léger.
Sur la Via Francigena, les foires de Champagne de Lagny (janvier-février), de Bar sur Aube
(février-mars), de Provins (mai-juin et septembre-octobre), de Troyes (juillet-août et
novembre-décembre), deviennent la plaque tournante des échanges. Sur ces foires, les
opérateurs italiens ajoutent au commerce leurs compétences financières : sachant procéder
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aux enregistrements comptables, ils introduisent le règlement par compensation, qui rend plus
fluides les transactions. Ils sont aussi changeurs de monnaies. Ils inventent surtout la lettre de
change (l’équivalent du travellers cheque actuel), fondée sur la confiance, et qui évite le
transfert dangereux d’espèces. L’Italie devient pour plusieurs siècles la turbine économique
du monde.
Les volumes s’accroissant, le transport terrestre devient un frein. Les Génois, dès 1277,
inaugurent la voie atlantique pour gagner Bruges, à l’époque accessible par la mer grâce aux
ports de Sluis et de Damme. Ils sont suivis dès le début du XIVème siècle par d’autres citésÉtats d’Italie. Bruges supplante alors les foires de Champagne et devient le nouveau centre
mondial du commerce et de la finance. Les cités-États d’Italie s’organisent en « nations »,
chacune représentée auprès des autorités locales par un consul élu par ses pairs. Toutes les
techniques modernes du monde des affaires sont déjà en place, et les Italiens, qui les ont
inventées, en ont le monopole de fait : société par actions dont le siège se trouve dans la ville
d’origine avec succursales ou filiales dans toutes les places du monde connu, droit
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commercial uniforme, comptabilité à partie double, techniques bancaires, assurances
maritimes, etc.
C’est de Bruges que vient le mot - et la pratique - de la Bourse, les hommes d’affaires italiens
ayant pris le pli de se réunir chez les marchands vénitiens du nom de Della Borsa pour coter
les monnaies.
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Tableau de Jan van Eck, les époux Arnolfini, Bruges 1434
Portrait d’un riche banquier lucquois installé à Bruges, avec son épouse Giovanna Cenami, elle-même fille de
banquiers lucquois
Progressivement le Zwin, point d’entrée vers Bruges s’ensable. Anvers au début du XVème
siècle prend le relai. Une Bourse y est édifiée en 1532 qui prend la suite du modèle brugeois.
La Bourse d’Anvers, 1532
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Plusieurs faits majeurs vont donner une ampleur considérable au monde des affaires. C’est
d’abord l’irruption des Mongols au XIIIème siècle, qui, s’ils tiennent la Russie sous leur joug
de 1240 à 1480, permettent l’acheminement paisible et régulier jusqu’en Mer Noire de
marchandises venant de Chine et d’Inde par la route de la soie, trafic plus avantageux que
celui géré par les Arabes par voies maritimes et terrestres. Génois et Vénitiens installent leurs
comptoirs en Crimée, à Caffa (que les Russes appellent Feodosia, par parenthèse ville des
parents de Serge Gainsbourg), et sur l’embouchure du Don à La Tana (probablement Rostov
sur le Don). Le voyage de Marco Polo le Vénitien n’a de sens que si l’on comprend qu’il
s’agit d’un homme d’affaires opérant dans le sillage des Mongols. Cependant, Gênes et
Venise sont rivales en Mer Noire. Déjà en Méditerranée, par la bataille navale de La Meloria,
au large de Livourne, en 1284, Gênes avait éliminé Pise. De même, à l’issue de la bataille
navale de Chioggia, non loin de Venise, en 1378, Venise s’arroge le monopole du lucratif
commerce en Mer Noire. De ce fait, les Génois, reportent leur expertise, en matière de
construction navale, de navigation, de financement, de commerce, sur la péninsule ibérique où
ils étaient déjà implantés. C’est tout le sens de l’aventure du génois Christophe Colomb.
Portugais et Espagnols pensaient qu’il y avait en Afrique un fleuve de l’or d’où provenait le
métal que les Italiens achetaient au Maghreb. La prise de Ceuta par les Portugais en 1415
marque le début de la navigation vers le sud. En 1488, Bartolomeu Diaz franchit le cap de
Bonne-Espérance, ouvrant la route des Indes, puis de la Chine, à Vasco de Gama (14971499). Le Brésil, découvert en 1500 par Cabral devient possession portugaise. En 1492,
Christophe Colomb découvre, pour le compte de l’Espagne, l’Amérique. Le traité de
Tordesillas, en 1494, à l’instigation du pape, fait le départ entre ce qui revient à l’Espagne et
ce qui revient au Portugal, à l’exclusion de toute autre nation.
Le centre de gravité de l’économie, désormais mondiale, se déplace : si les marchandises
exotiques arrivent à Lisbonne ou à Séville, elles sont transférées par les marins des Pays-Bas à
Anvers, plaque tournante mondiale du commerce, de la finance, et de l’industrie (sucre,
teinture, imprimerie). Mais en 1585, Anvers, où résidaient de nombreux calvinistes, est mise à
mal par les troupes du gouverneur des Pays-Bas, Alexandre Farnèse. Les hommes d’affaires
quittent la ville pour s’établir à Amsterdam. Le port d’Anvers ne sera rouvert véritablement
qu’en 1795, par Bonaparte. Les Espagnols ayant interdit aux rebelles calvinistes des PaysBas, les « Gueux », de commercer avec Lisbonne, ces derniers vont se mettre dans le sillage
des Portugais et s’attaquer à toutes leurs possessions d’outre-mer, y compris le Brésil (le
Surinam ou l’île de Curação, en sont les vestiges). Les volumes d’affaires s’accroissent
considérablement, et le XVIIème siècle sera l’âge d’or d’Amsterdam. À partir du XVIIIème
siècle, c’est le Royaume-Uni qui domine l’économie. La croissance amène des goulots
d’étranglement successifs dont la résolution fait repartir la croissance pour aboutir à un
nouveau goulot, etc. De fil en aiguille, on aboutit à la machine à vapeur et à la révolution
industrielle. Et à ses conséquences, notamment le fordisme, c’est-à-dire le couplage de la
production de masse avec la consommation de masse, en vue de satisfaire le plus grand
nombre en produisant toujours plus, mieux, moins cher. Vers 1930, New York succède à
Londres en tant que centre de l’économie mondiale.
B Des luttes dynastiques aux luttes nationalistes : le panier de crabes pérenne
● Vers l’an mille, les invasions cessent. Venant du nord, les Vikings sont contenus. Par le
traité de Saint-Clair-sur-Epte, en 911, le roi des Francs d’Occident accorde à Rollon le duché
de Normandie, sous réserve que celui-ci fasse écran entre le royaume et de nouveaux
envahisseurs. Quant aux Sarrazins, implantés dans le massif des Maures, leur dernier réduit de
La Garde-Freinet, est défait en 972 (en Sicile, ils se maintiendront jusqu’en 1072, et en Corse
jusqu’en 1304). Or le système féodal s’est construit sur la base de la résistance aux ennemis
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extérieurs communs. Ceux-ci disparus - ou moins virulents - la cohésion initiale ne peut que
s’effriter. Dans un premier temps, le pape et l’empereur ont canalisé le trop-plein de vitalité
de la classe des guerriers avec les croisades, en Palestine, mais aussi vers l’est chez les Slaves
avec les chevaliers teutoniques. Les derniers arrivés, les Normands, sans doute plus
vigoureux, ont été dirigés dès 1060 vers la Sicile et le sud de l’Italie pour défaire les Arabomusulmans qui s’y étaient solidement implantés. Ils réussissent et Roger de Hauteville obtient
du pape en 1130 la couronne de Sicile et du sud de l’Italie. En Angleterre, les princes saxons
en lutte contre les Danois qui occupent les trois quarts de l’île demandent l’aide de leurs alliés
occasionnels, les Normands. Guillaume, duc de Normandie, débarque en 1066 et met tout le
monde d’accord en se faisant couronner, avec l’assentiment du pape, roi d’Angleterre.
