Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Quand la tomate fleurit 13/03/12 Comprendre les mécanismes responsables de la floraison de la tomate permettra de fournir de nouveaux outils de sélection afin d'obtenir des cultivars toujours plus productifs. Des chercheurs liégeois et louvanistes révèlent l'importance insoupçonnée d'un gène dans le contrôle du nombre de fleurs que comptent les inflorescences de tomate. Originaire du nord-ouest de l'Amérique du Sud où elle fut domestiquée, la tomate a rapidement conquis le monde entier et est arrivée en Europe au début du XVIème siècle. Aujourd'hui considéré comme l'un des fruits/légumes (selon qu'on utilise le langage botanique ou culinaire) les plus importants dans l'alimentation humaine, elle se décline sous différentes formes et variétés. Ainsi, les milliers de variétés cultivées - appelées cultivars - dans les quelques 170 pays producteurs ont donné plus de 125 millions de tonnes de tomates en 2007, selon les chiffres de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture). En Europe, la consommation annuelle de tomates par individu tourne autour de 13 kg sous forme fraîche et de 22 kg sous forme transformée (conserves, sauces, concentrés, jus, etc.) ! Bref, l'importance économique, agronomique et gastronomique de la tomate n'est plus à prouver… Mais, si elle a su s'imposer dans le top 3 des légumes consommés à l'échelle mondiale, après la pomme de terre et la patate douce, la tomate devra être capable de répondre à la demande toujours croissante pour garder sa place au soleil. Pour ce faire, elle bénéficie de l'aide des scientifiques qui étudient les mécanismes qui régulent sa floraison. En effet, pour créer des cultivars toujours plus performants en termes de production de fruits, il est nécessaire de comprendre les bases génétiques qui mènent à la formation de ces fruits. Claire Périlleux, chargée de cours et responsable du laboratoire de Physiologie végétale de l'ULg, est l'une de ces scientifiques : « Comprendre © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -1- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège la floraison de n'importe quelle espèce cultivée est intéressant puisque les mécanismes sous-jacents sont susceptibles d'être exploités afin d'augmenter le nombre de fruits produits par la plante ». De la production de feuilles à la production de fleurs Avant de plonger au cœur des mécanismes génétiques qui contrôlent la floraison de la tomate, il est important de comprendre les différentes étapes de la floraison des plantes en général. « Ce qui édifie la partie aérienne de la plante, c'est-à-dire la tige et les feuilles, s'appelle le méristème apical. Les cellules qui composent ce tissu végétal gardent un haut potentiel de multiplication et de différenciation, il s'agit de cellules souches », explique Claire Périlleux. Lorsque la plante est en phase de croissance végétative, le méristème apical ne produit que des feuilles et des segments de tige. Puis, en général suite à un signal provenant de l'environnement tel que la durée du jour ou l'intensité de la lumière, la plante passe de la croissance végétative à la floraison. « Chez la tomate, la floraison est devenue autonome. C'était à la base une plante de jour court mais au fil des contresélections effectuées par les horticulteurs, sa floraison est devenue indépendante de la durée du jour. Mais on observe encore un effet accélérateur des hautes intensités lumineuses», précise la chercheuse. Une fois le temps de la floraison arrivé, selon les plantes, les choses peuvent se dérouler de deux manières. Soit le méristème apical lui-même va produit une fleur, épuisant ainsi toute la réserve des cellules souches. Il n'y aura alors qu'une seule fleur, comme dans le cas de la tulipe par exemple. Soit, si la plante doit produire plusieurs fleurs, le méristème apical subit certaines modifications lui permettant à la fois de produire une fleur et de maintenir une réserve de cellules souches pour être capable de produire d'autres fleurs. « C'est ce qu'on appelle un méristème inflorescentiel », indique Claire Périlleux. « Il s'agit d'un mécanisme général que l'on retrouve chez toutes les plantes à inflorescences telles que le blé, les vignes, la tomate etc. », poursuit-elle. L'endroit et la manière dont les cellules souches sont maintenues conditionnent la forme de l'inflorescence. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -2- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège La croissance un peu particulière de la tomate Si la tomate est une plante à inflorescence, sa floraison présente quelques particularités et est un peu plus complexe. « Lorsque le méristème apical se charge de produire la première inflorescence, un autre méristème dit « axillaire » va prendre le relais de la croissance végétative. Ce type de croissance porte le nom de croissance sympodiale.», précise Claire Périlleux. Ainsi, le méristème axillaire va former un segment de tige comprenant deux ou trois feuilles. Ensuite il produira à son tour une inflorescence alors qu'un autre méristème latéral poursuivra la croissance végétative et donnera trois feuilles, etc (Figure 1). « Voilà pourquoi sur les plants de tomate on observe 7, 8, 9 ou 10 feuilles avant la première inflorescence puis 2-3 feuilles suivies d'une inflorescence, encore 2-3 feuilles suivies d'une autre inflorescence et ainsi de suite. C'est aussi pour cette raison que l'on conseille aux gens de pincer ou d'étêter leurs plants de tomate afin qu'ils cessent de produire des inflorescences et que les premiers fruits puissent bien grossir », continue la scientifique. Afin d'atteindre une productivité toujours plus grande, certaines sociétés horticoles aimeraient obtenir des cultivars ne formant que deux feuilles entre chaque inflorescence. Dans un article publié en 2008 dans