Facteur V Leiden En 1993, Dalhbäck décrit l’existence d’une résistance à la protéine C activée (RPCa) chez 20 à 30 % des patients présentant des thromboses veineuses récidivantes ou précoces, à caractère familial. L’année suivante, Bertina associe ce phénomène à l’existence d’une mutation sur le gène du facteur V (FV) de la coagulation. La mutation concerne une guanine en position 1691 qui est remplacée par une adénine. Au niveau de la protéine, la mutation G1691A se traduit par le remplacement d’une arginine par une glutamine en position 506. On parle du FV R506Q ou FV Leiden, du nom de la ville où l’anomalie a été décrite. Physiopathologie du risque thrombotique Quand cette mutation est présente, le niveau de synthèse du facteur V et son activité procoagulante restent inchangés, mais l’inactivation du facteur V par la protéine C activée est diminuée, entraînant le phénomène de résistance à la protéine C activée (RPCa) observé in vitro. L’hypercoagulabilité due à la mutation Leiden du FV relève de deux mécanismes : • en situation normale, le FVa, procoagulant, est détruit par la protéine C activée (PCa). Il subit une protéolyse sur trois résidus arginine : – le premier clivage a lieu sur le résidu Arg 506 : il est nécessaire à l’exposition des autres sites de clivage. Il conduit à une inactivation partielle en réduisant l’activité procoagulante (diminution d’affinité du FVa pour le FXa) ; – le deuxième clivage sur l’Arg 306 conduit à une inhibition complète du FVa ; – les clivages ultérieurs ont probablement moins d’importance. La perte du site de clivage du FVa entraîne un défaut d’inactivation du FVa par la PCa, majorant la quantité de FVa procoagulant. L’inactivation partielle du FVa qui en résulte explique que la mutation soit bien tolérée chez l’hétérozygote. • parallèlement, le FV non activé est anticoagulant en associant avec la protéine S, cofacteur de l’action inhibitrice de la PCa qui dégrade le FVa et le FVIIIa, inhibant la génération de thrombine. Le clivage du FV en position 506 par la PCa est essentiel dans ce processus. La perte du site de clivage par la PCa concerne donc également le FV. Il en résulte une perte de l’activité cofacteur du FV pour la PCa pour inactiver le FVIIIa, majorant l’amplification de la coagulation par le FVIIIa. Diagnostic biologique Cette mutation est généralement recherchée après mise en évidence d’une résistance à la protéine C activée. Effectuée par biologie moléculaire, la recherche passe par la technique de PCR-digestion ou de PCR en temps réel. Elle est généralement couplée à la recherche de la mutation G20210A du facteur II, autre facteur de risque biologique de thrombose. Cette technique peut être réalisée quel que soit le traitement anticoagulant en cours et quel que soit le délai par rapport à l’accident thrombotique. L’analyse génétique permet la caractérisation des hétérozygotes et des homozygotes. Il est obligatoire de se conformer à la législation en vigueur (décret 2000-570 du 23 juin 2000) en informant le patient de la réalisation de ce test sur l’ADN génomique afin de recueillir son consentement éclairé. Seul le prescripteur est habilité à remettre les résultats au patient. En raison de sa grande fréquence, le FV Leiden peut être associé en cis ou en trans à un allèle « nul » du FV. Les différentes configurations réalisent deux situations particulières : • la « pseudo-résistance à la PCa » due à l’association en trans : le FV Leiden est associé à un allèle nul, responsable d’un taux de FV diminué. La RPCa est sévère. Bien qu’hétérozygotes pour la mutation Leiden, ces individus ont un risque significativement plus élevé que les hétérozygotes simples pour le FV Leiden ; • la discordance phénotype/génotype due à l’association en cis : dans ce cas, la diminution du taux de FV masque l’effet de la mutation Leiden et diminue la RPCa. Facteur V Leiden et risque de thrombose veineuse Le FV Leiden est la cause la plus fréquente de thrombophilie. Sa prévalence est élevée, estimée à 5 % chez les sujets d’origine caucasienne et à 20 à 40 % chez les patients ayant des antécédents d’accidents thromboemboliques veineux. Des variations notables de répartition géographique ont été