Les forces fédératives devenant moins prégnantes, les liens de vassalité se relâchent. La
disparition de la fonction de chef de guerre annihile la position monopoliste du roi dans
l’ensemble du royaume. Le roi des Francs d’Occident voit son rôle confiné à celui de duc de
l’Île-de-France, seul territoire placé directement sous son autorité, avec le Berry et
l’Orléanais. Ainsi, une grande partie du règne de Louis VI, grand-père de Philippe Auguste,
roi de 1108 à 1137, sera consacrée à la lutte pour la possession de Montlhéry dont le comte,
avec sa forteresse, s’emploie à gêner le passage du souverain vers ses terres orléanaises.
Montlhéry ne se trouve qu’à 24 kilomètres de Paris ! En outre, avec les progrès de l’économie
monétaire, les seigneuries féodales tendent à se transformer en petits royaumes. Les moyens
d’exister sont :
- le droit, si celui-ci est favorable, ce qui se traduit en particulier par des politiques
d’union personnelle (mariage stratégique en vue d’héritages stratégiques),
- le recours à du droit réinterprété si la situation est défavorable, par exemple le droit
salique, dont fut exhumé dans le courant du XIVème siècle un article, isolé de son
contexte, et employé par les juristes de la dynastie royale des Valois pour justifier
l'interdiction faite aux femmes de succéder au trône de France. Cette loi est reprise,
adaptée à la situation et avancée comme argument de poids dans les disputes sur la
légitimité du roi. Quand le troisième et dernier fils de Philippe le Bel meurt sans
descendant mâle en 1328, la question dynastique est la suivante : Isabelle de France,
dernière fille de Philippe le Bel, a un fils, Édouard III, roi d’Angleterre. Peut-elle
transmettre un droit qu’elle ne peut elle-même exercer selon l’interprétation de la loi
salique? Édouard III se propose comme candidat, mais c’est Philippe VI de Valois qui
est choisi. Il en résulte une querelle dynastique, la Guerre de cent ans (1337-1453),
- le non respect du droit : Louis XIV feint de vouloir venger l’affront commis à l’égard
de ses ancêtres Philippe Auguste et Philippe le Bel par la félonie des comtes de
Flandre et de Hainaut, alors que par le traité de Cambrai de 1529, François 1er avait
renoncé à sa suzeraineté sur la Flandre et l’Artois, au profit du roi d’Espagne,
également comte de Flandre.
- la force : lorsque les titres juridiques font défaut « il n’y a point de juges plus
équitables que les canons », dira Vauban.
● Le cas de la Flandre est hautement caractéristique. Dès la fin du IXème siècle, le comte
Baudouin II met à profit les difficultés du roi pour se libérer de sa tutelle et étendre son
autorité sur de vastes territoires. Poursuivie par ses successeurs au cours des deux siècles
suivants, cette politique d’expansion conduit à la création d’un vaste comté de Flandre
englobant d’importantes régions du nord de la France ainsi que des territoires relevant de
l’empereur. Quasi souverain sur ses terres, le comte exerce des pouvoirs de type régalien : il
prend des ordonnances, exerce des droits de justice et de police, lève des troupes et frappe
monnaie. À l’ouest de l’Escaut, seule Tournai reste en dehors du comté et devient une ville
libre qui dépend directement du roi. En 1188, Philippe II, futur Philippe Auguste, fait de la
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ville une vassale directe de la couronne en lui octroyant une charte qui accorde aux
Tournaisiens les droits de juridiction civile, de tonlieu (douanes), de justice, de cloche.
Les Flamands, et en tout cas les communes, sont les alliés de l’Angleterre qui est leur
fournisseur de laine, matière essentielle à leur puissance économique. Or, quand Philippe II
devient roi en 1180, il a pour vassal Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou et du Maine, duc de
Normandie et roi d’Angleterre. Ce dernier, en outre, par son épouse Aliénor d’Aquitaine, exreine de France, exerce une influence sur le puissant duché d’Aquitaine. Et, en 1169, Henri a
uni son fils Geoffroy à la fille du comte de Bretagne. Au total, Henri II étend son pouvoir sur
un territoire équivalent à 35 départements français actuels, de la Normandie à l’Aquitaine.
Quant à Philippe II, son domine excède à peine Paris et sa périphérie. À la première occasion,
Jean sans Terre, le successeur d’Henri II après Richard Cœur de Lion, est condamné pour
félonie par la cour capétienne, qui confisque ses fiefs. En 1213, le pape déclare le roi Jean
déchu et livre l’Angleterre au Capétien, qui s’apprête à passer la mer. Pris de panique devant
la menace d'une invasion, Jean sans Terre s'allie à l'empereur et au comte de Flandre, contre le
roi de France. Mais il est battu à La Roche-aux-Moines et ses alliés le sont à Bouvines, un
dimanche, le 27 juillet 1214. Fort de ses victoires, Philippe II, devenu Auguste et roi de
France et non plus des Francs, se prépare à envahir pour de bon l'Angleterre. Les barons
anglais, excédés, se soulèvent contre leur roi, Jean sans Terre. Ils s'emparent de Londres en
mai 1215 et, le mois suivant, le 15 juin 1215, dans la prairie de Runnymede, ils contraignent
le souverain à accepter la Grande Charte, un document qui limite ses prérogatives et donne
aux représentants de la noblesse et du clergé un droit de contrôle sur les finances. On y verra
plus tard, de façon quelque peu excessive, l'origine de la démocratie parlementaire. En
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attendant, le roi Jean, fidèle à lui-même, ne met pas plus de quelques mois à trahir ses
engagements. Ses barons se soulèvent une nouvelle fois et, lassés de tout, appellent le fils de
Philippe Auguste à leur secours, lui offrant même la couronne. Louis de France, futur Louis
VIII le Lion, débarque avec ses troupes en Angleterre et entre à Londres sans difficultés en
mai 1216. En fuite, Jean sans Terre a le bon goût de mourir assez vite, le 19 octobre 1216,
laissant le trône à son fils et héritier légitime Henri III, né d'Isabelle d'Angoulême. Le
nouveau souverain repousse son rival français et le renvoie sur le Continent avec une
confortable indemnité. Les Plantagenêt sont sauvés. Quant à Philippe Auguste, l’extension de
ses domaines l’amène à consolider le pouvoir royal contre les seigneurs : multiplication des
chartes communales, création des baillis et des sénéchaux sur le modèle des shérifs anglais,
protection accordée aux marchands.
Plus tard, les Flamands voulant échapper à la pression fiscale française, se révoltent de
manière récurrente contre le roi de France, d’où les batailles successives de Courtrai (1302),
de Mons-en-Pévèle (1304) et de Cassel (1328). Les Flamands apportent à nouveau leur
soutien au roi d’Angleterre, déclarant même en 1340 qu’Édouard III est le roi légitime de
France.
En 1363, Philippe le Hardi, quatrième fils du roi de France Jean le Bon, reçoit de son père le
duché de Bourgogne en apanage. En 1369, il épouse à Gand Marguerite III de Flandre, riche
héritière présomptive des comtés de Flandre, d'Artois, de Rethel, de Nevers et du comté de
Bourgogne et veuve du précédent duc de Bourgogne Philippe Ier de Bourgogne décédé sans
descendance à l'âge de 15 ans.
À la mort de Louis de Male, père de Marguerite, Philippe le Hardi devient en 1384 maître
d’un vaste conglomérat de territoires. Homme politique habile, esprit avisé et subtil, il jette les
bases d'un État bourguignon puissant qui, à son apogée, se dressera en rival du royaume de
France allant jusqu'à le mettre en péril. Le Comté de Flandre est alors une des régions les plus
riches de l'Europe. Fort de cette fortune, Philippe le Hardi prend part dans la Guerre de Cent
Ans qui oppose Charles VI de France (faible et fou) et Henri V d'Angleterre en s'alliant aux
Anglais en espérant en tirer une puissance militaire et une indépendance souveraine . La
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dynastie des Valois de Bourgogne, qu'il fonde, régnera plus d'un siècle. En1404, Philippe le
Hardi meurt à Hal. Il a préparé, par une habile politique matrimoniale, le rassemblement des
terres néerlandaises.