la revue Plant Physiology (1), Claire Périlleux et ses collègues décrivent l'expression d'un gène qui pourrait bien intéresser ces compagnies horticoles. En effet, le gène « Self Pruning » (SP) de la tomate empêche les méristèmes latéraux de fleurir trop vite. C'est donc « à cause » de lui que la plante produit trois feuilles avant l'inflorescence suivante. Il est intéressant de souligner que le gène orthologue de SP chez Arabidopsis, appelé alors TFL1 (pour Terminal Flower 1), n'a pas la même fonction. « Chez cette espèce de référence, TFL1 agit de sorte que © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -3- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège le méristème apical ne fleurisse pas mais devienne inflorescentiel, c'est-à-dire maintienne une réserve de cellules souches pour produire des fleurs indéfiniment », explique la spécialiste. Une question restait dès lors sans réponse dans l'esprit des scientifiques : Qu'est-ce qui permet d'éviter l'épuisement des cellules souches chez la tomate ? Si ce n'est pas SP, qui joue ce rôle chez cette plante ? C'est à cette question que Claire Périlleux et Johanna Thouet, doctorante au sein du laboratoire de Physiologie végétale de l'ULg, en collaboration avec des chercheurs de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve, répondent dans un nouvel article publié dans la revue PLoS ONE (2). Le rôle inattendu du gène JOINTLESS « En biologie végétale, beaucoup de choses ont été découvertes grâce à des plantes mutantes », reprend Claire Périlleux. « Vu l'importance agronomique de la tomate, les mutants ont été obtenus non pas suite à des manipulations expérimentales mais dans des programmes de sélection parce qu'ils présentaient des caractéristiques intéressantes ou parce qu'ils poussaient bien ». C'est le cas du cultivar appelé Jointless. Celuici a l'avantage de ne pas présenter de zone d'abscission au niveau du pédoncule de ses fruits. « Cette zone de fragilité permet au fruit de tomber lorsqu'il est mûr mais les horticulteurs préfèrent récolter le fruit directement sur la plante », indique Claire Périlleux. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -4- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège En y regardant de plus près, les scientifiques se sont rendus compte que l'absence de zone d'abscission n'était pas la seule « anomalie » que montraient les cultivars Jointless. « Les méristèmes inflorescentiels de ce mutant produisent une, deux ou trois fleurs et ensuite reproduisent des feuilles ! », précise la chercheuse. « C'est une réversion vers un programme développemental qui n'est pas normal puisqu'une fois qu'un méristème forme une inflorescence, il ne fait habituellement plus que des fleurs ». Dans le cadre de leur nouvelle étude, Claire Périlleux et ses collègues ont créé une série de doubles mutants afin de comprendre le rôle des gènes et leurs interactions dans la régulation de la formation de l'inflorescence chez la tomate. « Le résultat le plus intéressant et inattendu que nous ayons observé concerne un double mutant impliquant le gène JOINTLESS », révèle la botaniste. « Lorsque l'on combine une mutation de ce gène et une mutation au niveau du gène Single Flower Truss (SFT), le plant de tomate forme une fleur terminale, exactement comme lorsque TFL1 est muté chez Arabidopsis ! », poursuit Claire Périlleux. Ces résultats démontrent que le gène JOINTLESS est impliqué dans le maintien de cellules souches nécessaires au développement floral de la tomate. Mais il n'agit pas seul : « Il s'agit probablement d'une interaction complexe entre différents gènes dont Single Flower Truss qui code pour la protéine mobile FT » (voir article : Le Coktail de la floraison ) Combien de fleurs par inflorescence ? Les scientifiques ont ensuite regardé où était exprimé le gène JOINTLESS afin de voir si cela était cohérent avec la fonction qu'ils mettaient en avant. « Ce gène s'exprime uniquement dans la partie du méristème inflorescentiel qui reste indifférenciée, c'est-à-dire la partie qui ne devient pas une fleur », révèle Claire Périlleux. Il est donc bel et bien impliqué dans le maintien des cellules souches au sein de ce type de méristème. Selon la chercheuse, JOINTLESS agirait en inhibant un autre gène, appelé FALSIFLORA, qui favorise la formation de la fleur. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -5- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège En fait, la mutation du gène Single Flower Truss à elle seule provoque parfois l'apparition d'une fleur terminale mais pas toujours. « Le double mutant jointless x single flower truss permet d'obtenir un phénotype strict et reproductible », précise Claire Périlleux. « La protéine mobile FT codée par SFT se déplace depuis les feuilles de la plante jusqu'au niveau du méristème inflorescentiel où sa coopération avec la protéine codée par JOINTLESS va avoir pour effet de déterminer le nombre de fleurs que compte l'inflorescence ». Ces nouvelles informations pourraient être d'une aide précieuse pour le monde de l'horticulture, le nombre de fruits produits par un plant de tomate dépendant directement du nombre de fleurs formées préalablement. Ces résultats ont déjà attiré l'attention d'une compagnie hollandaise qui aimerait les utiliser pour modéliser la floraison de la tomate afin de faire des prédictions. Les prémices d'une collaboration…florissante ? (1) Thouet, J., Quinet, M., Ormenese, S., Kinet, J.-M. and Périlleux, C., 2008. Revisiting the involvement of SELF PRUNING in the sympodial growth of tomato. Plant Physiology, 148, 61-64. (2) Thouet, J., Quinet, M., Lutts, S., Kinet, J.-M. and Périlleux, C., 2012. Repression of floral meristem fate is crucial in shaping tomato inflorescence. PLoS ONE 7(2): e31096. doi:10.1371/journal.pone.0031096 © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -6-