constatées : absence en Afrique et en Asie, gradient nord-sud en Europe avec une prévalence accrue au nord. Le FV Leiden est retrouvé plus particulièrement dans la population caucasienne d’Europe et d’Amérique. — Sujets hétérozygotes Chez les sujets hétérozygotes, le risque de thrombose veineuse est estimé multiplié par environ 3 à 8 selon les études. Dans de nombreux cas, les sujets hétérozygotes sont asymptomatiques. Les épisodes de thrombose peuvent survenir dans des situations à risque, qui agissent comme facteur déclenchant, telles qu’une inter- vention chirurgicale, une grossesse, la prise de contraceptifs oraux (contenant des estrogènes) ou une immobilisation prolongée. Après une première thrombose, le risque est également majoré. Le diagnostic de FV Leiden hétérozygote ne modifie pas la prise en charge initiale de la thrombose, ni sa prévention secondaire, qui repose sur des données cliniques. Le dépistage de la mutation repose essentiellement sur l’intérêt de dépister les homozygotes ou les doubles hétérozygoties V et II. — Sujets homozygotes Les sujets homozygotes pour le facteur V Leiden ne sont pas exceptionnels, compte tenu de la fréquence de ce type d’anomalie. Le risque de thrombose veineuse semble important, multiplié par 20 (80 dans les études initiales), et pourrait justifier un traitement par AVK au long cours après un premier épisode de thrombose. Les sujets asymptomatiques sont plus rares que chez les hétérozygotes et les circonstances à risque sont particulièrement mal tolérées. Ces sujets ont des manifestations nettement moins sévères que les sujets homozygotes pour le déficit en protéine C ou protéine S. — Dépistage systématique Dans la population féminine, le dépistage systématique du FV Leiden pourrait avoir un intérêt. En effet, la fréquence du FV Leiden hétérozygote est plus élevée chez les femmes présentant une thrombose en cours de grossesse. De même, le risque relatif de thrombose du FV Leiden est de 35 sous estroprogestatifs et de 15 sous traitement hormonal substitutif. Néanmoins, les statistiques montrent que, pour prévenir 1 décès par embolie pulmonaire et 100 thromboses veineuses, il faudrait réaliser un dépistage systématique avant prescription d’une contraception orale chez 2 millions de femmes. L’opportunité d’un tel dépistage est donc fortement contestée, d’autant que la non-prescription de contraception orale chez 5 à 7 % de femmes françaises en âge de procréer aurait peut-être des conséquences délétères (grossesses non désirées, avortements). L’attitude consensuelle est donc de réserver le dépistage systématique aux patientes avec antécédents familiaux. Cependant, cette attitude pourra être rediscutée avec l’utilisation possible de contraceptifs oraux progestatifs purs, non incriminés dans une augmentation du risque thrombotique veineux, et qui pourraient être prescrits en première intention chez les patientes à risque. — Dépistage familial L’indication du dépistage familial ne fait pas l’objet d’un consensus. Néanmoins, le dépistage des porteurs asymptomatiques permet d’adapter la prévention primaire de ces sujets dans les situations à risque en fonction de l’histoire thrombotique familiale. Traitement des thromboses veineuses — Traitement curatif Le traitement curatif classique de la maladie thromboembolique veineuse par héparine puis par AVK est efficace. Pour certains, le risque chez les homozygotes pourrait justifier un traitement par AVK au long cours après un premier épisode de thrombose. — Traitement préventif Chez les porteurs asymptomatiques mis en évidence lors de l’enquête familiale, il n’est pas institué de traitement préventif systématique. La prévention est instaurée dans les situations à risque (chirurgie, immobilisation prolongée, grossesse, post-partum). Le port d’une contention élastique est souvent conseillé. Les contraceptifs estroprogestatifs et le traitement hormonal substitutif sont contre-indiqués chez les femmes déficitaires. On peut avoir recours aux progestatifs purs. ☞ ( Facteur II (mutation G20210A du gène du), Facteur V, Résistance à la protéine C activée, Thrombose (bilan de) Bertina RM. Genetic approach to thrombophilia. Thromb Haemost 2001 ; 86 : 92-103.