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Les Pays-Bas en 1477
Le duc Charles le Téméraire, arrière petit-fils de Philippe le Hardi, au sommet de sa
puissance, se lance dans une téméraire politique de conquête militaire et d'alliances pour faire
la jonction entre le duché de Bourgogne et les Pays-Bas bourguignons et faire de ce
patchwork de principautés un ensemble puissant et homogène. À partir de 1471, un élément
nouveau, « moderne », s’installe : la guerre persistante, continue, qui dévaste profondément le
plat pays et provoque des ruines durables. Déjà, depuis la fin du XIIIème siècle, la grande
draperie est en déclin marqué, remplacée dans certaines villes (Audenarde, Bruxelles, Bruges,
Lille, Tournai, Arras) par la tapisserie. Le drap anglais se répand dans beaucoup de marchés
dominés par la draperie flamande. Se développe cependant la draperie légère, en dehors des
grandes villes, dispersée dans les petites villes (Hondschoote) et les campagnes, produit non
plus destiné aux riches mais à une couche très large de la population. Par ailleurs l’industrie
linière prend essor du fait de l’expansion de la navigation maritime.
En 1477, Charles le Téméraire meurt à la Bataille de Nancy. Sa fille et unique héritière, Marie
de Bourgogne épouse Maximilien d’Autriche, de la dynastie des Habsbourg et fils de
l’empereur. En 1493, à sa majorité, le fils de Maximilien et de Marie, Philippe le Beau, né à
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Bruges en 1478, accède au pouvoir personnel. En 1496, il épouse Jeanne, héritière des
royaumes d’Aragon et de Castille.
Leur fils Charles, né à Gand en 1500, hérite à 6 ans, à la mort de son père, des Pays-Bas. Dix
ans plus tard, à la mort de son grand-père maternel, Ferdinand d'Aragon, il hérite des
Espagnes (dont il sera Charles Ier) et du royaume des Deux-Siciles (dont il sera Charles IV)
ainsi que des colonies nouvellement créées aux Amériques. Enfin, la mort de son grand-père
paternel Maximilien 1er lui apporte les domaines héréditaires des Habsbourg et le met en
situation de concourir pour le titre électif d'empereur, devenu vacant. L'élection du successeur
de Maximilien 1er oppose au petit-fils de celui-ci, Charles, le roi d'Angleterre Henri VIII, le
duc de Saxe Frédéric et surtout le roi de France François 1er (âgé de 25 ans), qui cherchera
auprès des banquiers italiens de Lyon les fonds nécessaires pour acheter les votes des Grands
Électeurs. En 1519, Charles l'emporte, étant le mieux-disant essentiellement grâce au banquier
d'Augsbourg Jakob Fugger auprès duquel il s’endette sans compter : c’est la fin de la
suprématie des banquiers italiens et le début de celle des banquiers allemands. En tant
qu’empereur il prend ainsi le nom de Charles V ou Charles Quint (Keizer Karel, l’empereur
Charles, en néerlandais).
Une grande partie de son règne va être occupée par son combat avec François 1 er pour la
conquête du duché de Milan et la domination de l'Italie, riche, belle et divisée, que tous deux
guignent. Les conséquences en seront désastreuses à moyen comme à long terme pour les
Français, les Autrichiens et les Allemands. Occupés à se disputer, les deux rivaux vont laisser
se développer le schisme protestant, d'où une rupture de l'unité religieuse de l'Occident, tandis
que François 1er s’allie avec les Ottomans. La rivalité entre la France et la maison des
Habsbourg ne va pas s'éteindre avec Charles Quint et François 1 er. Elle va durer très
exactement quatre siècles, jusqu'aux traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye, par
lesquels les Français détruiront à jamais l'héritage des Habsbourg.
Situé en terre d’empire et relativement autonome, le Cambrésis sera au XVIème siècle le
lieu de maintes tractations entre les protagonistes :
a) Traité de Cambrai 1508 : il prévoit officiellement une alliance durable entre
l'empereur Maximilien et le roi de France Louis XII, ouverte au pape, aux rois
d'Angleterre, d'Aragon, de Hongrie, dirigée contre les Ottomans. Officieusement, il
s’agit de la constitution d’une ligue contre Venise en vue de se saisir des nombreux
territoires que la République contrôle.
b) Traité de Cambrai, 1517 : en août 1516, François Ier signe le traité de Noyon avec
Charles, nouveau roi d’Espagne, qui reconnaît au roi de France la possession du
Milanais, et se fiance avec Louise, fille de François Ier, cette dernière apportant en dot
le duché de Milan. Cet accord fut entériné par le traité de Cambrai, signé en mars
1517.
c) Traité de Cambrai 1529, « la paix des Dames »
Marignan 1515, tout écolier connaît ce nom et cette date. Il s’agit de la première
victoire de François 1 er, dans le Milanais, où les troupes françaises et leurs alliés
vénitiens l’emportent sur les Suisses qui défendent Milan, au prix toutefois de 16000
morts en seize heures de combat. En 1525 au siège de Pavie, au sud de Milan, il en va
tout autrement. Le vainqueur de la bataille est bien un Français, le connétable Charles
de Bourbon, qui a servi François 1er à Marignan, mais cette fois il est au service de
Charles Quint. François 1er est fait prisonnier et est transféré à Madrid. Il obtient enfin
sa libération en signant en 1526 un traité calamiteux, le Traité de Madrid, tout en
laissant ses deux fils en otage. Mais sitôt libéré, il renie le traité et reprend la lutte
contre Charles Quint, n'hésitant pas à s'allier avec les protestants allemands, les Turcs
40
et le corsaire Barberousse. La paix est signée à nouveau en 1529 à Cambrai, par
Louise de Savoie (mère de François 1er) et Marguerite d’Autriche (tante de Charles
Quint). Le traité négocie également la libération des enfants royaux, dont le futur
Henri II, qui étaient détenus à Madrid comme gages. Ce traité adoucit les clauses du
traité de Madrid. François Ier conserve le duché de Bourgogne, les comtés d'Auxerre et
de Mâcon ainsi que la principauté d'Orange, mais renonce à l'Italie et à sa suzeraineté
sur la Flandre et l'Artois.
d) Traité de Vaucelles, 1556
C’est à Vaucelles que Charles Quint, par un traité avec Henri II, roi de France et fils
de François 1er, conclut une trève de cinq ans en février 1556. Ce traité reconnaissait
les nouvelles possessions françaises : les Trois-Évéchés de Metz, Toul et Verdun, de
nombreuses places fortes entre le Luxembourg et la Flandre, ainsi que diverses
possessions en Piémont, dans le centre de l’Italie et en Corse. Cette trève fut rompue
dès octobre 1556 par le pape qui excommunia Charles Quint et son fils Philippe II, roi
d’Espagne, tandis qu’il promettait le royaume de Naples (possession espagnole) à
Henri II (sous réserve que celui-ci en fasse la conquête).
e) Traités de Cateau-Cambrésis, 1559
C’est le traité le plus important du XVIème siècle. En fait, il s’agit de deux traités de
paix signés au Cateau-Cambrésis, le premier entre la France et l'Angleterre (2 avril), le
second entre la France et l'Espagne (3 avril), et qui mettent fin aux guerres d'Italie et à
la lutte entre les Valois et les Habsbourg. Ils marquent aussi le début de la
prédominance espagnole en Europe. Henri II renonçait à l'Italie, à la Corse, à la Savoie
et au Piémont, où il conservait en gage Turin, Pignerol, Chieri, Chivasso et Asti. Il
recouvrait Saint-Quentin, Ham, Le Catelet et Thérouanne et gardait Calais pour huit
ans (moyennant la somme de 500000 écus). En outre deux mariages furent conclus,
celui de Philippe II avec Élisabeth de France, fille d’Henri II, et celui d'EmmanuelPhilibert, duc de Savoie, avec Marguerite de France, fille de François Ier. Mais ces
traités sont surtout notables par la longévité des accords qu'ils entérinent (ils seront
confirmés à quelques détails près lors de la paix de Vervins en 1598, et respectés
pendant près d'un siècle), autant que par l'ouverture d'une ère nouvelle en
géopolitique : ils signent le début de l'atlantisme européen. Cette paix était devenue
nécessaire aux deux parties épuisées financièrement, au point de risquer la
banqueroute : à la mort de François 1er, en 1547, la dette royale sur la place de Lyon se
monte à près de 7 millions de livres. En 1557, le gouvernement espagnol est en
cessation de paiement vis-à-vis de ses banquiers de la place d'Anvers notamment,
tandis qu’en 1559, le roi de France laisse une dette de 12 millions de livres. La faillite
touche les banquiers et voit l’effondrement des places de Lyon, Toulouse, Anvers. La
France, déjà affaiblie économiquement et saignée par les défaites de Saint-Quentin
(1557) et Gravelines (1558), était de plus en proie à des troubles religieux. Le roi
Henri II espérait profiter de la paix pour extirper la Réforme protestante. Depuis trois
ans, le protestantisme ne cessait de se développer malgré ses édits répressifs. Mais la
Réforme grandissait aussi en Flandres, et même sur le sol espagnol. Philippe II
d'Espagne, voulant affermir son gouvernement à Valladolid alors capitale du royaume,
se préparait à y faire écraser par l'Inquisition un foyer réformé. L'Espagne, par ailleurs,
sentait grandir sa vocation coloniale et évangélisatrice au Nouveau Monde, et
cherchait à se faire de la France une alliée dans sa lutte contre la Réforme. C'est
pourquoi les clauses du traité ne furent pas aussi défavorables aux Français que la
situation militaire l'aurait fait craindre. L'Espagne gardera dorénavant, et jusqu'au
début du XVIIIème siècle, une domination assurée (soit directement soit
indirectement) sur la mosaïque d'États de la péninsule italienne, hormis sur les
41
républiques de Gênes et de Venise, et les États de Savoie et Piémont. Les papes seront
les alliés obligés de l'Espagne dans la lutte contre la Réforme. Enfin, la paix de
Cateau-Cambrésis, en faisant entrer l'Italie dans une longue période de stagnation
économique et intellectuelle, marque l'arrêt de la Renaissance italienne. Par ailleurs,
c’est au cours des festivités de mariages conclus par ces traités qu’Henri II sera
mortellement blessé au cours d’un tournoi. Il laissera la France entre les mains de
Catherine de Médicis, son épouse, aux prises avec les guerres de religion. La reinemère, en louvoyant entre tolérance religieuse et répression, ne fera qu'amplifier les
tensions.
● La dislocation des Dix-Sept Provinces-Unies, ou Pays-Bas Espagnols
a) partition entre protestants indépendants et catholiques fidèles à l’Espagne
Les Pays-Bas au XVIème siècle s’étendent de Groningue à Cambrai et correspondent, en
gros, aux Pays-Bas actuels, plus la Belgique et le Luxembourg plus le Nord-Pas de Calais. On
les appelle les Dix-Sept Provinces-Unies, ou Pays-Bas Espagnols.
Dès son avènement en tant qu’empereur, Charles Quint est confronté au mouvement religieux
qu'avait inspiré Luther, à partir de 1517. Par la suite dans les Pays-Bas, ce sont les idées de
Calvin qui émergent, puis s'imposent, en particulier dans tout le territoire couvert par le
diocèse de Cambrai, mais aussi dans les milieux d’artisans, à Lille, à Tournai, à Valenciennes,
dans les campagnes de Flandre, près de Hondschoote et dans les monts des Flandres, formant
des groupes peu nombreux mais fort actifs. Néanmoins les protestants calvinistes, bravant le
42
pouvoir de la gouvernante Marguerite de Parme, seront plus de 5000 à se réunir à
Valenciennes pour un prêche et ils seront nombreux à les imiter à Tournai.
Par le Concile de Trente (1545-1563), l’Église catholique romaine procède à une réforme que
le fils et successeur de Charles Quint, le roi Philippe II d'Espagne, applique avec fermeté, dès
1564. Cette décision, prise malgré les avertissements de Marguerite de Parme, sa sœur,
gouvernante des Provinces-Unies, provoque la révolte des Pays-Bas dès 1566 : les nobles
locaux, tant catholiques que protestants, craignant d’être dépouillés de leurs prérogatives au
profit de gouverneurs étrangers, exigent la fin de l’inquisition et la convocation d’états
généraux. Les calvinistes envahissent les églises anversoises et les saccagent en détruisant
notamment de nombreuses œuvres d’art. Cette fureur iconoclaste marque le début des troubles
religieux aux Pays-Bas où le calvinisme n’a cessé de progresser au cours des années
précédentes. Le mouvement iconoclaste gagne en effet rapidement Armentières, Ypres, Gand,
la Frise et la Hollande. En réaction, Philippe II nomme en 1567 le duc d’Albe gouverneur des
Pays-Bas avec le titre de vice-roi investi d'un pouvoir absolu afin de réprimer les troubles, en
s’appuyant sur une troupe de 10000 soldats aguerris.
Le duc d’Albe établit à cet effet, sous le titre de Conseil des troubles, un tribunal qui déploie
tant de rigueur (le conseil est surnommé conseil du sang, bloedraat : 800 exécutions au
moment de Pâques) que tout le pays se soulève bientôt. Le duc remporte de grands avantages
sur les insurgés, à la tête desquels s'est mis le prince d'Orange, mais il ne peut les réduire
entièrement; et, dégoûté d'une lutte perpétuelle, il finit par demander lui-même son rappel en
1573, après sept années de « guerre sainte ».
Le duc d'Albe, tableau d'Antonio Moro.
C’est que, si le duc d’Albe n’a éprouvé aucune difficulté à repousser les faibles incursions
militaires rebelles menées par le prince d’Orange, en revanche, le maintien d’une importante
présence militaire impose un lourd fardeau financier. Or, l’Espagne est engagée au même
moment dans de dispendieuses offensives contre les Ottomans et en Italie. Les tentatives pour
43
lever de nouveaux impôts ne peuvent qu’attiser la rébellion. À cela s’ajoute le fait que les
mercenaires impayés se mutinent et pillent, tandis que les deux provinces de Zélande et de
Hollande se révoltent ouvertement entraînant une guerre déclarée entre elles et les quinze
provinces loyalistes.
Une alliance, dite Pacification de Gand, entre les Dix-Sept Provinces des Pays-Bas espagnols
est conclue en 1576 dans le but de faire cesser les exactions des troupes espagnoles mutinées
(le 4 novembre 1576, les soldats espagnols, mutinés, tuent 7000 personnes à Anvers), ainsi
que de mettre un terme à la guerre civile entre les provinces restées loyales à la couronne
d’Espagne et les provinces rebelles de Hollande et de Zélande, « les Gueux de la mer ». En
fait, l'Espagne, malgré la légitimité de ses prétentions, risque d'être chassée par la fraction
protestante emmenée par le prince Guillaume Ier d'Orange-Nassau (1533-1584) soutenue par
l'Angleterre, en raison de la médiocre administration du gouverneur Ferdinand Alvare de
Tolède, duc d'Albe. La pacification est signée par le pouvoir royal, qui s’empresse de faire
venir aux Pays-Bas, en 1577, 60000 hommes de l’armée espagnole d’Italie, sous les ordres
d’Alexandre Farnèse, duc de Parme, fils de Marguerite de Parme et petit-fils de Charles
Quint.
En 1579, Alexandre Farnèse devient gouverneur général des Pays-Bas et offre immédiatement
de rendre aux nobles catholiques leurs anciens privilèges. Avec une armée espagnole sous
contrôle et le recouvrement de leurs libertés locales, les nobles méridionaux perdent toute
raison de se rebeller et concluent l’Union d’Arras aux termes de laquelle les dix provinces 2
(dans lesquelles le Cambrésis est inclus) à majorité catholique réaffirment leur fidélité à
l’Espagne. En revanche, les sept provinces septentrionales, calvinistes, répliquent peu après à
« l’Union d’Atrecht » (Arras en néerlandais) par l’Union d’Utrecht. Hollande, Zélande,
Gueldre, Utrecht, Frise, Overrijssel et Groningue, deviendront les "Provinces-Unies", et
2
Il s’agit des provinces de : Brabant, Limbourg, Luxembourg, Flandre, Artois, Hainaut, Namur, Zuthphen,
Anvers, Malines
44
proclameront leur indépendance deux ans plus tard, laquelle sera officialisée en 1648 par la
paix de Westphalie qui met fin à la guerre dite de quatre-vingt ans.
Concrètement, les provinces du sud combattent, sous l’égide des Espagnols, les hérétiques
calvinistes qui se trouvent sur leur territoire, tandis que les provinces du nord, qui ont légalisé
le calvinisme, prêtent main forte aux calvinistes du sud. Farnèse assiège Tournai, qu’il prend
aux calvinistes le 29 novembre 1581, fait commémoré de nos jours sur la Grand Place de
Tournai par la statue de Christine de Lalaing, épouse du sénéchal du Hainaut, gouverneur de
Tournai. En l’absence de celui-ci, elle se substitue à lui et conduit ardemment la défense de la
ville. Sa statue la montre désignant de la main gauche la cathédrale de Tournai, ce qui
signifierait en substance : « les catholiques nous attaquent, mais ils auront affaire à forte
partie ».
Le même sort est réservé à Audenarde, Lens, Anvers, Nieuwpoort, Menin, Ypres, Bruges,
Dixmude, et à d’autres foyers calvinistes. En juillet 1582, les protestants de Menin et de
Tournai (les Hurlus) se sont avancés jusque sous les murs de Lille; des villages, des fermes,
des moulins ont été pillées (Hellemmes en 1580), des prêtres ont été tués. Mais suite aux
actions d’Alexandre Farnèse, les calvinistes abjurent, ou bien partent, notamment dans les
Provinces-Unies du nord. Ainsi, en 1585, quand Anvers tombe, 40% des habitants de la ville
la quittent pour les Pays-Bas septentrionaux. En 1611, la moitié des principaux marchands
d’Amsterdam est originaire des provinces méridionales. La fermeture des bouches de l’Escaut
et la conquête par les Hollandais des îles à épices portugaises vont entraîner la ruine
commerciale d’Anvers au profit des ports des Pays-Bas du Nord. La république batave, qui
garantit à toutes les confessions la liberté du culte, se trouve à la tête du commerce mondial.
À la fin du XVIème siècle, dans les Pays-Bas du sud, les Espagnols ont su éliminer les
protestants, par le fer, le feu, ou bien le verbe de la prédication des jésuites, des capucins, des
carmes : la Contre-Réforme a atteint son but.
45
Par l’entremise du pape, la Paix de Vervins est signée le 2 mai 1598 entre les rois Henri IV de
France et Philippe II d'Espagne. Par ce traité, la France revient au statu quo du traité de
Cateau-Cambrésis, signé le 3 avril 1559 entre le même Philippe II et Henri II, et qui
conservait Calais à la France mais mettait fin à toutes ses prétentions en Italie. Ce traité
marque la fin de la prépondérance espagnole sur l’échiquier européen. Quant à la France,
ruinée par huit guerres internes de religion entre 1562 (où un quart de la population est
huguenot) et 1593, attisées en particulier par le massacre de la Saint-Barthélemy en 1572, elle
est dans l’incapacité d’entreprendre une action extérieure de quelque envergure.
b) Partition du sud entre roi d’Espagne et roi de France
Pendant le premier tiers du XVIIème siècle, les Pays-Bas du sud connaissent la félicité. C’est
le temps des Archiducs, qui maintiennent les libertés communales. En 1598, Philippe II laisse
cet ensemble en dot à sa fille Isabelle, qui épouse l’archiduc Albert, fils de l’empereur
Maximilien II. Il est convenu que si les archiducs n’ont pas de descendance, les provinces
reviendraient à l’Espagne. Ce qui fut le cas en 1633, à la mort d’Isabelle.
Par ailleurs, l’Europe est déchirée de 1618 à 1648 par la Guerre de trente ans, C’est d’une part
une guerre de religion opposant, dans l’empire, protestants et catholiques. C’est d’autre part
une guerre politique opposant les Habsbourg, empereurs héréditaires de fait qui cherchent à
renforcer leur pouvoir temporel à la manière des royaumes centralisés (France, Espagne,
Angleterre), aux États théoriquement vassaux. Ce conflit, par jeu d’alliances, impliquera la
plupart des puissances européennes.
46
En 1635, Louis XIII déclare la guerre à l’Espagne. Les Espagnols, en 1636, poussent leurs
avant-gardes jusqu’à Senlis et Pontoise. Pour plus de trois quarts de siècle, France, Espagne,
Provinces-Unies, puis Angleterre s’affrontent aux Pays-Bas. L’Espagne, attachée à son passé
de puissance européenne dominante, et proche des Habsbourg d’Autriche, veut pouvoir
avancer en quelques jours sur Paris. « L’Espagne cédera plutôt Tolède que Cambrai », disait
un ministre espagnol. Il s’agit de contrôler l’héritage bourguignon et de retrouver les terres
perdues aux traités successifs, de 1659 à 1678. Les Provinces-Unies veulent que l’Espagne
reconnaisse leur indépendance. Une fois cet objectif atteint, en 1648, elles se préoccupent de
se protéger des ambitions françaises. L’Angleterre, qui n’a pas d’ambitions territoriales,
souhaite obtenir des avantages commerciaux dans les colonies espagnoles et sur le marché
français, à condition que les Français ne gênent pas leur commerce en contrôlant le trafic de la
Mer du Nord à partir de Dunkerque.
Après cinq guerres et cinq traités, le royaume de France s’agrandira de l’actuel territoire des
deux départements du Nord et du Pas-de-Calais. Pour l’Artois, la conquête est rapide, elle est
achevée en 1640 avec la prise d’Arras, et entérinée par le traité des Pyrénées, en 1659. Pour le
Nord, l’affaire est plus rude. Elle n’est réglée définitivement qu’après un affrontement de
soixante-dix huit ans, au traité d’Utrecht en 1713
47
48
Aujourd’hui, les guides lillois se complaisent à claironner aux touristes que « Louis XIV a
libéré la région du joug étranger ». Rien n’est plus faux. Le sud de la Flandre, le Hainaut, le
Cambrésis deviennent français dans un climat d’hostilité générale. Car en réalité, Louis XIV
procède sans ménagement à une froide annexion stratégique. D’autant que des villes comme
Valenciennes, par exemple, n’ont jamais été françaises. Le roi de France est alors « l’ennemi
français ». Il lève de lourds impôts et envoie des intendants tout puissants dans les provinces.
Il est l’allié des ennemis de la religion, les Turcs et les protestants. En somme, il est tout le
contraire du roi d’Espagne. Pour toutes ces raisons, on reste fort attaché à l’Espagne. Car le
roi d’Espagne est perçu comme le champion du catholicisme. L’Espagne a même dû
intervenir en France durant les guerres de religion pour y maintenir l’ordre catholique.
L’Espagne n’a pratiquement pas été touchée par la Réforme, tandis que le roi de France, par
l’Édit de Nantes, tolère les protestants sur son territoire. Par ailleurs, les libertés communales,
que les Espagnols avaient respectées, sont sévèrement malmenées. Enfin, l’activité
économique périclite avec la conquête. Les guerres réduisent les échanges. Après l’annexion,
l’administration française crée des douanes qui freinent le commerce avec l’Espagne, tandis
qu’elle maintient la barrière douanière entre les provinces de France et les Pays-Bas aux
frontières de l’Artois et de la Picardie. À terme, c’est la misère pour l’industrie textile
flamande.
Il faudra beaucoup de temps au pouvoir français pour conquérir les cœurs après avoir forcé les
murailles des villes.
49
● XVIIIème-XIXème siècle : création des identités nationales3 et ses conséquences
Par un bizarre tour de passe-passe idéologique, les querelles dynastiques se sont muées en
massacres de masse, d’essence nationaliste, où l’irréductible singularité de chaque identité
nationale a été le prétexte d’affrontements sanglants d’une sauvagerie sans précédent.
La nation est une invention moderne dont la véritable naissance est le moment où une poignée
d’individus déclarent qu’elle existe et entreprend de le prouver. C’est à la fabrication de ces
preuves que s’est consacré le XIXème siècle. Les identités nationales ne sont pas des faits de
nature, mais des constructions à la Viollet-Le-Duc (« Restaurer un édifice, ce n'est pas
l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir
jamais existé à un moment donné »). La nation naît d’un postulat et d’une invention. Mais elle
ne vit que par l’adhésion collective à cette fiction. Comme pour un péplum hollywoodien, on
adhère par distraction, au sens pascalien : la nation est apparue alors que s’engageait une
profonde mutation économique. Elle a été la force de cohésion qui a permis de construire une
organisation politique et sociale à la mesure de changements qui ont bouleversé totalement le
mode de vie des populations.
Il reste que « les nations ne sont rien d’autre que la consolidation d’un état de guerre
permanent des unes contre les autres », analyse à la veille de Première Guerre mondiale
Enrico Corradini. Et Lamartine, dans sa Marseillaise de la paix, affirme : « Nations ! Mot
pompeux pour dire barbarie ». S’agissant du XXème siècle, avec son nationalisme narcissique
et haineux, Lamartine est loin d’avoir tort.
C Les prémices de la guerre moderne, Cambrai 1917
En 1914, l’armée allemande occupe la ville de Cambrai. Cette occupation, qui durera quatre
ans, est marquée par des scènes de pillages, de réquisitions et d’arrestations d’otages. Du 20
novembre au 17 décembre 1917, les environs de Cambrai sont le théâtre d’une bataille
qui voit pour la première fois l’utilisation massive de tanks. Pour percer la ligne
Hindenburg les Britanniques lancent une offensive au sud de Cambrai. La ligne Hindenburg
pour les Britanniques, ou ligne Siegfried pour les Français, est une organisation défensive qui
s’échelonne sur plusieurs kilomètres de profondeur et représente la plus importante
fortification terrestre érigée en Europe, dont la partie la plus épaisse, 12 à 15 kilomètres, et la
plus formidablement organisée, va de Cambrai à Saint Quentin. Cette ligne a été construite en
1916 et 1917 sous l’ordre du maréchal Hindenburg par des prisonniers russes et des civils
belges et français des régions envahies. Elle permet au commandement allemand à partir de
mars 1917 de raccourcir son front défensif en reculant délibérément de 60 kilomètres pour se
retrancher derrière cet ensemble fortifié. Ceci en vue de dégager des moyens pour le front est,
en particulier contre la Russie. À l’ouest, les Allemands resteront ainsi sur la défensive toute
l'année 1917 afin de préparer leurs grandes offensives de 1918, après que leur cheval de
Troie, Lénine, a signé la paix de Brest-Litovsk en mars 1918.
3
Voir Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales, Seuil, 1999
50
51
Les tanks britanniques, au nombre de 476, servaient à entraîner l’infanterie à travers les lignes
ennemies. L’objectif de la bataille était la prise des positions stratégiques de la crête de
Flesquières et du bois de Bourlon avant d'envisager la libération de Cambrai. À Flesquières,
l'attaque britannique se heurta à une résistance acharnée des troupes allemandes qui parvinrent
à détruire ou immobiliser de nombreux tanks. Au total, 45000 pertes britanniques et 55000
allemandes, 11000 prisonniers allemands et 9000 britanniques.
Cimetière britannique de Flesquières
En termes de gains territoriaux les Allemands récupérèrent un peu plus que ce qu'ils avaient
initialement perdu. Malgré ce résultat, la bataille apporta la preuve que les tranchées les
mieux défendues ne pouvaient résister à une attaque massive de chars d'assaut Aussi, bien que
52
le résultat de la bataille soit un match nul, avec un changement mineur des lignes de front,
Cambrai a marqué un tournant dans la guerre – et dans l'histoire militaire. L'époque de la
guerre de tranchées s'achevait et la technologie commençait à régner sur les champs de
bataille européens. Mais, ironie du sort, l’État major français ne fut guère réceptif à ce virage
technologique. L’historien Marc Bloch4 rappelle, non sans une intense amertume [il écrit en
1940], que le général Chauvineau dans son livre Une invasion est-elle encore possible ?
élogieusement préfacé par Pétain, publié en 1938 et réédité en février1940 (!), prônait la
théorie des fronts continus et de la puissance de feu pour seule défense. Or, en 1935, des
officiers français avaient assisté aux manœuvres soviétiques. Sous l’influence du maréchal
Mikhaïl Toukhachevsky, qui sera fusillé deux ans plus tard par ordre de Staline, l'armée
soviétique est en train d'inventer un nouveau type de guerre. Cet officier, qui a côtoyé Charles
de Gaulle alors qu'ils étaient tous deux prisonniers de guerre au fort d'Ingolstadt durant la
Première Guerre mondiale, est l'un des plus brillants théoriciens militaires de son temps. Non
seulement, il a compris l'importance des blindés dans la guerre moderne, mais il prévoit de
jeter des milliers d'hommes sur les arrières de l'ennemi. Pour cela, l'avion est le moyen idéal :
les forteresses, fussent-elles continues et surarmées, se contournent désormais par le ciel.
On ne peut alors que partager le dépit de Marc Bloch quand il souligne « l’étonnante
imperméabilité [des Français] aux plus clairs enseignements de l’expérience », « la curieuse
forme de sclérose mentale » et le fait que «[les Allemands] croyaient à l’action et à l’imprévu.
Nous avions donné notre foi à l’immobilité et au déjà fait : nos chefs ont prétendu avant tout
renouveler en 1940 la guerre de 1915-1918. Les Allemands faisaient celle de 1940 ».
4 Quelques réflexions
L’histoire a-t-elle un sens ou bien n’est-elle qu’une suite kaléidoscopique d’événements,
heureux ou malheureux, régis par un scénario éternel, indéfiniment rejoué par des acteurs
successifs, à la manière de la commedia dell’arte ?
Au début du XVIIIème siècle, Giambattista Vico pense qu’en dépit de ses méandres, l’histoire
fait apparaître une évolution, l’humanité passant de l’âge des dieux, à l’âge des héros, pour
arriver, à son époque, le siècle des Lumières, à l’âge des hommes. Il ne s’agit plus de s’en
remettre à la volonté implacable d’instances supérieures, ou encore à celle d’hommes
extraordinaires servant de modèles voire de guides, mais à celle des humains car c’est eux qui
détiennent la clef de leur propre destin.
Au début du XIXème siècle, Friedrich Hegel voit dans l’histoire une ruse de la raison. Hegel
considère que l’homme se distingue radicalement de l’animal par sa capacité à dépasser le
simple besoin physiologique de survie : pour l’homme, le besoin spécifique de
reconnaissance, l’affirmation de soi, font partie intégrante de toute personnalité humaine et
valent que l’on mette en jeu sa vie5. Selon Hegel, ce sont là les moteurs du processus
historique tout entier. Pour lui, le désir d’être reconnu comme être humain investi de dignité
conduit l’homme du début de l’histoire à des luttes à mort pour le prestige, l’acceptation du
risque de mort dans une bataille de pur prestige étant ce qui rend l’homme humain et est le
fondement de la liberté. Il en résulte, poursuit-il, une division de la société en deux classes,
celle des « maîtres » qui n’ont pas hésité à risquer leur vie, et celle des « esclaves » qui ont
peur de la mort et qui de ce fait sont dénigrés en tant qu’humains. Mais la reconnaissance dont
jouissaient les maîtres était insatisfaisante puisqu’elle n’émanait pas de leurs semblables mais
des seuls êtres inférieurs. Cette contradiction devait engendrer les étapes suivantes de
4
Marc Bloch, L’étrange défaite, Gallimard 1990
De la même manière, Arthur Schopenhauer affirme que « rien n’égale pour l’homme le fait de satisfaire sa
vanité et aucune blessure n’est plus douloureuse que de la voir blessée »
5
53
l’évolution, dont la dynamique est la recherche d’un moyen de satisfaire à la fois les maîtres
et les esclaves dans un désir de reconnaissance sur une base de réciprocité et d’égalité.
Les maîtres luttent d’abord entre eux pour s’affirmer face à leurs sujets : ce sont les luttes
dynastiques, qui aboutissent à la constitution d’États à visées hégémoniques. Mais de telles
luttes, toujours identiques dans leur principe, n’amènent pas de modifications essentielles. En
revanche, les esclaves, qui se consacrent à des tâches utilitaires, affrontent ce faisant la nature
et en deviennent progressivement les maîtres. Ils recouvrent alors leur humanité, d’autant que
la liberté potentielle de l’esclave est beaucoup plus riche de sens que la liberté du maître :
réalité pour ce dernier, elle n’est qu’un concept pour l’esclave. La conscience de l’esclave est
plus élevée que celle du maître parce qu’issue d’un long et pénible processus d’autoéducation.
Pour Hegel, c’est donc le désir de reconnaissance, d’affirmation de soi, qui fait avancer
l’histoire, et non la complaisance paresseuse et l’identité immuable du maître. Les anciens
esclaves deviennent les nouveaux maîtres, non pas d’autres esclaves, mais d’eux-mêmes, la
réalisation de soi passant par l’éthique du travail et le développement économique en général.
Elle aboutit à la forme démocratique du gouvernement, expression nécessaire à la
reconnaissance entre égaux, par opposition à la reconnaissance par la supériorité, propre à la
tyrannie.
L’arme de la démocratie, c’est par excellence la négociation, seul rapport social qui permette
l’affirmation de soi sans abaisser l’autre. C’est par nature l’outil clef des négociants, des
entrepreneurs, ceux qui sont apparus dans les communes autonomes du haut Moyen Âge, en
particulier en Italie. De leur expansion est née la prospérité : les deux cents villes des PaysBas auront rapporté au XVIème siècle en impôts au roi d’Espagne sept fois plus que tout l’or
et l’argent d’Amérique.
Au XVIIème siècle, les Provinces-Unies du nord, leur indépendance conquise, sont devenues
la turbine économique du monde. Mais au-delà du pain et de la paix (relative), le monde des
affaires a apporté la liberté, notamment de penser. C’est à Amsterdam où il est né et où il
mourut que Baruch Spinoza écrivit son œuvre et que René Descartes travailla de 1628 à 1649.
Au XXème siècle, c’est le négociant Jean Monnet qui plaidera victorieusement pour la paix,
la liberté et la prospérité en Europe et c’est l’entrepreneur Aurelio Peccei, fondateur du Club
de Rome, qui le premier œuvrera pour le développement durable.
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III RESSORT CASSÉ
1 Monuments : de beaux restes méconnus
Une grande partie du patrimoine monumental de Cambrai a disparu au cours des siècles. C’est
d’abord Charles Quint qui, pour faire édifier une citadelle au Mont-des-Bœufs, ordonne en
1543 la destruction de l’abbaye Saint Géry. Pendant la Révolution française tous les édifices
religieux de la ville sont vendus comme biens nationaux et détruits, dont l’ancienne
cathédrale. Seules quatre églises, transformées en grenier, en hôpital, en Temple de la Raison
ou en prison, sont épargnées. Le démantèlement des fortifications, à partir de 1894, entraîne la
disparition de nombreuses portes. La Première Guerre mondiale est à nouveau responsable de
destructions très importantes, l’armée allemande minant et incendiant le centre de la ville
avant de faire retraite en septembre 1918 : au total, 1214 immeubles détruits. À la fin de la
Seconde Guerre mondiale, en avril 1944, puis encore en mai, en juillet et jusqu’au 11 août,
Cambrai subit des bombardements alliés : au total, 55% des immeubles sont sinistrés et 13%
entièrement détruits. Cependant, malgré ces destructions, la ville garde un patrimoine
monumental : Cambrai est classée depuis 1992 Ville d’Art et d’Histoire.
Château de Selles
● Le château de Selles est un des plus anciens monuments militaires de Cambrai. Au
XIIIème siècle, le château de Selles est une véritable forteresse de grès de 15 mètres de haut,
de forme polygonale et flanquée de 6 tours dont une géminée. Il a alors une double fonction :
assurer la surveillance de la porte de Selles et de l’Escaut et asseoir l’autorité du comteévêque sur les Cambrésiens. Il est en partie remblayé au XVIème siècle. L'ancien hôpital
militaire du XVIIIème siècle qui le surmonte, abrite aujourd'hui le tribunal.
● Le Beffroi de Cambrai, autrefois clocher de l’église Saint-Martin, construit au XVème
siècle, symbolise les libertés communales. Celles-ci, acquises dès 958, font de Cambrai une
des premières villes à charte d’Europe. Plusieurs beffrois furent construits puis détruits suite
aux tensions entre les bourgeois et l’autorité ecclésiastique et le pouvoir impérial. En 1226,
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les bourgeois de Cambrai durent abandonner leur charte et accepter l’autorité de l’évêque, qui
se fera cependant plus accomodante, leur laissant en fait sinon en droit un certain degré
d’autonomie dans la gestion des affaires communales.
L’ancien clocher de l’église Saint-Martin fait office de beffroi depuis 1550
● La citadelle : Témoin des remparts érigés à la fin du XIVème, elle constitue jusqu'au
démantèlement des fortifications à partir de 1892, le lieu de passage obligé vers le sud de la
ville. Cet endroit stratégique doit être invulnérable en cas de siège. Les archères des tours, le
pont-levis, la herse, les assommoirs percés dans la voûte et la vaste salle de garde à l'étage
assurent la défense de la porte lors des assauts.
Porte royale de la citadelle
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Porte de Paris, ancienne Porte Saint Sépulcre
● L’hôtel de ville s’ouvre sur la Grand’ Place par une majestueuse façade de style grec.
Il est surmonté d’un campanile où deux sonneurs géants de type maure, frappent les heures. Il
s’agit de Martin et Martine, protecteurs de la cité.
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Par ailleurs, à l’extérieur de la ville, nous avons rencontré quelques monuments
remarquables :
● Le château d’Havrincourt
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● Le château d’Esnes
La commune d'Esnes se situait jusqu'en 1678 sur le tracé de la frontière entre la France et
l'Empire, ce qui explique la présence d'un tel château fort. De la forteresse médiévale, il reste
une tour crénelée, la base de trois tours et une partie du chemin de ronde. De la demeure
seigneuriale des comtes de Beaufremetz, du XVIIème siècle, il subsiste des dépendances et
surtout le logement principal, avec sa façade de briques et de pierres ornée de blasons. Il est
classé Monument Historique en 1971
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● L’abbaye de Vaucelles
Fondée en 1132 par Bernard de Clairveaux, l'abbaye cistercienne de Vaucelles est l'un des
édifices majeurs du Cambrésis. La salle capitulaire, salle de réunion de la communauté, est la
plus vaste d'Europe. C’est un véritable joyau.
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2 Cambrai vue en 1917
L’écrivain allemand Ernst Jünger, dans Orages d’acier, livre consacré à la Première Guerre
mondiale qu’il fit comme lieutenant, décrit ainsi Cambrai en 1917 : « Cambrai est une petite
cité paisible et somnolente au nom de laquelle s’attachent bien des souvenirs historiques. [… ]
Les habitants sont gens tranquilles et cordiaux, qui mènent dans leurs grandes maisons,
simples d’apparence, mais richement meublées, une existence toute de bien-être. La petite cité
est surnommée avec raison le ville des millionnaires car juste avant la guerre, on y comptait
quarante de ces Crésus ».
3 Démographie
Le solde migratoire est constamment négatif, particulièrement au cours de années 1970-1980.
Entre 1968 et 1999, 31250 personnes ont quitté l’arrondissement, soit sensiblement
l’équivalent de la ville de Cambrai. Selon l’INSEE, la population du Cambrésis devrait encore
diminuer de 6,9%, soit près de 12000 personnes, à l’horizon 2030.
4 L’économie
Ville drapante historiquement, Cambrai compense le déclin du drap en évoluant vers la
fabrication de batistes, spécialité de la ville, qui connaît sa plus grande vogue au XVIIème
siècle. Il s’agit de toiles fines de lin dont le tissage aurait été mis au point au XIIIème siècle
par un tisserand nommé Baptiste Cambray ou Chambray, d’où le nom de batiste en français
et, cambric ou chambray en anglais. Le succès des toiles du Cambrésis dépassa ses frontières.
L'Italie et l'Espagne en étaient notamment de grands consommateurs. La toile s'exportait
également vers la Flandre et les Pays-Bas, l'Angleterre et la France. A la fin du XVIème siècle
le roi Henri IV autorisait annuellement l'entrée en France de 10000 « toilettes de Cambray ».
Le commerce du textile se développant, d'autres villes se mirent à produire de la batiste, telles
Valenciennes, Douai, Saint-Quentin ou encore Bapaume. Les effets de la mode, l'apparition
de nouveaux tissus, notamment le coton, puis la mécanisation entrainèrent une baisse de
fabrication. Au XIXème siècle, la batiste fait l’essentiel du commerce cambrésien avec
d’autres productions telles que le savon ou le sel de mer raffiné. Au XIXème siècle, la ville
s’industrialise peu. Dès la fin du XIXème siècle, la fabrication de la batiste en Cambrésis
avait pratiquement disparu et la Première Guerre mondiale porta le coup de grâce à cette
activité. Après la Seconde Guerre mondiale des entreprises nouvelles se créent : bonneterie,
mécanique, menuiserie, tandis que disparaissent des fabrications traditionnelles. La crise
économique de 1970 dégrade sérieusement la situation de l’emploi. Malgré une forte
régression, l'industrie textile reste aujourd'hui la première du Cambrésis avec près de 3000
emplois: ici se concentre 80 à 90% de la broderie française, notamment à Villers-Outréaux.
La dentelle, à Caudry, et les textiles techniques sont deux autres productions importantes. Les
industries des équipements mécaniques sont en progression, ainsi que la chimie-plasturgie.
L'industrie agro-alimentaire est le troisième secteur industriel de la région.
5 Cambrai et l’aviation
Cambrai est liée à l’aviation non seulement parce que Louis Blériot y est né, mais également
parce que l’Armée de l’air y dispose de la base aérienne 103 à Cambrai-Épinoy. La base
abrite aujourd'hui deux escadrons de chasse volant sur Mirage 2000C/RDI.
Cette base fermera en 2012, fermeture qui s’ajoute à la récente suppression du tribunal de
commerce, à la fermeture de l'école des Douanes, de la Banque de France et de la Trésorerie
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Principale. Créée par les Allemands dans les années 1940, l’Armée de l’air en fait une base
aérienne en 1953. Elle emploie environ 1500 personnes, dont une centaine de civils.
Louis Blériot
BA 103 Cambrai-Epinoy
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IV EN GUISE DE CONCLUSION
Une ville ancienne, au milieu de nulle part, au ressort cassé : « Méfiez-vous de la première
impression, disait le perspicace Talleyrand, c’est la bonne ».
Il aurait raison si nous étions dans la logique de l’Île des Lotophages où Homère, il y a trois
millénaires, faisait débarquer Ulysse et ses compagnons. Trois de ceux-ci, partis en
reconnaissance, se font offrir par les indigènes un fruit mythique, le lotos, qui rend heureux et
amnésique. Fâcheux pour Ulysse, si le message de l’Odyssée est que le voyage humain va de
la guerre à la paix, du chaos à l’harmonie, à la condition impérative que jamais la mémoire ne
s’engourdisse : pour savoir où aller, il faut savoir d’où l’on vient et pourquoi.
Cette randonnée à vélo dans le Cambrésis nous dit que nous sommes dans une région qui, à
rebours d’être au milieu de nulle part, est le lieu géométrique de l’Europe, et qu’elle ne prend
sens que dans une perspective historique. Ainsi, Alain Grumelard avait observé qu’au sudouest de Cambrai le département du Nord possède une enclave dans le Pas-de-Calais,
englobant les communes de Boursies, Doignies et Mœvres. Ce à quoi mon ami historien JeanMichel Lambin6 explique que « le département du Nord correspond à quelques détails près
aux anciennes provinces de la Flandre et du Hainaut français ainsi que du Cambrésis : il a
même conservé une enclave de trois villages du Cambrésis en Artois, si bien que la limite
entre le Nord et l’Aisne, au sud du Hainaut, reprend encore aujourd’hui une frontière vieille
de deux mille ans, celle dont parle César à propos des peuples gaulois : les Nerviens et les
Viromandiens ».
Par ailleurs, écrit un autre historien, Marc Blancpain7 « de Dunkerque à Liège au nord, et du
Ponthieu à la Champagne au sud, la région a été une aire de confrontation, c’est-à-dire un
vaste espace de plaines ouvertes que les hommes pour tenter de s’en rendre maîtres et
possesseurs, n’arrêteront jamais longtemps, et jusqu’au milieu du XXème siècle, d’abreuver
de leur sang ».
Pour endiguer ce phénomène, un tour de force sans précédent a été accompli, consistant à
dépasser les points de vue de Paris, de Berlin ou de Londres, pour prendre celui transcendant
de l’Europe.
Qu’est-ce que l’Europe ?
« L’Europe, affirmait Emmanuel Levinas, ce sont la Bible et les Grecs». En bref, l’attention
portée aux autres et la rationalité. Au vu des régressions terribles dont s’est repu le passé
récent au nom de l’exclusion de masse, de race, ou de classe, la création de l’Union
européenne relève du miracle. Sa mission ? « Paix, solidarité, développement » disaient ses
pères fondateurs, sous-entendu entre des ensembles humains qui n’ont eu de cesse de se
contester mutuellement jusqu’au paroxysme apocalyptique. Or, fait nouveau dans l’histoire,
l’Union européenne est la seule entité qui s’agrandisse par la seule volonté de ceux qui
veulent en être membres : la négociation inclut l’autre, le bellicisme l’exclut.
Là-bas, des États titanesques se sont éveillés qui travaillent à faire de l’Europe un minuscule
cap de l’Asie. Notre unique atout, frêle mais résilient comme le roseau : la civilisation.
L’oublier, c’est faire le lit de la barbarie. En cela, le cyclotourisme, en nous incitant à voyager
dans le temps, nous garde à bonne distance des Lotophages.
Rémy Volpi, juin-juillet-août 2010
6
7
Jean-Michel Lambin, Quand le Nord devenait français, Fayard, 1980, p. 325
Marc Blancpain, La frontière du Nord, Perrin, 1990, p.14
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